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DOUG TUTTLE - DOUG TUTTLE (2014)

Encore un ?
Encore un quoi ? Ben voyons, encore un type qui fait de la musique en regardant dans le rétroviseur. Direction années 60 psychédéliques. Pas le premier, oh certes non, sûrement pas le dernier non plus, tant on redécouvre régulièrement monts et merveilles de cette période, une des plus foisonnantes en matière de production, et aussi de qualité musicale.
Et alors, qu’est-ce qu’il a de plus ce Doug Tuttle que les autres ? Et qui c’est, d’abord ce zigoto, il sort d’où ? Euh, j’en sais foutre rien, il est américain, chevelu ( ? ),  son dernier groupe s’appelait Mmoss ( ?? ), il y jouait avec sa gonzesse qui s’est barrée, il s’en est trouvé fort marri (ce qui a donné l’inspiration et les textes de ce disque), et est parti vivre son aventure tout seul comme un grand. Echoué sur le label de Chicago Trouble In Mind, où sévit le jeune prodige Jacco Gardner, le Batave planant responsable l’an dernier d’un somptueux « Cabinet of curiosities », tout parfumé au … pop-rock psychédélique 60’s. Voilà voilà, la boucle est bouclée …

Ce « Doug Tuttle », donc, il empeste le cœur du centre du milieu du monde psychédélique américain, la Californie des années 65-66-67. Le Tuttle, il a du écouter les Byrds de 65-67, et aussi tous les groupes de San Francisco de l’époque. Ça sonne donc rigoureusement vintage, avec notamment un batteur nerveux qui pulse, loin des coups de pompe sur des doubles grosses caisses mixées en avant à la mode depuis plus de trente ans. Le Tuttle, lui, il a tout composé, chante et joue de la guitare. Les compos, c’est de l’exercice de style, classique, bien fait, mais ça a un peu tendance à tourner en rond dans des climats brumeux et cotonneux, notamment dans la seconde partie du disque, avant une bienvenue éclaircie finale. Le chanteur Tuttle, c’est pas une des grandes voix du rock c’est sûr, mais c’est fait simplement, proprement, en ajoutant plein d’effets et de filtres pour un rendu gris, opaque, souvent bien secondé par des harmonies vocales de comparses bien en place (le côté Byrds évident). Là où il est le plus impressionnant, c’est à la guitare. A l’opposé du m’a-tu-vu bling bling oyez oyez comme je joue vite et que je suis technique de mise chez tous ceux qui se prennent pour Clapton, Beck, Page, Hendrix ou qui on voudra au Panthéon, Doug Tuttle est d’une sobriété, d’un bon goût et d’une efficacité jamais démenties. C’est pourtant un sacré client, écoutez dans l’exercice de style archi-rebattu du long solo ce qu’il fait sur la ballade lysergique « Turn this love », il n’a rien à envier à ces maîtres de la six-cordes discrets du rock psyché que furent Jorma Kaukonen ou John Cippolina. Ce « Turn this love » est le titre de loin le plus long (6 minutes) du disque. Les dix autres sont expédiés aux alentours des deux-trois minutes réglementaires.

Ça commence par un hybride entre les Byrds et le Floyd de Barrett (« With us soon »), ça donne sans équivoque la ligne de ce qui va suivre, et ma foi, c’est assez accrocheur d’entrée. On s’aperçoit que Tuttle met souvent au début ou à la fin, voire au début et à la fin de ses titres des effets de bande accélérées ou ralenties et ça devient un gimmick assez agaçant tant c’est finalement prévisible. Les mélodies sont pour la plupart simples et bien trouvées (mention particulière à « Forget the day » et sa tentative plutôt réussie de boucle cosmique à la « A day in the life »), avec toujours cet effet madeleine proustienne qui renvoie à sa période chérie. Ça pique un peu du nez sur les tempos médiums et embrumés, et on en vient parfois à penser au shoegazing de My Bloody Valentine (flagrant sur « Where you plant … » avec là aussi une jolie partie de guitare). Une (légère) poussée d’adrénaline, un rythme plus enlevé (« Lasting away »), on se retrouve en présence de pop bubblegum (ou yéyé), c’est amusant mais quelque peu anecdotique. Après deux-trois titres qui font redite, le tempo se fait plus enjoué vers la fin du disque (« I will leave », c’est exactement comme les Byrds pop, les titres que composait Gene Clark sur « Mr Tambourine Man »). Le final (« Better days »), comme son nom l’indique, signe la fin de l’ambiance mélancolique et ouvre une fenêtre vers un futur qui pourrait plus gai …

Faudra pour ça en dépoter quelques-uns de ce « Doug Tuttle ». C’est pas gagné, même s’il surnage assez facilement du lot des productions rétro de ces jours-ci …


JIMI HENDRIX - ARE YOU EXPERIENCED (1967)

E.T.
James Marshall (ça s’invente pas, un second prénom comme ça …) Hendrix, lorsqu’il est apparu sur la scène musicale anglaise, lui le Ricain expatrié, n’a influencé personne. Il a traumatisé tout le monde. Et pas des troisièmes couteaux ou des gugusses à l’affût du prochain cataplasme branché. Non, Hendrix a foutu le moral dans les chaussettes à tous ceux dont le nom scintillait tout en haut de l’affiche, tous ces dieux de la guitare qui ont vu débarquer un phénomène hors norme.
Hendrix, pour l’éternité, restera comme le plus grand guitariste du rock. Ce qui est déjà pas mal, mais terriblement réducteur. Sans Hendrix, le rock aurait été aussi amusant qu’un blues-rock de Peter Green ou de Clapton de l’époque, un truc à te tirer une balle tellement c’est triste, fade, grisâtre … Hendrix a introduit dans le rock l’urgence, la flamboyance, la frime, l’épate … comme Janis Joplin, et leurs destins seront les mêmes jusqu’au bout …
Hendrix et sa veste à brandebourgs achetée aux Puces à Paris
Hendrix, souvent présenté comme la rock star ultime, comme celui qui a porté à des niveaux jamais vus avant et jamais égalés depuis la sainte trinité sex, drugs & rock’n’roll et le statut de guitar hero ultime, n’avait rien d’une grande gueule, d’un type prêt à tout pour faire parler de lui. Timide et pas sûr de lui, perturbé par un acné qui ne le lâchait pas, se sous-estimant sans cesse alors qu’il avait le monde du rock à ses pieds, éternel insatisfait de sa musique, les témoignages sont nombreux d’un Hendrix dans le doute. Mais il se dégageait de ce type une aura insensée dès qu’il montait sur scène Stratocaster en bandoulière. Hendrix est un showman, mais pas un artiste de cirque. Il ne mettait pas tous les soirs le feu à sa guitare, pas plus qu’il ne jouait tous les soirs avec les dents ou avec sa gratte dans le dos. Même si ce sont ces aspects là que la petite histoire a retenu. Et Hendrix n’a pas donné que des concerts tonitruants, la qualité de certains se voyant plus que perturbée par quelques substances prises en grande quantité.
Aujourd’hui, la discographie de Hendrix est plus que pléthorique. Des centaines de disques officiels live ou en studio paraissent depuis plus de quarante ans, encore plus de compilations. Sans compter les bootlegs, pirates, enregistrements non officiels qui pullulent. Faut faire là-dedans un sacré tri, tout n’est pas du même niveau, et pas seulement question qualité sonore. Un catalogue totalement labyrinthique dans lequel même le fan le plus motivé se perdra. Autant s’en tenir aux enregistrements officiels parus de son vivant. Là, le compte est plus vite fait. Trois disques studio et un live. « Are you experienced » est le premier.
Quand il paraît au printemps 67, le phénomène Hendrix n’est encore qu’une rumeur du Londres branché. Un Londres où il a atterri par défaut. Les States ne voulaient pas de lui. Ou plutôt ceux qui l’employaient aux States ne le gardaient pas longtemps. Hendrix n’était qu’un de ces obscurs accompagnateurs de noms confirmés de la soul ou du rhythm’n’blues (Wilson Pickett, Jackie Wilson, Isley Brothers, …). Généralement aussi vite viré qu’embauché. Little Richard ne supportera pas ce Black flamboyant et séducteur qui lui fait de l’ombre, Sam & Dave le vireront de scène au bout de trois titres ( ! ), et Hendrix ne fera guère de vieux os dans le backing band d’Ike et Tina Turner (le Ike, pourtant pas manchot avec une guitare, avouera n’avoir rien compris à ce type payé pour jouer rythmique et qui partait en solos étranges dès les premières mesures …). L’histoire de Hendrix, tout le monde la connaît (ou devrait). Chas Chandler, ex bassiste des Animals qui le repère dans un club new-yorkais, en fait l’attraction musicale de l’automne 66 du Swingin’ London, l’emmène en France pour une improbable tournée en première partie de Johnny Hallyday, les trois premiers 45T à succès (« Hey Joe », « Purple haze », « The wind cries Mary »), les deux minots (Mitch Mitchell et Noel Redding) recrutés pour bâtir un power trio fortement inspiré par celui qui avait le vent en poupe, Clapton et son Cream …

