« Le Parrain », 1er
du nom, avait été un immense succès tant critique que public. Coppola en avait cependant
gardé un mauvais souvenir, en butte perpétuelle avec les budgets et les
producteurs de la Paramount. Une suite était pour lui totalement hors de
propos. D’ailleurs, il faisait un pied-de-nez à son film-référence en tournant
le névrotique et intimiste « Conversation secrète ».
On peut croire Coppola sincère
quand dans la version du film qu’il commente dans le Blu-ray, sa première
phrase est « Voici « Le Parrain 2 », un film que je n’avais pas
vraiment envie de tourner au départ ». C’était sans compter sur la
persévérance des gros cigares de la Paramount. Qui reniflent avec une suite du « Parrain »
le jackpot. Et qui finissent par faire à Coppola le genre de proposition qu’on
est obligé d’étudier. Budget doublé, totale liberté du choix des acteurs et du
scénario. Coppola tente de feinter, en proposant comme réalisateur un certain
Scorsese, petit italo-américain (of course) naturellement et chimiquement speedé
dont un film urbain et teigneux sur des petits malfrats (« Mean streets »)
l’a impressionné. Cris d’orfraie des financiers de la Paramount, pas question
de Scorsese. Coppola est piégé, ne peut que livrer un baroud d’honneur sur le
titre du film. Lui veut « Le Parrain 2 », le studio met son veto, on
n’a jamais vu dans les annales d’Hollywood une suite de film numérotée, ça ne
peut pas marcher. Toutes ces tergiversations jouent en faveur de Coppola, les
studios veulent vite la suite, et finissent par céder totalement aux desiderata
de leur poule aux œufs d’or …
La famille de Vito Corleone |
Coppola se met à l’écriture
avec l’auteur du roman dont était tiré le premier film, Mario Puzo. Coppola n’a
mis en scène qu’une partie du bouquin. Du coup, la moitié de la suite est déjà
écrite, celle qui raconte la jeunesse et l’accession au titre de « Parrain »
de Vito Corleone. La moitié seulement, car pas question de laisser tomber
Michael Corleone, dont la lente et inexorable ascension constituait la trame du
premier volet. Surtout que Pacino, l’acteur qui a maintenant Hollywood à ses
pieds, est partant pour la suite (moyennant quelques caprices de diva, il
faudra réécrire quelques scènes à sa demande) ainsi que l’essentiel des survivants
(au figuré) du premier casting (Duvall, Keaton, Cazale, Shire, …). Là où se
situe le coup de génie de Coppola, c’est de faire en même temps un prequel et
un sequel de son succès. Bon, faudra se passer de Brando, qui refusera un pont
d’or (il s’estimait – entre autres – sous-payé lors du premier volet) pour
apparaître dans la suite, mais laissera toujours planer le doute jusqu’au
dernier jour du tournage sur une possible apparition. Coup de poker (gagnant)
avec pour reprendre le personnage de Vito Corleone, le jeune espoir Robert de
Niro, repéré par Coppola dans « Mean streets » (toujours la connexion
italo-blablabla …).
La solitude du tueur de fond ... |
Le succès raz-de-marée
planétaire du « Parrain », mettait peut-être la pression sur l’équipe,
mais avait montré tellement de points d’ancrage scénaristiques solides que sa
suite coulait de source. Les similitudes entre les deux films sont
volontairement légion, des scènes du premier se retrouvent par effet de miroir
quasiment plagiés dans le second, Coppola le reconnaît volontiers et prend un
malin plaisir à le souligner dans ses commentaires. Le seul pari de mise en scène
(qui est devenu un modèle et a bien fait école), c’est cette juxtaposition non chronologique
des destins du père et du fils, à travers de longues séquences de leurs
aventures. On passe un quart d’heure avec De Niro – Vito, vingt minutes avec
Pacino – Michael, puis on revient sur De Niro … Un procédé casse-gueule, parce
que les « affaires » de Michael ne sont pas très simples, et du coup
quelques seconds rôles laissent perplexes, genre « mais il est avec qui,
lui ? ».
