SLAVES - ARE YOU SATISFIED ? (2015)

I wanna be your dog ?
Il y a dans cette rondelle comme des airs de déjà vu (ou entendu). Comme toujours depuis … ouais, au moins.
Les Slaves sont deux. Un batteur et un guitariste (liste interminable de prédécesseurs dans cette formule minimaliste, furieusement tendance pendant les années 2000, un peu moins maintenant que les White Stripes sont débandés et les Black Keys mainstream). Les Slaves sont jeunes (la vingtaine) et Anglais. Ma foi, nobody’s perfect. Rasés et tatoués comme tout prétendu rebelle en recherche de respectabilité (faudra un jour expliquer à tous ces chérubins en colère que c’est pas le poil ras et l’encre sur les biceps qui feront d’eux les prochains Che, ça suffira pas, ou quand la rébellion a ses normes, ses codes, ses repères visuels et esthétiques, c’en est plus vraiment de la rebellion, c’est plutôt du panurgisme, mais bon, on va pas débattre là-dessus …).
Qui foutent deux bichons ou pas loin (le clebs des mémères réacs à breloques et permanentes) sur leur pochette. Qui baptisent leur skeud en hommage – réponse désabusée – doigt d’honneur (à vous de choisir) au premier Hendrix. Qui l’enrobent d’un rose fluo comme un clin d’œil subliminal aux couleurs fluo du seul disque des Pistols (parce que les Slaves sont des punks, je vas vous l’expliquer …). Qui reprennent quasiment le lettrage et le logo des crétins de Slayer (ou de Twisted Sister, ce qui niveau crétinerie, revient à peu près au même)… comme une litanie sans fin de toute une symbolique vue et entendue des milliards de fois dans tous les groupes « sérieux ».
Les Slaves (diminutif de « you are all slaves » leur slogan et accessoirement nom de leur pages web) ne font pas dans la dentelle, reprenant la mise du slogan en musique là où des gens comme Clash ou Specials avaient lâché l’affaire il y a trente cinq ans (d’autres s’y étaient essayés entre-temps, avec plus ou moins de bonheur, et le premier qui dit Rage Against Bidule se ramasse un glaviot dans la face). Les Slaves c’est du véner sans fioritures, avec un batteur-chanteur (enfin, plutôt batteur-rappeur, il chante pas vraiment, du moins pas au sens Otis Redding du terme) minimaliste et martial, et un gratteux adepte des gros riffs qui tachent et qui dégueulent de distorsion. Un peu comme les Royal Blood, diront ceux qui veulent avoir l’air malin et montrer qu’ils connaissent des disques sortis après 1953.

Ici, on en arrive au moment crucial où il faut prendre position, lever ou baisser le pouce pour ces Spartacus du riff. Bon, moi, avec toutes les réserves d’usage (voir plus haut) et toute ma mauvaise foi (je m’en tape des Slaves), je les défends ces deux minots. Ils ont aligné treize titres plutôt bien foutus, c'est-à-dire bien crétins et gueulards, dans une parfaite rigidité madmaxienne (on fonce, puis on regarde combien on en a écrasés en passant), ont l’air, comme tout imbécile heureux qui se respecte, très fiers d’eux et seraient même prêts à continuer sur la lancée pourvu qu’on se souvienne d’eux dans six mois.
Face aux calibrages, aux « cœurs de cible », aux « niches » (ouah, elle est subtile, celle-là, putain le talent que j’ai), ces deux merdeux adressent un fuck-off électrique à tous les centristes musicaux de la galaxie. « Are you satisfied » est un bloc, qui sent certes la redite vers la fin, alternant punkeries pistoliennes, heavy metalleries judaspriestiennes, voire grungeries nirvanesques avec une naïveté et un aplomb réconfortants. Preuve qu’ils ont peut-être vraiment du talent, ils osent même une ballade acoustique éraillée (le morceau-titre, genre de « On a plain » de Nirvana ) et un final « atmosphérique » qui ne convaincra absolument pas les ceusses qui trouvent captivant le dernier Pink Floyd (ou le dernier Gilmour).

Allez vous faire foutre les Slaves. Vous avez ma bénédiction ….


