COCOROSIE - LA MAISON DE MON REVE (2004)

Le folk version Comtesse de Ségur ?

Bon, va falloir faire gaffe à ce que je vais écrire. Parce qu’en ces temps hashtagués de porcs à balancer, de flics qui pourront te foutre une prune parce que tu mates le cul ondulant d’une meuf dans la rue, faut rester le doigt ( !) sur la couture (extérieure) du pantalon. Ou alors on va t’accuser d’être pote avec la diabolique Cathy Deneuve (vous trouvez pas qu’elle a encore grossi ?), ce qui à tout prendre (mais non, pas de double sens) vaut mieux que l’être avec toutes ces féministes moches, mal draguées et mal b… oups, j’ai failli faire une Weinstein … ou une Trump …

CocoRosie, alors … deux petites minettes qui semblent se galocher sur la pochette et … oh, putain, je recommence …
CocoRosie, ce sont deux sœurs. Dont l’une ne s’appelle pas Coco et l’autre pas Rosie, ce serait trop simple. Deux  jeunettes avec un passeport ricain, filles d’un couple de baba cools bohêmes (pléonasme), élevées séparément et qui, attention, fairytale à verser une larme, se retrouvent dans une chambre de bonne de Montmartre, et vivent adultes la sororité qu’elles n’ont pas partagé durant leurs jeunes années. Hein ça donne pas envie d’en écraser une (de larme) ? Comme elles ont quand même dépassé l’âge de jouer à la poupée, elles vont jouer à faire un disque. Avec les moyens du bord, ceux que tu as quand tu partages une chambre de bonne sous les toits parisiens, c'est-à-dire aucun.
Bon, ça s’entend que c’est un disque de fauchées. On a droit à tous les poncifs de la vraie vie qui s’immisce sur la musique (les klaxons des bagnoles, les téléphones qui sonnent, la pluie sur le velux, les casseroles qui servent de batterie, les instruments MIDI d’occase que joues d’un doigt malhabile et que tu branches à un Pentium essoufflé, les approximations mélodiques et vocales, and so on …). « La maison de mon rêve » (comme quoi on peut reconnaître aux deux frangines un certain sens de l’humour, même si ça claque moins que « Dreamhouse »), est un disque tout ce qu’il y a d’approximatif. Ce qui le sauve la plupart du temps, c’est que cette approximation semble plutôt naïve que délibérée.

Bizarrement, ce disque sortira sur le label Touch And Go, pas vraiment réputé pour ses artistes maniant à longueur de journée calembours et jeux de mots dans la bonne humeur (Rollins Band, Slint, Big Black, Rapeman, …). Encore plus bizarrement, toute une faune musicale marginale voire étrange, genre le gourou folk new age Devendra Banhart ou le (la ?) transgenre leader d’Antony & The Johnsons (deux qu’on retrouvera par la suite régulièrement sur les rondelles de CocoRosie) s’entichent des deux sœurs chantantes …
Faut avouer que « La maison … » n’est pas rebutant. Folk dépouillé comme tous les fauchés sont obligés de faire depuis Woody Guthrie, mais pas forcément austère et rêche. Plutôt le contraire, d’ailleurs, c’est souvent gai, enjoué au niveau du rythme, même si le propos est parfois moins drôle. Il est toutefois recommandé d’apprécier fortement Kate Bush (ou Bjork et Tori Amos si l’on préfère les copies aux originales), à cause de la voix crispante dans les aigus d’une des deux sœurs (comme quoi, monter dans les aigus peut s’avérer pénible si derrière y’a pas quelques octaves pour nuancer). Il est aussi fortement recommandé d’accrocher dès le premier titre parce qu’ils ont tendance à se ressembler, construits à peu près tous sur le même tempo et les mêmes gimmicks.

