HOWARD HAWKS - LE GRAND SOMMEIL (1946)


 Mystères ...

Il y a une anecdote fameuse sur le film qui résume bien le résultat final. Brainstorming entre Hawks et les scénaristes (dont William Faulkner, futur Prix Nobel de littérature, ce qui prouve qu’il savait écrire, et on peut supposer qu’il savait aussi lire) sur un personnage secondaire. Que devient-il dans l’histoire, il a disparu du scénario ? Est-il mort (et si oui qui l’a tué), s’est-il suicidé (et si oui pourquoi). Toute la bande sèche et en désespoir de cause, décide de téléphoner à Raymond Chandler, l’auteur du roman éponyme adapté. Qui après moultes hésitations et réponses invraisemblables, finit par avouer qu’il en sait foutre rien de ce qu’est devenu ce type, il l’a « oublié » dans le roman, au profit d’autres développements et intrigues …

Bacall, Bogard, ?, & Hawks

Autrement dit, si vous avez tout compris à « Mulholland Drive » ou si le « Le faucon maltais » (avec Bogart dans le rôle principal) n’a aucun secret pour vous, tentez de suivre les intrigues de « The big sleep » (« Le grand sommeil » en V.O.). Bon courage …

La première demi-heure, ça va, on y arrive. Le quart d’heure suivant, on se gratte l’occiput en se demandant mais ‘tain qui sont ces gens, qu’est-ce qu’ils foutent, et quel est le rapport avec l’histoire initiale ? Au bout de trois-quarts d’heure (peu ou prou à la moitié du film), on lâche l’affaire, on compte les morts, les clopes fumées par Bogart, les pelles roulées à Bacall, en attendant que « The end » s’affiche à l’écran …

Il n’empêche, « Le grand sommeil » est un film qu’on peut voir et revoir. Parce qu’il y a un rythme effréné, un feu d’artifices de répliques, plein de vamps qui allument Bogart, et plein de petits et de grands truands qui veulent l’occire. Parce qu’il réunit le couple à la ville Bogart-Bacall, et parce qu’il y a Howard Hawks à la mise en scène.

Hawks, c’est le man next door, le type à qui tu foutrais pas un coup de pompe quand tu le vois et l’entends et qui a signé des chefs-d’œuvre d’un éclectisme qui laisse pantois (des polars, des comédies avec Cary Grant un de ses acteurs fétiches, des films noirs, des westerns, …).


Parenthèse : il y a une édition Dvd du « Grand sommeil » dite collector, avec un Dvd de bonus comprenant quasiment une heure d’interview de Hawks en 1973 où il revient sur ses films, les acteurs qui l’ont accompagné, sa méthode de travail. Et une biographie d’une heure et demie de Bogart par Lauren Bacall (et quelques autres qui l’ont bien connu) tout à fait passionnante. Et comme personne a rien compris au film et se débarrasse du Dvd, cette édition est facile à trouver pour le prix d’une bière pression, et vaut largement l’acquisition …

Hawks, c’est la théorie du remplissage maximum. Pas de temps morts, toujours du mouvement, de l’action, des dialogues à vitesse supersonique, de l’humour, de la romance, et la recherche perpétuelle de l’attitude ou de la réplique qui vont marquer la scène. Et plus que tout, c’est lui qui le dit, l’indépendance (il n’a jamais été sous contrat avec une major, il n’en a toujours fait qu’à sa tête, ce qui explique son éclectisme, mais aussi le fait que « Le grand sommeil » ait été amputé de plusieurs scènes et personnages, un couple homo, une histoire de photos porno, le tout semble t-il disparu à jamais, autant d’éléments supprimés qui faciliteraient – ou pas – la compréhension de l’ensemble ).

Pour « Le grand sommeil », il a son histoire (le bouquin de Chandler, l’adaptation de son pote Faulkner (et de deux autres co-scénaristes), et sa star, Humphrey Bogart. Qui n’était pas son premier choix, mais surtout pas un mauvais choix. Bogey est le détective Philip Marlowe, chargé d’une affaire par un vieux général invalide, qui veut faire cesser un chantage sur sa fille cadette, une allumeuse décérébrée. Marlowe s’occupera de cette affaire, mais aussi d’autres qui concernent la sœur aînée, jouée par Lauren Bacall.


Bogart – Bacall, c’est un des couples (à la ville et à la scène, ils se marieront trois ans plus tard) les plus mythiques du cinéma. Lui, costaud, le regard noir, clope au bec et verre à la main, qui s’éternise pas en discussions, balance une mandale ou sort un flingue. Elle, vingt cinq ans de moins, longiligne au regard de velours et aux répliques cinglantes. Cherchez une image de Bacall sur le web, vous obtiendrez tout en haut de la liste celle où elle est avec son ensemble pied-de-poule noir et blanc, tirée du « Grand sommeil ». En fait, si ce couple est devenu mythique, c’est pas parce qu’ils ont beaucoup tourné ensemble (seulement quatre films, « Le port de l’angoisse », « Le grand sommeil », « Key Largo » et l’oubliable « Les passagers de la nuit »), c’est plutôt à cause de l’alchimie qui se mettait en place devant la caméra, surtout comme ici où ils jouent des personnages totalement dissemblables. C’est cette opposition contrastée qui donne toute sa saveur au film, et Bogart, souvent monolithique dans ses rôles, n’est vraiment excellent que dans ces situations (comme avec Ingrid Bergmann dans « Casablanca » ou Katherine Hepburn dans « African Queen »).

