Ma chère Roxane,
Mon périple m’a conduit en ce 11 Janvier 2015 dans cette
bien étrange bourgade française qu’est Paris. Je me suis retrouvé dans une
foule énorme, agitant force drapeaux et battant le pavé. Comme c’était
impossible de les compter tant ils étaient nombreux, on a dit qu’ils étaient 2
millions, ça au moins c’est du chiffre qui a de la gueule. Tu connais mon
peu de connaissances en matière de ballon rond, j’ai pensé que la France avait gagné la Coupe du
Monde organisée au Qatar. Un autochtone auprès duquel je m’enquérissais du score, me dit que non, pas du tout, il ne
s’agissait pas de football. C’est dommage, cette compétition sera sans doute un
grand spectacle, une magnifique vitrine pour l’exposition au monde des
mirifiques pratiques locales, et l’on peut rêver de voir dans le rond central à
la mi-temps des matchs quelques mains
coupées aux maraudeurs locaux, ou quelque concours de lapidation pour épouses
infidèles. Quand le sport désintéressé et une évolution sociale hors pair se
rencontrent, ce ne peut être que grandiose … Mais je m’égare (et je pourrai
m’égarer encore plus si j’en venais à causer de ce à quoi sont utilisés les
pétrodollars qataris en matière de financement de groupuscules islamistes ayant
peu à voir avec le kop de Boulogne …)
Mon voisin m’apprit que la France se trouvait réunie dans
les rues dans une sorte de sursaut national après avoir connu pendant les jours
précédents une vague d’assassinats visant dessinateurs, journalistes,
policiers, clients de supérette, et quelques autres quidams ayant eu le malheur
d’être au mauvais endroit au mauvais moment. Les troupes de Robocop locaux
ayant réduit en charpie les trois illuminés (enfin façon de parler, y’avait pas
de lumière à tous les étages chez eux) responsables. Lorsque je lui demandai
les raisons de ce carnage, il me dit que les premiers tués l’avaient été parce
qu’ils avaient moqué par leur caricatures le Prophète, le dieu de leur
religion. Quelle ne fut ma surprise de savoir qu’en France, ce pays qui avait inventé le seul idéal
révolutionnaire méritant l’exportation résumé par le triptyque Liberté Egalité
Fraternité, il existât encore des gens pour le fouler au pieds et le rejeter à
grands coups d’armes de guerre automatiques dans ta face, chien d’infidèle …
Emportés par la foule qui nous traîne nous entraîne écrasés
l’un contre l’autre, je me glissai donc avec mon guide de rencontre dans cette
folle sarabande . Il m’expliqua tout ce qui était arrivé dans la semaine, toute
cette émotion, cette crainte et cette colère qui se déversaient maintenant en
un immense défilé de fierté unitaire. Que ce pays est donc un beau et grand
pays me dis-je. Quelques menus détails attirèrent mon attention. Des cars de
policiers passaient, applaudis par le peuple. Qu’avaient donc fait de
particulier ces gens-là ? Leur travail me répondit mon ami. Ce doit être
une coutume locale, je ne manquerai pas quand j’irai au café ou au supermarché
d’applaudir le serveur et la caissière.
A moment donné, il ne fut plus possible de bouger. Une
troupe nombreuse et lourdement armée encadrait un carré de personnages que je
devinais importants. Il y avait là le Président français Hollande, d’autres grands
chambellans de différentes nations, tous plus célèbres et importants les uns
que les autres, les plutôt fréquentables devant, les autres derrière. Je ne vis
pas Poutine ou Medvedev, mon voisin me précisa qu’ils n’aimaient pas trop être
là quand on parlait de liberté (d’autres aussi s’étaient fait porter pâles, et
pas seulement le nord-coréen …), mais qu’ils avaient été bien présents tout au
long de la semaine, l’arsenal des forcenés étant surtout made in Russia … Mais
chut, fallait pas le dire, la France vend aussi beaucoup d’armes. Il y en avait
un qui avait l’air plus protégé que les autres, c’était l’Israélien Netanyahou,
digne héritier d’une vieille famille de bouchers-charcutiers. C’est peut-être
pas tout à fait sa faute, on l’a foutu lui et son peuple dans un pays créé de
toutes pièces au milieu de ses ennemis millénaires. Comme ça, on est sûr que
les marchands de canons seront pas au chômage, merci Yalta …
Netanyahou, c’était la star de la journée. Peut-être pas le
playboy de l’équipe (fallait voir Renzi et Cameron faire les beaux, par contre
Angela était toujours aussi peu euh… canon), mais le meilleur communicant, ça
c’est sûr. Mon ami m’expliqua que c’étaient des Juifs qui avaient été pris pour
cible le troisième et dernier de ces tristes jours. A mon grand étonnement,
parce que je m’imaginais naïvement que dans une République laïque, on était
Français avant d’être juif, ou musulman ou chrétien, ou athée, et que c’était
l’individu qui primait sur sa religion. N’y avait-il pas quelque joueur de
ping-pong parmi les victimes, pour que la communauté des pongistes puisse crier
à la persécution ? Mon voisin me prédit même (il n’était donc pas
éditorialiste) qu’on en viendrait bientôt à plus parler de ces quatre-là et de
leur religion stigmatisée que des premières victimes qui étaient le postulat de
départ ce cette série d’abominations. Mais qui étaient donc ces Charlie
demandai-je ? Une bande de plutôt anars rigolos, amateurs de vannes en
dessous de la ceinture et de canons de rouge, et qui avaient décidé que comme
la liberté, ils n’auraient pas de limites et surtout pas celles que voudraient
leur imposer les bien mal pensants de tout acabit. Ils représentaient l’essence
même de la République et de la laïcité et ils sont morts pour ça … et
maintenant tous les calotins avec des siècles de sang versé à cause de leurs croyances sur les mains,
rejoints par tous les hypocrites sécuritaires de tout poil voudraient placer
leurs putains de dieux au cœur de cette affaire, et faire que ces types qui
sont morts pour défendre une liberté majuscule de leur vivant seraient
maintenant un prétexte pour un tour de vis sur nos petites libertés à tous, un
Patriot Act à la française ?
Je vous le dis, ma
chère Roxane, il a dans cet étrange peuple cosmopolite bien des raisons de désespérer.
J’en ai pourtant vu une d’espérer. Il y avait au milieu de cette foule une
gamine black et musulmane qui chantait à gorge déployée la Marseillaise. C’est les
Messieurs-Dames que l’on voyait fiers comme des coqs ceints de leurs écharpes
tricolores, qui ont maintenant la responsabilité de la faire grandir heureuse
au milieu de tous. La balle, si l’on peut dire, est dans leur camp … Qu’ils essayent
d’être à la hauteur des espérances, une fois dans leur vie, ça pourrait être ça,
le changement … Sinon, les inventeurs du Moyen-âge, comme disait un de leurs
bouffons majeurs du siècle dernier, auront gagné …