… et ramasser la monnaie. Une formule déjà bien rodée. Le
dénommé Mark Feld, alias Marc Bolan, va la pousser à son paroxysme dans
l’Angleterre du début des années 70.
Bolan, c’est le type qui veut absolument réussir. Depuis
le milieu des années 60, il entend devenir une rock star. Une obsession qu’il
partage avec une de ses connaissances, un certain David Jones, devenu à la
scène David Bowie. Les deux hommes sont plus amis que rivaux (ils utilisent
souvent le même producteur, Tony Visconti), épient leurs carrières respectives.
Début 71, match nul. Bolan est à la tête d’un groupe (en fait un duo) de folk
campagnard hippy (Tyrannosaurus Rex), sort des disques qui au mieux font un
succès d’estime. Bowie y a goûté au succès, celui du single « Space
Oddity » en 1969. Depuis, accueils critiques polis et c’est tout. C’est
Bolan qui va trouver la formule magique. Exit les babacooleries folky (Devendra
Banhart reprendra la formule des décennies plus tard), exit Tyrannosaurus Rex,
et place à T.Rex. Si le nom se raccourcit, le personnel augmente. En plus de
Bolan au chant et à la guitare, on y trouve Micky Finn (l’autre moitié de
Tyrannosaurus Rex), aux backing vocaux et percussions, Steve Currie à la basse
et Will Legend à la batterie. Deux titres classés, « Ride a white
swan » et « Hot love », dans un nouveau registre. Plus rythmé,
plus pop, plus rock … et on voit à la télé anglaise un Bolan aguicheur, en
satin et platform shoes … La mutation
T.Rex est en marche, et Bowie dans les cordes compte les points …
Bolan cogite un projet global de domination des charts.
Son physique elfique ne laisse pas les filles, surtout les plus jeunes,
indifférentes. Il va soigner son apparence, ne pas mégoter sur les couleurs
vives et les paillettes. Musicalement, il va s’inspirer de deux stars qui ont
fasciné le public. La première du rock, Elvis Presley, et la plus magnétique
qui vient de mourir, Jimi Hendrix. Il empruntera un peu aux deux, la lascivité
des rock mid tempo au King, la flamboyance et dans la mesure de ses
possibilités, recyclera quelques plans de six-cordes d’Hendrix.
A cet égard, rien que la pochette du disque
« Electric warrior » qui doit concrétiser son triomphe est
révélatrice. Bolan pose en guitar hero (Gibson Les Paul), devant un énorme
ampli (de la confidentielle marque Vamp). Et au départ, « Electric
warrior » était conçu comme un disque très rock. Il suffit d’écouter sur
une de ses multiples rééditions les versions « work in progress » des
titres pour s’en rendre compte. On y
entend le groupe répéter, grosse batterie, gros riffs de guitare, et chant
souvent hurlé de Bolan. Lors de la parution du disque, il ne restera qu’un
titre dans cet esprit, « Rip off », phrasé plus vomi que chanté (très
punk, aussi ceux-ci citeront souvent Bolan comme une de leurs influences),
guitare hurlante et final avec sax free gueulard sur un mur de feedback.
Pour le reste, nul doute que Tony Visconti a beaucoup
aidé Bolan à enjoliver son propos. Les titres de « Electric warrior »
font alterner ballades (« Cosmic dancer », « Monolith », la
très suave « Life’s a gas ») avec titres plus énergiques
(« Jeepster », « Get it on », « The motivator »).
L’innovation est aussi de la partie, détournement de mambo (« Mambo
sun »), blues à paillettes (« Lean woman blues »), percussions
très en avant (« Planet Queen », quasiment un duo avec Micky Finn,
cependant à mon sens le titre le plus faible du disque). « Girl »
fait immédiatement penser à du Lennon solo, « Imagine » du binoclard
sort à peu près en même temps et son titre éponyme et « Get it on »
seront à la lutte pour être les deux succès de l’hiver 71-72.
Visconti concocte pour « Electric warrior » un
son très soyeux, fait swinguer la section rythmique, multiplie les arrangements
agréables à l’oreille. Mais surtout il recadre Bolan au chant et à la guitare.
Et c’est ce qui fera toute la différence. Bolan, même s’il ne fait pas partie
des ténors de l’instrument se concentre sur les riffs, joue peu souvent
rythmique. Sa guitare n’est pas toujours présente, et donc se remarque d’autant
plus lorsqu’elle intervient. Rajoutez des efforts sur la trituration et la
distorsion du son (l’influence hendrixienne), et ça donne tout son cachet à des
titres qui au niveau composition, n’ont cependant pas inventé la foudre … C’est
pourtant au niveau du chant que se fera la différence. Bolan murmure, susurre
(l’Elvis des débuts), ronronne avant de rugir, multipliant râles, soupirs,
hoquètements. Une voix et un chant très sexués, qui agira très directement sur
son public. Le cœur de cible de Bolan-T.Rex, c’est la midinette collégienne, et
on verra se reproduire à chacune de ses apparitions des scènes d’hystérie
collective pas vues en Angleterre depuis la beatlemania. Les deux singles issus
de « Electric warrior », « Jeepster » et « Get it
on » connaîtront un succès considérable, lançant la mode glam qui verra
des légions de groupes plus ou moins suiveurs envahir le pays. Bolan surfera
tout en haut de cette énorme vague (deux concerts à Wembley au printemps 72,
avec la fameuse mise en scène du culte de sa propre personnalité alors inédite,
Bolan y apparaissant en tee-shirt … Bolan), trustant les sommets des
hit-parades avec les singles « Metal guru » et « Telegram
Sam », ainsi que l’album suivant, « The slider » …
Et Bowie dans tout çà ? Il va retenir les leçons qui
ont fait l’énorme succès de Bolan. Et pousser le bouchon encore plus loin.
Bolan plaît au filles ? Il va plaire aux filles ET aux garçons, mettant en
scène son équivoque ambiguïté sexuelle, à grands renforts d’interviews malines,
de trousses de maquillage et de tenues encore plus extravagantes … Le vaisseau
de Ziggy Stardust est en route pour la Terre …