Il y a un parallèle dans ces
deux histoires, le père comme le fils veulent monter toujours plus haut, jouant
les Icare de la délinquance, quitte à risquer de se cramer les ailes. Il y a
aussi une grosse différence entre ces deux destins. Vito à mesure qu’il « s’élève »,
bâtit toute sa vie sur la construction d’une famille dans tous les sens du
terme (un ménage avec des enfants, puis des « amis »). De son côté
Michael n’a plus aucune limite géographique dans son ambition (il est passé du
quartier de New-York à des « investissements » internationaux), et
son ascension qu’il veut hégémonique dans le milieu du crime organisé le
conduit à tout perdre ou à tout détruire dans sa famille. Plus Vito devient
important, plus il est entouré. Le Michael triomphant après les traditionnels bains de sang menés en parallèle dans le final
est un homme seul, regardant à travers une véranda un homme de main exécuter sur
son ordre son propre frère. La vengeance (l’honneur de la famille, du clan,
disent les mafieux) guidait ses actions dans le premier film, dans « Le
Parrain 2 », c’est juste la soif de pouvoir … Mais tout çà, c’est de l’analyse
à deux balles quand on a vu plusieurs fois le(s) film(s), et qu’on a entendu
Coppola en causer pendant trois heures et vingt-deux minutes ( !!).
Pacino - Cazale : le baiser de la mort |
Non, la base, ce qui fait qu’un
film va rencontrer un succès colossal (quand même pas autant que le premier qui
avait placé la barre très haut), c’est que les gens vont se précipiter pour
aller le voir. Pour cette saga familiale, pour quelques scènes sanguines, pour
quelques reconstitutions méticuleuses (le Cuba de Batista, les fringues,
accessoires et bagnoles d’époque, … pas de fausses notes), et parce qu’il y a des
types (ou des nanas) qui crèvent l’écran. On a beau jeu de dire quarante ans
plus tard que ouais, c’est facile de faire un carton avec Pacino et De Niro,
sauf que c’est Coppola qui les a tous les deux lancés pour la première fois devant
le « grand public » dans cette saga. Ce serait oublier aussi qu’un
film de plus de trois heures ne tient pas la route s’il n’y a pas de grands
seconds rôles. Diane Keaton est excellente dans ce monde hyper patriarcal
(fabuleuse scène conclue par une beigne d’anthologie quand elle avoue son
avortement), Duvall impeccable tout en sobriété économe, Cazale livre sa
meilleure prestation (et malgré sa trop courte carrière, il n’a pas exactement
tourné que des navets). Comment ne pas citer la performance des quasi inconnus
Michael V. Gazzo (le mafieux repenti) ou Gastone Moschin (le caïd de quartier
buté par De Niro). D’autres acteurs ne sont pas là par hasard. Roger Corman
(apparition fugitive dans le rôle d’un sénateur de la Commission d’Enquête) est
un producteur indépendant qui a soutenu les débuts de Coppola et l’ennemi de
Michael (le machiavélique Hyman Roth) est tenu par Lee Strassberg cofondateur et
principale cheville ouvrière de l’Actor’s Studio auquel le cinéma américain des
années 70 doit tant. Last but not least, que serait un film de Coppola sans la « famille » ?
La vraie, celle du sang, papa à la musique (bien aidé par Nino Rota quand même),
la frangine Talia Shire dans un second rôle, quelques apparitions fugitives d’oncles,
neveux, enfants. Même Maman Coppola est du casting. C’est elle qui, maquillée,
joue (enfin, façon de parler) la mère morte de Michael parce que la préposée au
rôle, très croyante et superstitieuse, avait refusé de s’allonger dans le
cercueil. La « famille » de Coppola, c’est aussi la communauté italo-américaine
et les patronymes sentant bon Calabre, Sicile, Pouilles et autres contrées du
Mezzogiorno n’arrêtent pas de défiler lors du générique (de façon un peu moins
hégémonique que sur le premier volet tout de même).
Coppola et ses acteurs attendent Brando ... |
Coppola ne voulait pas de cette
suite, et encore moins d’une autre (qu’il finira par tourner ses affaires allant
mal juste pour le fric, sans conviction, et ça se verra). Il glisse donc en
épilogue une scène censée faire la liaison entre deux époques de la saga, le
moment évoqué dans le premier volet ou Michael se met, rompant tous les codes
mis en place par son père, en marge de sa famille. Il annonce à ses frères
alors que tous attendent l’arrivée du Père qui fête son anniversaire son engagement
dans l’armée après Pearl Harbour. Coppola avait fait revenir pour cette scène
James Caan et Brando était censé apparaître. Jusqu’à la veille du tournage, tout
le staff espérait encore sa présence. On n’entend hors-champ qu’une porte qui s’ouvre
et le bruit de ses pas …
La boucle était définitivement
bouclée …
P.S. Malgré la remastérisation
(par les studios Zoetrope de Coppola himself) le Bluray n’est pas un de ceux
qui feront date en matière technique, même s’il est correct. Bon, le support
original date de 1974, ceci expliquant sans doute cela …
Du même sur ce blog :
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