Non, « Le Petit César » n’a
rien de glam. Mais il est aussi important que le skeud de Ziggy-Bowie, dans la
mesure où ce film un peu fauché crée quasiment à lui seul un genre
cinématographique nouveau : le film de gangsters. Entendez par là un film
dont le héros est un gangster, et non pas le flic qui le course …
Mervyn LeRoy |
Le contexte de la réalisation
n’est pas des plus folichons. Les Etats-Unis prennent en pleine poire la Grande
Dépression et ses interminables files de chômeurs qui succèdent à la crise
financière de 1929. Comme d’hab dans ces situations-là, la réaction fait feu de
tout bois, la prohibition est instaurée et bientôt arrivera pour le cinéma le
code Hayes qui impose aux films des héros « positifs » et une fin
« morale ». Pas un hasard donc si les deux premiers classiques du
film de gangsters paraîtront à quelques mois d’intervalle, tout d’abord
« Le Petit César » et ensuite « L’ennemi public ».
« Le Petit César »
est tiré d’un roman d’un certain W. R. Burnett, réalisé pour la Warner par
Mervyn LeRoy, forcené des tournages (« Quo vadis » son film le plus
connu viendra vingt ans plus tard, et pour de sombres histoires contractuelles,
il participera aux tournages du « Magicien d’Oz » et des
« Bérets verts » sans être crédité au générique). Le boulot derrière
la caméra est sérieux et le film exploite les possibilités sonores du parlant
présent depuis même pas une poignée d’années. D’ailleurs un très docte professeur
de cinéma explique dans les bonus du Bluray (format un peu inutile pour ce
genre de films antédiluviens) que le parlant a tout d’abord profité à deux
sortes de films, les films musicaux, ce qui coule de source, et les films de
gangsters pour l’impact (c’est le mot) des fusillades sur le spectateur.
Edward G. Robinson |
Dans le rôle principal celui de
Caesar Enrico Bandello (Little Cesar pour ceux qui ne le connaissent pas, Rico
pour ses « amis »), Edward G. Robinson. Petit, trapu, un accent à
couper au couteau (Roumain de naissance, il a émigré à dix ans aux Etats-Unis),
qui va dans son rôle définir pour les siècles des siècles le gangster mafieux.
Le regard qui fait baisser les yeux à tout le monde, les attitudes de
psychopathe (on ne discute pas quand il parle), la nervosité violente (on sort
le flingue et on s’en sert pour un oui ou pour un non), le cigare mâchouillé,
le machisme à tous les niveaux (pour Rico, les femmes sont juste bonnes à
prendre des torgnoles quand elles « déconnnent »). Et par-dessus
tout, la quête de pouvoir et de puissance, et un ego et un orgueil démesurés.
Ceux qui pensent à (au hasard, tant ses « fils » seront nombreux) Joe
Pesci dans « Casino », Pacino dans « Scarface » ou à
quelques rôles marquants de De Niro ont bien raison. D’ailleurs, on trouve dans
les bonus une brève apparition de Scorsese, qui s’y connaît un peu pour tourner
des films de gangsters, mais qui a oublié de réviser ses notes (il situe
« Le Petit César » en 1914 ou 1915, comme quoi la coke à forte dose
pendant la jeunesse, ça doit agir sur la mémoire …)
En fait, à l’époque, celui qui
était le « père » de Rico c’était Al Capone. Physiquement, c’est
assez troublant, et c’est pour cela que Robinson, acteur jusque-là peu connu, a
été choisi. Alors qu’il est parfaitement l’antithèse d’un truand. Démocrate
convaincu, instruit et cultivé, amateur d’art, il a une sainte horreur des
armes à feu. L’histoire (la légende ?) prétend qu’on devait lui mettre du
sparadrap sur les paupières pour ne pas qu’il cligne des yeux quand il se
servait de son flingue dans le film. Robinson fut préféré à un autre à peu près
inconnu, Clark Gable (disqualifié au casting par ses trop grandes
oreilles !), qui ne réussira même pas à avoir le second rôle, qui
reviendra à Douglas Fairbanks Jr (qui comme son nom l’indique est le fils de
l’une des premières stars du cinéma muet).
La consécration de Rico : le banquet |
Le film débute alors que Joe (Fairbanks)
et Rico braquent dans un trou perdu un petit commerce. Très vite, on voit deux
caractères que tout oppose. Joe rêve quand tout ce bordel cessera de se ranger
et de devenir danseur dans un cabaret. Rico, lui, veut devenir un chef, le
truand dont tout le monde connaît le nom. Pour poursuivre leurs destins, ils
partent ensemble pour Chicago, Joe dansera dans un club huppé où il rencontrera
l’amour. Rico, lui, se fait embaucher comme homme de main par un petit caïd
local. Il finira par compromettre son pote dans le braquage de son club ;
les choses se passeront mal, et Rico tue un des clients, qui n’est autre que le
nouveau chef intransigeant de la police locale. Rico est désormais « quelqu’un »,
qui commence à faire peur à tout le monde, y compris dans son petit gang.
Dès lors, il va entamer son
irrésistible ascension. La consécration, après avoir gravi tous les échelons de
la pègre locale, viendra lorsqu’il trônera au centre d’un banquet donné par ses
« amis » en son honneur, et qu’il achètera le lendemain des journaux
par paquets juste pour voir et revoir les photos prises à l’occasion. Quelques
minutes plus tard, il se fera canarder par les hommes de main d’un rival (scène
reproduite quasi à l’identique dans « Le Parrain » quand Brando se
fait flinguer après avoir acheté des oranges dans la rue). Même s’il en
réchappe, Rico va commencer sa déchéance qui trouvera son épilogue dans l’appartement
de Joe, où, cerné par la police, il doit s’enfuir et se terrer dans des centres
miteux de Secours Populaire. Alors que les journaux dont il avait tant rêvé de
faire la une consacrent juste quelques entrefilets à sa « fuite »,
une ultime crise d’orgueil lui fera provoquer la police. Il finira criblé de
balles avec cette dernière phrase devenue culte avant d’expirer : « Mother
of Mercy, is this the end of Rico ? ».
Is this the end of Rico ? |
C’est le personnage de Rico, et
donc l’interprétation qu’en donne Robinson qui font la différence. A tel point
qu’il est impossible de voir un film reprenant la même thématique (il y en a un
paquet, et pas que des navets), sans trouver une scène, une attitude, un regard
d’un truand qui ne soit pas un copier-coller de quelque chose vu dans « Le
Petit César ».
Le point faible, aujourd’hui,
il est au niveau du scénario. Tout repose sur Rico / Robinson, et par manque de
moyens, tous les autres personnages de l’intrigue sont taillés à la hache, toute
une litanie de seconds rôles falots et sans aucune ambigüité, ne présentant que
des stéréotypes.
« Le Petit César » ne
dure qu’une heure vingt. Ça suffit cependant pour en faire une référence
absolue …
Avec "l'ennemi public" de Wellman et "Scarface" de Hawks, on tient là la sainte trinité du Film de gangsters. Et pis ça mégote pas question bastons et règlements de compte... Ce qui est spécial, c'est que ces films sont contemporains des évènements et personnages qu'ils mettent en scène (Dillinger s'est fait coincé en sortant d'un cinéma où on diffusait "l'Ennemi public"), et ce qu'on regarde aujourd'hui avec des yeux émerveillés (par la qualité du film) les spectateurs de l'époque les regardaient comme on lit les faits divers dans le Parisien.
RépondreSupprimer