… se voit sans délai, délai, dixit
Gainsbourg. Qui n’avait pas exactement un physique de playboy, mais s’est
révélé excellent séducteur. Les deux personnages principaux de « Marty »,
le film de Delbert Mann, sont plutôt moches et n’ont rien de séduisant. Bourrés
de complexes, de gaucherie, s’entêtant à mettre des bâtons dans les roues de
leur chétive amourette …
Delbert Mann (chemise blanche), l'équipe technique, Blair & Borgnine |
Le résultat est pourtant
superbe. Pas vraiment à cause de la romance à deux balles qui est au cœur du
film, mais surtout grâce au contexte de cette histoire (le quartier italien de
New York dans les années 50), et plus encore grâce aux acteurs. Betsy Blair
(pas si moche que ça, en fait, mais pas non plus une bombe sexuelle sortie des
studios américains, certes …), parfaite en prof fille à papa, trop timide et coincée pour
oser prendre sa vie en mains. Et surtout l’inattendu (dans ce rôle-là) Ernest
Borgnine, garçon boucher au cœur d’or, empêtré dans les traditions du petit
peuple rital et embrouillé par ses potes niais et grandes gueules.
Ouais, Borgnine. Trapu et court
sur pattes, regard bovin de petite frappe. Jusque là remarqué pour des seconds
rôles de méchant, de salaud, dans des grands films comme « Et tant qu’il y
aura des hommes » (au passage, c’est Burt Lancaster, qui co-produit le
film et présente la bande-annonce américaine de « Marty »), « Johnny
Guitare », « Vera Cruz », « Un homme est passé ». Dans
« Marty », il est à total contre-emploi (mais y gagnera la statuette de
meilleur acteur). Il est Marty Piletti, apprenti boucher, vivant la trentaine
bien sonnée chez sa vieille mère quand tous ses frères et sœurs cadets sont mariés.
Affable, travailleur, complexé par son physique, traînant sa timidité et son
mal de vivre dans les bistrots et les « dancings » le samedi soir … Pote
avec d’autres traine-savates à l’existence aussi morne que la sienne, mais dont
il redoute le regard et les quolibets quand il démarre son idylle avec Clara (Betsy
Blair).
Marty & Clara |
Qu’il a osé aller consoler
alors que sous prétexte de mocheté, elle venait de se faire abandonner dans un
dancing par un bellâtre coureur.
« Marty », du peu
connu Delbert Mann (bien que ce film, phénomène assez rare dans les annales
cinématographiques, lui ait valu la même année Palme d’Or et Oscar), est un
film court (moins d’une heure et demie), au rythme nonchalant et indolent,
comme ses personnages principaux. Il est pourtant d’une grande richesse, grâce
à une merveille de scénario qui nous immerge dasn la communauté (voire le
communautarisme) italien de New York, et une galerie de personnages secondaires
fouillée, faisant ressortir des caractères mémorables, comme la mère de Marty (excellente
Esther Minciotti), la tante fouteuse de merde, le couple à problèmes et
disputes de son cousin comptable, le pote bien relou Angie, …
Il n’y a pas d’action (au sens
Chuck Norris du terme) dans « Marty ». Pas non plus une galerie de
portraits plombante comme un casting de Dreyer (grand réalisateur qui a fait de
grands films, mais qui te foutent le moral dans les chaussettes encore plus
sûrement qu’un discours de Fillon sur les soins palliatifs en fin de vie). « Marty »
est un film vivant, qui trouve le rythme parfait entre les personnages et leur
histoire (le temps que va passer Marty à essayer de rouler une pelle à sa
chérie, qui évidemment va au dernier moment détourner la tête et le regard…). « Marty »
est un film qui rend crédibles et réalistes des personnages et des situations
sur lesquels on a quelque peu forcé les traits (les merveilleuses scènes entre
la mère et la tante de Marty, entre Marty et Angie).
Marty & Angie |
Aujourd’hui, « Marty »
est un film quelque peu oublié (on ne le trouve par ici que dans une version
DVD assez bâclée sans bonus), certainement plus à cause de la carrière en
demi-teinte qu’ont effectué Mann, Borgnine et plus encore Blair, que de ses
qualités intrinsèques.
Plus qu’un vague mélo 50’s, « Marty »
est une belle tranche de vie sur une génération et une époque prétendues « dorées »,
mais où derrière le vernis de l’insouciance, se trouvaient déjà les fêlures et
le mal-vivre de ceux qui n’entraient pas dans le moule idéal du « rêve
américain » …