Devinez qui va mourir à la fin de la scène et pourquoi ...

Hawks, en gentleman, ne dit pas s’il connaissait leur liaison préalable, mais a surtout choisi Bacall parce qu’elle était sous contrat exclusif avec lui (s’il ne voulait signer avec personne, il ne rechignait pas à proposer des contrats que l’on peut supposer léonins aux jeunes acteurs et actrices qu’il repérait). Le reste du casting importe peu, et on voit dans le jeu des seconds rôles toutes les lacunes d’un scénario auquel ils n’ont rien compris (celui qui est au centre de la scène y va à fond, c’est son moment de gloire, les autres ont l’impression de se demander ce qu’ils foutent là).

« Le grand sommeil » (personne ayant participé à cette aventure n’est capable de dire ce que signifie le titre par rapport à ce que l’on voit à l’écran) tout incompréhensible qu’il soit, accumule tous les éléments (le détective, la femme fatale, le fric, les truands, les affaires familiales, les intrigues compliquées, les rebondissements, …) qui définissent le film noir.

C’est pour cela qu’il a une belle réputation. Justifiée par la mise en scène de Hawks, et le beau numéro d’acteurs de Bogart et Bacall. Pour le reste, l’intrigue palpitante qu’on se plaît à suivre, vaut mieux aller voir ailleurs …


Du même sur ce blog :



2 commentaires:

  1. Un paquet d'années que je ne l'ai pas revu. Il parait qu'il existe une version intégrale, celle avec les scènes coupées dont tu parles ? Il fait partie je pense des ultra-classiques du Film Noir, et du sous-genre "détective", que je trouve plus passionnant que "Le Faucon maltais". Le rythme du film est hallucinant, Hawks était aussi un maitre de la screwball comedy (ce qui est marrant, c'est que ses westerns sont au contraire assez lents). Effectivement, on n'y comprend rien. Je connaissais l'anecdote, racontée par je ne sais qui, différemment : après le "coupez !", Bogart va voir Hawks pour lui demander "euh, à propos, le gars que je retrouve mort sur la jetée, qui l'a tué" ? Hawks répond : "je ne sais pas, va voir Faulkner, c'est lui qui a écrit le scénario". Et Faulkner de répondre ensuite à Bogart :" je ne sais pas, demande à Chandler, c'est lui qui a écrit le bouquin" ! Et Chandler de répondre, comme pour se débarrasser d'une question gênante : "euh, c'est le majordome"... Et apparemment, pour des raisons de temps, Hawks avait demandé à ses scénaristes d'adapter chacun un chapitre, toi les pairs, toi les impairs, et ils ont tout rassemblé ensuite !

    Y'a aussi une explication au fait que l'intrigue soit si tortueuse. Chandler écrivait des nouvelles, des feuilletons, puis les compilait pour sortir un roman, pressé par son éditeur. Du coup, plusieurs intrigues irriguent ses livres. Petite anecdote : lorsque je me piquais d'écrire des scénarios, j'avais mis la main sur une nouvelle de Chandler, que j'avais adaptée au temps présent, et en France. Franchement, j'étais content de moi. Et je découvre "Le Grand sommeil" au cinéma. Et là, horreur ! Une partie du film était la réplique de mon scénario ! Mes trente feuillets sont partis à la poubelle... Chandler avait intégralement replacé une nouvelle à lui au milieu de "The big sleep".

    Vendredi, sur le Déblocnot, je cause de "le Privé" d'Altman, autre adaptation de Chandler. Les grands esprits se rencontrent...

    RépondreSupprimer
  2. L'histoire du coup de fil à Chandler, c'est Hawks qui la raconte dans les bonus. Ce qui ne veut pas forcément dire que c'est la vérité vraie (si la légende est plus belle que le réalité, alors imprimez la légende). La version "longue", je sais pas si elle existe, j'ai pas trouvé trace de support physique qui la présenterait.
    Oui, "le grand sommeil" bien que totalement incompréhensible, est plus "facile" que "le faucon maltais". et comme tu le soulignes, à cause du rythme effréné qui est la patte de Hawks, et notamment de ses superbes comédies à trois mille à l'heure avec Cary Grant (l'impossible M bébé, la dame du vendredi).
    Jeter un scénario parce qu'il ressemble à quelque chose de déjà fait ... ça t'honore, mais c'est pas la norme dans le milieu de la création artistique où l'essentiel n'est que pillage, hommage, pastiche, ...

    RépondreSupprimer