En préambule et en guise d’avertissement, il y a un
piège dans ce disque. Parce que, hein, avouez que vous y avez cru. Voir accolés
à la suite les noms de Ralph Molina, Billy Talbot, Nils Lofgren et Neil Young,
on pense bien évidemment à un disque du Canadien et de ses comparses, avec une
coquetterie littéraire qui a juxtaposé leurs noms au lieu d’un habituel Neil
Young & Crazy Horse. Ben non, vous avez tout faux.
Ralph Molina
Ce « All roads lead home » c’est une
compilation au sens le plus strict du terme. Et pas une compilation de ce que
les quatre ont fait paraître ensemble. Non, une compilation de titres solo
enregistrés par les papys (ben oui, comment voulez-vous les appeler, ils ont
308 ans à eux quatre au moment de la parution du disque) lorsqu’ils étaient
bloqués chez eux pendant la pandémie du Covid. Le pire est quand même évité,
ils ont beau être vieux, ils savent (ou quelqu’un dans la baraque sait pour
eux) se servir d’internet, ont fait circuler des fichiers à des potes ou à leur
band, chacun à rajouté sa partie instrumentale, et on n’a pas à se farcir dix
titres acoustiques …
Quoique … Neil Young, que l’on a connu moins chiche
(voir la cadence effrénée à laquelle il sort de nouveaux trucs ou fait paraître
ses archives musicales), balance seulement une version acoustique (guitare,
harmonica, voix) de « Song of the seasons », titre paru en version
« orchestre » sur une de ses dernières rondelles « Barn ».
Rondelle que j’avais oublié d’écouter (Neil Young a tendance depuis bien trente
ans à faire du Neil Young d’avant, en moins bien). Une fois le titre original
youtubé, verdict : la version de « Barn » est meilleure que
celle de « All roads … » qui rajoute une minute et demie à la version
d’origine de six minutes, pas vraiment concise … Au mieux un fonds de tiroir,
au pire du remplissage tendance foutage de gueule …
Billy Talbot
Les trois autres se montrent moins chiches, et a
priori nous honorent de titres originaux (difficile de savoir pour Nils
Lofgren, que ce soit en solo ou avec d’autres, il a dû sortir trois cents
douzaines de disques) avec un remarquable esprit d’équité (trois titres chacun).
Autant en venir à la conclusion, l’ensemble est assez décevant.
Pourtant, on a affaire à trois types qui ont quand
même fréquenté deux backing bands parmi les meilleurs des douze derniers
siècles (Crazy Horse pour les trois, le E Street Band en plus pour Lofgren).
Les trois vieux ont au moins deux problèmes majeurs.
Ils ont peu composé (oui, je sais, Lofgren et sa kyrielle de disques, les
meilleurs sont ceux des débuts, dans les seventies, j’en ai une paire que
j’écoute jamais, et je dois pas être le seul), et on peut pas dire qu’ils
avaient des titres fulgurants sous le coude à glisser sur « All roads
… ». Pour finir de gâter la sauce, tous les trois n’ont plus de voix, si
tant qu’ils en aient eu une un jour. A ce jeu, le pire est Ralph Molina.
Nils Lofgren
Le problème, c'est que ces trois vioques, ils ont joué
tellement de fois tellement de bons morceaux dans leur vie, qu’il en reste
forcément quelque chose. Et surtout dans un registre classic rock, ballades
pépères, mid tempos enjoués, des trucs avec une intro, des couplets, un
refrain, un p’tit solo quand il faut (Lofgren est le plus démonstratif à la
guitare, même s’il n’y a rien qui donne envie de balancer les superlatifs).
Molina est celui qui compose le mieux, ses titres sont intrinsèquement les
meilleurs, mais bon, le malheur c’est qu’il chante. Lofgren est le plus concis,
dépassant rarement les trois minutes, et se conduisant en Rémy Bricka du
folk-rock-machin. Il joue de tous les instruments sur ses trois titres, avec le
renfort sur un titre d’un autre Lofgren (son frère ? son fils ?) et
d’un bassiste sur un autre morceau. Et Talbot, sans faire de vagues ou crisser
les pneus, nous sert trois morceaux centristes, dont à mon avis le meilleur de
la rondelle, ce « Rain » (rien à voir avec l’homonyme des Beatles)
placé en ouverture.