« Are you experienced » donc. Le premier de ce qui deviendra le Jimi Hendrix Experience (sur la pochette originale, seul figure le nom de Hendrix). Gros succès en Angleterre (seulement devancé par « Sgt Pepper’s … » dans les charts) et aux States, pas rancuniers envers leur exilé pour le coup. Un disque forcément un peu étrange, nous sommes en 67, année psychédélique s’il en fut. Un de ces debut-albums mythiques dont l’Histoire (et les marchands de disques) se délectent. Et bizarrement, alors que l’on n’a retenu que les extravagances en tous genres d’Hendrix, ce premier disque est bien « sage », bien « classique ». Faut dire aussi que l’époque était prolixe en individus et disques bariolés (Doors, Airplane, Floyd, Love, …). En fait, « Are you experienced » est à la croisée des chemins. Entre les croisés du blues (Clapton, Mayall, Fleetwood Mac, …) et les disjonctés déjà cités, auxquels il convient de rajouter les Beatles du Sergent Poivre et les Beach Boys de « Pet sounds ».
Avec « Are you experienced », Hendrix garde les pieds sur Terre, n’est pas encore le musicien barré de « Axis … », le génie cosmique de « Electric Ladyland ». Il sacrifie peu à l’air du temps (alors qu’il est furieusement « à la mode »), propose des titres de structure assez classique et n’assène pas des solos avec trois milliards de notes / seconde toutes les deux mesures.
Il a juste un background que n’ont pas les autres. Ses années de sessionman miteux aux States lui ont confiné un truc que n’auront jamais les pauvres Clapton ou Beck, Hendrix funke et groove. Et çà, il a su le transmettre à Mitchell et Redding qui font plus volontiers dans le chaloupé sautillant  (sur l’énorme « Fire », on dirait James Brown sous LSD, « Remember » est un bon vieux rhythm’n’blues des familles) que dans l’artillerie lourde. Même si quant il faut, tout le monde est capable de plomber le tempo (« Foxy Lady », blues-rock et son riff aplatissant en intro). Le plus souvent, Hendrix mélange un peu tout, en dépit du bon sens et des canons sonores de l’époque. Les titres peuvent être fantasques, commencer de façon classique et puis partir « ailleurs » (« Manic depression », « I don’t live today »). Fort logiquement, certains s’adressent aux amateurs de buvards parfumés et tiennent plus de la jam que de l’écriture rigoureuse (« Love or confusion », le quasi instrumental « 3rd stone from the Sun », le manifeste psyché « Are you experienced » avec ses guitares carillonnantes, ses effets de scratch, et cette téléportation sonore cosmique).

Beaucoup plus rarement, Hendrix fait simple, sobre. « May this be love » est mélodique, pop, doux et suave. « Red house » est la leçon de blues donnée aux Anglais. Dans un registre rustique propre au delta-blues, seul morceau du 33T enregistré en mono, Hendrix se réapproprie et réinvente le genre, le titre deviendra un de ses chevaux de bataille de scénique (la tellurique version de vingt minutes à l’Île de Wight est indépassable en matière de blues live).
« Are you experienced » est bien le disque d’un trio, Hendrix laisse s’exprimer et se déchaîner Mitchell et Redding. Qui ont le bon goût de ne pas en faire trop, de tomber dans le risible solo de basse ou de batterie. Et, mais au fait, la guitare d’Hendrix ? Oh certes, il y a bien quelques effets de manche inaccessibles au commun des mortels, mais le disque n’est pas un catalogue démonstratif. Hendrix reste relativement « sérieux », efficace avant tout. Avant de devenir le voyageur de commerce de tous les bidules joués au pied dont il aura parfois tendance à abuser, il se cantonne dans ce premier disque à l’essentiel. De la saturation (pédale fuzz un peu partout, mais à dose raisonnable) et c’est à peu près tout. Pour l’anecdote, la pédale Vox Crybaby ( pédale wah-wah pour le vulgum pecus) qui sera son indélébile marque de fabrique par la suite, n’a pas été utilisée, c’est Clapton le premier qui l’a testée sur disque avec Cream (« Tales of brave Ulyses » sur « Disraeli gears ») …

« Are you experienced » est produit par Chas Chandler, bien aidé par celui qui deviendra le superviseur de tous les disques d’Hendrix (surtout les posthumes officiels), l’ingénieur du son américain Eddie Kramer. Pour celui, honte à lui, qui ne possèderait pas cette pierre angulaire du rock des sixties et du rock en général, choisir les rééditions qui ajoutent aux onze titres originaux les trois indispensables singles et leurs faces B sorties auparavant …


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THE CARS - THE CARS (1978)

En voiture (et en roue libre) ...
Sur la highway musicale des 70’s, les Cars sont au bord de la route. En mini-jupes, talons aiguilles, décolleté profond et maquillage pétard. Les Cars sont des putes. Pas des escorts aux tarifs prohibitifs réservées à l’élite, non, des putes de base d’aires de repos, maquées par des proxos russes, qui se donnent à tout le monde …
Il y a cinq putes dans les Cars. Avec une pute en chef, Ric Ocasek. Plus moche du lot, mais c’est lui qui fait tout le taf, tapine, attire le chaland. En écrivant l’essentiel de titres tellement aguicheurs que fatalement, tu te laisses embringuer. Sans débander, cette pute d’Ocasek et ses potes alignent des sucettes à l’anis sonores. Bien aidés pour le coup par Roy Thomas Baker, l’homme attitré aux manettes derrière la folle Freddie Mercury et son gang de michetonneurs.

Faut dire que ces salopes de Cars préfèrent les Anglais aux Américains. Mais pas n’importe quels Anglais. Une nette prédisposition pour Roxy Music, groupe de dandys décadents et fin de race. Comme eux, les Cars, mettent des pin-ups aguicheuses sur leurs pochettes de disques. Et vont même jusqu’à pomper, y’a pas d’autres mots, la bande à Ferry sur des choses comme « I’m in touch with your world » (la même rythmique que celle de « Bogus man ») ou « Moving in stereo » qui recrache tous les plans de Roxy.
Le problème ( ? ) des putes, c’est que ça baise avec n’importe qui. Alors ces catins de Cars font même des clins d’œil aux pompiers et aux progueux (le doigté de Baker ?) avec quelques ponts tarabiscotés et des synthés baveux. Ce sont ces synthés qui datent irrémédiablement les Cars, sonnant parfois pénibles ou risibles. Mais on est prêt à tout leur pardonner …
Parce que d’entrée, ces biatches t’allument salement. Qui ne dresse pas l’oreille et le reste à l’écoute des trois premiers titres doit être un putain de pervers. S’ils avaient entendu « Good times roll », « My best friend’s girl » et « Just what I need » , les Sept Nains auraient fini par gangbanger Blanche-Neige. Ouais, même Simplet … on touche avec ces trois morceaux au plus profond de la matrice de la power-pop, du rock FM, ces genres musicaux un peu … putes qui vont faire jouir tous les hit-parades de la fin des 70’s … Forcément, après de tels préliminaires, le reste ça fait un peu coitus interruptus. Tu croyais que t’allais te taper Clara Morgane et tu t’aperçois que la meuf qui est là, elle est juste bien maquillée et toute chirurgée esthétiquement, « Don’t cha stop », c’est faiblard, ça bande mou …

T’as l’impression que finalement c’est toi qui t’es fait baiser. Mais tu t’en fous un peu. T’en redemandes de ces ribaudes, parce que finalement elles t’ont fait monter au plafond. De vraies salopes, mais t’aimes ça … Et t’as bien raison …

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ELVIS COSTELLO - THIS YEAR'S MODEL (1978)

Elvis, King op Pop ?
« This year’s model » est le second disque d’Elvis Costello. Son tout premier, « My aim is true » était déjà excellent, et pourtant il paraît à côté bien anecdotique. Pour moi, c’est simple, après 35 ans de carrière et deux grosses douzaines de publications, « This year’s model » est un des deux meilleurs Costello (pour les curieux, l’autre est « Imperial bedroom »).

