« L’esquive » est le second film
d’Abdellatif Kechiche, après l’assez confidentiel « La faute à
Voltaire ». « L’esquive » va projeter son réalisateur sur le
devant de la scène nationale, avec l’étiquette officielle de « grand-
espoir-du-cinéma-français-engagé-donc-de-gauche » (fin de la citation).
Avec tous les colifichets qui vont avec, genre la litanie de statuettes à notre
égotique et auto-congratulatoire cérémonie franco-française des Césars. Et donc
tous les jugements à l’emporte-pièce sur le gars, son œuvre, son message, …
proclamés par des gens qui ne le connaissent pas, n’ont pas vu (ou mal vu, ce
qui revient au même) ses films, mais ont sur son œuvre un avis définitif. En
gros, un type qui suscite le débat (voir ceux interminables et très stupides
sur son dernier « palmerisé » à Cannes, avant qu’il sorte en salles).
« L’esquive » n’y a pas échappé, au débat.
Ni aux critiques défavorables. Mais enfin ma chère, vous avez vu ce Tunisien
qui fait un film sur la racaille de nos banlieues, c’est filmé caméra sur
l’épaule à vous faire vomir votre quatre heures, on comprend rien à ce que
disent ces incendieurs de voiture en puissance, c’est même pas des vrais
comédiens, et le scénario tient sur un timbre-poste. Une horreur, je vous dis …
A l’inverse, on a eu droit à des standing ovations pour cette tranche de cinéma
vérité, à la subtile parabole scénaristique, jouée façon documentaire par de
jeunes comédiens amateurs, et à prendre comme un message d’espoir dans tous ces
endroits où la crise et la misère sociale se répandent, bla-bla-bla …
Bon, pour faire simple, je ne suis d’accord ni avec
les fafs ronchons, ni avec la gauche artistique des petits-fours.
« L’esquive » est conçu genre documenteur. Soit. C’est un peu le
style de Kéchiche (amplifié sur le suivant, l’excellent « La graine et le
mulet »). C’est aussi un choix esthétique et artistique délibéré. Il sait
tenir une caméra de façon « traditionnelle » (voir « Venus
Noire »). Cette caméra sur l’épaule, ces plans très serrés sur les
visages, confèrent au film une dynamique, une urgence, qui ne sont pas dans le
scénario. Il ne se « passe rien » dans ce film, sauf qu’il se passe
quoi, en vrai, dans le quotidien des gosses des cités ? Les jeunes de
« L’esquive » sont vivants, se passionnent pour ces petits riens de
l’existence, leurs premiers émois sentimentaux, les faux bons plans pour
solutionner les problèmes, ... Peu importe que le film soit vraisemblable ou
véridique, que les « personnages » de ces encore quasi-enfants soient
dessinés à la hache. Moi je verrais plutôt ça comme une bonne nouvelle, ça nous
évite l’interminable pensum sur le déterminisme social, le mal-être et le
mal-vivre des banlieues. Pour ça, il y a le rap ou « Envoyé
spécial ».
Tandis que là, dans ces chassé-croisés amoureux avec
en filigrane la répétition du « Jeu de l’amour et du hasard » de
Marivaux, il y a cette forme de poésie surannée des « auteurs
classiques » qui se confronte à une langue parlée, riche, vivante, imagée,
celle qui s’invente au jour le jour dans les banlieues. Mais on comprend rien à
leur vocabulaire, et ils parlent tous en même temps ? Euh, vous avez déjà
vu un débat à la télé sur un sujet très « sérieux » avec plein de
gens en cravate sur-diplômés ? Vous y comprenez quelque chose ? Ils
parlent pas tous en même temps ? Ces dialogues si critiqués de
« L’esquive » (certains « penseurs » du Net auraient aimé
des sous-titres, n’importe quoi …), et la façon de les rendre à l’écran, c’est
pour moi la meilleure réussite du film.
Parce que, perso, il faut bien le reconnaître,
l’initiatique parade amoureuse entre Krimo et Lydia, dans la « vraie
vie » ou par Marivaux interposé, ça m’a pas trop captivé. Pourtant les
enfants sont bons, « surjouent » juste ce qu’il faut, et leurs
copains et copines se hissent à leur niveau, offrant une galerie de portraits
intéressante, mais bon, ça se traîne un peu …
Et le message dans « L’esquive » ?
Intéressant. En tout cas autre chose que les sempiternels clichés rabattus dont
« l’information officielle » nous gave. Oui, c’est un lieu commun que
de dire que les cités et les banlieues sont laissées à l’abandon, et qu’il est
très facile de basculer du « mauvais côté ». Kechiche n’élude pas le
problème, mais ne s’y appesantit pas. On apprend que son père est en cabane,
que Krimo « achète » son rôle d’Arlequin avec des objets
vraisemblablement « tombés du camion », qu’occasionnellement il tire
sur un joint. Pas des infos exclusives ou originales, Kechiche a raison de
glisser rapidement. Tout aussi d’accord quand il défend son pré carré, l’art.
Oui, mille fois oui, pour s’évader (et pas pour en sortir, c’est pas la même
chose) de l’horizon des barres HLM, la passion même momentanée (le prétexte de
la soirée de fin d’année) pour la littérature, le théâtre, c’est une bouffée
d’oxygène qu’il faut maintenir. Et ça passe par le dernier « service
public » encore présent dans ces endroits-là, l’Education Nationale. Pas
un hasard si quasiment la seule comédienne professionnelle de la distribution
(Carole Franck) est celle qui joue la prof de français. Ce qui nous change du
discours officiel sur les vrais faux emplois sponsorisés, les stages
d’apprentissage et toutes ces balivernes à vocation statistique (rendre moins
mauvais des chiffres de l’emploi catastrophiques dans ces endroits-là).
Il y a quand même un gros couac dans « L’esquive »,
c’est ce contrôle de flics caricatural, fait par quatre Rambo épileptiques. Non
pas que ça ne puisse pas se passer comme ça, mais cette longue scène qui n’a
strictement rien à voir avec le restant du scénario, est juste d’une démagogie
crasse. Et cette seule scène pour moi annihile pas mal l’excellente impression
que pourrait laisser ce film. Qui vaut mieux que le mépris voire plus que lui
portent certains, mais qui n’est pas non plus le chef-d’œuvre qu’il faut
encenser décrit par d’autres …
Du même sur ce blog :
La Graine Et Le Mulet
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