Outre ce « Rain », qu’est-ce qui mérite qu’on
jette une oreille distraite sur ce disque ? « It’s magical » de
Molina qui n’est pas spécialement magique (et cette voix !), est cependant
une jolie ballade up tempo, « Cherish » de Talbot accroche grâce à
son intro hendrixienne, avant de tourner vinaigre, la faute à un tempo
mollasson inadapté à la stridence des guitares. A demi convaincante aussi, une
autre compo de Molina, « Just for you », jolie ballade triste avec
son sax pleurnichard.
Neil Young
Les rares bonnes choses sont le « Rain »
déjà évoqué, le « Fill my cup » de Lofgren qui grâce à une rythmique
vaudou-tribale, amène un peu d’originalité à un ensemble prévisible et
ronronnant, et l’assez concerné mid tempo rock de « Look through the eyes of
your heart » de Molina.
Ce qui fait quand même assez peu pour des types dont
le nom clignote en haut de la chose folk-rock depuis des décennies. J’aurais aimé
tartiner des feuillets pour dire du bien de cette rondelle qui n’apportera rien
à l’œuvre de ses auteurs. Il faudra certainement attendre qu’ils sortent un
disque où ils jouent vraiment ensemble pour trouver quelque chose de consistant
à se mettre entre les oreilles …
Ils étaient pas forcément au bon endroit (le
Colorado, c’est pas l’Etat qui a fourni le plus de musiciens célébrissimes),
mais surtout ils étaient pas là au bon moment. Flash Cadillac & The
Continental Kids (joke on ne peut plus ricaine, nom à base de bagnoles, la
marque Cadillac et la Lincoln Continental, j’y connais pas grand-chose, mais je
crois que c’est un mix des deux sur la pochette), ils ont commencé dans les
seventies et ont eu leurs cinq minutes de gloire en tant que Herby and the
Heartbeats (le groupe de la scène de bal dans « American Graffiti »
le film de George Lucas).
Flash Cadillac, déjà en 72, ils regardent dans le rétroviseur.
A peu près pile poil dix ans en arrière, soit vers 1962, époque, on nous l’a
appris à l’école, où la musique américaine était pas au mieux. Les antiques
pionniers de la fin des 50’s étaient soit morts physiquement soit, pire,
artistiquement. Bob Dylan, les Byrds, la Tamla, Spector, … n’en étaient au
mieux qu’à leurs premiers vagissements. Les charts étaient occupés par de
jeunes (voire très jeunes) gens (blancs) BCBG, mêlant avec une précision d’experts
comptables relents de doo-wop et restes de rock, et généralement prénommés Frankie
(Avalon, Valli, voire Lymon bien que ce dernier soit – ô scandale – noir). C’est
cette génération et cette époque qu’on voit dans au cinéma « American
graffiti », et un peu plus tard dans « Grease ».
Donc Flash Cadillac etc … ils sont un peu dans un no
man’s land revival, coincés entre Sha Na Na (sorte d’ancêtres américains de Au
Bonheur des Dames, célèbres pour s’être égarés au milieu des hippies à
Woodstock), et le revival rockab initié à partir de 75 par Robert Gordon et jackpotisé
au début des 80’s par les Stray Cats. Les six Flash Cadillac sont soit des
attardés musicaux, soit des précurseurs, en tout cas totalement hors sujet et à
peu près sans équivalents dans l’Amérique du début des 70’s.
La descendance des teen idols est clairement
affichée au verso de la pochette de ce disque, leur premier, avec une dédicace encadrée
d’Annette Funicello, toute jeune star maison de Disney des années cinquante (en
72 en grosse perte de vitesse sinon oubliée), sorte de grand-mère virtuelle des
Britney Spears ou Zendaya … Assez étrangement, alors que le décorum renvoie à
de l’hyper consensuel, c’est beaucoup moins évident à l’écoute de « Flash
Cadillac … ».
Quand ils donnent dans le rockabilly, ils font pas
penser au gentil Ricky Nelson, mais plutôt au Johnny Burnette Trio (« Reputation »),
voire à Eddie Cochran (« Nothin’ for me », étonnante de similitudes).