Par manque de moyens, « My aim is true » sonnait un peu rachitique. Le son de « This year’s model », sans qu’on risque de le confondre avec une production spectorienne, est beaucoup plus « étoffé ». Pourtant le budget alloué n’a pas dû être colossal, et c’est toujours Nick Lowe qui produit. Avec son alter-ego Dave Edmunds, Lowe est une sorte de Monsieur Loyal de tous les faux punks, entendez par là tous ces zozos apparus à la seconde moitié des seventies, par paresse rattachés à un mouvement punk mais qui partagent peu de références avec les tribus à crête. Ce qui fait vraiment la différence avec ce disque, c’est l’apparition aux côtés de Costello de ceux qui deviendront et restent à ce jour le meilleur backing band qu’il ait eu, Bruce et Pete Thomas à la rythmique et Steve Nieve aux claviers.
Costello, il faut sans cesse le répéter tant ses glorieuses années (en gros jusqu’au milieu des 80’s) sont ignorées par ici, Costello donc est un immense compositeur, capable de torcher des titres à rendre McCartney jaloux avec des textes à faire pleurer Ray Davies. Avec « This year’s model », on est encore dans l’urgence, dans ce rythme qui apparaîtrait dément aujourd’hui, sortir au moins un disque par an. Il y a douze titres (ou treize, selon les éditions) sur « This year’s model », avec un bon paquet d’autres en réserve (la réédition qui pour moi fait date, celle du label Edsel en 2002, en rajoute d’autres sur un Cd bonus ainsi que les sempiternelles maquettes et prestations live).
Elvis Costello & The Attractions
Traits communs à tous les titres, la concision (tout est dit en trois minutes), l’aspect syncopé et énervé. Costello connaît par cœur ses classiques, mais insuffle dans tous les titres une urgence, une rage qui n’appartiennent qu’à lui (il a pas besoin de forcer, dans la vraie vie c’était à cette époque un teigneux à l’humour méchant et caustique). S’il faut faire le tri, perso je vois que deux titres en peu en retrait, « Hand in hand » et « Night rally ». Le reste, c’est du haut de gamme, et un paquet d’incontournables de  cet autre Elvis.
Du brutal « No action », qui va droit à l’essentiel en moins de deux minutes et ouvre le disque, en passant par la merveilleuse « You belong to me » (comme du Dylan 60’s, mais un Dylan qui aurait bouffé un troupeau de lions au petit déjeuner), l’addictive « Pump it up » (chanson sur la coke au pays des branchés), l’extraordinaire « (I don’t want to go to) Chelsea » (toujours ce mépris du bourgeois et de ses quartiers chicos), construite sur une base reggae speedée. La power pop en plein essor donne la trame de choses comme « Lip service » ou « Radio radio » … Et puis, comme tout semble tellement facile pour lui, Costello s’amuse à imiter à la fois Lennon et McCartney dans leurs carrières solo (« Little triggers »), ou pastiche carrément un des autres très doués de l’époque, la grande asperge Joe Jackson (« Living in paradise »).
Les Attractions assurent ô combien, et laissent entrevoir les merveilles dont ils seront capables dans l’accompagnement, avec notamment un Steve Nieve qui se signale déjà à l’attention de ses contemporains (sur « Pump it up » par exemple).

Avec « This year’s model », aucun doute n’est permis, Elvis Costello signe son entrée dans la cour des très grands …

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THE WHO - TOMMY (1969)

Game over ...
« Tommy » est le premier très gros succès populaire (en termes de ventes de disques, à l’époque c’est ça qui comptait) des Who, jusque-là plutôt catalogués comme groupe à singles. Cette réputation « légère » tracassait le groupe et son entourage (le manager et producteur Kit Lambert, la maison de disques, …). Au centre des préoccupations et attentions générales, Pete Townshend. Compositeur quasi exclusif du groupe, et compositeur exclusif tout court de ses meilleurs titres.

Townshend est un type bizarre, ou pas formaté, selon le côté dont on prend les choses. En tout cas un bosseur ambitieux. Et c’est ça, le travail et l’ambition qui sont au cœur de l’affaire « Tommy ». Ah ouais, les Who ne sont qu’un groupe mineur, des artistes pas très crédibles ? Eh bien, je te me vais concocter une œuvre musicale majeure, un projet comme personne n’a jamais osé en mettre en chantier… Le concept de « Tommy » sera inédit. C’est écrit après le tracklisting : « Opera by Pete Townshend ». Bon c’est pas le genre d’œuvre qui sera à l’affiche du Royal Opera House, mais ça inaugure la mortelle série des « opéra-rock », qui comme leur nom ne l’indique pas, n’ont rien à voir ni avec l’opéra ni avec le rock d’ailleurs. En fait pour rétablir la vérité historique, ce sont les Pretty Things avec « SF Sorrow » qui ont été les premiers à se commettre dans ce genre de péripéties, mais des aléas de contrat et de maisons de disques ont fait que « Tommy » est paru avant le disque de la bande à Phil May.
A l’époque de l’écriture de « Tommy », Townshend est comme il le sera souvent en état de délabrement nerveux (quand on se pose beaucoup de questions et qu’on compte trouver la réponse avec des cures d’amphets et d’alcool forts, ça arrive souvent), et en chantier mental (c’est l’époque où il fréquente et suit les préceptes du gourou illuminé - pléonasme - Meher Baba). La trame narrative de « Tommy », le cœur de l’affaire, c’est l’histoire de Tommy, né aveugle, sourd et muet, pédophilisé par la suite, qui ne réagit que de façon intuitive et sensorielle, devient un champion de flipper puis un gourou … Pitch totalement crétin, et détail des paroles à l’avenant.
Musicalement, « Tommy » c’est tout et n’importe quoi. Avec le n’importe quoi qui l’emporte largement. Le thème musical récurent a déjà été ébauché dans un des « mouvements » de la funeste suite qui clôturait « A quick one », le disque précédent. Les prétentions « musicales » de « Tommy » nous valent à plusieurs reprises un Entwistle (bassiste sous-mixé alors qu’il peut déclencher des tremblements de terre avec ses quatre cordes) jouant un thème neuneu au cor anglais. Pire elles nous gratifient d’une « Overture » aussi terrible que les pires machins du prog à venir et d’une « Underture », monstrueux pensum instrumental de dix minutes. Mais surtout, les Who tournent la plupart du temps le dos au rock au sens large, sont méconnaissables. Keith Moon a dû s’emmerder ferme en studio, on ne sent aucune conviction dans ses roulements de toms, Daltrey d’évidence ne sait comment transformer et placer sa voix en fonction des « personnages » qu’il interprète.
Les Who de "Tommy" : fatigués ou fatigants ?
En dehors d’intermèdes de quelques secondes listés, « Tommy » se compose d’une vingtaine de titres (double vinyle et aussi double Cd, alors que ça contiendrait sur un seule rondelle argentée, business is business). Les trois quarts sont mauvais ou sans intérêt, reprise méconnaissable d’un blues de Sonny Boy Williamson (« Eyesight to the blind »), orgues de Barbarie de fête foraine « Tommy’s holiday camp », country-hillbilly à la sauce Townshend (« Sally Simpson », pas le plus moche du lot), … Faut quasiment attendre la fin du premier Cd pour dresser l’oreille avec « Acid queen », et encore, parce qu’on a fatalement la vision d’une exubérante Tina Turner dans le film qui a été tiré du skeud.  En comparaison avec ces quarante indigentes premières minutes, le second Cd est bon. C’est en tout cas celui des trois meilleurs titres.
Avec par ordre d’apparition « Pinball wizard », ses arpèges acoustiques à droite et le gargantuesque riff de Gibson SG qui vient déchirer le haut-parleur gauche. Un grand titre, un grand classique des Who. « Go to the mirror » est peut-être le seul morceau de « Tommy » où l’on sent les quatre concernés, se donnant sans retenue. Il n’aurait pas démérité s’il s’était retrouvé sur « Who’s next ». « I’m free », c’est de la pop de très haut niveau, pour rappeler que les Who, c’est pas seulement du cabossage de batterie et des moulinets sur la guitare, il y a aussi des mélodies tuantes (« The kids are alright », « Pictures of Lily », …).

