Il a toujours fallu de tout pour faire un monde
(immonde). Et l’histoire de notre morceau de caillou et d’eau qui se réchauffe
est pleine de tristes figures qui ont passé l’essentiel de leur vie à répandre
le sang de leurs semblables. Et il y en a un dont le nom clignote plus fort que
tous les autres, celui qui incarne le Mal absolu, Tonton Adolf … Le sale type
de tous les records (des millions de types morts à cause de lui, d’un de plus dégueulasses
régimes politiques mis en place, …), celui qui a servi à l’invention du point
Godwin …
Hirschbiegel, Lara & Ganz |
Il a fait des choses pas bien du tout, Hitler … et
en plus il sert de paravent à tout un tas de gugusses qui valaient pas mieux que
lui, mais que l’Histoire (ou ceux qui nous la racontent) ont jugé moins pires…
Fantômes de Staline, Pol Pot, César, Napoléon, Hussein, …, dormez en paix …
fantômes des dieux au nom desquels on s’entretue depuis trois mille ans,
continuez de siéger dans vos paradis … fantômes de tous les colonialistes des
cinq derniers siècles, contemplez les ruines de vos empires… et il faudra un
jour faire le compte de tous ceux qui ont péri pour que la Chine affiche aujourd’hui
sa richesse arrogante … sans oublier ceux qui deviendront pas vieux parce qu’ils
vont crever de faim ou d’autre chose parce que d’autres qui ont déjà tout en
veulent encore plus …
Alors quand arrive en salles ou dans la télé « La
Chute », qui est certainement le film définitif mettant en scène Hitler,
tous les donneurs de leçons y vont de leur couplet, faisant la moue, hésitant
entre enthousiasme et malaise (voir les forums, blogs, revues d’acheteurs, …). What ?
ce dictateur nazi serait un homme, un type capable de sourire, de pleurer, de
se montrer aimable parfois ? Ben, a priori, c’est pas l’Alien de Ridley
Scott et Giger, il avait des parents comme vous et moi, et s’il avait eu des
enfants il les aurait aimés et aurait joué avec je suppose … ceux qui me
connaissent (ou me lisent) savent que j’ai aucune admiration pour ce sale type
ni pour ses idées nauséeuses qui s’offrent un revival et plaisent beaucoup en
Europe et ailleurs ces temps-ci …
« La Chute » n’est pas un documentaire. Ni
un film. C’est une leçon d’Histoire. Et pas l’histoire d’Hitler, ce que
beaucoup oublient lorsqu’ils causent du coup d’éclat de Oliver Hirschbiegel. « La
Chute » est centré sur la secrétaire d’Hitler, Traudl Junge, recrutée en
novembre 1942, et qui fera son job auprès de lui jusqu’à la mort de son patron
le 30 avril 1945.
Eva Braun & Hitler |
Et la vraie Traudl Junge (morte en 2002), parle au
début du film. Avec la rhétorique habituelle des exécutants de base du régime
nazi (voir leurs témoignages dans le vrai documentaire « Shoah » de Claude
Lanzmann), en gros « on était jeunes, on savait pas, on obéissait, on
aurait dû se poser des questions … ». Il y aurait beaucoup à dire sur ce genre
d’argumentaire, mais c’est pas le sujet … en tout cas pas celui du film …
Novembre 1942. Les nazis campent devant Stalingrad,
ils n’iront pas plus loin vers l’Est. Dans son bunker berlinois, Hitler
auditionne des candidates pour un poste de secrétaire personnel. La jeune Junge
(22 ans) a droit à un essai dans le bureau du führer parce qu’elle est
bavaroise (on voit que ça rappelle plein de souvenirs à Hitler). Evidemment,
toute émotionnée, elle se montre incapable de taper un texte lisible. Très calmement,
Hitler lui propose de reprendre, et elle est finalement embauchée. Traudl Junge
est incarné par l’actrice roumaine Alexandra Maria Lara et c’est un peu le
maillon faible du casting, ne quittant jamais son air soumis, souriant et ébahi,
alors que l’histoire du monde s’écrit sous ses yeux ou sort de sa machine à
écrire …
Faut dire qu’en face, il y a une performance énorme
et habitée de Bruno Ganz. Il est Hitler, et non pas un acteur qui joue Hitler. Le
mimétisme physique, même si c’est juste une affaire de bon maquillage est là
poussé dans ses moindres détails (ces tremblements parkinsoniens de la main qu’il
tient toujours derrière le dos), des terribles crises de colère entrecoupées de
séquences de calme et d’apaisement, des certitudes totalement folles dans le
contexte assénées devant une cour de dévoués qui ne pipent mot … Hitler par
Ganz est un être humain et non pas la caricature à laquelle on l’a toujours par
facilité et paresse intellectuelle réduit. Mais un être humain terrifiant,
perdu dans ses rêves de grandeur et de domination fous, prêt à sacrifier jusqu’au
dernier Allemand pour la poursuite de ses chimères … Pour aussi extraordinaire
que soit le Hitler de « La Chute », le réalisateur Hirschbiegel (quasi
inconnu jusque-là, et même après d’ailleurs …) ne tombe pas dans la facilité en
faisant reposer le film sur lui. « La Chute » n’est pas (seulement)
la fin d’Hitler, mais l’écroulement d’un monde et d’un système qu’il avait mis
en place. D’ailleurs le suicide d’Hitler a lieu trois quart d’heure avant la
fin du film (qui dure quand même deux heures et demie).
