MICHAEL KIWANUKA - KIWANUKA (2019)

 

L'éternel retour ...

Où il va être question de soul. Vous savez, ce machin qui a eu son apogée dans la seconde moitié des années 60, et qui voyait des chanteurs ou chanteuses (généralement pas blancs), dotés d’un beau filet de voix, interpréter dans des tenues rutilantes (costards cintrés pour les messieurs, robes lamées pour ces dames) des chansons bien écrites, accompagnés par des backing bands aussi nombreux (à grand renfort de cuivres, de choristes, …) qu’efficaces. Noms qui clignotaient plus haut et plus brillamment que les autres, ceux d’Otis Redding et Aretha Franklin … Et puis tout ce bazar a vite évolué, l’affaire a viré Philly Sound, disco, a été mélangée à plein d’autres genres, vidée de sa substance initiale, et malheur ultime, jugée ne plus être commercialement porteuse … Et de temps à autre, on a vu apparaître de nouveaux chevaliers blancs du genre tenter de la ressusciter, pour un tour de piste acclamé mais sans lendemain (Maxwell), ou une carrière qui est vite passée à autre chose de plus économiquement « porteur » (Jamiroquai, Mary J. Blige, Erikah Badu, …).

Michael Kiwanuka

L’un des derniers (?) de ces néo-soulmen en date, c’est l’Anglais Michael Kiwanuka. Gosse ougandais ayant fui le régime d’Amin Dada avant de se faire bouffer, réfugié dans les banlieues prolos londoniennes, ayant choisi l’école plutôt que la petite délinquance, tout en devenant musicien et gratouilleur sérieux, ce qui lui valut quelques séances de musicien de studio … Une « révélation » venue par les disques du grand Otis et de Dylan, tout l’antique écheveau dévidé pour élargir sa culture sonore, et un premier disque (« Home again ») au succès d’estime chez les British à peu près exclusivement.

« Kiwanuka » est sa troisième rondelle. Et quand on ne met que son nom comme titre, on veut faire comprendre que c’est le disque de l’affirmation, et de la confiance (en soi). Soit.

Et ça ressemble à quoi, la musique de Kiwanuka ? Les noms qui reviennent le plus souvent le concernant sont dans l’ordre ceux d’Otis Redding, Bill Withers et Van Morrison. Ouais, bof … Si avec pas mal d’imagination on peut parfois valider les deux derniers, pour Otis, faudra m’expliquer. Kiwanuka est un bon chanteur, capable de poser sa voix de différentes façons, mais jamais sans que ça évoque la tessiture et la puissante souplesse du crashé en avion. Perso, si je devais citer un nom concernant cette rondelle éponyme, ce serait celui de Stevie Wonder période « Songs in the key of life ». Flagrant sur plusieurs titres (« You ain’t the problem », « Living in denial », « Hard to say goodbye ») sur lesquels les similitudes sont parfois troublantes, sans toutefois tomber dans la copie ou le plagiat.

Danger Mouse & Kiwanuka

Comme l’aveugle à dreadlocks, Kiwanuka écrit, compose, chante et joue d’une multitude d’instruments (guitares, basse, B3, synthés). Différence notable, Kiwanuka ne produit pas ses disques. Je vois pas pourquoi il irait perdre son temps à pousser des boutons sur la console, parce qu’il peut compter à ce poste sur rien de moins que le sieur Brian Burton, plus connu sous son pseudo Danger Mouse. Avis tout personnel, Danger Mouse est le producteur number one de ce siècle, celui que l’on convoque pour essayer de se remettre à flot (U2, Red Hot Chili Peppers, Norah Jones, …), pour expérimenter (Damon Albarn et son Gorillaz, …), pour conquérir les charts (Black Keys dont il fut pendant quasi une décennie le troisième membre), sans compter ses collaborations (Cee-Lo Green, Karen O, …) et ses propres groupes (Gnarls Barkley, Broken Bells). Et comme si ça ne suffisait pas, sur « Kiwanuka », un autre producteur lui aussi multi-instrumentiste vient apporter sa contribution. Il s’appelle Inflo, j’ignorais son existence, et apparemment serait d’après ses laudateurs, le Quincy Jones de la neo-soul et du r’n’b anglais. Ce trio a pas besoin de grand-monde pour jouer de tous les instruments et remplir l’espace sonore, mais sur quelques titres section de cordes, de cuivres, choristes ou musiciens additionnel viennent étoffer les compos.

Le résultat d’ensemble est bon, voire parfois plus. C’est évidemment pas la soul des 60’s qui se retrouve téléportée dans la fin des années 2010. Le son est contemporain, sans que ça sonne racoleur. De la construction sérieuse sans le recours forcené à des gimmicks « tendance ». On ne trouve pas dans « Kiwanuka » de voix passées à travers des vocoders, ni ces insupportables sonorités métallisées et totalement déshumanisées qui font la joie (?) des tiktokeurs …


Pièces de choix, l’inaugural « You ain’t the problem » très Stevie Wonder déjà évoqué, avec son rythme à la « Another star ». « Rolling », un des nombreux singles suit, c’est beaucoup plus syncopé et mené par une phénoménale ligne de basse. « Piano joint » est une ballade soyeuse très soul 60’s et « Hero » est pour moi la pièce majeure du disque avec sa voix légèrement voilée et éraillée, qui se promène au début sur une ambiance très folk, avant qu’un riff voisin de celui de « All along the watchtower » (version Hendrix) n’emporte le titre dans un tourbillon psyché-soul du meilleur effet.

Michael Kiwanuka est capable de faire rugir les guitares sur « Hard to say goodbye », dommage que le morceau soit trop alambiqué et surchargé, de livrer de grosses performances vocales (sur « Final days », ballade bluesy sur rythmique hip-hop, si-si, ça fonctionne même si c’est pas absolument renversant ; ou encore sur « Solid ground » qui débute dépouillé avant un crescendo symphonique).

Quelques titres sont plus dispensables (une paire de – heureusement – assez courts instrumentaux), surtout parce qu’ils semblent avoir du mal à se démarquer de modèles évidents (« Living in denial » trop Wonder ou « I’ve been dazed » un peu beaucoup Beatles « Hey Jude »).

Pour un disque et un genre dont a priori j’attendais pas grand-chose, belle et agréable surprise. Bonne réception Outre-Manche (le Mercury Prize, Prix Goncourt musical des British), beaucoup moins d’emballement ailleurs (une promotion et une défense sur scène contrariées par le Covid).


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