ROBERT ZEMECKIS - FORREST GUMP (1994)

 

Born to run ...

Parce que « Born to run » ça peut servir de résumé en trois mots du film. Et aussi parce que la masterpiece du Boss est la chanson qui manque dans la B.O., notamment quand Forrest Gump fait son marathon across the U.S.A. Question, Springsteen serait-il plus dur en affaires pour les autorisations sur ses titres que les rescapés et ayant-droit des Doors, qu’on entend trois fois dans « Forrest Gump », parmi les 45 titres de la B.O. ?

Zemeckis & Hanks

Tout ça pour dire que « Forrest Gump » est aussi un film qui s’écoute, même si les extraits musicaux sont souvent réduits à quelques secondes, et en sourdine au fin fond du mix sonore. Je vais vous dire, le tracklisting de la B.O. aurait pu être celui d’un film signé Scorsese. A une exception (majeure) près : dans « Forrest Gump » rien que des titres américains des fifties au tout début des eighties, qui illustrent chronologiquement l’histoire (à quelques pains temporels près, par exemple quand Forrest arrive en 67 au Vietnam, on entend « Fortunate son » de Creedence, sorti deux ans plus tard). C’est là tout l’a priori étrange de ce film, comment a-t-il pu être un immense succès mondial alors que plus américain tu peux pas, l’histoire d’un simplet de l’Alabama qui par hasard se trouve dans des situations, des endroits, en face de personnages qui ont fait l’Histoire, Histoire qu’il influence, en initiant Elvis à sa danse pelvienne désarticulée, en soufflant les paroles de « Imagine » à John Lennon, en téléphonant à la police pour signaler un cambriolage au Watergate Hotel, sans parler de ses « rencontres » avec JFK, Lyndon Johnson, Nixon ?

« Forrest Gump » vient d’un roman « récréatif » du même nom d’un historien, scénarisé par Eric Roth dont ce sera la première adaptation plébiscitée (il bossera par la suite pour des « grosses machines » réalisées par Michael Mann, Spielberg, Fincher, Villeneuve, …). Pour « Forrest Gump », seront portés aux nues les noms de Robert Zemeckis et Tom Hanks. Les deux ne sont pas des débutants, le premier vient de réaliser « … Roger Rabbit » et les deux premiers volets de « Retour vers le futur ». Hanks a déjà beaucoup tourné, et bien souvent n’importe quoi (avec même un Oscar pour le navrant « Big »), avant de vraiment capter l’attention avec ses deux derniers films, « Nuits blanches à Seattle » et « Philadelphia ». Pour Zemeckis et Hanks (premier choix de la production), « Forrest Gump » amènera la consécration définitive.

Hanks & Wright

Hanks est parfait dans le rôle du simplet parfois génial, comme une version exubérante de Hoffman dans « Rain Man », avec sa vision rousseauiste (l’homme est naturellement bon, c’est la société qui le pervertit). Je suis généralement pas très fan de son jeu sans aspérités et des personnages qu’il a tendance à ramollir, affadir pour qu’ils suscitent de la pitié larmoyante, mais force est de reconnaître que dans « Forrest Gump » toutes les récompenses et nominations prestigieuses qu’il obtiendra sont bien méritées.

Et le reste de la distribution se hisse à son niveau de Sally Field (la mère), à Robin Wright (l’amour de sa vie) en passant par Gary Sinise (son supérieur au Vietnam) ou l’extraordinaire Mykelti Williamson (Bubba, son « jumeau » noir).

Tout ceci ne serait pas aussi fort sans la Zemeckis touch. Il a du pognon pour tourner, et va l’utiliser. Pas pour les extérieurs, une grosse partie du film a été tourné dans un tout petit périmètre (à Savannah en Géorgie, et le Vietnam dans une zone marécageuse de Caroline du Sud toute proche). Mais surtout Zemeckis va utiliser toutes les techniques numériques de pointe. Beaucoup de scènes se feront devant un rideau vert, notamment quand intervient Sinise amputé de ses deux guiboles, les ordinateurs tourneront plein pot pour les effets de mouthmorphing (faire bouger les lèvres en fonction des dialogues « revisités » des Kennedy, Johnson, Lennon et autres), pour rajouter des balles de ping-pong (non, Hanks n’est pas devenu un des frères Lebrun, il ne fait qu’agiter la raquette dans le vide). Les effets spéciaux dernier cri ont simulé des balles traçantes, des lâchages de napalm, des foules dans les stades ou au mémorial Lincoln … Deux anecdotes. Tout n’est pas retouché, certaines scènes historiques ont été recréées avec des figurants (il n’y avait pas de films à bricoler, juste des photos qui témoignaient de l’événement). Une scène très longue à tourner fut la partie de ping-pong en Chine. L’adversaire de Hanks était un Sud Coréen parmi les tout meilleurs mondiaux. Comme il n’y avait pas de balle, les deux devaient mimer la partie. Hanks y arrivait sans problème, mais le pro n’arrivait pas à se synchroniser avec une balle imaginaire, c’est à cause de lui que d’innombrables prises ont dû être faites …

