Mieux qu'un Best of ...
Tout simplement le meilleur disque de Marley. Euh,
en fait, non, tout n’est pas aussi simple que ça. Parce que ses meilleurs
titres, Marley les a sortis sur de petits labels jamaïcains fin des années 60,
début des années 70. La plupart ont ensuite été réenregistrés sur ses disques
Island (à partir de « Catch a Fire » en 1973), certains devenant
alors des hits mondiaux … En perdant au passage toute la magie de leur
spontanéité originale.
Quand paraît « Natty Dread », le plan
marketing de Chris Blackwell qui l’a signé sur Island commence à porter ses
fruits, Clapton vient de sortir sa reprise de « I shot the Sheriff »,
le reggae s’installe sur les ondes du monde dit libre, et Marley est en route
pour devenir le héros et le héraut de tous les déshérités de la Terre.
Même si dans le « clan » Marley tout ne
baigne pas. Ses deux potes d’enfance Peter Tosh et Bunny « Wailer »
Livingstone (les Wailers originaux) sont évincés (ou sont partis d’eux-mêmes
selon les versions des différents protagonistes). Sa femme Rita entend
surveiller au plus près son coureur de mari et le groupe de choristes les I
Threes (elle, Judy Mowatt, Marcia Griffith) prend une place de plus en plus
importante sur le plan vocal. Marley lui-même, qui vient de découvrir à ses
dépens le monde des hommes d’affaires de la Babylone du disque, choisit de ne
guère se créditer dans les différentes chansons de l’album alors qu’il en est
le pourvoyeur quasi unique, ce qui est tout sauf une bonne idée, l’immense
succès du disque donnera ensuite lieu à des batailles juridiques sans fin (une
constante dans la saga Marley, et plus encore depuis qu’il est mort) avec les
« auteurs », notamment Vincent Ford pour la paternité de « No
woman no cry ».
La partie enregistrement, promotion et concerts est
aussi dès lors qu’il s’agit de Marley une « aventure ». Encore que
Chris Blackwell réussit à sortir Marley et sa raya de la Jamaïque pour les
faire enregistrer aux studios Island de Londres, les Wailers dans leur antre
mal famée de Trenchtown étant particulièrement imprévisibles et ingérables.
C’est donc au milieu du brouillard londonien et dans celui de leur ganja que
Marley et sa troupe enregistrent leur inégalé chef-d’œuvre. Les usual suspects
habituels sont là, notamment l’inamovible rythmique des frères Barrett, Carlton
à la batterie et Aston « Family Man » (ainsi nommé à cause de ses
dizaines d’enfants naturels, cinquante sept seront finalement officiellement
recensés ) à la basse, des cuivres sous la férule de Tommy McCook l’âme
des Skatalites, deux claviers, le guitariste américain Al Anderson et les I
Threes aux chœurs.
C’est logiquement lorsque l’on commence à parler
musique chez Marley qu’intervient la plus grosse méprise, lui et ses Wailers
n’étant perçus que comme une bande de paysans (les textes dans un anglais de
contrebande approximatif étant sans doute pour beaucoup dans ce cliché)
moulinant leurs contre-temps rythmiques ad lib. Ce serait oublier qu’ils ont
tous usé leurs oreilles à écouter radios et disques américains, qu’ils
connaissent sur le bout des doigts soul, blues et jazz, et que malgré
l’imposant nuage de ganja qui flotte en permanence au-dessus d’eux, ces types
sont des grands musiciens, et surtout pas des rustiques à la technique
hésitante.
Sous l’impulsion surtout de McCook et des claviers,
intros et arrangements tirant sur le jazz sont de la revue (« Lively up
yourself », « Them belly full », « So Jah seh »), les
mélodies imparables de sortie (« Natty dread », « Bend down
low »), le tout sans renier les sonorités typiquement jamaïcaines (le
rocksteady de « No woman no cry », le lover’s rock de « Talking
blues »).
