Heaven's Doors
Ce disque est le dernier des Doors. Enfin, le dernier des Doors avec Morrison plus exactement… C’est surtout un mystère et un miracle.
Parce que quand ils rentrent en studio, les Doors sont plus ou moins finis, lessivés … Leurs disques précédents sont de plus en plus douteux, des choses comme « Roadhouse Blues » ou « Touch me » ne suffisant pas à cacher la misère créatrice de leurs dernières productions. Et surtout les Doors n’existent que pour et par Jim Morrison. Qui ne va pas très fort… Exit l’éphèbe dionysiaque des débuts, et place à un poussah alcoolo, défoncé et barbu, entraînant souvent le reste du groupe dans des concerts tournant vite à la cacophonie pathétique. Les Doors ont manqué le rendez-vous de Woodstock dont les héros ont le vent en poupe, Led Zeppelin et tout un tas de formations très électriques tournent sans relâche aux States et font rugir amplis et guitares, les autres groupes historiques psychédéliques californiens implosent (l’Airplane), virent country (le Dead), Hendrix et Joplin sont morts. Quand commencent les séances de « L.A. Woman », les Doors font quasiment figure d’antiquités, de rescapés vestiges d’un autre temps …
Le plus gros changement intervient au niveau du son, et envoie aux oubliettes la formule sonore jusque là immuable du groupe. Le producteur attitré depuis les débuts Paul Rothchild refuse le projet, et son assistant Bruce Botnick se retrouve à officier derrière la console. Les Doors font appel à un second guitariste, (Marc Benno) durcissant ainsi leur approche et « libérant » Krieger, et surtout à un bassiste (Jerry Scheff, sessionman chez Presley). Du coup, on entend moins Manzarek, ce qui est une bonne nouvelle, les lignes moelleuses de basse de Scheff ayant un rendu beaucoup plus roboratif que celles produites jusque là.
Le changement le plus marquant vient de la voix de Morrison. Servi pour le coup avantageusement par son embonpoint et ses abus multiples, il va tirer des tréfonds de son être une énorme voix grave, rauque, que l’on jurerait patinée par des décennies derrière le micro, alors qu’il n’a que vingt-sept ans.
Morrison, dans ses rares moments de lucidité, n’est tout de même pas au mieux de sa forme. Et quoi de mieux que le blues pour retranscrire ses états d’âme. « L.A. Woman » sera donc un disque noir, un disque de blues. Qui commence par un titre étonnant, inattendu de leur part, « The Changeling », allègre rythm’n’blues, suivi par un « Love her madly », sorte de country-rock avec l’orgue qui donne vers la fin une coloration tex-mex et sautillante. Tout ce qui va suivre sera beaucoup plus sombre, beaucoup plus lent, lourd, inquiétant, menaçant … loin, très loin, des exercices blues auxquels le groupe s’était déjà livrés (remember le traitement épileptique de « Backdoor man » sur leur premier disque). L’influence claire de ce disque, c’est John Lee Hooker, et pas seulement à cause de la reprise de « Crawling king snake », tant les caractéristiques de la musique du vieux maître se retrouvent dans chaque plage.
« Car hiss by my window », ralenti à l’extrême, tire toute sa démesure de son tempo limite hébété et est pour moi le meilleur titre strictly blues du disque. « L.A. Woman » le morceau, est un boogie comme quarante générations de Canned Heat ne sauront pas en produire. Un titre hanté, vivant, toujours en perpétuel mouvement comme la vie urbaine qu’il décrit. Sur son final en forme de transe, Jim Morrison joue sur son anagramme hurlée (« Mr Mojo Risin’ »). « L’America » est un autre blues hanté avec son intro reptilienne, et il faut attendre presque la fin du disque pour trouver une respiration, la douce ballade « Hyacinth House », qui passerait dans un tout autre contexte pour une inoffensive bluette. Enfin, last but not least, « Riders on the storm », peut-être bien le meilleur titre des Doors, met un terme au disque et un point final au rock psychédélique que les Doors avaient contribué à mettre en place.
Morrison, exilé à Paris pour fuir des poursuites judiciaires, est mort semble t-il sans jamais avoir entendu le mixage définitif de ce disque. Qui reste pour moi de très loin leur meilleur, le plus grand disque de blues fait par des Blancs, et accessoirement un des dix plus grands de cette chose donnée pour morte mais dont la dépouille bouge encore quelquefois, le rock …
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The Doors
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