Public Enemy, c’est du rap, certes. Mais aussi beaucoup
plus que cela… En trois disques à la fin des années 80 ils ont placé la barre
tellement haut que personne a cherché à la franchir depuis, on a vu tous les
grands noms de la chose partir dans d’autres directions, esquiver le défi, ou
se casser les dents à le relever. A la limite, Public Enemy, ils auraient même
pas fait de musique, ils auraient fait parler d’eux.
PE presque au complet ... |
Public Enemy, c’est un concept global. Deux rappeurs, un
dans les graves (Chuck D.), l’autre dans les aigus (Flavor Flav). Un jongleur
des platines et de bidules électroniques qui tient plus du terroriste sonore
que du pousseur de disques (Terminator X). Un ministre ( ? ) de
l’Information ( ?? ), Professor Griff. Une équipe d’auteurs (le Bomb
Squad). Une milice à Uzi (S1W,
pour Security of the First World). Une affiliation « politique » (la
Nation of Islam). Un « atypique » pour la mise en sons (Rick Rubin,
juif fan des deux genres musicaux alors extrémistes et a priori opposés, le rap
et le trash metal). La seule chose bruyante connue qui coche autant de cases,
c’était … le MC5.
Evidemment, pareil conglomérat ne pouvait pas durer sans
frictions. Et si Public Enemy existe encore vaille que vaille aujourd’hui, ne
restent plus de cette dream team originelle que Flav et Chuck D. Quelques uns
de l’aventure « It takes a nation … » sont morts, Terminator X
n’était pas là au début, le Bomb Squad s’est plus ou moins désintégré, Rubin
est parti voir ailleurs et faire la carrière que l’on sait, le S1W a vu défiler
un nombre conséquent de gros bras, et Griff (ministre de l’Information faut-il
préciser) a multiplié les déclarations racistes, homophobes, antisémites, et on
en passe …
Mais là, à l’époque de « It takes … », pièce centrale
de la trilogie entamée l’année d’avant avec « Yo ! Bum rush the
show » et conclue en 90 avec l’énorme et insurpassé « Fear of a black
planet », Public Enemy plane très loin au-dessus de toute la meute en
survet et casquettes à l’envers.
Terminator X, Flavor Flav, Chuck D. |
Public Enemy, c’est au départ la rencontre de Flav et
Chuck D du côté de la fac de long Island, New York City. Fans de soul, de funk,
des premiers collectifs proto-rap « engagés » (Grandmaster Flash), et
des « poètes de la rue » des 70’s (Last Poets, Gil Scott-Heron).
Influence majeure, on s’en doute un peu rien qu’à leur nom, Jaaaames Brown,
qu’ils sampleront et échantillonneront abondamment. Très vite, plus que militants
(et davantage Malcolm X que Luther King), ils vont se positionner
politiquement, et d’une façon plutôt radicale, citant pêle-mêle les Black
Panthers, la Nation of Islam et son très controversé leader Farrakhan qui
flirte avec toutes les lignes blanches xénophobes et antisémites. A quelques
années près, la création et l’existence même d’un groupe comme Public Enemy
aurait été impossible (Guerres du Golfe, Al Qaida, Daesh, et autres joyeusetés
intégristes et radicales du même tonneau …).
Assez étrangement, les allusions à la religion si elles
sont très rares dans les disques de Public Enemy, sont beaucoup plus présentes
dans leurs déclarations publiques. Même si la structure bordélique du groupe
fait que chacun peut s’en revendiquer porte parole. Et quand à côté d’un Chuck
D. (parolier hors normes, le Woody Guthrie Noir ?) s’agite un crétin comme
Griff, les dégâts peuvent être considérables dans l’opinion publique, au gré de
déclarations plus imbéciles les unes que les autres. Il n’en demeure pas moins
que Public Enemy est à la fin des années 80, le groupe le plus
« signifiant » et engagé des States (et d’ailleurs), tous genres
musicaux confondus. Ce qui au mieux le relèguerait à la confidentialité si au
niveau de leurs disques, ils n’enterraient pas toute la concurrence.
Le poing levé dans un gant noir, allusion aux JO de Mexico, 1968 |
Musicalement, Public Enemy est un choc pour l’époque. On
est très loin de l’électronique funky et des boîtes à rythme sommaires des
débuts du rap. Rubin oblige, le son de Public Enemy est dense, martial (les
appétences sonores du trasher Rubin qui rajoute quelquefois de gros riffs
hardos au second plan), limite oppressant. Avec leur gimmick qui les distingue
immédiatement, l’omniprésence des samples de sirènes de police, qui rajoute une
dimension anxiogène à leur son. A l’opposé par exemple du gros son potache des
Beastie Boys. Avec lesquels ils semblent régler une question de suprématie,
intitulant le dernier titre de ce « It Takes … » « Party for your right to fight », réponse
brutale au « Fight for your right to party » des Boys. Public Enemy se
pose comme le porte parole de la multitude noire laissée pour compte et qu’on
entasse dans les quartiers-ghettos de New York. Public Enemy analyse,
argumente, appelle à l’insoumission ou à la révolte. Rien que les titres
claquent comme des directs dans la face d’un pays où existe, comme disait l’autre par
chez nous, une profonde fracture sociale. Des trucs comme « Countdown to
Armageddon » (l’intro terrifiante à mon avis très inspirée par celle du
live « Kick out the jams » du MC5), « Bring the noise » (gros
hit sorti en éclaireur, qui sera réenregistré avec les trashers de Anthrax),
« Don’t believe the hype », « Louder than a bomb »,
« Night on the living baseheads » (allusion au film de Romero et aux
dealers de freebase qui zombifient la jeunesse black), « Rebel without a
pause » (là aussi clin d’œil au cinéma et à James Dean), « Prophets
of rage » (le nom qui est actuellement celui d’un conglomérat de stars des
90’s, alliage plus ou moins contre nature comprenant Chuck D., des types de
RATM et de Cypress Hill).
Tous les titres sont construits selon un procédé immuable
de pilonnage sonore duquel sont bannis toute forme de refrain, on se contente
d’une courte phrase-slogan répétée plusieurs fois. Un truc tellement bien foutu
que ça reste hors d’âge, comme du Led Zep ou du Stones early seventies. Quasiment
la moitié des titres de ce « It Takes … » se retrouvent sur les
compilations de Public Enemy.
Classique de chez classique …
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