Envoyez le boucan !
S’il fallait résumer tout ce qu’a pu représenter le rap dans ses vingt premières années (y’en a eu d’autres des années, mais celles qui ont compté étaient au vingtième siècle, et qu’on vienne pas me causer du génie de Kendrick Lamar, Kanye West, … ou qui sais-je encore, sinon je vais me fâcher tout rouge …) il suffirait de dire Public Enemy. Pas les premiers, pas les plus spectaculaires, pas les plus gros vendeurs, juste les meilleurs et de très loin à mon avis …
Terminator X, Flavor Flav, Chuck D : Public Enemy 1991 |
Parce qu’ils étaient au bon endroit au bon moment
(New York, où toute l’affaire avait commencé fin 70’s), parce qu’au-delà de
l’engagement convenu de tous les rappers, ils avaient un discours politique (on
y reviendra), parce qu’ils avaient avec Chuck D un frontman-leader comme on
n’en reverra plus dans le genre, et parce qu’au niveau son et musique, ils
enterraient tout le monde (plus pour longtemps, en 1991 un certain Dr Dre pour
le moment encore anonyme au sein des encore obscurs NWA, fourbissait ses armes)
…
Public Enemy a enquillé les disques majeurs entre 87 et 91 (donc jusqu’à ce « Apocalypse 91 … » en question). Ensuite, ils ont plus ou moins perdu le fil de leur truc (trop d’ingrédients humains instables dans leur affaire, et plein de concurrents qui poussaient très fort pour tenir le haut de l’affiche). Là, pendant un lustre, Public Enemy a été le groupe capable de fédérer toutes les communautés et toutes les chapelles musicales. En plus de s’adresser de manière assez radicale aux Blacks, ce sont les Whitey (comme disait Sly Stone, autre fusionneur de musiques) qui sont en ligne de mire (faut les obliger à « réfléchir » et accessoirement prendre leurs dollars). Le titre du disque renvoie à la culture blanche cinématographique (un mix entre « Apocalypse Now » et « The Empire Strikes Back » le second – ou cinquième – volet de la saga « Star Wars ») et Public Enemy va plus loin dans la drague des hardeux (genre musical éminemment blanc) que les égéries (?) d’Adidas Run DMC associés au come-back d’Aerosmith ( « Walk this way »). Ici, Public Enemy s’acoquine avec les trashers d’Anthrax pour un « Bring the noise » anthologique (le titre est paru initialement sous la forme d’un single mais est repris sur la dernière plage de l’album). Conséquence : Public Enemy se verra inviter au festival pourtant pas très funky de Reading en 1992, généralement chasse gardée des rockers à guitares …
Anthrax & Public Enemy |
Public Enemy, de par son nom, vient de James Brown. Et « Apocalypse … » est leur disque le plus funk. Même si l’essentiel de la musique est à base de machines et de samples, on quitte souvent le métronomique inhérent au genre pour aller vers le lancinant et le répétitif, juste comme le faisait Jaaames dans les années septante, réduisant son funk à une pulsation rythmique obsédante (flagrant sur des titres comme « Rebirth » ou « I don’t wanna be called yo Nigga »). Et plutôt que de se faire les interprètes rigides des Tables de la Loi qu’ils ont créées, Public Enemy n’hésite pas à incorporer quelques notes de piano house (le genre électronique de base de toutes les rave parties qui commencent à se multiplier partout sur la planète) comme sur un break de « Can’t truss it » ou le « I don’t wanna be … » déjà cité. Public Enemy va encore plus loin vers le défrichage sonore avec « More news at 11 » qui tient beaucoup plus du chant que du rap, est très mélodique et précurseur de ce que feront bientôt les Arrested Development …
Public Enemy live |
« Apocalypse … » n’en est pas pour autant
un disque exagérément novateur. Tout ce qui fait et résume la patte Public
Enemy est là. Des samples anxiogènes de Terminator D (crissements et sirènes divers
et variés) aux règlements de compte perso (pas ce que je préfère chez eux,
cette posture de matamores revanchards comme dans le très quelconque « A
letter to the New York Post »), en passant par le ping pong verbal entre
Chuck D et Flavor Flav. Et puis et surtout, Public Enemy est un groupe militant
et politique. Une « organisation », pas seulement composée des deux
rappers et du Dj. Parties intégrantes du groupe, le Bomb Squad (les producteurs),
et le S1W (Security of the First World, ses tenues (para)militaires et ses
chorégraphies violentes sur scène). Côté politique, P.E. fricote avec Farrakhan
(le leader-gourou de la Nation of Islam, extrapolation souvent douteuse, équivoque
et religieuse des discours de Malcolm X). On est assez loin des gentils prêches
militants de la cause Noire de Martin Luther King … même si le « By the time
I get to Arizona » (allusion au « By the time I get to Phoenix »
de Glenn Campbell et surtout sa reprise par Isaac Hayes) est une attaque au
vitriol contre un Etat qui a refusé d’instaurer la journée hommage à Martin
Luther King. Une attaque accompagnée d’un clip controversé, y compris par la
veuve de King, mais la polémique, souvent recherchée, ça fait aussi partie de
Public Enemy …
« Apocalypse 91 … » c’est peut-être pas le meilleur de Public Enemy (pour ça voir plutôt du côté de « Fear of a Black Planet », mais les deux premiers ont aussi leurs fans). C’est peut-être leur plus varié, ou leur moins monolithique, comme on veut … La suite (à part la compile de remixes « Greatest misses ») est beaucoup plus dispensable …
Des mêmes sur ce blog :
It Takes A Nation Of Millions To Hold Us Back
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