Vous l’avez compris, mes très chers, pour moi « Tommy » c’est limite poubelle direct, le pire disque de leur première décennie. Bizarrement ? Logiquement ? il a fait un triomphe dès sa sortie, et est de très loin le disque des Who qui s’est le mieux vendu … Le monde doit être plein de Tommy …


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DAVID BOWIE - ALADDIN SANE (1973)

Le petit frère de Ziggy Stardust
1972. Bowie accède au succès après lequel il courait depuis des années grâce à son disque-personnage-concept Ziggy Stardust enfonçant le clou du glam-rock en Angleterre. La superstar du genre est le T.Rex de Marc Bolan. Echaudé par une tournée américaine calamiteuse du temps de Tyrannosaurus Rex, Bolan va prudemment se cantonner aux Îles Britanniques, tout juste consent-il à visiter un peu l’Europe. Bowie, ambitieux et bosseur acharné, va s’attaquer au jackpot du marché américain, et y tourne sans relâche. Entre deux concerts, il griffonne les chansons qui vont être la base de son prochain disque.
« Aladdin Sane » paraît au printemps 73 et doit résoudre une équation compliquée : aller plus loin dans la surenchère glam, se renouveler tout en restant dans le même créneau. Du strict point de vue comptable, mission accomplie, Bowie devient une des institutions du music-business. Bon, « Aladdin Sane » ne vaut pas « Ziggy Stardust », d’ailleurs rien dans l’interminable discographie de Bowie n’égalera « Ziggy Stardust ». Mais ce n’est pas un disque anecdotique pour autant.

En 1972-73, Bowie-Ziggy est devenu quelqu’un qui compte. On le retrouve sur tous les fronts. Tournées, production pour Lou Reed, Iggy Pop & les Stooges, Mott The Hoople. Peut-être s’est-il trop dispersé, peut-être aussi commence t-il à fréquenter de trop près des dealers. La filiation de « Aladdin sane » avec son chef-d’œuvre « Ziggy Stardust » est évidente, ne serait-ce qu’au niveau du son, Bowie est toujours accompagné par les Spiders from Mars et Ken Scott à la production. Mais l’équipe s’est étoffée. Trois choristes. Un sax, plutôt une bonne nouvelle, Bowie en jouant plutôt façon corne de brume. Et puis, surtout, parce que David Jones a souvent eu des intuitions géniales, il est allé recruter un pianiste jusque-là cantonné au jazz expérimental et d’avant-garde, un certain Mike Garson. Autant il y aurait fort à dire sur le come-back de Garson il y a quelques années au sein du Bowie band, et ses accointances avouées avec la scientologie, autant en 1973, ce pianiste est un alien dans le monde du pop-rock.
Sans Garson, « Aladdin sane » serait un disque quelconque. Les parties de piano hallucinées de l’Américain tirent beaucoup de compositions vers le haut. Un peu l’inaugural « Watch that man », beaucoup sur « Time », autant marqué par Kurt Weill que par le final de « Hey Jude ». Mais c’est sur « Aladdin sane » le titre, que Garson amène cette chanson déjà bien barrée au départ dans une autre dimension grâce à un solo inouï. Par contre, Garson ne peut rien pour sauver une version pataude de « Let’s spend the night together » de-qui-vous-savez, ou alors je vous plains …
Garson, un moustachu, Bowie, Visconti et un fan du New Jersey 
Allez, ouvrons la parenthèse ragots-potins-anecdotes-légendes. Deux choses sur ce disque. Son titre, jeu de mots de seconde division, permettant la lecture « a lad insane » (« un mauvais garçon cinglé » pour ceux qui avaient pris ukrainien en première langue). Le titre de la chanson, lui, se voit ajouter trois dates (1913-1938-197?), les deux premières correspondant à l’année précédant une guerre mondiale, la troisième la prévoyant avant la fin les années 70. Nostradamus-Bowie s’est trompé … Autre lecture de « Aladdin sane », la référence à son demi-frère Terry, interné pour problèmes mentaux. Bowie est toujours resté discret publiquement sur le sujet, seuls les dissecteurs de son œuvre ont décelé dans plusieurs de ses chansons des allusions à ce demi-frère, avec qui la star a entretenu des relations en dents de scie (des années sans le voir, puis des périodes de visites hebdomadaires). Et puis il y a l’affaire « Let’s spend the night together ». On a su des années plus tard quand elle a écrit un bouquin sur lui que l’ex-femme de Bowie avait un matin trouvé celui qui était alors son mari au lit avec Mick Jagger. Dès lors, le choix de reprendre cette chanson et pas une autre dans le répertoire des Stones s’apparente à une private joke. La réponse de Jagger viendra quelques mois plus tard, lors de la parution de « Goats head soup », avec un titre peu flatteur à l’adresse d’une petite pute juste intéressée par le pognon. Dans la chanson, cette fille s’appelle Angie … comme la femme de Bowie, ce qui fait plus que de simples coïncidences … Fin de la parenthèse.
Revenons au skeud. Si Garson tire la couverture à soi, il y en a forcément qui sont en retrait. La grosse victime de « Aladdin sane » s’appelle Mick Ronson. Le flamboyant guitariste des Spiders n’est vraiment à son avantage que sur deux titres, l’assez quelconque « Panic in Detroit » (référence à ces Etats-Unis que Bowie rêve de conquérir) et « Cracked actor » un rock basique, futur cheval de bataille immuable de nombreuses tournées de Bowie avec mise en scène de personnage shakespearien (le crâne et la cape de la tournée « Let’s dance » de 1983 sur ce titre). Autre incontournable et gros hit, « Jean Genie », référence à Jean Genêt et tout comme « La fille du Père Noël » de Dutronc, plagiat d’un riff de Bo Diddley (celui de « I’m a man », lui même pompé sur le « Hoochie Coochie Man » de Muddy Waters, lui-même … éternelle histoire du rock et de ses pillards …).

Par contre, ça sent le disque vite fait, avec quelques titres anecdotiques. « Drive-in Saturday », soul blanchie et follow-up de la « Soul love » de « Ziggy Stardust », la ritournelle glam linéaire de « Prettiest star », imitation sans saveur du T-Rex style qu’un long coulis de notes traînantes et distordues de Ronson ne parvient pas à sauver, « Lady grining soul », ballade tremblotante et (un peu trop) lyrique, n’ont jamais été perçus comme des titres majeurs de Bowie.
Les dernières versions en date de « Aladdin sane », en version DeLuxe et remastérisées n’apportent pas grand-chose. « Time » et « Jean Genie » en version single, « John I’m only dancing », un 45T qui a pas mal marché mais que j’aime pas (ce qui ne l’empêche pas d’être sur à peu près toutes les compiles de Bowie), la version de Bowie de « All the young dudes », inférieure à celle de Mott The Hoople. Plus quelques titre live d’une tournée américaine de 72-73, un massacre de « Changes », un superbe « Jean Genie » (qu’on retrouve sur le « Live at Santa Monica », meilleur live de Bowie longtemps resté un pirate), une curiosité (« Drive-in Saturday » juste avec une guitare acoustique, c’est courageux, mais Bowie n’a rien d’un grand folkeux …)

Du même dans ce blog :


T.REX - ELECTRIC WARRIOR (1971)

Faire mouiller les petites filles ...
… et ramasser la monnaie. Une formule déjà bien rodée. Le dénommé Mark Feld, alias Marc Bolan, va la pousser à son paroxysme dans l’Angleterre du début des années 70.

