Putain d’étrange affaire que ce disque, né d’une
collaboration inattendue, mais pas improbable. Les deux ont depuis une
vingtaine d’années que leur carrière a commencé abordé tellement de genres,
tenté (avec plus ou moins de bonheur) tellement d’expériences, que retrouver
leurs deux noms accolés sur la pochette d’un disque n’est pas a priori une
bizarrerie.
Elle, Karen O (O pour un nom polonais imprononçable
hérité de son père, sa mère est sud-coréenne, ce doit pas être mieux pour nous
occidentaux francophones) est surtout connue pour être la chanteuse des Yeah
Yeah Yeahs, groupe new yorkais post rock-punk-new wave, enfin post tout ce que
vous voulez… Look garçon manqué à la Chrissie Hynde, présence scénique
détonante, des premiers disques au début de ce siècle remarqués sinon
remarquables, et une relative disparition des radars depuis quelques années.
Karen O & Danger Mouse font la gueule |
Lui, difficile de passer à côté. Des débuts comme Dj,
avec une polémique initiale, des procès pour un mix osé (« The Grey album »)
entre Jay-Z (« Black album ») et les Beatles (« White
album »), avant que les collaborations prestigieuses et les montagnes de
dollars s’enchaînent à une cadence infernale (le gros carton de son
« groupe » Gnarls Barkley, des productions pour Gorillaz, Adele, U2,
Red Hot Chili Machin, Norah Jones, sans parler de son travail avec les Black
Keys dont il est de fait le troisième membre depuis le virage sinon commercial,
du moins radio friendly du duo barbu).
Généralement, quand deux célébrités travaillent ensemble,
on a droit à un partage poli et diplomatique du territoire sonore, pour ne pas
décontenancer et perturber le fan de l’un des deux qui passerait par là. Sans
être un exégète des œuvres de la demoiselle et du monsieur, il me semble bien
qu’ils n’avaient pas fait grand-chose qui ressemble à ce « Lux
Prima ».
Qui, autant le dire d’entrée, est un disque fantastique,
comme il n’en sortira certainement pas une poignée cette année. Parce que
« Lux Prima » est un disque pour les vieux plutôt que pour la
génération Spotify - Kendji Girac. Ca tombe bien, je suis vieux, et j’ai jamais
écouté plus de dix secondes un putain de morceau de Kendji Truc, et j’ai détalé
au premier streaming attrapé sur Spotify (ou Deezer ou iTunes ou tout ce que
voulez dans le genre), ces minables mp3 qui sont à la musique (et
accessoirement au rock) ce que François de Rugy est à la conviction politique …
Donc je suis vieux et j’emmerde la jeunesse (et l’affront national) et j’ai
trouvé génial « Lux Prima ».
Karen O & Danger Mouse sont heureux |
Parce que cette rondelle brillante fourmille de
références. Sans que ça sonne une seule seconde passéiste ou revivaliste.
Normal, le Danger Mouse doit passer trente heures par jour en studio, il a
dépassé le stade d’essayer de sonner comme les 13th Floor Elevators de 1966. Le
type est capable de sortir des mélodies atmosphériques (on disait planantes il
y a quarante ans) et le titre d’après d’envoyer un rock minimaliste sur fond de
percussions tribales. En utilisant des claviers high tech, certes, mais au fil
des morceaux on le retrouve à la batterie, à la basse, aux guitares
(acoustiques et électriques), au Wurlitzer, au mellotron,… Lui et la Karen (aux
vocaux évidemment, mais aussi épisodiquement aux guitares et aux synthés) se
sont même adjoint les services d’une section de cuivres et de cordes. Toutes
ces possibilités sonores utilisées avec parcimonie, un bon goût et une classe
jamais démentis (on est plus proche de Nick Drake que de Berlioz, if you know
what I mean …).
Alors par ordre d’apparition dans la stéréo on a droit à
« Prima Lux » (le morceau), quasi instrumental, lent, doucereux,
découpé en quatre parties évoquant Pink Floyd, Cocteau Twins, Dead Can Dance …
Totalement improbable mais captivant. Suit « Ministry », le genre de
titres que Kate Bush (ou son avatar polaire Björk) n’a plus écrit depuis une
éternité. Précision, on est dans l’inspiration pas dans la copie, la voix de
Karen O et de la Babooshka n’ont rien en
commun, hormis une sensualité insidieuse. On semble parti après ces deux titres
vers une atmosphère contemplative, genre new age haut de gamme.
Ben pas du tout. Se pointe un funk discoïde au ralenti (« Turn the light »), qui
marche sur des terres jadis foulées par des gens comme Chic ou Donna Summer. Arrive
ensuite un rock primaire (« Woman », rien à voir avec le titre de
Lennon), pour ne pas dire primitif, rempli de percus tribales, un peu comme si
les White Stripes en leur âge d’or avaient trouvé des synthés dans leur studio
et s’en étaient servis, ou si les Black Keys étaient retournés vers leurs trucs
rêches et abrasifs.
Et tout le reste du disque multiplie les idées
originales, les arrangements malins, les mélodies éthérées, la seconde partie
du disque est plus calme, pas forcément moins intéressante. « Redeemer »
mélange rythme rock et refrain raggamuffin, « Down » part dans tous
les sens et réussit à garder une cohérence et un fil conducteur remarquables,
la Karen O susurre à la façon de Debbie Harry une pop étincelante (« Leopard’s
tongue »). « Rêveries » est un titre qu’aurait aimé trouver Patti
Smith même si finalement dans l’ambiance et la partie vocale il y a des faux
airs du « Working class Hero » repris par Marianne Faithfull. Le
dernier titre « Nox Lumina » est le contrepoint du premier, manière
de boucler la boucle, et que le grand cric me croque si la partie chantée n’emprunte
pas la mélodie (ralentie) de « Comment te dire adieu ».
Danger Mouse par sa polyvalence instrumentale et son
apparente facilité à aligner sons et mélodies qui s’incrustent en deux écoutes
au plus profond du cerveau place la barre très haut, rejoignant dans l’excellence
les quelques rares sorciers de studio ayant réussi à sortir sous leur nom des
disques audibles (comme au hasard le Brian Eno des seventies avant qu’il vire
gourou conceptuel pénible). Karen O surprend par l’étendue de son registre
vocal, s’adaptant à quantité de styles, toute en émotion sensuelle, à l’opposé
de toutes ces Castafiore sans âme qui encombrent le marché …
Grand et beau disque …
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerJe reprends, j'avais oublié le "d'"
SupprimerDanger Mouse a aussi collaboré avec James Mercer (The Shins) pour créer Broken Bells. Leur 1er album (2010) est très recommandable grâce à des compos inspirées et la voix chaude de Mercer. Les suivants sont à chier...
Très agréable ce Lux Prima, effectivement Mouse est balèze pour les atmosphères (est-ce que j'ai une gueule d'atmosphèèère?)...
Je connais pas ces collaborations mais j'ai un disque des Shins dont j'ai oublié le titre qui est très bien dans mes souvenirs, de la bonne pop énergique ...
Supprimer