Et ce film est génial, parce qu’il s’attache certes à
raconter l’histoire des derniers jours du Führerbunker (ce terrier fortifié au cœur
du Berlin, poumon du régime nazi) et de ses occupants, mais aussi nous permet
de suivre quelques personnages secondaires, dont l’Histoire n’a pas retenu le
nom (le gamin des Jeunesses hitlériennes, décoré par l’Adolf au milieu de la
débâcle berlinoise – qui est la dernière apparition historique publique d’Hitler
– qui finit par traverser les lignes russes avec Junge).
La fiction |
et l'Histoire ... |
L’essentiel du film se passe au printemps 1945 alors
que Berlin est sous un tapis de bombes anglaises et américaines, sous le feu de
l’artillerie russe et que les soldats russes avancent rue après rue vers le
centre névralgique de la capitale allemande. Dans son bunker, Hitler au milieu
des dignitaires du régime, est le seul à croire à un retournement de situation.
Il faut le voir, cet ancien caporal dont l’audace militaire a failli lui faire
conquérir le monde, penché sur ses cartes, ordonner des offensives ou des
contre-offensives alors que les troupes en question n’existent plus, ce que
tout le monde se garde bien de lui dire pour ne pas essuyer ses terribles (et parfois
mortelles) colères. Il faut le voir rêver encore devant des maquettes du centre-ville
de Berlin qu’il avait en projet de réaménager, alors que la ville n’est plus qu’un
champ de ruines où les dernières troupes nazies essayent de résister en tuant tous
ceux qui refusent (ou pourraient peut-être refuser) cette ultime boucherie. Il
faut voir Hitler, quand il comprend que tout est perdu, refuser de capituler et
souhaitant à tous les Allemands de crever parce qu’ils n’ont pas su réaliser
son rêve idiot de suprématie mondiale … Tiens, en passant, certains ont noirci
des feuillets pour s’indigner que jamais il ne soit fait mention de la Shoah dans
le film. D’abord c’est pas le sujet du film, et ensuite il me semble bien que la
« solution finale » était un secret assez bien gardé y compris au
sein des plus hautes sphères nazies, tout le monde ne savait pas et ceux qui
savaient n’en parlaient pas …
Il y a dans « La Chute » comme un air de
déclin de l’Empire romain, avec ses scènes de beuverie dans le bunker (pas l’Adolf,
il était strictement végétarien et ne s’accordait que quelques gorgées de vin),
et ses fêtes (je vois pas d’autres mots) dont l’instigatrice principale était
Eva Braun, la maîtresse qui deviendra sa femme la veille de leur suicide
commun. Personnage étonnant (elle était bien plus jeune que lui, insouciante et
gaie d’apparence, passant son temps à fumer, picoler et danser et entraînant
les militaires de garde ou les dignitaires de passage dans ses folles
sarabandes que n’interrompaient pas les déflagrations assourdies des bombes …).
La famille Goebbels |
Mais les scènes les plus saisissantes sont celles
qui mettent en scène la famille Goebbels. Lui est joué par Ulrich Mattes, un acteur
dont le seul fait d’armes si j’ose dire était des apparitions récurrentes dans
la série policière au ralenti Derrick. Goebbels est austère, taiseux, et
chacune de ses apparitions fait froid dans le dos. Il sera l’héritier d’Hitler
après les défections (trahisons dit-on dans le bunker) des guère reluisants
Himmler et Goering. Son royaume en ruines ne survivra que de quelques jours à
la mort d’Hitler, le temps de la scène la plus effrayante du film, sa femme tuant
(en leur faisant gober une ampoule de cyanure alors qu’ils sont sous sédatifs)
leurs six enfants avant que le couple ne se donne la mort (il la tue d’une
balle en plein cœur avant de se faire exploser la tête). Une scène d’infanticide
interminable, exécutée avec une froideur et une lenteur hallucinantes.
L’atmosphère sinistre et sordide (les décors d’un
bunker, fait de béton armé, ne donnent certes pas un air de fête foraine au
film) est renforcée par la quasi absence de musique (des gros plans, des paroles,
des actes, au milieu de scène de guerre et de boucherie militaires plutôt
réalistes).
On a vu quantité de films sur la Seconde Guerre
Mondiale, le régime nazi et Hitler. Dont quelques-uns d’excellents. Personnellement,
je n’en ai vu que deux qui retournent les tripes et qui reviennent me hanter
alors que le Dvd est depuis longtemps rangé. « La Chute » est l’un
des deux. L’autre, c’est « Requiem pour un massacre » de Klimov …