Curieux cas, que celui de Townes Van Zandt (rien à
voir avec le grassouillet court sur pattes qui chantait dans Lynyrd Skynyrd, ni
avec le Soprano à bandana guitariste du député du New Jersey). Un type ignoré
royalement de son vivant et maintenant célébré comme la huitième merveille du
Monde (ou des 60’s –70’s, ce qui revient à peu près au même). Bon, faut
relativiser tout çà. Même s’ils oeuvrent dans des genres quasiment similaires, Townes Van Zandt n’est pas Bob
Dylan. Mais ce n’est pas non plus un baltringue folk à la Richie Havens, dont
la mort a été annoncée avec figure de circonstance par Pernaut à son JT, alors
qu’absolument tout le monde avait oublié son existence depuis son passage
braillard et improvisé à Woodstock.
Townes Van Zandt a du talent, c’est sûr. Un talent
qui n’a pas besoin du sempiternel couplet sur l’ivrogne introverti qu’on
ressert systématiquement dès qu’on l’évoque. En a t-il plus que d’autres
oubliés de cette décade folk prodigieuse (en gros 63-73), tous ces Fred Neil,
Tim Hardin, Bill Fay, Pete Seeger, Gene Clark (pour les Amerlos), Bert Jansch,
John Renbourne, Nick Drake, John Martyn, Richard Thompson (pour les
Angliches) ? Débat ardu dans lequel je ne m’aventurerais pas. En tout cas,
quelles que soient ses qualités, il me semble à un niveau inférieur à toutes
les têtes d’affiche de l’époque, les Dylan, Cohen, Donovan, Stevens.
Van Zandt est un folkeux dépressif (pas forcément un
pléonasme), et beaucoup s’accordent pour dire que ses textes sont parmi les
plus sombres jamais mis en musique. Le bonhomme vit le plus souvent reclus,
quasi dans le dénuement, alors qu’il vient d’une famille très aisée, et ses
compagnes les plus fiables seront sur la durée bouteilles (beaucoup) et poudres
blanches (un peu). C’est aussi un compositeur de talent, ses musiques sont
d’une pureté et d’un classicisme que beaucoup ont cherché à atteindre sans y
réussir.
Ce « Townes Van Zandt » est son troisième
disque. 33 T et conçu comme tel. Avec ses deux faces bien distinctes. La
première est une épure folk. La guitare acoustique jouée en finger picking de
Van Zandt est omniprésente, on sent (même sans comprendre forcément les
paroles) dans la voix triste toutes les fêlures et brisures de l’homme. Et même
quand l’instrumentation s’étoffe, ça reste austère, linéaire. Mais évident de
talent. Curiosité et signe du perfectionnisme de Van Zandt, trois titres de ce
« Townes Van Zandt » étaient déjà parus sur son premier disque, dont
« The sake of the song », le plus « fini », le plus élaboré
qui ouvre les hostilités. Une face de vinyle qui débutée de façon quasi
guillerette (quoi que) et s’achève par le morceau le plus noir, le plus
austère, « Colorado girl ».
La seconde face se teinte de country (une des
références « antiques » de Van Zandt est Hank Williams, avec lequel
il a bien des points communs, l’anxiété noyée dans l’alccol étant le plus
évident), sonne « contemporain ». Elle débute par
« Lungs », country-rock décharné, avant coup sur coup d’aligner deux
titres très dylaniens (le petit frisé est la référence « moderne » de
Van Zandt). « I’ll be here in the morning » (un autre des trois
titres réenregistrés) utilise par moments la même grille d’accords que « I
want you » de « Blonde on blonde », et fait figure dans le
contexte de titre enjoué, bien qu’étant nettement moins sautillant que son
modèle évident. Autre dylanerie « Fare thee well … », tellement bien faite
qu’on croirait que c’est le Band qui mouline derrière. Dernière auto-reprise
« (Quicksilver daydream of) Maria » est pour moi la masterpiece,
classique instantané, et le titre le plus enlevé (ou plutôt le moins sombre) du
disque. Qui se conclut sèchement (on ne se refait pas) par la tristesse austère
et dépouillée de « None but the rain ».
On l’aura compris , « Townes Van
Zandt » n’est pas franchement un disque pour faire tourner les serviettes.
Mais c’est ce style sombre qui est indissociable de l’aura d’artiste
« maudit » qui entoure la carrière de Van Zandt. Auteur-compositeur
pour auteurs-compositeurs, il n’obtiendra (la cherchait-elle d’ailleurs, rien
n’est moins sûr) jamais de son vivant (il est mort en 97) une reconnaissance
populaire significative. Mais son œuvre sombre et pessimiste continue de
traumatiser des générations de gens sombres et pessimistes (ceux qui l’ont le
plus cité doivent être les Ecossais de Tindersticks, qui n’ont rien de comiques
troupiers).
Un disque à ranger pas très loin de ceux d’Harry
Nilsson, les deux hommes, même si leur musique n’a rien de commun, ayant eu une
approche artistique très similaire, et une façon d’appréhender l’existence quasi
identique …