BOB MARLEY & THE WAILERS - CATCH A FIRE (1973)

A star is born ...

Sur ce coup-là, les Anglais ont pris tout le monde de court. Pas sûr que Chris Blackwell, le boss du label Island qui venait de signer cette bande de loubards paysans jamaïcains ait, dans ses rêves les plus fous, envisagé le raz-de-marée qui allait se mettre en mouvement, et faire du leader de cette bande la première star globale mondiale, plus célèbre et vénéré que n’importe quelle rock-star ou joueur de foot …
Le reggae au début des années 70 est confiné quasi exclusivement à la Jamaïque. De temps en temps, les Occidentaux sont en contact avec ces étranges rythmes chaloupés (« Ob la di – Ob la da » des Beatles, quelques apparitions de titres de Jimmy Cliff dans les charts, quelques séjours de rock-stars sur l’île, comme Johnny Nash qui va enregistrer à Kingston (« I can see clearly now »), ou Clapton et Elton John qui ne tarderont pas à mettre du reggae sur leurs disques après « Catch a fire ». Rien de sérieux. Le reggae est au mieux perçu comme un gimmick sonore exotique.
Le reggae pour les Jamaïcains est plus que de la musique, c’est une culture, alimentée par des aspects mystiques fumeux (et pas seulement à cause de la ganja) et qui s’appuie sur une multitude d’artistes, le plus souvent du dimanche, gravant quelques titres dans de rustiques studios locaux ou animant des sound-systems en plein air. Bob Marley grouillote dans la musique depuis 1963 (son premier succès local « Simmer down »), et au fil des années, est devenu le co-leader d’un groupe d’abord vocal, les Wailers. Même pas le plus célèbre de l’île. Mais c’est celui que Blackwell va choisir.
Bob Marley & The Wailers live 1973
Des titres sont gravés à Kingston (la plupart faisaient depuis longtemps partie du répertoire du groupe, ils sont en fait réenregistrés avec davantage de temps et de moyens). Marley amène les bandes à Londres, Blackwell va recruter quelques sessionmen (non crédités sur le disque), faire quelques retouches, arrangements et overdubs dans les studios Island, mettre sur la pochette qui s’ouvre façon Zippo un gros plan de Marley en train de tirer sur un joint de taille plus que respectable.
« Catch a fire » contient neuf titres, et constitue le premier témoignage du reggae « grand public ». Malgré les retouches londoniennes, le son général est assez roots, à mi-chemin entre les disques de la période jamaïcaine de Marley et le sound très « blanchi » et successful de la seconde moitié des seventies. Le reggae n’a jamais été indifférent ni à l’évolution technique, ni aux autres musiques. Les radios jamaïcaines diffusaient beaucoup de musique noire américaine et le blues, la soul, le funk, ont influencé les musiciens de l’île et ça s’entend. Que ce soit sur « Concrete jungle » avec son solo de guitare bluesy ou « No more trouble » qui jette une passerelle entre reggae, blues (l’orgue), et gospel (les chœurs). Le reggae est aussi un genre à part entière, qui définit ses propres schémas musicaux (les fameux contre-temps rythmiques), mais aussi toute une thématique des textes, guère différents au fond de la black music « américaine » engagée. Que ce soit les allusions à l’Afrique et à l’esclavage (« Slave driver », « 400 years »), ou l’opposition au progrès (« Stop that train »), avec tout ce que cela peut comporter de douteux (la religion rasta, basée sur le patriarcat, est comme les autres d’ailleurs, plutôt rétrograde, témoin le non-crédit des choristes féminines les I Threes, bien présentes sur « Rock it baby »).
Bob Marley 1973
« Catch a fire » lors de sa parution ne va pas affoler les compteurs de vente. Succès d’estime. C’est rétrospectivement, à partir de « Natty dread » et du « Live at the Lyceum », que l’on reviendra vers ce disque pour s’apercevoir que oui, toute la patte Marley est déjà là et bien là. Que ce soit dans les désormais classiques « Concrete jungle », « 400 years », « Stop that train » et mention spéciale au lentissime balancement de « Stir it up », un des plus grands titres de Marley, dans cette façon d’universaliser sa musique (sur celui-ci, le gros du boulot est fait par Blackwell, mais Marley comprendra vite ce qui peut « fédérer » tous les publics). 
« Catch a fire », c’est aussi un peu le début de la fin des Wailers originaux. Le charisme de Bob Marley fera vite de l’ombre à Peter Tosh et Bunny « Wailer » Livingstone. Le disque suivant, plus austère, plus mystique, mais aussi selon moi bien meilleur « Burnin’ » verra disparaître le nom de Marley de la pochette, pour en revenir au strict intitulé de Wailers. Trop tard, l’étoile montante éclipse tous les autres, qui sont pourtant loin d’être des faire-valoir. Le clash entre les hommes sera inévitable, Livingstone et Tosh quitteront le groupe. Même si le nom de Wailers persistera, il ne sera plus que celui des accompagnateurs de Marley …

Du même sur ce blog : 



4 commentaires:

  1. Je renchéris donc : pour lequel il faut commencer si on s'en fout un peu (beaucoup) du reggea ?
    En tout cas les extraits sont bonnards.

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  2. Soit une compile, la BO de "The harder they come", sinon Marley est incontournable. Sa meilleure compile c'est "Talkin' blues" (les versions originales jamaïcaines de ses classiques), ou les disques studios "internationaux" qui suivent immédiatement ce "Catch a fire", soit "Burnin'" ou "Natty dread" ...

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  3. Ok. Thanks. J'aime pas trop les compiles en général, mais pour certains genres pas forcément tournés vers le format album j'imagine que c'est pas plus mal aussi. Ca vaut aussi pour la techno d'ailleurs...

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    1. La B.O de Rockers, si tu la trouves, est une tuerie. Le film aussi.

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