Squelettique et sautillant, le 1er Talking
Heads avait fait l’effet d’une bombe deux ans plus tôt. « Talking Heads
77 », c’était un disque martial d’épileptique sous Tranxène, un disque de
punk pour ceux qui aimaient pas çà. Le groupe avait eu beau partager la scène
miteuse du CBGB avec les Ramones, ils avaient rien de sniffeurs de colle en
Perfecto, et leur musique était loin du binaire « 1,2,3,4, Hey ho, let’s
go ». Les Talking Heads, c’était un déjà vieux de la vieille (Jerry
Harrison, un ancien des Modern Lovers de Jonathan Richman), une rythmique funky
(le couple à la ville comme à la scène Chris Frantz – Tina Weymouth), et tête
pensante des Têtes Parlantes, le sieur David Byrne. Lequel Byrne s’entiche très
vite de l’œuvre d’une autre tête très pensante, Brian Eno.
Brian Eno & David Byrne |
Eno, je connais. Ses débuts dans les deux premiers Roxy
Music, quelques-uns de ses disques solos (dont je raffole pas au-delà), et pas
mal de disques des autres qu’il a produit (dont je suis plutôt preneur), et là
la liste est longue, son « client » le plus célèbre en cette fin des
seventies étant David Bowie pour ses disques dits « berlinois ». Et
il me semble avoir compris quelque chose au travail de producteur d’Eno. Il
aime pas vraiment le rock au sens large (ouh, le vilain !) et veut faire
« autre chose » quand il bosse sur un disque. En instaurant une sorte
de rapport de forces psychologique avec les gens qu’il produit. Et là, si t’as
pas du caractère, et des idées bien arrêtées, t’es mort, tu te retrouves avec
un disque de Eno. Faut instaurer un combat artistique avec lui. Ce que n’a pas
fait David Byrne en allant le chercher. Byrne est trop fan de Eno, et Eno a
bouffé les Talking Heads. Non sans que Weymouth et Frantz résistent, ils
reprendront la main le coup d’après (le superbe « Remain in light »,
toujours avec Eno, mais il a été obligé de lâcher du lest), dernier éclat de ce
groupe qui s’appelait Talking Heads, avant qu’il devienne la chose du seul
David Byrne.
« Fear
of music » donc. La tarte à la crème de ceux pour qui le rock doit
être mûrement pensé, pesé, intello et cérébral. La référence suprême de la
disco des Talking Heads pour ceux qui n’aiment pas le rock. La matrice de tous
les groupes d’Anglais torturés et leur descendance qui vont faire leurs les
années 80, tous les Joy Division, OMD, Cabaret Voltaire et consorts …
« Fear of music » est un virage radical pour les Talking Heads. Sur
onze titres, seuls une paire (« Paper » et « Animals ») se
situent en terrain connu. Tous le reste est une plongée vers l’inédit sonore,
et on sent que Eno et Byrne ont pris leur pied en utilisant un nouvel état
d’esprit (le punk-new wave-machin chose) pour triturer la carcasse du bon vieux
old rock.
1979, les Talking Heads prennent l'eau |
Le résultat d’ensemble, désolé, mais je vois là-dedans
rien qui puisse ressembler au chef-d’œuvre indiscutable qu’on tente de nous
refourguer depuis plus de trente ans. Y’a de bonnes choses, d’accord, et aussi
des machins pénibles qui me gavent. Genre « Cities », funk robotique
syncopé en totale roue libre, « Drugs », anecdotique machin
barré-psyché-krautrock … Au hasard, deux des titres jugés
« fabuleux » par ceux qui aiment ce disque. Par contre, j’aime bien
l’inaugural « I Zimbra », avec son texte en kobaïen africanisant, et
la guitare mathématique de Robert Fripp reconnaissable entre mille,
« Mind » comme du Roxy Music des débuts (période Eno donc) repris par
les Talking Heads, « Life during wartime », rhythm’n’blues quasi
méconnaissable et pour moi meilleur titre du disque. et puis une grosse partie
du skeud qui me laisse à peu près indifférent (« Heaven », toutes les
recettes du Bowie période berlinoise mais mieux vaut l’original, le sombre
« Memories can wait » très joydivisionnesque mais là aussi c’est
mieux avec Ian Curtis et sa bande de tristos).
En fait, l’histoire l’a montré, deux tendances
commençaient à s’affronter au sein des Talking Heads. Pour faire simple, on
dira la tendance intello (Byrne et son nouveau pote Eno, quasiment cinquième
membre du groupe), et la tendance funky (Weymouth et Frantz, au final rejoints
par Harrison). « Remain in light » sera un compromis étonnamment
réussi, avant que le groupe n’implose, la bassiste et le batteur fondant le
rigolo et dansant Tom Tom Club, mais continuant de participer aux disques des
Talking Heads, désormais sous la tutelle entière de Byrne.
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