Quand sort « Achtung baby » en 1991, les U2
peuvent tout se permettre. C’est le plus grand groupe du monde (entendez celui
qui vend le plus de disques, qui joue dans les plus grands stades, qui gagne le
plus d’argent). Cela grâce à son chef-d’œuvre « The Joshua tree » et
à l’album mi-live mi-studio fourre-tout qui a suivi.
Et alors que la simple logique marchande leur
commanderait de suivre dans la même voie, les quatre Irlandais vont prendre un
contre-pied artistique des plus inattendus. Les rois du rock
« héroïque » comme on disait à l’époque, dont on croyait l’horizon
limité aux gradins des arènes américaines, montrent qu’ils fréquentent les
petits clubs et entendent ce qui s’y joue, à savoir de la musique électronique
(house, techno, …). Mais les U2, surtout Bono, commencent à se sentir investis
d’une « mission » face à l’actualité du Monde, voire son Histoire.
Lunettes noires et mégalo: U2 1991 |
Le lieu de l’enregistrement d’ « Achtung
baby », le studio Hansa de Berlin, n’est pas neutre. C’est celui où Bowie
(remercié dans les crédits) et Iggy Pop ont enregistré quelques-uns de leurs
disques essentiels (« Low », « Heroes »,
« Lodger », « Lust for life », « The Idiot »). Et
surtout, le studio Hansa est dans cette Allemagne où le cours de l’Histoire
vient de s’accélérer avec le chute du Mur. Le casting d’ « Achtung
baby » est encore plus long que le générique de la dernière production
Pixar. Sont réquisitionnés aux manettes les habituels Eno et Lanois, mais aussi
Steve Lillywhite, producteur-roi des années 80 et de leur « War »,
ainsi que Flood, très branché machines et technologie, et responsable du virage
radical de Depeche Mode (« Violator »).
Et des machines et des boucles techno, il va y en
avoir dans « Achtung baby ». Quelquefois trop d’ailleurs, comme sur
les titres « Zoo station », « Until the end … »,
« Tryin’ to throw … » ou « Acrobat », qui tendent trop
facilement à la démonstration technique, et sur lesquels le « son »
prend le pas sur la chanson … Mais des chansons, les U2 savent encore en
écrire, et quelques unes d’excellentes (« One », « So
cruel », « Mysterious ways », « Love is blindness »
sont parmi les toutes meilleures de leur répertoire). Outre le traitement du son,
ce qui marque dans ce disque, c’est cette « patte » U2 que l’on
discerne toujours, même si les structures rythmiques sont beaucoup plus
complexes que par le passé (grosse performance de Mullen et Clayton), si les
guitares de The Edge sont plus discrètes et incisives à la fois … Quant à Bono,
il n’a jamais aussi bien chanté…
La suite, après la parution de ce disque, sera
beaucoup plus discutable, avec la mégalomaniaque tournée « Zoo TV
Tour », un Bono qui se prendra pour un chef d’Etat et s’occupera
risiblement des « affaires du Monde », et des disques suivants
(« Zooropa » et « Pop ») qui reprendront la formule d’
« Achtung baby », les bonnes chansons en moins …
Aujourd’hui quelque peu daté au niveau sonore (il a
moins bien vieilli que l’atemporel « Joshua tree »), « Achtung
baby » n’en demeure pas moins un disque totalement incontournable de U2.
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