Les textes abordent tous les aspects de ce que l’on
a englobé par extension sous le terme de culture rasta. L’aspect mystique
brinquebalant (le rastafarisme est une « religion » codifiée par des
paysans incultes au début du XXème
siècle, et ne s’énonce pas sans quelques incohérences et bizarreries toutes
locales, celle ayant le plus marqué les Occidentaux étant sans conteste la
place essentielle dans le culte accordée à la ganja, le cannabis des collines
jamaïcaines) est bien sûr représenté (« So Jah seh », …), la peinture sociale de toutes les petites gens
des ghettos (« No woman no cry », …), et surtout l’importance toute
politique que prendra le reggae, musique d’opposition dans tous les pays où la
liberté est bafouée (« Rebel music », …). Pour Marley la musique est
beaucoup plus qu’un divertissement, même s’il ne néglige pas cet aspect
(« … forget your trouble, forget your sorrow, and dance … » sur
« Them belly full »). Elle se doit aussi de décrire le monde
(« No woman no cry » sur la misère à Trenchtown, ce quartier-ghetto
de Kingston, où s’entassent misère et laissés-pour-compte ). Elle se doit aussi
de participer à l’émancipation sociale, témoin le titre central du disque et le
plus long « Rebel music », véritable profession de foi au sens
politique du terme, dans la lignée des folks engagés de Leadbelly, Guthrie, Dylan,
des blues des parias noirs, du « Say it loud, I’m black and I’m
proud » de James Brown, Marley entendant « rattrapper » par son
engagement le fait qu’il ne soit qu’un métis, ce qui constituera un traumatisme
durable chez lui (cf son album-exutoire « africain » « Survival »).
Dans ce « Natty dread » où tous les titres
sont des classiques de Marley, les profanes auront droit à la version originale
de « No woman no cry » façon rocksteady, alors que la version la plus
connue du titre est celle (tronquée) du 45T issu du « Live at the
Lyceum ». Et la perle la moins louée du disque est bel et bien le sublime
et lent « Talkin’ blues ». A noter que dans les rééditions Cd figure
maintenant un dixième titre « Am-A-Do » totalement sans intérêt et
qui vient rompre la magie de ce chef-d’œuvre.
Pour ceux qui se seraient bêtement arrêtés à la
mauvaise compilation « Legend » (tous ceux qui n’ont qu’un disque de
Marley ont ce machin mal foutu axé sur ses titres les plus neuneus et
commerciaux), la véritable bonne porte d’entrée pour Marley et son reggae,
c’est bel et bien « Natty dread ».
A noter que la pochette est l’œuvre de Dennis
Morris, photographe anglais « officiel » de Marley, puis des Sex
Pistols et de PIL, avant de devenir le chanteur ( ? ) des expérimentaux dub-rockers de Basement 5.
Du même dans ce blog :
The Upsetter Record Shop Part II
Catch A Fire
Du même dans ce blog :
The Upsetter Record Shop Part II
Catch A Fire
C'est un disque de reprises de chansons de Yannick Noah ?
RépondreSupprimerEn quelque sorte ...
RépondreSupprimerJe n'ai qu'un CD de Marley et c'est Rastaman Vibrations. J'ai encore des vinyles dans le grenier chez mes vieux. J'avais pensé les racheter en CD, je ferais peut-être mieux de me racheter une platine, les craquements chez Marley c'est pas bien gênant.
SupprimerC'est déjà bien de pas avoir "Legend" ... Rastaman Vibration, c'est le Marley en pleine gloire qui se la joue un peu prophète, un de ses plus mystiques, sinon le plus mystique ... pas mon préféré ...
RépondreSupprimerY'a des millions de types ou de nanas pour qui la vie a changé après avoir écouté les beatles, les stones ou qui on voudra avant l'invention du cd ... la plupart les écoutaient sur des tourne-disques tout pourris ...
La technique côté lecteur n'a pour moi qu'une importance minime, c'est plutôt le contenu du disque le plus important ...
De plus, concernant Marley, y'a des rééditions "gonflées" qui font pas vraiment l'unanimité des "connaisseurs" ...