Oh Yeah ?
Antoine, c’est une météorite. Qui a traversé le paysage musical en l’an de grâce 1966, avant de se perdre en Italie (le pays de ses origines) et de prendre l’eau dans tous les sens du terme, ne réapparaissant par chez nous avec des bluettes sans intérêt que dans les prime time de Drucker, Sabatier et consorts (« On l’appelle Cannelle », cette sorte d’horreurs), ou dans les spots de pub pour vanter les prétendus mérites de binocles (sur ce point, exactement comme son « ennemi » Johnny, mais il en sera question forcément de l’Hallyday dans ce commentaire), quand il fallait rafistoler son rafiot ou en changer …
Antoine s’est retrouvé affublé du titre de beatnik. Déjà à peu près un contresens, comme tout ce qui touche la culture de la jeunesse en France. La culture beat est à l’origine littéraire et américaine (Kerouac leur père à tous, ses disciples Ginsberg, Burroughs, …). Antoine s’est arrêté à la partie musicale de l’affaire, les Woody Guthrie, Ramblin’ Jack Elliott, Bob Dylan. Et encore par l’intermédiaire de leur admirateur principal, son copain le folkeux anglais Donovan (ils sont en photo ensemble sur le livret). Le folk est un genre inexistant en France au milieu des années 60, où seul Hugues Aufray s’escrime à adapter sans trop de succès les premières rengaines de Dylan.
Ce « Antoine », à l’origine un 33 T compilant des Eps, est composés de folks qui doivent beaucoup au petit frisé de Duluth, qu’ils soient acoustiques (« Petite fille ») ou électriques (« Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez moi ? », « Ne t’en fais pas ils rêvent », cette dernière faisant, et pas seulement par sa durée de plus de cinq minutes, irrésistiblement penser à « Like a rolling stone »). La jolie ballade à arpèges est aussi présente (« Bruit de roses », « J’ai oublié la nuit »), il y a même une incursion (ratée) vers le rythm’n’blues (« Métamorphoses exceptionnelles »). Voire vers la soul, avec « Une autre autoroute », titre à la mélodie voisine du « Stand by me » de Ben E. King, et saupoudré d’arrangements de sirtaki et de solos d’harmonica, pour moi « musicalement » le meilleur titre du Cd …
Mais ce n’est pas vraiment la musique qui a fait le succès d’Antoine, son backing-band, les Problèmes (futurs Charlots) ne se montrant guère irrésistible instrumentalement. Avec Antoine, c’est au niveau des textes que se situe l’essentiel. Non pas que des chanteurs à texte, il n’y en ait pas, à la limite il n’y a jamais eu que ça en France. Mais tous ces types qui semblent n’avoir jamais été jeunes (la sainte trinité Brel, Brassens, Ferré) sont des vieux qui font des disques pour des vieux. Antoine a 20 ans, et joue pour les gens de son âge, avec les mots et les thèmes que des jeunes comprennent. Le succès colossal des « Elucubrations » (tout est dit dans le titre, c’est du n’importe quoi qui rime) sera un rayon de soleil iconoclaste dans la France rance et grise de De Gaulle. Antoine ne respecte rien ni personne et le chante. Il n’est qu’à voir la réaction du pauvre Hallyday, brocardé dans une strophe, qui répondra par un « Cheveux longs, idées courtes » avant de se prendre lui-même quelques mois plus tard, en inconséquent pantin manipulé qu’il a toujours été, pour un hippie.
Antoine ne se contente pas du délire informel des « Elucubrations ». D’autres titres mettent le doigt avec une longueur d’avance sur des problèmes dont va s’emparer la jeunesse et qui vont devenir récurrents dans la fin de la décennie. « La loi de 1920 », sur cette antique loi anti-avortement, montre toutes les batailles qu’avaient encore à mener les femmes dans la France gaullienne. Les pamphlets anti-militaristes (« La guerre », la comptine au vitriol « Pourquoi ces canons ») préfigurent les grandes vagues d’insoumission soixante-huitardes.
En tout cas, ce disque vaut bien mieux que l’image de skipper vaguement anar souriant et sympa que se coltine Antoine depuis des décennies. En 1966 , Antoine jetait les fondations de premières barricades qui allaient finir par pousser partout.
Même si avec cette réédition (d’excellente qualité sonore, soit dit en passant) la légende en prend un coup. On apprend ainsi dans les notes que tous ces titres que l’on croyait écrits par Antoine, ont en fait été pour la plupart déposés à la SACEM cosignés par un certain François Renoult. La légende de l’Antoine, rebelle auteur-compositeur-interprète seul contre tous se retrouve quelque peu écornée.
Le succès des « Elucubrations » ouvrait une voie pavée d’or pour la suite de sa carrière. Il n’en sera rien …
La suite au prochain épisode …