ROB REINER - THIS IS SPINAL TAP (1984)

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2014. Le rock a pile poil soixante ans. Et putain il fait son âge …
1984. Le rock a pile poil trente ans. Et putain ça commence à merder sévère… On ne brûle plus depuis longtemps les skeuds d’Elvis (tout juste si quelque prêcheur baptiste fait des feux de joie avec ceux d’AC/DC sous les sarcasmes généraux), le rock est devenu mainstream et surtout un vaste bizness. Les comptables et les directeurs de marketing ont pris le pouvoir dans les maisons de disques, toute une industrie lourde se met en place pour vendre de la « musique du Diable » formatée, ne lésinant sur l’emploi d’aucune grosse ficelle pour attirer le chaland.
Smalls, Tufnel, Saint Hubbins & DeBergi
C’est dans ce contexte que paraît « Spinal Tap », le film définitif sur le monde du rock. Pourquoi « Spinal Tap » est définitif ? Parce qu’il appuie là où ça fait mal, et là où ça fait rire. L’idée de génie de son réalisateur, l’inconnu Rob Reiner est de présenter son film comme un documentaire (documenteur ?, rockumentaire ?), sur une tournée américaine d’un groupe de hard anglais au creux de la vague, Spinal Tap.
« Spinal Tap » est un film qui se mérite, faut avoir auparavant lu, écouté, vu, des interviews de musiciens, leurs disques, leurs VHS. Faut une « culture » de base de la chose rock et du rock’n’roll circus qui gravite autour. Evidemment, le but du jeu, à travers les situations loufoques et les scènes devenues cultes, est de rechercher « qui sont » vraiment Spinal Tap. Ben, Spinal Tap, c’est Spinal Tap … Autre coup génie de Reiner et sa clique, c’est de faire des décennies après comme si Spinal Tap existait. D’ailleurs Spinal Tap existe, ils sortent des disques, ont joué (et pas en playback) au Live Aid, ou au Royal Albert Hall, comme on peut le voir dans les bonus du BluRay. Un peu le principe des poupées gigognes appliqué au groupe Spinal Tap, il y a toujours un gag dans le gag, et ça semble sans fin.
Un effet scénique avorté dans l’œuf
Rien ne fonctionnerait dans ce film si les acteurs n’étaient pas des musiciens, ce sont eux qui ont composé et jouent leurs titres. Définitivement, Spinal Tap existe réellement, quel que soit le niveau de la caricature offerte. Et le monde du hard-rock (qui domine les charts et les ventes au début des années 80) fournit un cortège d’attitudes, de codes, de lieux communs qui deviennent jubilatoires. On retient bien sûr de « Spinal Tap » les vannes majeures (l’ampli qui va jusqu’à onze, les « Hello Cleveland » braillés alors que le groupe se perd dans les coulisses, la courgette enveloppée dans du papier alu dans le slip, et quantité d’autres …). Mais dans « Spinal Tap », tout est détourné, chaque situation, chaque plan, chaque image, touchent au subliminal.
Spinal Tap, le groupe, est anglais. Ça évite de froisser quelques susceptibilités chez les Américains, a priori peu portés sur l’auto-dérision. Et pourtant, Nigel Tufnel, le guitariste brun, tire la langue comme Gene Simmons de Kiss, accroche une ribambelle de médiators au pied de micro comme Hendrix ou Joe Perry, a le contour des yeux maquillés comme Alice Cooper, … Nick Saint-Hubbins, le chanteur-guitariste blond, évoque immanquablement Robin Zander de Cheap Trick, David Lee Roth des Van Halen mais aussi Peter Frampton (anglais certes, mais qui a écoulé les millions de son « Comes alive » quasi uniquement aux States) … Le nom du groupe avec le tréma sur le « N » (putain comment on fait pour l’écrire avec Word ?) renvoie certes à Motörhead (et le basssite à Lemmy), mais aussi à Mötley Crue et Blue Öyster Cult. Certes les analogies avec de vrais groupes anglais dominent, mais il est amusant de constater que parmi les intervenants dans les bonus, tous sont Américains et se focalisent sur les Anglais. Certains « spécialistes » affirmant que le modèle de Spinal Tap serait Saxon, ce qui est quelque peu réducteur. Certes personne dans Saxon n’était candidat au prix Nobel, mais ils étaient pas plus cons que … les autres en fait, et depuis on en a vu des crétins terminaux se lancer dans le gros riff qui déchire sa race (non, pas de noms, on en finirait jamais de citer des abrutis en pantacourts). Autrement dit, si les Spinal Tap sont présentés comme des zozos un peu limités, peu dans les générations suivantes ont retenu la leçon et s’embourbent à qui mieux-mieux dans le ridicule. Suffit de voir dans les bonus les Kings Of Leon, encore bourrés et / ou défoncés de la veille, ne pas se rendre compte qu’ils livrent une interview plus spinaltapienne que les originaux …
Les grandioses décors de Stonehenge
L’histoire et le scénario de « Spinal Tap » tiennent sur l’ourlet d’un string de Nabila, mais chaque image, chaque mot, chaque regard des acteurs, renvoie à quelque chose de vu ou entendu chez d’autres. La caricature aurait pu se limiter à la mise en ridicule du hard-rock bas de gamme, genre quand même un peu neuneu. Même pas, les dieux vivants du rock en prennent aussi. Si Tufnel qui joue de la guitare avec un violon, c’est pas une allusion à l’archet de Jimmy Page sur « Dazed & confused », je veux bien prendre un abonnement pour le prochain Hellfest. Si le même Tufnel qui reste bloqué en se roulant par terre pendant son solo, c’est pas du foutage de gueule d’AC/DC et des Scorpions, si sa collection de guitares et son air perpétuellement maussade, c’est pas tout repiqué sur Jeff Beck, si la double basse de Derek Smalls c’est pas « inspiré » direct du crétin congénital Chris Squire de … Yes (c’est bien, vous suivez) qui lui en avait trois empilées (pour en faire quoi, on ne saura jamais), si la courgette ça vient pas de Jagger qui pendant la tournée « Some girls » avait l’habitude de glisser une bouteille de Coca sous sa braguette, si … etc, etc … Avec son aspect j’menfoutiste tourné avec les pieds, « Spinal Tap » révèle de nouveaux trésors à chaque visionnage, ou a contrario, on lit une anecdote, on voit un clip ou une interview, et bingo, on comprend les codes d’un plan de « Spinal Tap ».
Problème de courgette à l'aéroport
Les musiciens sont au centre de l’attention, évidemment, mais tous les personnages qui gravitent autour sont des caricatures, à commencer par Reiner lui-même qui se met en scène en tant que Marty DeBergi, pseudo-journaliste nonchalant auteur du « documentaire », la femme de Saint Hubbins qui s’improvise manageuse (just like Sharon Osbourne avec son Ozzy) en remplacement d’un blondinet manieur de battes de cricket (Peter Grant ? ouais, mais le manager de Led Zep avait des méthodes bien plus brutales et n’était pas blond), les attaché(e)s de presse vils et veules, le patron de la maison de disques Polymer (que ceux qui n’ont pas compris la double vanne se fassent connaître, ils gagnent l’intégrale de Venom), avec pour ce rôle-éclair Patrick McNee … même Anjelica Huston fait une apparition de quelques secondes.
Reiner et ses scénaristes (les vrais-faux membres de Spinal Tap) montrent qu’il maîtrisent parfaitement un genre qui tient l’essentiel du film, et qui nous montre le présent du groupe. Mais la pseudo-histoire de Spinal Tap qui sert de fil rouge vaut aussi le détour, avec sa kyrielle de batteurs maudits (dont celui écrasé par sa tondeuse, l’autre victime d’auto-combustion sur scène, un troisième étouffé par du vomi, mais pas le sien !!!) les faux clips garantis imitation vintage (la bubblegum pop à la Herman Hermit’s, et la pop psychédélique très Buffalo Springfield – Byrds – Floyd de Barrett). La bande-son (originale évidemment, toujours par le même trio) s’amuse à pasticher Queen (« Fat bottom », hymne aux pétasses à gros cul), les groupes de hair metal (« Hell hole »). Enfin comment passer sous silence le fabuleux concept de « Stonehenge » (encore plus fort que le fumeux jeu de mots de Ten Years After), son intro très « Nous sommes du Soleil » de … (remplacer les points par  des insultes, liste exhaustive souhaitée) Yes, ses délires celtico-tolkienens, ses grandioses décors de 60 centimètres (running gag, lors du vrai concert donné par le faux groupe au Royal Albert Hall, le menhir trop monumental cette fois ne peut pas rentrer dans la salle) …