Zemeckis a réussi à virer Yoko Ono ...

Visuellement, « Forrest Gump » est à la pointe de la technologie. Mais c’est surtout un film finement drôle. Zemeckis se tient loin des gags cartoonesques de « … Roger Rabbit » ou de ceux plutôt lourdauds de « Retour vers le futur ». Mentions particulières au personnage de Bubba, sa lèvre pendante et son obsession pour la pêche aux crevettes et la façon de les cuisiner, et à la scène devenue culte où Robin Wright chante seulement « vêtue » d’une guitare acoustique « Blowin’ in the wind » dans un bouge à strip-tease. Les allusions sont parfois pointues, quand Hanks pousse Sinise dans son fauteuil roulant au milieu des taxis dans une rue enneigée de New York, c’est un hommage-pastiche d’une scène de « Macadam cowboy » similaire avec Dustin Hoffman et John Voight, et on y entend la même chanson (« Everybody’s talkin’ » de Harry Nilsson) que dans le film de Schlesinger.

Pour moi, c’est le final de « Forrest Gump » (en gros les vingt dernières minutes) qui est le moins réussi. Le ton change, on n’est plus dans l’ironie, on touche à des sujets graves (le Sida), et on dérive vers le pathos larmoyant, en rupture assez (trop ?) franche avec les deux heures précédentes. Tellement flagrant que c’est évidemment voulu, mais que les ficelles émotionnelles sont bien grosses. Ces dernières bobines permettent d’apercevoir dans le rôle du fils de Forrest Gump le tout jeune Haley Joel Osment, futur premier rôle des blockbuster « Sixième sens » et « A.I. Intelligence Artificielle » (avant qu’il aille tourner des nanars passés sous les radars, mais c’est une autre histoire).

Sinise, Williamson & Hanks

La plus grosse surprise étant que « Forrest Gump » reste un film accessible (à condition d’avoir un QI supérieur à 75) alors qu’a priori cette visite loufoque dans l’histoire politique et sociale des sixties et seventies américaines pourrait sembler assez hermétique. Mais tout passe, surtout si l’on fait attention aux monologues intérieurs de Gump, bien souvent aussi drôles que les scènes qui l’encadrent …

Ce qui fait que « Forrest Gump » me semble faire partie des rares films qui se bonifient à chaque nouveau visionnage …

Anecdote : « Forrest Gump » a été un succès mondial, a gagné plein d’Oscars, et forcément, bien des gens ont attendu une suite (ils avaient pas compris que l’histoire était terminée). Les rumeurs sur cette suite se sont soudainement amplifiées il y a quelques mois quand on a appris que Zemeckis tournait un film avec dans les deux rôles principaux Tom Hanks et Robin Wright. Raté, « Here » n’est évidemment pas la suite de « Forrest Gump » …


3 commentaires:

  1. C'est un gros poisson, Zemeckis sait y faire, il l'a prouvé maintes fois. C'est vrai qu'il adore les effets numériques, "Roger rabbit" était une révolution à l'époque, avec les personnages en 3D (même si ça a un peu vieilli, le film lui reste jubilatoire) et l'incrustation dans l'image réelle. Je n'ai pas pu voir "Here" qui a été très mal distribué en France (sacrifié ?) et je le regrette, faire un gros film américain en un seul plan fixe d'1h30, certes bidouillé de numérique, fallait oser. Reprendre le couple Tom Hanks et Robin Wright était une brillante idée. Dans "Walk" il y avait des effets 3D assez bluffants, tout reposait là-dessus. Et avec Tom Hanks, son "Seul au monde" est aussi un film que j'aime bien.