Ça tombe bien, car pour moi les meilleurs morceaux sont au début du disque, on sent à la longue l’essoufflement de la formule qui vire redite. Même si le disque se finit sur le titre le plus émouvant (« Lyla ») qui parle de Yougos kidnappeurs d’enfants, hymne de guingois à la fin de l’innocence, ou réalité vécue (en vrai ou par procuration ?) qui vient tirer de la somnolence dans laquelle on finit par s’installer … Parce que rien dans le cœur de « La maison … » n’égale la triplette introductive. « Terrible angels » place le décorum sonore, à base de bruits parasites et de voix en contrechant surimposées approximativement, sans que l’on devine si c’est fait exprès (très certainement) ou si c’est du grand n’importe quoi. En tout cas, ce premier titre attire et l’oreille et l’attention … « By your side », est aussi d’une simplicité touchante, suffit de dépasser l’aspect version gag de « Wuthering Heights » avec sa voix suraigüe et son instrumentation cheap. Le faussement simplet « Jesus loves me » cache une subtilité douce-amère derrière ses airs de comptine neuneu, c’est à mon sens le meilleur morceau de la rondelle.
Par la suite, on dresse l’oreille sur un « Tahiti rain song », bruitisme zen et morceau genre Tom Waits sous hélium, on finit par ranger après écoute attentive « Madonna » (qui n’a rien à voir avec la material girl ou la Lady des Beatles, mais est une ode à la femme du charpentier), dans la catégorie des sous « Hallelujah » (Cohen) ou « Presence of the Lord » (Blind Faith) …
Et on attend la fin du disque en se disant que c’est pas trop mal ce qu’on entend, mais bon, qu’il serait temps de revenir à des choses plus sérieuses et un peu plus énergiques.
Et à la question que tout le monde ( ? ) se pose, à savoir pourquoi l’une des deux frangines se maquille en se dessinant une moustache sur bon nombre de photos, j’ai pas la réponse. Et je la cherche pas d’ailleurs …



BEECHWOOD - SONGS FROM THE LAND OF NOD (2018)

East - West ...

Selon la Bible, la Terre de Nod est située à l’Est d’Eden. Je vois à votre mine ébahie que vous savez pas ou est l’Eden, alors ce qu’il y a à l’Est, hein … Remarquez, j’en sais pas plus que vous, je lis pas l’Ancien Testament tous les matins. Ce que je sais, c’est que les Beechwood sont de New-York, donc de l’Est des Etats-Unis. Mais qu’ils sont aussi un peu à l’Ouest. Mais non, pas de Los Angeles ou San Francisco, à l’Ouest quoi, autrement dit ailleurs … Vous pigez ? Pff, c’est bon, laissez tomber …

Heureusement, maintenant que le vinyle revient à la mode, on fait des pochettes qui parlent, qui en disent parfois plus long qu’un discours vaseux. Et que voit-on, sur celle de « Songs from the Land of Nod » ? Trois gugusses qui prennent la pose sur un trottoir, au ras du caniveau, attifés comme des New York Dolls version Emmaüs. Le grand blond en rouge et noir (no Jeanne Mas fan) se fait appeler Gordon Lawrence, c’est lui qui écrit tous les titres et joue de la guitare, en se prenant pour Johnny Thunders, Tom Verlaine ou Lou Reed (au hasard - enfin, non, pas au hasard - trois newyorkais). Le métèque à l’Ouest, enfin, à gauche, c’est son pote batteur, plus tatoué qu’une Amy Winehouse qui serait devenue centenaire. Au milieu, le bassiste prétend se prénommer Sid, ça vous pose un bassiste, n’est-ce pas …
Ces trois déglingués par une vie sociale ricaine apparemment pas faite pour eux, sortent donc un disque aussi bordélique que leurs références et que leur parcours dans la vie, si l’on en croit une bio (plus vraie que nature ?), sorte de chanson de geste du zonard post X Generation.
L'art de se faire remarquer vestimentairement
Leur musique leur ressemble, débraillée, dépenaillée, mais pas honteuse, s’assumant et assumant ses influences. Le Velvet et sa multiple descendance, les Dolls et les Heartbreakers de Thunders, les punks, le rock garage, et les drogues qui aident à faire la musique pour des gens qui aiment à écouter cette musique en prenant des drogues (merci Spiritualized). Autrement dit, avec les Beechwood, on avance au moins d’une demi-décennie par rapport au gros de la production actuelle, faite par des types au calendrier spatio-temporel bloqué entre 65 et 68.
Il y a chez les Beechwood des éjaculation punk (« Melting over you »), louchant parfois vers le côté Ramones de la chose (« This time around »). On sent que parfois, ils aimeraient aller encore plus loin, taquiner les winners des années 2000, las, leur « All for naught », pourtant point trop mauvais, fait penser à du Strokes sous Lexomil.
Des fois, ils se prennent les pieds dans le tapis persan (« Land of Nod », musique mystique pour fumeurs de crack avec ses déconstructions brinquebalantes). Logiquement et comme souvent quand on est pas très sûr de son coup, on met tous ces titres un peu mal accouchés vers la fin du skeud, et les meilleurs d’entrée.