En conclusion, parce que je pourrais y passer des heures, il y a dans la vie de tout mélomane à la con (le type qui écoute du rock, quoi, et qui croit que c’est de la musique géniale faite par des génies), un avant et un après « Spinal Tap ». La fin du temps de l’innocence, en quelque sorte …


Du même sur ce blog :


8 commentaires:

  1. Mais pourquoi « Diable » faut-il coûte que coûte "être rock" plutôt que jazz, reggae, soul, rap ou dance ou tout autre chose ? Là est la question.

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  2. François : Parce que. Voilà. Et parce que le Jazz ou le Reggae n'ont jamais donné de film aussi drôle ! (le rap, si, dans tous les clips, mais involontairement...). Et comme disait Simone de Beauvoir, "on n'est pas rock, on le devient"...

    Lester, faut pas oublier que les trois gugusses en questions avaient monté ce faux groupe, et faisaient déjà des parodies pour la télé, avant l'idée du film. C'est parce que ça fonctionnait, qu'ils ont monté un projet de long métrage pour le cinéma.

    Le tréma sur le N. Rien que ça, ça me fait rire. Ils l'ont collé sur une consonne ces cons-là !!

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    1. "François : Parce que. Voilà."

      Devant une argumentation si riche et implacable, je ne puis effectivement que m'incliner... :)

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    2. Ben évidemment ...

      Parce que. Voilà.

      Farpaitement

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  3. Bon, ça c'est fait...et les Black keys, t'en penses quoi? Je t'attends au tournant (quel tournant?...)

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    1. Le tournant de la rigueur... :)
      J'ai ouïe dire qu'ils avaient viré "électro" (comme U2, Radiohead, etc...)...

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    2. Ouais, sauf que contrairement à Radiohead (U2 je peux pas dire), ils ont virés électro pour vendre plus parce que c'est à la mode. C'était bien la peine de refaire du blues rock "comme à la bonne époque" pendant des années. Si même les revivalistes tournent leur veste, mais où va-t-on ?

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  4. Le potard sur 11, sans doute la meilleurs blague jamais inventée à propos du rock.

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