DELBERT MANN - MARTY (1955)

La beauté cachée des laids, des laids, ...
… se voit sans délai, délai, dixit Gainsbourg. Qui n’avait pas exactement un physique de playboy, mais s’est révélé excellent séducteur. Les deux personnages principaux de « Marty », le film de Delbert Mann, sont plutôt moches et n’ont rien de séduisant. Bourrés de complexes, de gaucherie, s’entêtant à mettre des bâtons dans les roues de leur chétive amourette …
Delbert Mann (chemise blanche), l'équipe technique, Blair & Borgnine
Le résultat est pourtant superbe. Pas vraiment à cause de la romance à deux balles qui est au cœur du film, mais surtout grâce au contexte de cette histoire (le quartier italien de New York dans les années 50), et plus encore grâce aux acteurs. Betsy Blair (pas si moche que ça, en fait, mais pas non plus une bombe sexuelle sortie des studios américains, certes …), parfaite en  prof fille à papa, trop timide et coincée pour oser prendre sa vie en mains. Et surtout l’inattendu (dans ce rôle-là) Ernest Borgnine, garçon boucher au cœur d’or, empêtré dans les traditions du petit peuple rital et embrouillé par ses potes niais et grandes gueules.
Ouais, Borgnine. Trapu et court sur pattes, regard bovin de petite frappe. Jusque là remarqué pour des seconds rôles de méchant, de salaud, dans des grands films comme « Et tant qu’il y aura des hommes » (au passage, c’est Burt Lancaster, qui co-produit le film et présente la bande-annonce américaine de « Marty »), « Johnny Guitare », « Vera Cruz », « Un homme est passé ». Dans « Marty », il est à total contre-emploi (mais y gagnera la statuette de meilleur acteur). Il est Marty Piletti, apprenti boucher, vivant la trentaine bien sonnée chez sa vieille mère quand tous ses frères et sœurs cadets sont mariés. Affable, travailleur, complexé par son physique, traînant sa timidité et son mal de vivre dans les bistrots et les « dancings » le samedi soir … Pote avec d’autres traine-savates à l’existence aussi morne que la sienne, mais dont il redoute le regard et les quolibets quand il démarre son idylle avec Clara (Betsy Blair).
Marty & Clara
Qu’il a osé aller consoler alors que sous prétexte de mocheté, elle venait de se faire abandonner dans un dancing par un bellâtre coureur.
« Marty », du peu connu Delbert Mann (bien que ce film, phénomène assez rare dans les annales cinématographiques, lui ait valu la même année Palme d’Or et Oscar), est un film court (moins d’une heure et demie), au rythme nonchalant et indolent, comme ses personnages principaux. Il est pourtant d’une grande richesse, grâce à une merveille de scénario qui nous immerge dasn la communauté (voire le communautarisme) italien de New York, et une galerie de personnages secondaires fouillée, faisant ressortir des caractères mémorables, comme la mère de Marty (excellente Esther Minciotti), la tante fouteuse de merde, le couple à problèmes et disputes de son cousin comptable, le pote bien relou Angie, …
Il n’y a pas d’action (au sens Chuck Norris du terme) dans « Marty ». Pas non plus une galerie de portraits plombante comme un casting de Dreyer (grand réalisateur qui a fait de grands films, mais qui te foutent le moral dans les chaussettes encore plus sûrement qu’un discours de Fillon sur les soins palliatifs en fin de vie). « Marty » est un film vivant, qui trouve le rythme parfait entre les personnages et leur histoire (le temps que va passer Marty à essayer de rouler une pelle à sa chérie, qui évidemment va au dernier moment détourner la tête et le regard…). « Marty » est un film qui rend crédibles et réalistes des personnages et des situations sur lesquels on a quelque peu forcé les traits (les merveilleuses scènes entre la mère et la tante de Marty, entre Marty et Angie).
Marty & Angie
Aujourd’hui, « Marty » est un film quelque peu oublié (on ne le trouve par ici que dans une version DVD assez bâclée sans bonus), certainement plus à cause de la carrière en demi-teinte qu’ont effectué Mann, Borgnine et plus encore Blair, que de ses qualités intrinsèques.