Mieux, sur un titre comme « Endless sleep », Flash Cadillac etc …
sonne en 72 comme les Cramps de 82. Faut fouiner dans les crédits (maigres, sur
certaines rééditions, dont la mienne, y’a même pas les auteurs des chansons) pour
trouver écrit en petit que le producteur de « Flash … », c’est nul
autre que cette grande asperge déjantée de Kim Fowley, grand amateur de « coups »
musicaux qui verra son obstination à truster le haut des charts par groupes
(manipulés) interposés, obtenir le jackpot avec les gamines trashy et rock’n’roll
des Runaways (Joan Jett, Lita Ford et consorts …). Pourquoi le groupe ou Epic,
leur label, sont-ils allés chercher Fowley, mystère et boule d’opium …
Les Flash Cadillac ont beau être six, ils écrivent
peu (à eux deux, le claviers et le guitariste ont signé trois titres sur douze).
« Flash … » est donc surtout un disque de reprises. Et l’on s’aperçoit
vite que c’est pas « l’authenticité » qui compte, mais plutôt la
façon de sonner, de jouer qui importe. C’est léger, ludique, parfois trop, mais
ça fait partie du concept. Les Flash Cadillac sont au rock’n’roll des origines
ce que Madness des débuts sera à la musique jamaïcaine.
Côté loufoquerie, ça commence d’entrée avec la
reprise de l’antique « Muleskinner blues (Blue yodel # 8) » vieille
scie du countryman Jimmie Rodgers, reprise déjà de multiples fois (de Woody
Guthrie à Dolly Parton qui venait d’en faire un hit national). Après le « Reputation »
évoqué plus haut, les Flash Cadillac font un mauvais, très mauvais sort à « Crying
in the rain », une des plus belles chansons du monde créée par les Everly
Brothers. La filiation gaguesque avec Sha Na Na frappe les oreilles avec le sautillant
« Betty Lou », que les au Bonheur des Dames ont dû écouter, tant leur
« Oh les filles » va lui ressembler … Une reprise instrumentale
(comme l’original) de « Pipeline » des Chantays n’apporte rien à ce
classique de la surf music.
La face B (oui, on cause bien 33 RPM, ce disque n’a
jamais été réédité en Cd) débute avec « She’s so fine », un des deux « classiques »
de Flash Cadillac, qui figurera l’année suivante sur la B.O. de « American
graffiti » (en compagnie de « At the Hop », autre titre du
groupe et leur plus gros succès, qui sera sur l’album suivant, ces deux morceaux
étant il me semble bien les deux seuls à être postérieurs à 1962, année où se
déroule l’action du film). A propos de « At the hop », le dernier titre
du disque « Up on the mountain » semble en être le brouillon avec son
rythme doo-wop accéléré. Le reste de la face, hormis le plagiat ? - hommage ?
de Cochran déjà évoqué ne mérite pas de passer à la postérité …
Et tant qu’on parle de postérité, celle de Flash Cadillac
& the Continental Kids n’a pas traversé les décennies. Certes cet album et
le suivant, boostés par « American graffiti » se vendront un peu, un
troisième paraîtra (en fait une compilation des deux précédents), un autre fera
un four monumental, et vers 75, le groupe se dispersera (avant des tentatives
avortées de reformation à destination du marché nostalgia pendant des
décennies). Aucun membre du groupe ne connaîtra par ailleurs succès et gloire.
Pire, quand le revival rockab initié par les Stray Cats explosera, ils ne
seront jamais cités comme influence par quelque porteur à banane de blouson de
cuir.
Les Flash Cadillac ont joué la carte du gag sonore,
ils n’auront jamais aucune reconnaissance ni crédibilité. Une page anecdotique
du rock américain des 70’s …
Canned Heat … J’ai arrêté de compter le nombre de fois où
je les ai cités (souvent en compagnie de Status Quo) pour décrire d’une façon
compréhensive par tous quelque chose de pénible et répétitif. Un truc bien ianch,
quoi … Les Canned Heat, c’est malheur et misère à tous les étages. Les deux
leaders et fondateurs du groupe claqués bien jeunes, ce qui n’empêche pas
Canned Heat de bientôt entamer sa sixième décennie d’existence. Au répertoire,
une litanie immuable de boogies monotones (dans tous les sens du terme), étirés
pendant une demi-heure (voire plus) sur scène. Le tout d’un rigorisme et d’un
ascétisme virant à l’idée fixe, à la trademark…
Vestine, Wilson, Hite, Taylor, De La Parra : Canned Heat 1968
Vous imaginez sans peine ce qui va suivre avec ce
« Boogie with Canned Heat » …
Bon, vous vous trompez. Derrière le titre pléonastique,
se cache un bon disque. Qu’il ne viendra certes à l’idée de personne de classer
parmi les grandes œuvres des 60’s-70’s, mais s’il fallait en retenir un du
Heat, c’est celui-là. Parce que durant leur période « royale », le
groupe n’en a sorti qu’une poignée, et celui-ci dépasse de loin tous les autres.
