ALFRED HITCHCOCK - L'HOMME QUI EN SAVAIT TROP (1956)

 

Sauvé par le gong ?

Ou plus exactement par les cymbales (celles du London Symphony Orchestra), lors d’une scène à l’interminable tension … et comme (trop ?) souvent, je vais aller à contre-courant des affirmations données comme définitives.

L’on vous dira que « L’homme qui en savait trop » est un des classiques absolus d’Hitchcock. Parce qu’il est à peu près pile au milieu de sa décennie fabuleuse (les années 50), et que c’est sa énième collaboration avec cet immense acteur qu’est James Stewart. Jusque-là, rien à dire … c’est une fois « The End » écrit sur l’écran qu’on peut tirer le bilan de ce que l’on vu, entendu et ressenti pendant près de deux heures.

Moi, « L’homme qui en savait trop » me laisse une impression mitigée. Celle d’être un peu en roue libre. « L’homme … » n’est pas une création originale, c’est un remake d’un film du même nom que Hitchcock avait tourné dans les années 30, et qui n’avait guère imprimé auprès du public. C’est aussi contractuellement le dernier film que Hitchcock devait à la Paramount, ceci expliquant peut-être cela …

Image rare : Hitchcock en chemisette sur le tournage ...

Avant même les premiers tours de manivelle, beaucoup de choses sont déjà établies. Les grandes lignes de la première version seront conservées (on voit dans les bonus un peu foutraques du Dvd des scènes, des plans, refaits à l’identique), la musique (qui prend une place déterminante vers la fin) sera remaniée par le complice sonore habituel Bernard Herrmann qui jouera même son propre rôle de chef d’orchestre, et le rôle principal sera tenu par James Stewart.

Partant de là, il faut compléter le casting, et organiser un tournage sur deux pays, le Maroc et l’Angleterre (l’action s’y déroulant à peu près à parts égales). Le rôle féminin principal est confié à Doris Day, chanteuse américaine de variété assez populaire (parce qu’un morceau chanté s’avèrera essentiel lors du dénouement, tant vaut-il avoir une actrice qu’il n’y a pas besoin de doubler au chant, et qui plus est, Doris Day est naturellement et forcément blonde, critère déterminant pour un premier rôle féminin chez Hitchcock). Le reste du casting est tout simple, les moches sont les méchants et les plutôt mignons les gentils, et ça finit par devenir un procédé prévisible (le tueur, joué par Reggie Nalder, habitué des seconds rôles de « mauvais », a une bobine qui ne s’oublie pas) …

Doris Day & James Stewart : les époux McKenna

On suit donc les pérégrinations d’une famille américaine, les McKenna, le père, médecin (Stewart), la mère, chanteuse classique « retraitée » depuis son mariage (Day), et leur gosse d’une dizaine d’années. Ils sont en vacances au Maroc et les premières minutes nous les montrent en complets bisounours, c’en est même assez gênant tant tous les clichés et les tics d’acteurs de sitcom semblent de la partie (à noter qu’au Maroc, Hitchcock avait interdiction de tourner pendant le ramadan, ce fut un perpétuel contre-la-montre, et ça fait parfois un peu trop carte postale)… se met ensuite en place l’intrigue, la rencontre avec un espion français (Daniel Gélin) qui finira poignardé mais aura le temps de révéler au toubib une tentative d’assassinat de haut dirigeant étranger à Londres. Et ceux qui sont derrière le complot kidnappent le gosse pour que le père ne s’occupe pas de ce qui ne le regarde pas … Et voilà donc notre toubib du Midwest (Indianapolis) et sa moitié qui vont se transformer en James Bond du dimanche, et partir à Londres pour retrouver leur mioche et accessoirement déjouer l’attentat … Et la partie anglaise du film relève techniquement le niveau, Hitchcock est dans son élément, c’est beaucoup plus chiadé niveau visuel.

Mais c’est aussi là que le maître du suspense passe un peu à travers. Parce qu’on connaît au fur et à mesure du film tous les protagonistes et leurs enjeux et qu’il n’y a guère de surprises dans le déroulement du scénario. Ainsi, dans la fameuse (et très longue scène) au Royal Albert Hall lorsque l’attentat doit être commis au moment d’un grand coup de cymbale dans l’orchestre, la seule question qui se pose est de savoir lequel du toubib ou de sa femme va empêcher le crime … et l’épilogue, cousu de fil blanc, de la libération du gosse, nous montre des revirements d’attitude (la kidnappeuse) et une naïveté (son pasteur de mari) assez peu raccord avec l’image dure et impitoyable qu’ils avaient jusque-là …