Plus qu’un vague mélo 50’s, « Marty » est une belle tranche de vie sur une génération et une époque prétendues « dorées », mais où derrière le vernis de l’insouciance, se trouvaient déjà les fêlures et le mal-vivre de ceux qui n’entraient pas dans le moule idéal du « rêve américain » …


TAME IMPALA - CURRENTS (2015)

Pet Shop Boys revival ?
Pour pas accabler, on va dire que c’est la faute à la pression. Ou une erreur de parcours. Parce que là, genre baudruche qui se dégonfle, il a fait fort le Parker (ouais, Parker, de son prénom Kevin, c’est Tame Impala à lui à peu prés tout seul). Même si le web est plein de gens qui le trouvent génial ce « Currents ». Bon, faut pas déconner …
Tame Imapla 2015 (Parker au milieu en bas)
De quoi donc il retourne t-il ? En gros, le Parker s’était vu qualifier sur la foi d’un premier disque (« Innerspeaker ») sympathique et surtout d’un second plus consistant (« Lonerism ») de génie du moment, tendance absorption de cinq décennies de zizique de djeunes et déglutition à sa propre sauce. Genre le chef de file du « renouveau » psychédélique version chansonnette azimutée. Avec dans son sillage sa « famille », de son égérie Melody Prochet (la française qui faisait une sorte de revival Daho sous le nom de Melody’s Echo Chamber), à ses potes australiens de Pond,  et j’en passe… Perso, je trouvais tout ça assez sympathique, mais bon, de là à crier au génie …
« Currents » est semble t-il un disque de rupture, un disque de solitaire. Parker s’est même passé de David Fridman (au vu de ce que ce dernier a commis avec les Vaccines, c’était peut-être une bonne idée), leader des Flamings Lips et promu au rang de producteur, sorcier bidouilleur de vieux synthés. Parker fait à peu près tout le boulot tout seul. Bon point, ce « Curents » est cohérent, on peut pas le lui reprocher. Une unité de son, d’ambiances, une direction et un choix musicaux clairement et pleinement assumés. Mais alors le résultat …
Empilage de tonnes de synthés des années 80, voix à l’hélium, morceaux broyés par un son où se combinent infra-basses et suraigus qui encadrent des couches et des couches de synthés … Il faut quand même être gonflé ou sacrément inconscient (voire les deux) pour en tirer un résultat honorable. Aller jouer sur le même terrain que les new waveux de l’electro-pop anglaise circa 82-85, personne de sensé et de bon goût ne s’y était encore risqué. La misère d’Orchestral Manœuvres ou les premiers trucs chelous de Depeche Mode en ligne de mire, fallait oser. Quand bien même le côté désuet de ces choses-là peut leur conférer aujourd’hui une certaine patine amusante. Le problème, ça n’a jamais été les synthés, mais toujours ceux qui en jouent. Même si on pourrait dire la même chose des guitares, des basses, des binious et des flûtes traversières …
De même, de même ...
« Currents », alors qu’il me semble être un disque tout ce qu’il y a de plus sérieux, du moins dans l’esprit de Parker, moi il m’afflige au premier degré et me fait sourire au second, comme une blague limite de potache. « Let it happen », la longue pièce montée inaugurale, que le grand cric me croque si c’est pas totalement du Pet Shop Boys (la voix à l’hélium en plus). Ce qui est pas une insulte, les Boys étant tout de même de géniaux mélodistes, mais là, aujourd’hui, à quoi bon. Un disque qui commence par un malentendu comme ça, c’est pas bon. Et rien ne s’arrange par la suite. « Nangs », on dirait une balance du Floyd vers 72 quand Rick Wright testait ses claviers, « The less I know », ça fait tellement penser à Moroder et Chic qu’on dirait le dernier Daft Punk, la ballade surchargée « Eventually » semble chasser sur les mêmes plates-bandes pompières qu’Arcade Fire, « Disciples », on dirait du Lio (si si, je vous assure) des années 80 passé à la mauvaise vitesse, « Past life » et sa voix au vocoder réveille le fantôme de Michou Jackson, « ‘cause I’m a man » a tout de la ballade simplette qui finit par faire un hit … Perso, je trouve rien dans cette galette pour relever un tant soi peu le niveau …

Faudra vite passer à autre chose, garçon …


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