LOUD, FAST & OUT OF CONTROL - THE WILD SOUNDS OF 50's ROCK (1999)

La compile du siècle ...
Parce que là, mes biens chers frères, mes biens chère sœurs, c’est du lourd. Du très très lourd. Une box de 4 Cds, 104 titres, plus de quatre heures de musique.

Et le tout signé Rhino, le label haut de gamme de la réédition. Ce qui veut dire, un son dantesque à partir des masters d’origine nettoyés et boostés, et quand la compile est parue à la fin du siècle dernier, personne n’avait mis sur le marché quoi que ce soit qui ressemble à çà. Ajoutez un livret épais comme l’annuaire de Mexico City, et un casting où sont présents … ben tous en fait, c’est contenu dans le titre du coffret, tous les pionniers dans leurs titres les plus agités du rock’n’roll des années 50. Le tracklisting est impressionnant et intelligent. Pour la première (et la seule fois) avec un son (rigoureuse mono droit entre les yeux évidemment) pareil, se côtoient toutes les légendes (oui, oui, fait rarissime dans ce genre d’entreprises, les ayants droit de Presley ont donné leur accord pour deux titres, dont le nucléaire « Jailhouse rock »), mais aussi une multitude de seconds couteaux, voire d’anonymes qui un jour d’inspiration ont sorti le titre qui tue, celui que de plus célèbres ont repris, celui qui retrouvé dans une brocante des années après, a donné des idées au nerd qui l’avait acheté. Un exemple : The Phantom ( ? ), pseudo d’un certain Jerry Lott à la discographie plus que rachitique, mais qui, en 1’30 chrono a sorti un titre (« Love me »), qui contient toute la carrière des Cramps. Un autre ? Kid Thomas avec son « Rockin’ this joint tonight » a fait dix ans plus tôt aussi fort qu’Alvin Lee à Woodstock, la rythmique de son titre étant la même que celle de « I’m goin’ home », et la guitare supersonique étant ici remplacé par une … trompette ultra-speed. Encore un ? Pas de problème, écoutez le « Stagger Lee » de Lloyd Price, c’est lui qui a créé en musique ce personnage de souteneur filou, que l’on retrouvera dans multitudes de reprises (Wilson Pickett, Dr John, Clash, …).

Cette compile c’est la revanche des sans-grades, des oubliés de l’Histoire. Traités ici avec tous les honneurs qu’ils n’ont pas eus à l’époque. Le coffret a la lumineuse idée de ne pas être une juxtaposition de mini-compiles des grands noms. Même les plus illustres, les Presley, Chuck Berry, Little Richard, Jerry Lee Lewis, Gene Vincent, Eddie Cochran, Buddy Holly, Carl Perkins, …, n’ont droit qu’à deux ou trois titres. Ce qui permet de réévaluer la carrière de quelques-uns. Des noms ? Allez, OK, c’est jour de fête. Le Johnny Burnette Trio est essentiel, ils ont créé le premier sous-genre répertorié du rock’n’roll des origines, à savoir le rockabilly et leur « Train kept-a-rollin’ » a été repris des millions de fois. Fats Domino, cet encombrant (par la corpulence) pianiste de La Nouvelle-Orléans a eu par son sens du swing et du groove inné, une influence énorme. Et last but not least, l’égal des très plus grands (trois de ses titres ont été repris par les Beatles sur leurs premiers 33T, personne n’a eu droit à autant d’honneur il me semble), le sieur Larry Williams, seul concurrent valable de Little Richard (le cureton est pour moi LE plus grand chanteur de rock’n’roll des tente derniers siècles), qui a eu le malheur d’être signé sur le même label que lui (Ace / Specialty) et qui a été plus ou moins maintenu au second plan pour ne pas faire de l’ombre à la diva embagouzée …
Cette compile maousse aurait pu avoir un côté pensum anthropologique. Les types derrière tout çà ont évité cet écueil. En construisant un tracklisting thématique plutôt que chronologique. On a des suites d’une poignée de titres entrecoupés de quelques méga-classiques, explorant tantôt des gens ayant les mêmes influences et produisant le même genre de titres, d’autres fois c’est le thème des chansons (des morceaux parlant du diable, d’autres des animaux de la jungle, des titres rigolos, d’autres salaces, …).

L’ensemble permet de s’apercevoir de plusieurs choses, qui vont plus loin que le résumé à la hache souvent de mise pour la musique de ces roaring fifties. La première, c’est que si « That’s alright, Mama » de l’Elvis a tout déclenché, bien des choses depuis des années lui ressemblaient. Certes, le rock’n’roll est né du mélange du blues et du rhythm’n’blues noir avec la country et le hillbilly blanc, les exemples après Presley sont innombrables, mais d’autres avant lui avaient effleuré le genre (Jackie Brenston et son guitariste un certain Ike Turner avec « Rocket 88 », « Big Joe Turner avec « Shake, ratlle & roll », …) la liste est longue et ces titres sont présents en nombre dans le coffret. Curieusement, et un paquet de titres le démontrent, certains venus du jazz façon big bands festifs et jovials arrivaient à peu près au même résultat (Louis Prima, Amos Milburn,…). Plus curieux encore, un gars comme Thurston Harris était parti du gospel pour arriver à quelque chose de très très proche du rock’n’roll.
Tiens, le rock’nroll, puisqu’on en parle, qu’on le met à toutes les sauces, et qu’on a un peu trop tendance à le réduire et le confondre à des chevelus énergiques à guitares électriques s’appuyant sur des batteries éléphantesques, et ben aux origines, la guitare et la batterie, elles étaient tout au fond du mix, le son reposait sur la basse (ou la contrebasse) et plus encore sur le piano omniprésent ou le sax, plus rarement sur l’harmonica. L’heure de la guitare électrique viendra au tournant de la décennie, avec les premiers guitar-heroes et leurs instrumentaux (Link Wray, Duane Eddy).
Et puis, le rock’n’roll est encore à ce jour le seul genre musical répertorié dont les plus grandes vedettes étaient indifféremment blanches ou noires.

Pas chiens, les gars de Rhino ont ouvert (enfin un peu entrouvert) la porte aux Rosbifs (Vince Taylor, Johnny Kidd), l’ont heureusement refermée aux honteux français fournis en textes réacs par Vian (Jean Yanne, Henri Salvador, et leurs pastiches crétins qui nous vaudront un retard musical pas encore rattrappé à ce jour). Les femmes, peu nombreuses à rocker et roller, même si au centre de bien des préoccupations des textes, n’ont pas été oubliées (Janis Martin, LaVern Baker et l’immense Wanda Jackson).
Un seul regret, mais vu la somme affichée, on va pas faire la fine bouche, il manque Hank Williams (si « Move it on over » en – mais oui – 1947, c’est pas du rock’n’roll je veux bien changer d’oreilles) et aussi Johnny Cash (‘tain, Johnny Cash quand même, l’écurie Sun, le Million Dollar Quartet, …).

Y’a juste un problème, ceux qui étaient passés à côté de la parution de ce mausolée du binaire, peuvent pleurer toutes les larmes de leur corps. Fidèle à sa stratégie d’alors (avant le rachat par Warner), Rhino sortait des rééditions mirifiques, mais en assez petites quantités, et ne les repressait pas. Donc aujourd’hui, à moins de cent euros d’occase, vous le trouverez pas ce « Loud, fast & out of control ». Logiquement, vu la qualité de ce pavé, le juge devrait vous acquitter si vous avez piqué le sac à une vieille pour vous l’offrir …