Bolan, c’est le type qui veut absolument réussir. Depuis le milieu des années 60, il entend devenir une rock star. Une obsession qu’il partage avec une de ses connaissances, un certain David Jones, devenu à la scène David Bowie. Les deux hommes sont plus amis que rivaux (ils utilisent souvent le même producteur, Tony Visconti), épient leurs carrières respectives. Début 71, match nul. Bolan est à la tête d’un groupe (en fait un duo) de folk campagnard hippy (Tyrannosaurus Rex), sort des disques qui au mieux font un succès d’estime. Bowie y a goûté au succès, celui du single « Space Oddity » en 1969. Depuis, accueils critiques polis et c’est tout. C’est Bolan qui va trouver la formule magique. Exit les babacooleries folky (Devendra Banhart reprendra la formule des décennies plus tard), exit Tyrannosaurus Rex, et place à T.Rex. Si le nom se raccourcit, le personnel augmente. En plus de Bolan au chant et à la guitare, on y trouve Micky Finn (l’autre moitié de Tyrannosaurus Rex), aux backing vocaux et percussions, Steve Currie à la basse et Will Legend à la batterie. Deux titres classés, « Ride a white swan » et « Hot love », dans un nouveau registre. Plus rythmé, plus pop, plus rock … et on voit à la télé anglaise un Bolan aguicheur, en satin et  platform shoes … La mutation T.Rex est en marche, et Bowie dans les cordes compte les points …
Bolan cogite un projet global de domination des charts. Son physique elfique ne laisse pas les filles, surtout les plus jeunes, indifférentes. Il va soigner son apparence, ne pas mégoter sur les couleurs vives et les paillettes. Musicalement, il va s’inspirer de deux stars qui ont fasciné le public. La première du rock, Elvis Presley, et la plus magnétique qui vient de mourir, Jimi Hendrix. Il empruntera un peu aux deux, la lascivité des rock mid tempo au King, la flamboyance et dans la mesure de ses possibilités, recyclera quelques plans de six-cordes d’Hendrix.

A cet égard, rien que la pochette du disque « Electric warrior » qui doit concrétiser son triomphe est révélatrice. Bolan pose en guitar hero (Gibson Les Paul), devant un énorme ampli (de la confidentielle marque Vamp). Et au départ, « Electric warrior » était conçu comme un disque très rock. Il suffit d’écouter sur une de ses multiples rééditions les versions « work in progress » des titres pour s’en rendre compte. On  y entend le groupe répéter, grosse batterie, gros riffs de guitare, et chant souvent hurlé de Bolan. Lors de la parution du disque, il ne restera qu’un titre dans cet esprit, « Rip off », phrasé plus vomi que chanté (très punk, aussi ceux-ci citeront souvent Bolan comme une de leurs influences), guitare hurlante et final avec sax free gueulard sur un mur de feedback.
Pour le reste, nul doute que Tony Visconti a beaucoup aidé Bolan à enjoliver son propos. Les titres de « Electric warrior » font alterner ballades (« Cosmic dancer », « Monolith », la très suave « Life’s a gas ») avec titres plus énergiques (« Jeepster », « Get it on », « The motivator »). L’innovation est aussi de la partie, détournement de mambo (« Mambo sun »), blues à paillettes (« Lean woman blues »), percussions très en avant (« Planet Queen », quasiment un duo avec Micky Finn, cependant à mon sens le titre le plus faible du disque). « Girl » fait immédiatement penser à du Lennon solo, « Imagine » du binoclard sort à peu près en même temps et son titre éponyme et « Get it on » seront à la lutte pour être les deux succès de l’hiver 71-72.

Visconti concocte pour « Electric warrior » un son très soyeux, fait swinguer la section rythmique, multiplie les arrangements agréables à l’oreille. Mais surtout il recadre Bolan au chant et à la guitare. Et c’est ce qui fera toute la différence. Bolan, même s’il ne fait pas partie des ténors de l’instrument se concentre sur les riffs, joue peu souvent rythmique. Sa guitare n’est pas toujours présente, et donc se remarque d’autant plus lorsqu’elle intervient. Rajoutez des efforts sur la trituration et la distorsion du son (l’influence hendrixienne), et ça donne tout son cachet à des titres qui au niveau composition, n’ont cependant pas inventé la foudre … C’est pourtant au niveau du chant que se fera la différence. Bolan murmure, susurre (l’Elvis des débuts), ronronne avant de rugir, multipliant râles, soupirs, hoquètements. Une voix et un chant très sexués, qui agira très directement sur son public. Le cœur de cible de Bolan-T.Rex, c’est la midinette collégienne, et on verra se reproduire à chacune de ses apparitions des scènes d’hystérie collective pas vues en Angleterre depuis la beatlemania. Les deux singles issus de « Electric warrior », « Jeepster » et « Get it on » connaîtront un succès considérable, lançant la mode glam qui verra des légions de groupes plus ou moins suiveurs envahir le pays. Bolan surfera tout en haut de cette énorme vague (deux concerts à Wembley au printemps 72, avec la fameuse mise en scène du culte de sa propre personnalité alors inédite, Bolan y apparaissant en tee-shirt … Bolan), trustant les sommets des hit-parades avec les singles « Metal guru » et « Telegram Sam », ainsi que l’album suivant, « The slider » …

Et Bowie dans tout çà ? Il va retenir les leçons qui ont fait l’énorme succès de Bolan. Et pousser le bouchon encore plus loin. Bolan plaît au filles ? Il va plaire aux filles ET aux garçons, mettant en scène son équivoque ambiguïté sexuelle, à grands renforts d’interviews malines, de trousses de maquillage et de tenues encore plus extravagantes … Le vaisseau de Ziggy Stardust est en route pour la Terre …


MC5 - BACK IN THE USA (1970)

Rock'n'roll never die ...
Le second disque du Five ... dès son titre, tout un programme … Jusque là, le programme du MC5, vu de loin, ça se confondait avec celui de son manager, le bien allumé John Sinclair. Le manager-gourou du groupe était aussi le fondateur du White Panther Party, version …euh … différente des Black Panthers. En gros, un gloubi-boulga anarcho-marxiste-barré articulé autour de dix points dont quelques-uns assez fumeux. Tellement fumeux que la brigade des stups de Detroit va serrer Sinclair en 1969 pour deux pauvres joints et l’envoyer au pénitencier.
Le MC5 se retrouve livré à lui-même, ce qui n’est pas une bonne chose. Et sans maison de disques. Le premier brûlot du MC5, « Kick out the jams » (à l’usage des sourds et des jeunes générations, je rappelle qu’il s’agit du meilleur disque live de tous les temps) ne s’est guère vendu. Pire, à cause de quelques « motherfuckers » bien audibles, une grande chaîne de magasins de disques l’a d’emblée retiré des rayons. Bravache et activiste, le groupe entre en résistance, à coups d’affiches, slogans et appels au boycott de l’épicier vinylique. Bataille du pot de terre contre le pot de fer. La label du Five, Elektra (entre autres celui des Doors) est menacé de voir retirer de la vente tous ses « produits ». Aussi sec, devant la pression de l’épicier, Elektra se débarrasse du MC5.