Et aussi et surtout, parce qu’il n’y a pas que des boogies, il y a aussi des
blues (du boogie, du blues, il doit plus rester grand-monde, la plupart des lecteurs
sont à ce stade retournés jouer en ligne, où voir si une blonde vulgaire, la
quarantaine pas farouche, n’était pas venue consulter leur profil Tinder).
Mais pas que. « Boogie … » est le disque le plus varié, le plus
subtil de Canned Heat.
L’histoire commence à Westwood, quartier (celui de l’UCLA
entre autres) de Los Angeles. Dans un magasin de disques consacré aux vieilles
rondelles de blues, bosse le dénommé Bob Hite, pilosité néanderthalienne et
carrure massive (son surnom « The Bear » n’a pas nécessité beaucoup
d’imagination). Hite en plus d’être vendeur, est un collectionneur compulsif de
ces préhistoriques galettes rustiques (mais pas un gestionnaire, il se séparera
de ses dizaines de milliers de vinyles pour cause de faillite personnelle). Un
de ses clients est Alan Wilson, redoutable bigleux (pour lui aussi, le surnom
« Blind Owl » sera une évidence) toujours à la recherche d’une pièce
rare en 78T ou en acétate. Le binoclard emmènera un jour sa guitare, le gros
poussera la chansonnette, et après le long périple habituel des va-et-vient de
personnel, des galères et des premiers concerts et enregistrements, une
formation se stabilise, se professionnalise plus ou moins sous le nom de Canned
Heat (en référence à une chanson d’un antique bluesman dont j’ai pas envie de
rechercher le nom).
Bob Hite
Un premier album éponyme (quand je vous disais que Canned
Heat et imagination ça rime pas) voit le jour début 67, et il est uniquement
composé de reprises (de blues) et comme on le dit en termes diplomatiques, ne
trouve pas vraiment son public. La rotation du personnel continue, et au trio
en lice au début d’année (Hite, Wilson et le bassiste Larry Taylor), viendront
s’ajouter le guitariste Henry Vestine (venu de la galaxie Frank Zappa) et le
batteur Fito De La Parra rejoindra le groupe en studio qui enregistre ce qui
deviendra « Boogie with Canned Heat ».
Sauf que … accident industriel. Durant l’été, le groupe
en tournée (et en goguette) s’est fait serrer par les keufs, poches lestées d’herbe
qui rend nigaud. En ces temps-là, période psychédélique ou pas, flics et
justice rigolent pas avec la drogue, surtout quand ça concerne des corniauds de
seconde zone. Le type qui leur sert vaguement de manager (Dick Taylor, rien à
voir avec le bassiste) profitera de l’occasion. Il payera la caution pour faire
sortir du poste (Vestine, qui jouait avec Zappa - lequel virait immédiatement
tout musicien en possession ou ayant consommé des substances – avait esquivé la
rafle) les quatre nigauds, moyennant la moitié des droits d’auteur sur leurs
chansons et disques à venir. Autrement dit, fini les albums 100% reprises, le
groupe allait devoir composer. Conséquence immédiate, une demi-douzaine de
reprises déjà mises en boîte seront écartées, et paraîtront plus tard en bonus
sur des rééditions (j’y reviendrai plus bas … si j’y pense). Mais, comme
beaucoup à l’époque (Led Zeppelin sur son premier album), Canned Heat va
enregistrer des reprises dont ils « oublieront » de créditer les
auteurs.
