BOBBY WOMACK - THE BRAVEST MAN IN THE UNIVERSE (2012)


Un come-back étonnant ...

Il ne devait pas y avoir grand-monde pour espérer un disque, et surtout un bon, de Bobby Womack en 2012. Même pas lui d’ailleurs …
Bobby Womack, 68 ans au compteur. Repéré par Sam Cooke (Bobby repèrera lui Barbara, la femme de Sam Cooke qu’il épousera, scandale médiatique à l’appui, trois mois seulement après l’assassinat du grand Sam), Womack deviendra la figure de proue et principal auteur du groupe doo-wop pré-soul Les Valentinos. Dont la reprise d’un de ses titres « It’s all over now » deviendra en 1965 un des premiers gros hits des Rolling Stones, ce qui offre une promotion artistique conséquente et une notoriété certaine. Bobby Womack végètera cependant des lustres avant d’obtenir son plus gros succès, l’album « The Poet » au début des années 80, avant de sombrer à nouveau dans l’indifférence du grand public.
Les cinéphiles l’avaient peut-être entendu en 2009 dans le fabuleux « Fish tank » (c’est sa reprise, quelconque il faut bien dire, de « California dreamin’ » qui est en fond sonore à plusieurs reprises dans le film). C’est Damon Albarn, l’année suivante qui le remettra encore sous les feux de l’actualité en l’embauchant pour son groupe virtuel Gorillaz, pour le Cd « Plastic Beach » et la tournée qui s’ensuivit. C’est le même Albarn que l’on retrouve partout, à la co-écriture, aux arrangements et à la production de ce « Bravest man … ». Un disque pour lequel il faut au préalable évacuer quelques méchants préjugés, à commencer par une pochette hideuse, mais c’est pas tout. Bobby Womack, à cause de l’âge et surtout d’excès opiacés en tout genre, n’a plus la voix du chanteur des Valentinos. Sa voix aujourd’hui est étrangement aiguë, éraillée et métallique, et on la devine fortement triturée par les machines d’Albarn en studio, pour un résultat qui peut parfois rebuter (comme sur « Stupid », titre sur lequel elle me paraît vraiment trop bidouillée et pénible), mais s’accorde généralement assez bien, voire très bien, avec la musique concoctée par Albarn.
Damon Albarn & Bobby Womack
« The Bravest man … » est clairement un disque de soul music. Mais là aussi, ceux qui attendent quelque chose qui sonne comme du temps de l’âge d’or sixties du genre, une resucée du son Stax ou Atlantic, risquent fort de se gratter l’occiput. « The Bravest man … » est clairement aussi un disque de son temps, les dernières bécanes et plug-in électroniques constituent l’essentiel de la trame sonore. Et la vieille légende et le (plus tout) jeune touche-à-tout n’y vont pas avec le dos de la proverbiale cuillère, le premier titre éponyme est le plus avant-gardiste du lot, mix improbable, surprenant et pourtant réussi entre trip-hop et soul, et pourrait figurer tel quel sur un Best of de Massive Attack.
Tout n’est cependant pas férocement expérimental et étrange. Il y a des titres soul bien dans la ligne du parti (en gros mélodie de baise et voix de braise), juste maquillés par un léger fond de teint électronique (« Please forgive my heart », un titre tout au feeling), un morceau avec juste la voix et une guitare acoustique (la reprise de l’antique classique « Deep river » qui du coup sonne comme un « Redemption song » ... de Marley , et surtout pas  comme la scélérate version de Jahnnick Noah). Il y a de très excellentes choses, avec un « Sweet baby mine » qui ressort du lot, les machines envoient une pulsation cardiaque sur une chanson soul vintage et ça le fait grave, il y a des tempos qui s’accélèrent vers la fin (« If there wasn’t something there » on jurerait une chute de Gorillaz), des choses qui renvoient au balancement dansant des autres Womack (en l’occurrence Womack & Womack, soit Cecil, le frère de Bobby et Linda, sa belle-fille et belle-sœur, puisque fille de Sam Cooke et femme de Cecil, vous suivez ?), ça s’appelle « Love is gonna lift you up » …
Il y a un hommage à Gil Scott-Heron (mort l’année dernière), l’un de ceux présentés comme les antiques parrains du rap, pote de Bobby et l’on entend sa voix dans l’intro de « Stupid », titre par ailleurs peu convaincant. Il y a un duo (très bon) avec l’actrice et chanteuse malienne Fatoumata Diawara (« Nothin’ can save ya »), une sorte de court rythm’n’blues tribal qui conclut le disque (« Jubilee ») et qui si on en juge par les rires de fin de bande est plus une récréation de studio qu’un titre vraiment finalisé.
Et puis il y a ce qui sera la grosse affaire de ce disque. Le genre de truc qui peut vous mener en heavy rotation sur MTV ou vous ringardiser à jamais, un duo avec Lana Del Rey. Etant d’humeur charitable, je ne dirais pas de mal du dernier cataplasme branchouille botoxé qui ravit tous les sourds aux goûts de chiotte de la planète. Je m’en tiendrais strictement à la qualité du titre (« Dayglo reflection ») qui mélange les voix du vieux faune et de l’aphone, et je dirais que l’alchimiste Lana Del Machin tourne là à plein régime, et confirme que tout ce qu’elle chante (enfin, chanter est un bien grand mot, elle essaye d’imiter la voix tuberculeuse de la Marianne Faithfull des années 80 et suivantes) se transmute instantanément en grosse daube.
Sinon, le reste du disque est très bon, c’est un disque de soul fait en 2012 par une des dernières vaches sacrées encore en vie, et ça pourrait même plaire aux geeks puceaux (pléonasme) qui attendent impatiemment la sortie du prochain iPhone …