La première folie de Mel Brooks
Et aussi la meilleure. Un gag
ininterrompu de presque une heure et demie. D’un mauvais goût, d’une outrance
et d’une méchanceté jubilatoires, confinant au génie.
Zero Mostel & Gene Wilder |
Le scénario d’abord. Max
Bialystock est un producteur minable de Broadway, finançant ses pièces minables
en faisant le gigolo pour de (très) vieilles femmes fortunées. Il s’associe
avec Leo Bloom, un comptable dépressif, coincé et hystérique (oui, tout ça en même
temps) pour une escroquerie : lever massivement des fonds pour produire un
spectacle musical tellement mauvais que son échec immédiat laissera les caisses
des producteurs pleines. Il faut donc aux deux compères trouver l’auteur d’une
pièce très mauvaise, la confier au pire metteur en scène, et embaucher les
acteurs les plus mauvais de la place. Dès le départ, les ficelles sont énormes.
Mais ça prend une tournure encore plus surréaliste quand il se trouve que la
pièce retenue a été écrite par un ancien soldat nazi, est bien évidemment à la
gloire de son dictateur moustachu (« Springtime for Hitler »), et que
contre toute attente, malgré tous les ringards et les bras cassés qui la
jouent, elle va faire un triomphe entraînant une situation imprévue pour les deux
escrocs à la petite semaine …
Les acteurs ensuite. Pareil
scénario rocambolesque ne peut fonctionner que s’il y a des
« gueules ». Et là, Mel Brooks a fait fort, faisant défiler à l’écran
une galerie de portraits hilarants, des petites mémés nymphomanes, à la
secrétaire suédoise (nymphomane également, mais autrement plus sexy), en
passant par une galerie de seconds rôles ou de figurants marquants (le metteur
en scène et son secrétaire en caricature d’homosexuels arty, les prétendants au
rôle d’Hitler, …). Mention particulière à Zero Mostel (un revenant, blacklisté
pendant le maccarthysme) qui joue Bialystock, personnage rabelaisien, passant
de la mimique désopilante au cabotinage le plus outrancier ; au quasi
débutant Gene Wylder, tout juste aperçu l’année d’avant dans « Bonnie
& Clyde » qui campe le petit comptable Bloom ; à Kenneth Mars,
nazi nostalgique et colombophile, qui par son jeu semble échappé du casting de
« La grande vadrouille » ; à Dick Shawn, qui est l’acteur-chanteur
Lorenzo St DuBois (LSD – évidemment – pour les intimes) à qui on donne le rôle
d’Hitler.
LSD dans "Springtime for Hitler" |
Au comique de situation de tous
les instants, s’ajoutent quelques effets visuels mémorables. Les deux
meilleurs étant pour moi le détournement des fameux plans en plongée de Busby
Berkeley filmant les figures géométriques réalisées par des armadas de danseurs
ou de nageurs ; ici, des femmes soldats nazies et sexy forment … une croix
gammée. Autre moment d’anthologie quand LSD lors de son audition se lance dans
une chanson (« Love Power ») très psyché-hippy tout en imitant Jim
Morrison, superstar du rock de l’époque …
A noter que Mel Brooks, qui
écrit et réalise ce film, a composé quelques chansons pour la bande-son, dont
ce « Love power » et « Prisoner of love » utilisé lors du
final. Un curieux parallèle existe d’ailleurs entre ce punk avant l’heure de la
caméra et Dee Dee Ramone, de la tribu des faux frangins punk Ramones. Ils
finiront tous les deux, avec l’aide de quelques substances chimiques prises en
quantités déraisonnables par enregistrer au début des années 80 un disque de …
rap (non, quand même pas ensemble …).
Vu le thème majeur du film (la
mise en scène d’une pièce glorifiant le nazisme et Hitler), il faut quand même
préciser que Mel Brooks, mais aussi une bonne partie des gens ayant participé à
ce film sont juifs, ce qui ne peut que désamorcer certains froncements
intempestifs de sourcils … Cette histoire tellement délirante menée à un rythme
infernal à d’ailleurs valu à Mel Brooks un Oscar pour le scénario. Et bien
qu’il ait continué dans la même veine en revisitant d’une façon assez trash et
destroy quelques genres incontournables, dont un pastiche des films d'horreur de
la Hammer (« Frankenstein Jr ), et un autre de western (« Le
shériff est en prison ») assez réussis, il ne retrouvera plus jamais la
truculence débridée et iconoclaste des « Producteurs » …
Un remake est sorti en 2005,
qui évidemment, n’arrive pas à la cheville de la farce déjantée originale …
Du même sur ce blog :