    "Forrest", à la fois je l'aime bien et il me déplait. D'abord, la maxime 'la vie c'est comme une boite de chocolats'... je n'avais rien entendu de plus tartignole depuis longtemps. La relecture de l'Histoire américaine frise parfois le négationnisme. Pour se renseigner sur le Vietnam et ses vétérans, mieux vaut voir un "Voyage au bout de l'enfer" que cette vision atrophiée rose bonbon. Et puis ce qui est insupportable, c'est la bonne morale, ce qui arrive au personnage de Robin Wright, une hippie, quelle horreur ! En plus elle écoute Lynyrd Skynyrd à moitié défoncée, donc cette dévergondée doit être punie par Dieu, et hop, on lui colle le Sida. C'est odieux. Heureux les simples d'esprits... Zemeckis est un type intelligent, il avait 18 ans en 1970, je ne peux pas croire qu'il dépeigne ces années-là de manière aussi réactionnaire.

    Mais "Forrest" c'est aussi comme tu l'as dit un fabuleux spectacle, des scènes d'anthologie, un plaisir de cinéma, Zemeckis utilise son budget pour créer de grandes scènes, il soigne ses personnages secondaires, et le film, bien que plus dramatique à la fin, et tout de même très drôle. Pas revu depuis longtemps, mais ça donne envie de jeter un nouveau regard dessus. Je n'arrive pas à savoir si on est premier degré (putassier), ou si Zemeckis donne, en secret, dans la fable caustique.

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    1. Je pense pas que Forrest Gump frise le négationnisme. Ce sont des faits politiques ou sociaux majeurs ui sont montrés, mais vus par le prisme d'un simplet. Y'a pas d'analyse, juste les faits. Y compris ceux qui ont prêté à polémique, dont l'affaire du sénateur Wallace qui s'était opposé physiquement à l'entrée de deux étudiants noirs à la fac d'Alabama. Dans la séquence Forrest Gump ramasse un cahier que l'étudiante noire a tombé et court le lui rendre. Rien que ça constitue un positionnement de Zemeckis car il a reconstitué la scène (il n'y avait pas de film à bidouiller numériquement, juste des photos de l'évènement).

      Argument recevable pour le Vietnam, c'était pas exactement ça la guerre et le retour au pays. mais si on raisonne en termes de comédie, Forrest Gump n'est pas plus hors-sol que MASH sur la guerre de Corée ou La grande vadrouille sur l'occupation en France ...

      Le cas de Robin Wright, ça peut se discuter. C'est un peu le fil rouge du film, de temps en temps on nous montre ce qu'elle devient. Elle a été folk (donc contestataire, le poster de Joan Baez et la guitare acoustique dans sa piaule d'étudiante), ensuite hippie (la manif au mémorial Lincoln, puis le trip vers San francisco) avec des plus ou moins potes Black Panthers, avant de virer disco dans les boîtes new yorkaises (donc coke à gogo), n'était pas vraiment farouche niveau amoureux ... Donc candidate potentielle aux premières infections au sida (enfin beaucoup moins que si elle avait été un black homo). C'est la partie maladie qui est édulcorée. ceux qui sont morts du sida dans les débuts avaient pas juste des cernes sous les yeux et les lèvres gercées, c'était des zombies avec des abcès cutanés purulents, ils pesaient trente kilos et agonisaient des mois ...

      Freebird, ce doit être le plus long extrait qu'on entend quand elle essaye de se suicider en équilibre sur un balcon de chambre d'hôtel à cinquante mètres du sol. Zemeckis doit pas être spécialiste de rock sudiste, car le titre parle pas d'un oiseau qui s'envolerait, mais est un hommage de Collins et Van Zant à Duane Allman (qui ne carburait spécialement à l'eau gazeuse, mais c'est une autre histoire ...)

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  2. Un des rares reproches que je fais à la Grande Vadrouille, tient justement de ces personnages d'allemands plus cons que méchants (Grosso et Modo !). De la part d'un Oury, qui fera ensuite Rabbi Jacob, c'est un peu gênant. C'était les années 60, sans doute ne devait-on (pouvait-on ?) pas parler de la guerre en termes trop dramatiques. Viendra ensuite La 7è compagnie, etc... To be or not to be, ou Le Dictateur, sous l'humour et la légèreté, sont beaucoup plus incisifs, les faits ne sont pas occultés. MASH, c'est de la grosse satire, du caustique, de l'anar, donc ça ne me gêne pas, comme Dr Folamour, en son temps.

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