Les cinq types du Five ne sont pas vraiment des politiciens révolutionnaires. Le seul genre de révolution qui trouve grâce à leurs yeux se résume en quatre mots : meufs, dope, bagnole, rock’n’roll, les trois premiers gros consommateurs de dollars, le quatrième étant  censé les leur apporter. Atlantic consent à signer pour un disque cette bande assez ingérable, et un petit journaleux de Rolling Stone, qui n’a pas encore vu le futur du rock’n’roll décide de s’occuper d’eux, les emmène en studio et s’auto proclame leur producteur. Le groupe s’en fout un peu de ce Jon Landau, mais bon, faut bien faire rentrer du cash pour faire le plein aux Ferrari et un disque est mis en chantier.
Concept : puisque l’utopie militante ne nourrit pas son homme, on va faire simple, basique même. Foin des influences de Sun Ra (« inspirateur » du « Starship » de « Kick out de jams »), back in the USA, back to the roots. Concis, ramassés, urgents, tels seront les titres de ce disque. Onze pour vingt huit minutes, comme un majeur dressé bien haut devant tous les techniciens bluesy ou pas qui étirent un titre sur toute une face de vinyle. Et retour aux bases de la musique qui les fait vibrer, le rock’n’roll des origines remis aux goût du jour à la sauce Motor City, puisque c’est de la capitale automobile qu’ils viennent et où leur insuccès les condamne à rester.
Ils sont pas nombreux dans ce créneau à cette époque-là. Les revivalistes loufoques de Sha Na Na (leur copie conforme française s’appellera Au Bonheur Des Dames) et puis, quand même un mammouth en terme de ventes et de popularité (de qualité aussi, mais c’est pas le propos ici), le Creedence Clearwater Revival de John Fogerty. Fogerty qui bien que de la ville (celle des hippies, San Francisco), donne dans le rock’n’roll rustique et campagnard. Le Five va faire la même chose, mais dans son versant urbain, et la différence ne s’arrêtera pas au port ou non de chemises de bûcherons à carreaux.
Dans l’ancienne place forte de la Tamla Motown, le MC5 va livrer une version urbaine, violente, de la musique originelle. « Back in the USA » commence et finit par une défenestration de deux classiques : « Tutti frutti » de Little Richard et l’éponyme « Back in the USA » de Chuck Berry. Versions du Five sauvages mais assez proches et respectueuses des originales. Tout le reste est plus sournois, plus agressif aussi. Finie la rythmique char d’assaut, c’est rapide, ça pulse et ça swingue. Finis les numéros de shredders de Kramer et Smith aux guitares, ça joue carré, sérieux, et ça se paye même des solos dans les « règles de l’art ». Finis les cris et hurlements de Tyner, ça chante et plutôt très bien même. Beaucoup affirment que « Back in the USA » est un disque annonciateur du punk. Ma foi … Moi je dirais que trois ans avant le « Pin Ups » de Bowie, le disque du MC5 est avec le « Supernazz » des Flamin’ Groovies sorti quelques semaines plus tôt, une des premières œuvres strictement revivalistes du rock.

Là où se situe le talent du groupe, en plus de la Detroit touch devenue cliché et tarte à la crème d’une  certaine forme de musique dure, « pour hommes », estampillée « street credibility », c’est dans la clarté du propos et la mise en place. Respectueux des fondamentaux (il n’y a rien d’original, ça dure en moyenne moins de trois minutes par titre, personne cherche à se mettre en avant), tout en entrouvrant des lucarnes pour les générations futures. Les punks, on l’a dit et (trop) répété à mauvais escient, mais beaucoup plus la power pop (« Teenage Lust », « High school », « Shakin’ Street »), et la matrice de toutes les formations revivalistes « lettrées » (en gros tous ceux qui ont fait l’effort d’écouter des disques sortis avant le premier Ramones, et dont l’exemple typique français doit être les Dogs). Le Five casse avec « Back in the USA » sa réputation de groupe sauvage mais approximatif, Kramer y va de quelques solos qui ne feront certes pas oublier Hendrix, mais qui sont « propres ». Le rôle de Landau,  souvent tenu pour quantité négligeable, y est pour quelque chose : pour son baptême du feu aux consoles, il fait faute de pouvoir mieux dans l’ultra basique, et coup de bol, c’est ce qui convient parfaitement au disque. A peine deux concessions : une à la mode de l’époque, la ballade pour emballer la meuf  (ici « Let me try »), évite le pathos et les couches de violons dans lesquels des cohortes de groupes se livrant à cet exercice se perdront ; l’autre au son psyché du rock garage de la fin des sixties avec « The human being lawnmover ».
Personne n’attendait ce disque. Peut-être quelques amateurs des stridences rageuses de « Kick out the jams » qui ont été déçus. Et en 1970, le MC5 n’était pas encore « culte », juste à peu près inconnu (le pays où il était le plus « populaire », c’était la France …). Les deux singles extraits, « Looking at you » et « Shakin’ Street » (sans parler de « High school » tuerie totale, un des grands morceaux ignorés des seventies, même pas sorti en 45T) n’entreront pas dans les charts. Le second l’aurait mérité, bien qu’il soit atypique (chanté par Fred Smith, le futur mari de la Patti du même nom). Il ne sera pas perdu pour tout le monde, et servira de nom de baptême à une rude escouade menée par une chanteuse française (Fabienne Shine), groupe qui malgré des prédictions de succès à l’échelon international, disparaîtra rapidement dans l’anonymat.

Par bien des aspects, « Back in the USA » n’est pas ce que les musicologues qualifient de disque parfait. Heureusement, c’était pas le but recherché. C’est juste pour moi le plus grand disque de strict rock’n’roll américain …

Des mêmes sur ce blog :
High Time


MEAT LOAF - BAT OUT OF HELL (1977)

Rock and (cholesté)roll ...
Alors là, attention, best seller. Les Ricains en ont acheté des dizaines de millions de « Bat out of hell ». Il doit être dans le Top 10 (et vu l’état du « marché » du disque y restera jusqu’à la fin des temps) des ventes US toutes époques et tous genres confondus. Le coup d’éclat de deux inconnus, qu’évidemment ils ne renouvelleront pas, même s’ils s’y sont péniblement essayés.
Meat Loaf, c’est le pseudo d’un gars dont j’ai oublié le nom, ventripotent gueulard de quinzième zone, coupable d’un disque au début des seventies que personne a jamais acheté, et second rôle dans le film culte déjanté « The Rocky horror picture show ». C’est lui le chanteur et l’attraction de tout ce cirque. Mais de là à ce qu’un inconnu s’attaque aux records de vente de « Saturday Night Fever » … Le « cerveau » de l’affaire « Bat out of hell », c’est le dénommé Jim Steinman, un type qui se prenait modestement pour Berlioz et Wagner, mais dont la réputation n’avait jamais dépassé sa cage d’escalier. C’est Steinman qui est responsable, même carrément coupable, du « concept », des musiques et des textes. Meat Loaf se contentera de chanter et de « jouer » un personnage grotesque inspiré par Falstaff, Batman, La Bête, Rahan et Obélix … La musique, on y reviendra vite fait, est un croisement-plagiat des pires choses entendues chez les progueux, les hard-rockeux, Queen (on y reviendra aussi) et … Springsteen.
Les coupables : Meat Loaf & Jim Steinman
Dont les deux mercenaires habituels du E Street Band (Bittan et Weinberg) se retrouvent au casting de ce « Bat out … ». Ce qui suscite une interrogation, comment ces types réputés ont-ils pu aller traîner leurs guêtres sur le projet de deux inconnus azimutés ? La réponse elle est chez les banquiers, ceux qui ont payé ce disque, Epic, filiale de Columbia, label de … oui, Springsteen, je vois que vous commencez à comprendre.
« Bat out of hell » c’est un peu un coup de poker insensé financé par la multinationale, sinon, comment voulez-vous vous payer Bittan, Weinberg, … et les autres. Parce que le casting du disque, ça file le tournis, Rundgren (pas un tendre quand il s’agit de causer pognon) produit et joue de la guitare, Edgar Winter (oui, l’albinos à saxo, frère de l’albinos à guitare), des types d’Utopia (le groupe à Rundgren), pas moins de deux orchestres symphoniques… Tout ce monde trimbalé dans quantité de studios plus high-tech les uns que les autres … Du pognon dépensé sans compter mais qui a rapporté très très gros. Tellement gros, que le Gros et le Steinman se sont brouillés à mort pour of course des histoires de pourcentages, de droits, lorsqu’il a fallu passer à un second disque, qui aurait du sortir dans la foulée (suivant le puissant précepte du on presse le citron tant qu’il sort du jus) mais qui ne sortira que des lustres plus tard, fatalement dans une indifférence à peu près générale.
« Bat out of hell », ça fait passer Yes pour du folk acoustique. Exemple type du morceau crétin « Paradise … », où l’on passe en dépit de tout bon sens du rock’n’roll, au rythm’n’blues, à la pop, au disco, au hard, … Comme Queen, me direz vous … en quelque sorte, sauf que Queen est un groupe totalement second degré, qui dans sa carrière n’a pas écrit des morceaux, mais juste des pastiches forçant sur la caricature, le ridicule. Tandis que Steinman, lui, est totalement prétentieux et dénué d’humour, tout est au navrant premier degré … Heureusement qu’il avait Bittan et Weinberg, sinon leur patron aurait porté plainte, le premier titre, l’éponyme « Bat out of hell » est entièrement pompé sur des passages de « Born to run », et plus particulièrement de « Jungleland ». Mais jamais Springsteen, pas toujours le type le plus sobre musicalement de la planète, n’avait sorti de loukoums de ce style.
Lester, fais gaffe si tu dis encore du mal de mes disques ...
On n’évite pas non plus l’interminable ballade (quasi neuf minutes, comme les deux titres cités plus haut) gluante avec les deux (comme si un seul ne suffisait pas) orchestres symphoniques qui empilent les couches de violons. Les quatre titres restant sont heureusement plus courts. Pas forcément meilleurs. L’un d’eux (« You took the words … ») s’engage même par une discussion genre la Belle et la Bête (la Bête, vous aviez deviné, c’est Meat Loaf, la Belle c’est Ellen Foley, choriste et faire-valoir féminine qui délaissera vite le balourd pour fréquenter de près le Clash, et plus particulièrement Mick Jones), avant un classic rock pompier comme ça devrait pas être permis … La moins insupportable du lot, c’est pour moi « Heaven can wait » …
Ce genre d’objet sonore prétentieux, chez moi, ça finit poubelle direct … mais là, ce « Bat out of hell », il est tellement con au premier degré que ça me fait pitié … j’en écoute parfois des morceaux avec le sourire …


