Enjoy yourself ?
C’était il y a une éternité … Le ska, le two-tone, les
damiers noirs et blancs, les pork-pie hat … la grosse affaire de la toute fin
des années septante, juste après les punks, avant tout le reste, l’Angleterre
de la réac bitch witch Thatcher … ca y est, vous situez ? Comment ça, vous
aviez séché les cours à la Rock’n’Roll University quand y’avait les TP de
rocksteady-dub-ska-reggae ? Pfff, que des branques … bon, je résume
l’affaire.
Angleterre. Les punks. Qui par définition se devaient
d’être éphémères (rien n’est plus con qu’un vieux punk), de vite disparaître ou
de passer à autre chose. Les punks qui ne respectaient rien ni personne. Sauf
les Jamaïcains et leur musique (Clash, Slits, Ruts, Costello, euh hum, …
Police). Une communauté jamaïcaine très fournie en Angleterre (relents
d’impérialisme britannique). Et très vite, alors que la première vague punk
retombe dans le sillage de la débandade des Pistols, le besoin d’une autre
nouvelle vague. Et au milieu des prémices des scènes post-punk, new wave à
synthé, gothique, rockab, des formations plutôt pléthoriques se lançant dans un
revival de musique jamaïcaine, abordé par son côté le plus festif, le ska.
Les Specials 1980 |
Une nuée de groupes multiraciaux (two-tone) surgit de
partout (beaucoup, allez savoir pourquoi, de Coventry, dont les Specials).
L’écrémage se fera vite. En quelques mois, ne resteront plus que les
Bodysnatchers, les Selecter, le Beat, Madness et les Specials. Les deux
premiers, trop limités, passeront à leur tour vite à la trappe. Le Beat va se
trouver confronté à un groupe américain homonyme (celui de l’excellent Paul
Collins), et le temps de quelques plaidoiries et changement de nom en The
(English) Beat arrivera en retard pour le succès. A la trappe également.
Restent donc Madness et les Specials. A Madness les ventes colossales de
singles (« One step beyond »), aux Specials le bon disque (leur
premier éponyme, magistralement produit par Elvis Costello).
Tout ça nous menant à ce « More Specials »
second disque de la troupe à Jerry Damners. Ah, je vous ai pas dit, les
Specials sont nombreux, tous sont en principe égaux, mais comme disait Coluche,
Jerry Damners est plus égal que les autres. C’est lui la tête pensante du
groupe, le plus souvent son porte-parole, et si la plupart des autres
composent, c’est lui qui signe les meilleurs morceaux. Autant dire que c’est le
leader, détail qui aura très vite son importance …
D’ailleurs c’est lui qui produit ce « More
Specials ». Damners est un type intelligent, qui voit l’impasse du strict
revival dans lequel vont se fourvoyer les concurrents de Madness (avant de
virer pop et d’en devenir un des meilleurs groupes des 80’s, mais c’est une
autre histoire). Et donc, déjà, il est évident pour lui que son groupe doit
aller voir « ailleurs », chercher une porte de sortie au rythme
sautillant et festif qui commence déjà à lasser le grand public. La rupture ne
sera pas totale (il y a sept bouches à nourrir dans les Specials, faut assurer
un minimum), mais ce « More Specials » le sera suffisamment, spécial,
pour être rejeté par une grosse partie des fans de la première heure.
Le ska est pourtant là et bien là, à l’image des deux
singles, « Enjoy yourself » et « Rat race », bien dans la
ligne du parti. Mais ensuite, ça se complique, Damners entraîne le groupe,
pousse les autres au cul pour qu’ils participent, vers des sonorités sinon
expérimentales, du moins inattendues. Certaines choses restent dans « la
famille », que ce soit les touches dub de « Man at C & A »,
ou celles reggae de « Hey, little rich girl » ou « Pearl’s
Café ». Des cuivres mariachi font leur apparition (« Holiday for
tonight »), et en plus de la Jamaïque, d’autres îles caraïbes semblent de
la croisière sonore (« Do nothing », « I can’t stand it »).
« Sock it to ‘em J.B. », très funky, semble un hommage à James Brown
(logique), d’autres disent à James Bond (?). « Stereotypes », le
morceau de bravoure du disque commence comme un tango, avant de virer dub dans
un hommage à la culture toaster. Il y a même un titre curieux, bizarre, qui
mélange une infinité de sons d’où émergent à peine funk et reggae au milieu
d’empilement de synthés et de voix filtrées et trafiquées. Et comme un signe
fort de rupture avec le passé, une courte version très lente, funèbre, du
« Enjoy yourself » inaugural, vient clôturer ce « More
Specials ».
Avec sa curieuse (non) dentition, Jerry Damners et les Specials |
A l’époque de sa sortie, le contraste était net entre les
deux faces du vinyle, la face « classique » au début, « l’expérimentale »
pour conclure. L’enregistrement du disque se fera un peu au forceps. Les deux
chanteurs Lynvall Golding et Terry Hall (ce dernier est le boyfriend d’une des
Go-Go’s, ce qui explique que les Californiennes soient créditées pour quelques
chœurs) vont s’opposer à Damners sur la ligne musicale à suivre. Le clash aura
lieu lors de la parution d’un single très politisé, non présent sur l’album
(« Ghost town » qui sera le seul N°1 du groupe). Golding, Hall et le
percu Staple iront former les Fun Boy 3 (anecdotique), Damners et le restant de
la troupe deviendront The Special AKA, tout aussi anecdotique. Comme d’hab,
résurrection-reformation sans intérêt des décennies plus tard …
Il est de bon ton de dire que « More Specials »
est le meilleur des deux disques du groupe car le plus « original »,
le plus « varié ». Sachez que c’est un bon disque, mais qu’il
n’arrive pas à la cheville du premier produit par Costello …
Fin du cours de rattrapage de ska …
Pouvez sortir et aller fumer …
Hep M'sieur, j'peux sortir ? J'ai oublié mon cahier et je préfère le cours sur la new wave à synthés...
RépondreSupprimerOui, oui, tu peux sortir ...
RépondreSupprimerMais attention pour les exams, la new wave à synthés, c'est un coeff négatif ...
Ah ben je le connais pas celui là, mais j'ai toujours le 1er en vinyle avec A Message To You Rudy et Gangsters qui sont des morceaux extraordinaires! Et tiens d'ailleurs y'a pas le "The" devant "Specials" sur la pochette. Strummer adorait les Specials. Strummer avait bon gout!
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