Ce qui laisse aussi une impression mitigée, c’est le parti-pris de Hitchcock de donner des respirations humoristiques voire franchement comiques. Témoin le quiproquo sur le jeu de mots (ça marche moins bien en français) Ambrose Chapell et Chapelle Ambrose, qui voit Stewart s’embrouiller avec un taxidermiste jusqu’à une bagarre-mêlée au ralenti. Témoin aussi la très réussie scène au restaurant marocain qui voit le même Stewart desservi par sa grande taille (plus d’un mètre quatre-vingts dix) et s’emmêler les jambes (pour s’assoir) et les doigts (pour manger). Perso, ce qui m’a fait le plus sourire c’est dans la première scène quand toute la famille McKenna s’extasie en apercevant du car un chameau. Euh … il aurait fallu dire au scénariste qu’un chameau à une bosse ça s’appelle un dromadaire … Ce mix de dramaturgie et de comédie se fera sa place dans la dernière partie de la filmographie du Maître, mais là c’est pas encore au point, les scènes comiques font un peu pièce rapportée, elles se situent totalement en dehors de l’intrigue …

Entre les cymbales : Bernard Herrmann

D’autres choix seront plus judicieux. Doris Day, sur laquelle beaucoup avaient des doutes (c’était une quasi débutante au cinéma, elle y prendra goût) tire plutôt bien son épingle du jeu, et n’est pas ridicule loin de là dans les scènes « difficiles » comme celle où Stewart lui apprend l’enlèvement de leur fils. Et puis elle a fait d’une pierre deux coups, se positionnant comme une actrice crédible et obtenant un de ses plus gros succès de chanteuse avec l’interprétation de « Que sera sera » créée pour l’occasion. Ritournelle évidente (mais fallait l’écrire) très « mélodie du bonheur » devenue depuis un classique. Pour l’anecdote, même le Keith Richards punk Johnny Thunders en livrera une version (calamiteuse) au milieu des années 80 …

Pour finir un film d’Hitchcock se doit de nous le montrer lors d’une fugace apparition. Ici, on le voit juste de dos sur le marché de Marrakech en train de regarder une troupe de saltimbanques …

Conclusion, « L’homme qui en savait trop » est pour moi un film plaisant, mais pas une masterpiece d’Hitchcock …


Du même sur ce blog :

Fenêtre Sur Cour

Frenzy


8 commentaires:

  1. Nous sommes donc deux à le penser. C'est un Hitchcock moyen (comme "La Main au collet" ou "Qui a tué Harry" qui fait figure d'ovni) avec parfois une bonne scène, je pense à celle dans l'église, avec la quête, l'assassinat de Gélin. C'est de ses films celui que j'ai montré en premier à mes gamins, pensant qu'ils accrocheraient à cette histoire d'enfant kidnappé. Mais que le temps semble long... La description du Maroc folklorique est presque insupportable à regarder aujourd'hui. Hitchcock a presque toujours mis des scènes comiques dans ses films, hormis dans "Vertigo" sans doute, dont la tonalité est plus sombre, autant ça fonctionne dans "Fenêtre sur cour" ou "La Mort aux trousses", autant là ça plombe un peu l'ensemble. Autre souci, la version française, où les prénoms sont francisés, on entend donc James Stewart crier après "Alain" tout le film, c'est horripilant. Pourtant, un charme s'en dégage, et même si on en connait l'épilogue, il se regarde avec plaisir.

    J'ai revu et écrit récemment sur "Notorious", que je considère comme un des plus beaux avec "Vertigo", sur le podium, c'est certain. Reste à trouver le troisième... "L'Ombre d'un doute" ? "La Mort aux trousses" ?

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    1. Mon top 3 d'Hitchcock ? Notorious, la matrice et déjà l'aboutissement de toute sa filmo, La mort aux trousses, son classique " grand spectacle", Fenêtre sur cour le plus pervers ... et pas loin derrière Vertigo et l'inconnu du Nord Express

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  2. Cette seconde version (je n'ai toujours pas vu la première avec Peter Lorre) m'est insupportable. Je crois que c'est mon premier Hitchcock quand j'avais 13 ou 14 ans. J'avais bien aimé à l'époque. L'ai revu cette année sur une chaîne publique, et là, le verdict tombe : y a beaucoup de lourdeurs, comme le souligne Luc. Mon top 5 :
    1) Vertigo 2) Psychose 3) L'ombre d'un doute 4) L'inconnu du Nord Express 5) Les enchaînés (Notorious)... Mais parfois les numéros changent (le 5 devient 1 ou 2, etc.) ;) ;)
    freddie

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  3. Hello freddie
    A la réflexion, je me demande si plutôt que les qualités intrinsèques, c'est pas l'âge du film qui est son principal handicap. Il est pas terrible aujourd'hui parce qu'il a mal vielli.
    Y'a les mêmes phénomènes en pop-rock-machin, des choses géniales dans leur contexte il y a des décennies sont pénibles à écouter aujourd'hui ...

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  4. En jazz, idem. Des trucs qui ont mal vieilli. Sauf chez Bird, bien sûr... ;)

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  5. Est-ce les oeuvres, musicales ou cinématographiques, qui ont mal vieilli, ou ceux qui les écoutent ou les regardent ? Vous avez trois heures, pas plus de deux copies...

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  6. Mot clé : Principe d'incertitude ;)

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  7. Le principe d'incertitude ? Que vient faire Manoel de Oliveira là-dedans ?

    Sinon, pour la dissert, les noms clés sont Catherine Deneuve et Brigitte Bardot ...

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