THE VELVET UNDERGROUND - THE VELVET UNDERGROUND & NICO (1967)

Walk on the wild side ...
Le premier Velvet, c’est un des disques les plus mythiques de la maintenant interminable saga du wock’n’woll … un disque qui ne laisse pas indifférent. Soit on le porte au pinacle, soit on ne comprend pas très bien ou pas du tout pourquoi tant de barouf autour de cette rondelle. « Velvet Underground & Nico », c’est le disque qui passe de l’autre côté, qui explore toutes les dark sides de la vie, de la musique … toutes ces choses et ces sons pas très jojos qu’on évacuait jusque là un peu hypocritement.
Nico, Warhol, Tucker, Reed, Morrison, Cale
Du pop-rock qui attaque l’oreille, alors que la mode, la référence ultime, c’était les Beatles, les Beach Boys, les girl-groups, la sunshine pop, tout ce qui était joli, bien fait, bien propre, bien mignon … Alors tu parles quand tu prends le son du Velvet … quasiment l’antithèse. La rythmique du Velvet ? Une batterie (jouée par une meuf, et circonstance aggravante dans un monde de paraître, toute moche) réduite à un kit dans sa portion la plus congrue et jouée debout (hérésie ? non, beaucoup des batteurs des pionniers du rock’n’roll jouaient de la sorte, celui des Forbans aussi d’ailleurs...). La basse ? jouée par celui (Cale ou Morrison) qui avait pas autre chose à foutre. Alors que le règne des sections rythmiques musclées et techniques (les fondations, la base, bla-bla-bla, …) arrivaient, le Velvet faisait quasiment l’impasse sur cet aspect. La guitare ? un type qui moulinait mécaniquement le structure rythmique (Sterling Morrison), un autre qui cherchait pendant ce temps la note qui produise le même effet que les ongles griffant un tableau noir (Lou Reed)… tout çà à l’époque des tags « Clapton is God » sur les murs de Londres, annonçant le culte (stupide) du guitar-hero technique et flamboyant … Un violon ? quoi, un putain de crin-crin dans un groupe de rock ? Le symbole absolu de toute la musique qu’il était de bon ton de mépriser : la classique pour les bobos, la country pour les ploucs … en plus un violon alto (le plus grinçant), entre les pattes d’un type (Cale) qui s’efforçait de le rendre le plus désagréable possible à l’oreille. Et au chant ? alors là, c’est la cerise sur le gâteau … ils étaient deux, le Lou Reed qui parlait, marmonnait, et une femelle blonde (Nico) avec une voix caverneuse, les deux à peu près incapables de chanter juste sur des mélodies pourtant pas très élaborées …
Et ils causaient de quoi, au fait ? Oh, Jésus Marie Joseph, jamais on n’avait entendu çà … pas des pluie dures de bombes (Dylan), et pas de vouloir hold la hand de la pretty little girl (tous les autres). Non, le type, là, qui écrivait quasi tous les textes (en plus de la musique), ce Lou Reed, c’était juste un sale pédé accro à l’héro, qui balançait sur des boogies préhistoriques ou des mélodies macabres ses histoires de putes, de dealers qu’on attend au coin de la rue, de sado-masochisme et de fix à l’héro … la naissance du glauque’n’roll, cherchez pas ailleurs, c’est le 1er Velvet … Petite parenthèse, la vraie vie de Lou Reed n’était pas aussi caricaturale que ce que le prétend l’histoire « officielle », il a été plus longtemps hétéro qu’homo, et ses rapports avec les drogues très dures terminés depuis le début des années 60 (les shoots avec des seringues usagées, l’hépatite C contractée alors, même si Lou Reed a été bien destroy quelques temps, en gros jusqu’à la fin des 70’s, il a également pris quelques sages précautions pour rester en vie, et la légende du junkie agonisant et se fixant sur scène n’est justement que légende et mise en scène …). 
 
Le Velvet, au départ et à la base, c’est pas un groupe de rock comme on l’entendait à l’époque et l’entend aujourd’hui. C’est juste la partie sonore du concept artistique qui se voulait total et global monté par Andy Warhol à New York, The Factory. C’est là, dans cet immense loft que celui qui était en train de devenir le pape du pop art, avait réuni une faune hétéroclite, voire interlope, censée travailler à l’élaboration de nouvelles formes d’expression artistique. De fait, c’était à peu près une party ininterrompue, avec comme figures de proue Paul Morrissey (photographe, futur cinéaste), Joe Dallessandro et Edie Sedgwick (acteurs), Ultra Violet (peintre et plasticienne), Gerard Malanga et Mary Woronow (danseurs), plus quelques figures locales « pittoresques » comme Candy Darling … Le Velvet Underground était avant tout un assemblage hétéroclite ( Reed, Cale, Morrison, Tucker) et cosmopolite (trois Américains et un Gallois, John Cale). Il deviendra encore plus hétéroclite et cosmopolite quand Warhol lui adjoindra (ou plutôt lui imposera) une mannequin et actrice allemande, répondant au surnom de Nico, et remarquée par son Pygmalion pour son apparition (le plus souvent en armure !) dans « La dolce vita » de Fellini. Warhol entend faire de cette sculpturale blonde troublante son égérie et la chanteuse de cette bande de va-nu-pieds qu’est le Velvet Underground. Un spectacle est monté, l’Exploding Plactic Inevitable, le Velvet accompagne Nico, Lou Reed chante quelques titres, Woronow et Malanga dansent (lui met en scène une choquante chorégraphie à base de tenues de cuir et de fouet), Morrissey balance sur un écran des photos et animations psyché-barrées … Les « concerts » sont donnés dans des galeries d’art ou de petites salles à travers les Etats-Unis, divisent la presse très spécialisée, mais n’ont aucun impact réellement populaire.