Et force est de reconnaître que se « Songs from the Land of Nod » commence plutôt bien. « Ain’t gonna last all night » est déglinguée juste ce qu’il faut , « I don’t wanna be the one you love », téléporte les New Yorks Dolls dans notre siècle (oui, je sais, les vrais ou ceux des vrais qui sont pas encore morts y sévissent déjà). Pour moi, trois titres surnagent du lot. Une reprise garage punk foutraque la tête dans le sac à vomi du « I’m not like everybody else » des Kinks, montre que ces trois zozos connaissent aussi leurs classiques d’Outre Atlantique.
Mais les deux cerises sur cette galette sont deux morceaux très typés Velvet Underground. « Heroin honey » d’abord. Mettre « heroin » dans un titre de chanson suffit à situer la référence, même si musicalement on est assez loin de ce qu’à pu produire Lou Reed. Et puis, il y a un extraordinaire morceau, « C/F », ballade vénéneuse comme en a chanté Nico sur l’album à la banane, avec une guitare slide qui remplace le violon de John Cale tout en étant aussi grinçante. Et là, c’est toute la famille qui arrive en filigrane et en rangs serrés, tous les Mazzy Star et autres Jesus & Mary Chain. « C/F » est malgré ses références évidentes un titre rare, précieux, comme on n’en écrit pas beaucoup dans sa vie …
Les Beechwood, qui mettent en avant une philosophie de je m’en foutistes déglingués ont fait un disque à leur image, je m’en foutiste et déglingué. Un disque à l’Ouest,  … ou à l’Est … un disque du pays de Nod, quoi …



KING GIZZARD & THE LIZARD WIZARD - POLYGONDWANALAND (2017)

Du prog écoutable ?

King Gizzard Etc … est un groupe totalement à part, donnant une couleur musicale différente à chacun de ses disques. Et des disques, ô bonne mère, ils arrêtent pas d’en sortir. Le groupe (ils sont sept quand même, ça fait des bouches à nourrir, ceci explique peut-être cela, quoi que …) depuis ses débuts discographiques en 2011 a sorti quatorze, oui quatorze Cds. Avec comme objectif annoncé d’en faire paraître la bagatelle de cinq en 2017. Et vous savez quoi, ils y sont arrivés (limite, le dernier est sorti le 31 décembre).
Famille nombreuse, famille heureuse ?
Evidemment, pareil stakhanovisme ne doit pas faire rire la maison de disques. C’est pourquoi ils ont décidé de faire sans. Encore plus forts que Radiohead qui avait initié le truc avec « In rainbows », les King Machin ont foutu les morceaux de ce « Polygondwanaland » direct gratuitement sur Internet. Mais là où les tristes sires de Radiohead demandaient une facultative participation financière et avaient quelques semaines plus tard sorti le Cd physique, les King Gésier mettent leurs titres en version flac (le meilleur format audio sans aucune déperdition par rapport à la source originale), y joignent les visuels en images haute définition, et donnent en plus à tous les téléchargeurs la licence de distribution. Résultat des courses, des dizaines de petits labels, certains créés pour l’occasion, sortent des éditions à petit tirage dans les formats les plus improbables (vinyles colorés, transparents, Cds gatefold, cassettes audio) de ce « Polygondwanaland ». Leur maison de disques, si tant est qu’ils en aient encore une, a dû vachement apprécier. Mais les King Truc s’en foutent …
Bon, ils ont beau être doués ces zozos (presque tous sont multi instrumentistes, et des instruments que vous risquez pas de trouver dans le Leclerc du coin, genre glass marimba, mais késako ?), on sort pas une soixantaine de titres dans une année sans qu’il y ait quelques déchets …
Surtout que là, avec « Polygondwanaland », ils versent dans le côté obscur de la farce, ils donnent dans le prog. Et le prog de chez prog, celui des seventies. Mais comme cette horde australienne est composée de gens de goût, ils ne s’abaissent tout de même pas à recréer les daubes à la Yes ou Genesis. Ils regardent plutôt du côté du kraut, ou alors des groupes évoluant plutôt à la marge du genre, genre le Floyd, Crimson, Magma … Bon, forcément, y’a pas de quoi s’agenouiller et crier au génie devant tous les titres, quelques-uns peuvent être laissés de côté, comme « The castle in the air » (se sont pas trop foulés sur celui-là, on dirait bien qu’ils ont samplé le son du vieux jeu d’arcade « Space Invaders »), ou le bordélique et ultime « The fourth colour » qui semble un collage de tous les trucs qu’ils avaient pas réussi à caser sur les morceaux précédents.
King Gizzard & The Lizard Wizard live
Le reste se laisse écouter, à condition d’aimer les ambiances sonores chaloupées orientales, et la flûte (tel un Ian Anderson des Antipodes, Stu McKenzie, le leader du groupe, en fout un peu trop partout). Si l’on n’est pas allergique au schémas rythmiques des premiers Peter Gabriel en solo, on appréciera « Searching … », si l’on n’est pas réfractaire au King Crimson des 80’s on trouvera « Tetrachromacy » plutôt intéressant. Même si ces titres font un peu remplissage, sont moins travaillés et élaborés que les autres.
Je sais pas comment ils font (et je m’en tape) mais les King Bidule sortent des disques finis, même si c’est à une cadence infernale, ça sonne pas du tout maquette approximative, y’a du boulot sérieux sur le son et les arrangements. Et ils réussissent à accoucher de choses intéressantes, voire plus. Rayon réussites, « Deserted dunes … », avec son pilonnage martial et répétitif, évoquera au choix Magma (pour les fans de prog) ou les Thee Oh Sees (auxquels les King Chose semblent vouer un véritable culte). « Inner cell » planerie mélodique orientalisante, pourrait être un morceau de chevet pour Robert Plant. Et puis il y a dans ce « Polygondwanaland » une merveille absolue. Elle dure plus de dix minutes, est placée au début du disque et s’appelle « Crumbling Castle ». Derrière un fracas de batteries rythmant une tournerie garage psyché, ce titre revisite (clin d’œil au énième degré ?) tous les tics du prog seventies, enchaînant sous des synthés sifflants ponts et breaks tarabiscotés en tous genres, des accélérations  dévastatrices avant un final tout en saturation barbouillée. De telles cavalcades ne s’écrivent pas par hasard, faut du talent pour pondre des trucs comme ça sans donner l’impression de se prendre le melon et de laisser transparaître une vanité prétentieuse satisfaite.
Mais bon, faudrait qu’ils se calment un peu les King Gizzard, parce qu’on va finir par avoir du mal à suivre leur folle cadence …


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