Le Velvet et Nico se doivent de laisser une trace. Avant de disparaître, car l’atmosphère est détestable entre Nico, prétendue star parachutée peu diplomatiquement par Warhol dans le groupe et Lou Reed, a priori à cette époque-là le seul capable d’écrire quelque chose qui ressemble plus ou moins à des chansons. Lou Reed, qui commence là sa carrière de joyeux luron et philanthrope rebaptisera d’ailleurs Nico « l’emmerdeuse ». Ce disque sobrement baptisé « The Velvet Underground & Nico », sort dans les bacs début 67, juste avant le fameux Eté de l’Amour. Autant dire que question timing, il est pas vraiment dans l’air du temps. Warhol a conçu une pochette toute blanche, avec une banane au milieu, même pas le nom du groupe mais le sien. Cette banane peut se peler (« Peel slowly and see »), dévoilant une partie comestible … rose. Une symbolique phallique que même les fans de la Comtesse de Ségur pouvaient percevoir. Sur les premiers exemplaires, légende ou anecdote, une fois cette chair rose dévoilée, il fallait passer à l’acte, la gomme adhésive étant parfumée au LSD …
En comptant large, ce disque se vendra à mille exemplaires. Et peu après sa parution, Nico quittera le Velvet. Scénario classique, la galère habituelle du groupe de rock anonyme … L’histoire aurait pu, aurait dû s’arrêter là. En dépit de mésententes de plus en plus grandes chez les « rescapés » (à chaque disque suivant, le Velvet perdra encore un membre essentiel, Cale, puis Lou Reed), trois autres disques officiels estampillés Velvet Underground paraîtront entre 67 et 70, avant la débandade définitive. Deux Anglais, d’abord Brian Eno de Roxy Music et David Bowie de la Ziggy Stardust Incorporated ne vont pas tarir de louanges sur le Velvet. Le premier aura une phrase restée célèbre (« Velvet & Nico s’est vendu à 1000 exemplaires, mais tous ceux qui en ont acheté un ont monté immédiatement leur propre groupe »), l’autre reprendra très fréquemment sur scène le « White light / White heat » de leur second album, avant de décider de faire de Lou Reed une superstar glam …
Edie Sedgwick, Gerard Malanga & The Velvet Underground live
La légende du Velvet, sa réhabilitation et sa sacralisation sont dès lors en route. Même si … le Velvet c’est trop dérangeant, pas assez « confortable ». Il suffisait d’entendre dans les JT officiels et sérieux il y a quelques jours lorsque le vieux Lou  (maintenant archi-reconnu, célébré et décoré) a cassé sa pipe le fonds sonore : toujours « Walk on the wild side », certes pourtant pas bluette inoffesive au niveau du texte, et jamais « Heroin » ou « Venus in furs ».
Car au final, qu’est-ce qu’on y trouve, sur ce « Velvet & Nico » ? La Révolution, tout simplement, la première vraie mutation monstrueuse du rock, qui qu’on le veuille ou pas était jusque là affaire de bisounours, tant ceux qui en faisaient que ceux qui l’écoutaient. Les choses étaient simples : le rock, ça venait de chez les ploucs le bluegrass, la country, le hillbilly (rien que les noms déjà …), le blues (en plus d’être des paysans, ils étaient noirs …), le folk, le rock’n’roll, rien que des campagnards tout çà … La ville, c’était le domaine de la pop, moins sauvage, plus conviviale ? Les Beatles à Liverpool, la Tamla à Detroit, le Brill Building à New York, Spector et Beach Boys à L.A, c’était parfaitement « cadré »… Les hippies qui commençaient à se multiplier, c’était pire, ils partaient de San Francisco pour aller se perdre à Woodstock, Monterey, ou dans le Larzac … en fait ils retournaient chez les ploucs …
Avec le Velvet, le rock, tendance ‘n’roll devient un élément culturel du décor urbain. La rupture est encore plus consommée dès lors qu’il s’agit des textes. Absolument tous (Dylan et quelques autres folkeux de moindre acabit étant l’exception qui confirme la règle) ne parlaient que de meufs (avec plus ou moins d’élégance), de saine amitié virile, de bagnoles et de motos … Lou Reed causait de putes, de travestis, d’homos, de drogués (tous les autres se défonçaient, mais étaient au mieux vaguement allusifs), de dealers, de sado-masochisme, de petits matins blêmes … ça jouait pas dans la même cour de récréation que « Yellow submarine », c’est clair…
Quatre titres sont chantés (ouais, si on veut) par Nico. La ballade mortifère des lendemains qui déchantent (« Sunday morning »), pop perverse, voix grave hautaine qui comme si ça ne suffisait pas est gavée d’écho. La voix de Nico dégage une impression de dominance, un aspect hiératique, solennel, totalement flippant. Même dans le registre girl-group dévoyé (« Femme fatale »), ou la comptine dépravée (« I’ll be your mirror », tout le 3ème disque du Velvet est en gestation dans ce titre). La solennité inaccessible et funèbre de la dame trouvant son apogée dans « All tomorrow’s parties ».
Warhol & Nico
Lou Reed trouve son meilleur rendement dans les lents boogie monolithiques de la première face vinyle (« I’m waiting for my man », le « man » étant le dealer), ou « Run run run », ce dernier se colorant de relents psyché, une des rares concessions à l’air du temps. « Venus in furs » est le titre le plus dérangeant de cette face, par son thème-hommage à Sacher-Masoch, mais aussi parce qu’il fait se confronter dans les discordances et les dissonances l’alto de Cale et la guitare de Reed, sur fond des percussions tribales de Mo Tucker. On entend, on ressent la douleur, la souffrance et la mort que véhiculent ce titre.
Car « Velvet & Nico » c’est aussi un disque organique, qui parle aux sens, tout le contraire d’un boucan arty obtus. On s’en rend compte à l’entame de la seconde face vinyle quand on doit affronter « Heroin », le titre qui a le plus fait pour la réputation malsaine  de Lou Reed. « Heroin » est une description par la parole et la musique d’un fix, cette relation-dépendance entre amour et haine que le junkie porte à sa came. Description portée par un tempo qui s’accélère (le sang qui cogne dans les tempes) et striée par le violon de Cale (la raison qui zigzague). A ma connaissance, personne n’avait encore abordé la drogue et sa dépendance de façon aussi frontale, aussi crue, dans une chanson. Le contraste est saisissant avec la suivante, la plus « légère » du disque, l’enjouée (par le tempo) « There she goes again ». Après le court intermède chanté par Nico (« I’ll be your mirror »), on pourrait penser à un final moins éprouvant. C’est justement là que le Velvet choisit de pousser le bouchon le plus loin. Peut-être lassé de l’hégémonie d’écriture de Reed, Cale fomente un coup d’état et s’arroge la co-écriture pour « The black angel’s death song ». C’est le violon  strident du Gallois qui mène cette danse forcément macabre, et ces trois minutes d’agression préfigurent les 17 de « Sister Ray » sur le disque suivant, « White light / White heat ». Le final du disque « European son » est une longue litanie stridente, résultant de jams bruyantes du temps de la tournée Exploding Plactic Inevitable, signée collectivement. Elle présente dans l’esprit beaucoup de similitudes avec « The end » des Doors sortie quelques semaines plus tôt. Les paroles sont un hommage à Delmore Schwarz, père spirituel de Lou Reed, écrivain « maudit » américain récemment mort dans l’oubli.
« The Velvet Underground & Nico » mettra à peu près cinq ans avant de commencer à être reconnu et cité comme un disque majeur. Son aura n’a depuis fait que croître, des pans entiers du rock (le krautrock, le punk new-yorkais, Sonic Youth et tous ses descendants, tous les frangins Bruitos de la planète, série en cours, …) le citent comme influence majeure. Les autres disques du Velvet en découlent d’évidence. Même si dès le suivant Nico ne sera plus là … On l’a oublié, mais le Velvet n’était à l’origine censé être que son backing-band …
Parmi la multitude de rééditions en version plus ou moins DeLuxe ou Expended parues, celle de 2010 fait la part belle à l’Allemande. Outre les versions mono et stéréo du disque, on y trouve en version single (inutile de dire qu’ils n’ont pas visité le haut des charts) les quatre morceaux qu’elle chante et une bonne part de son premier disque solo « Chelsea girl », écrit par Lou Reed et produit par John Cale, ce qui permet de signaler que malgré le peu de succès rencontré par ses disques en solo, c’est vraiment elle la première « héritière » du Velvet, celle qui est restée toute sa carrière dans « l’esprit » du groupe, responsable d’une discographie assez abrupte, où l’on retrouve toujours cette atmosphère hiératique et glaciale des « All tomorrow’s parties » et autres « Femme fatale ».

« Velvet Underground & Nico » est pour moi un des deux ou trois meilleurs disques du siècle passé, de l’actuel, et de ceux à venir. Depuis sa parution, pillé, imité, plagié … mais jamais égalé …


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P.S. Sur la vidéo de "Wating for my man", l'enfant assis à côté de Nico est Ari, le fils qu'elle a eu avec Alain Delon