Alan Wilson
Cas d’école, le dernier titre de l’album, « Fried
Hockey Boogie », onze minutes au chrono. Ecoutez l’intro. Note pour note
la même que celle de … « La Grange » de ZZ Top, sorti cinq ans plus
tard. Etonnant ? Ben non, le Heat et les Texans ont pompé sans vergogne le
« Boogie Chillun » de John Lee Hooker, qui lui-même avait repiqué un
riff que son beau-père lui avait appris, et qui venait de la tradition musicale
du fin fond du Delta blues … Pour éviter de se fâcher avec le Hook, le même
titre live sera rebaptisé « Woodstock Boogie » (vingt-sept minutes) lors
du fameux festival, ou « Refried Boogie » (quarante et une minutes (!)
sur « Playing the blues »). Banqueroutes mutuelles en vue, Canned
Heat et John Lee Hooker laisseront leurs avocats au vestiaire pour enregistrer
ensemble « Hooker & Heat », renflouant momentanément leurs
carrières. Le morceau litigieux sera évidemment de la partie, cette fois
intitulé « Boogie Chillun n°2 » (un auto-plagiat de Hooker, version
électrique de l’original acoustique) et crédité à Hooker. Fin de l’histoire ?
Non, car une variation du riff sert d’ossature à « On the road again »
…
« On the road again », c’est le titre le plus
connu du Heat. Un morceau à la trajectoire étrange. Enregistré en version blues
de sept minutes et écarté avec d’autres de « Boogie … ». Avec au
chant, la voix aigue et fluette d’Alan Wilson. Une nouvelle version, plus
courte (cinq minutes), au tempo plus rapide et introduite par un drone de
tampura (sorte de sitar) persistant figurera sur « Boogie … »
(premier titre enregistré avec le nouvel arrivé De La Parra). Et parce qu’avant
que l’album soit dans les bacs, il faut sortir du vinyle, la version de l’album
amputée des solos d’harmonica et de guitare, sera la face B d’un 45T avec en
face A un – toujours cette imagination dans les titres – « Boogie
music » (disparu du tracklisting de « Boogie … » et même des
bonus tracks, c’est dire que ça devait pas être un titre terrible). Peu captivé
par cette face A, un DJ retournera la galette et passera « On the road
again » à l’antenne … on connaît la suite, le titre a traversé les
décennies …
« Boogie … » c’est pas seulement des histoires
de plagiat, et faces B qui deviennent des hits planétaires. C’est un disque qui
sans être forcément captivant par son originalité n’est pas une enfilade de
titres siamois. N’en déplaise aux puristes qui ne jurent que par St Wilson et
St Hite lorsqu’il est question du Heat, le grand bonhomme de « Boogie
… » pour moi c’est Vestine. Grand guitariste sous-estimé, balançant des
solos pleins de wah-wahs hendrixiens (sur l’introductif « Evil
woman ») et de pédale fuzz (un peu partout ailleurs). Parce que sans être
de mauvaise foi (et je m’y connais en mauvaise foi), on peut pas dire que
niveau compositions et niveau instrumental, ce soit stratosphérique. Alan
Wilson (un peu d’harmonica, de piano de guitare et de slide) ne laisse pas
pantois par sa technique, la rythmique Taylor – De La Parra fait son job sans
plus (leurs solos respectifs sur « Fried hockey … » ne sont pas
entrés dans la légende des grandes démonstrations virtuoses), et Bob Hite pourtant
physiquement imposant ne marque pas spécialement son territoire au chant. Le
vrai bonus du disque, c’est Vestine, d’ailleurs il a un titre instrumental (ou
plutôt un solo de cinq minutes) rien que pour lui. « Marie Laveau »
qu’il s’appelle ce titre, en référence à une figure mythique de la culture
vaudou du bayou louisianais. « Marie Laveau », traditionnel que l’on
retrouvera (avec des paroles) chez Dr John. Admirez la transition … parce que
le bon toubib, on voit pas son nom sur la pochette (une histoire de contrats,
de droits, un truc du genre), mais il a bien participé à ce « Boogie
… » et ça s’entend. Le piano swinguant et les arrangements de cuivres sur
« Marie Laveau » et « An Owl song », c’est lui, et ça rompt
carrément le ronronnement monotone des boogie blues.
« An Owl song », c’est l’autre titre de la
galette écrit et chanté par Wilson, un rhythm’n’blues léger avec cuivres en
avant et le piano new-orleans style du Toubib. Si ce titre démontre que Wilson
avait les moyens de faire évoluer le monolithisme du Heat, pas seulement à
cause de sa voix de falsetto, mais surtout parce qu’il pouvait écrire dans un
autre registre que les douze immuables mesures, le groupe n’aura pas vraiment
le temps d’exploiter ses talents (l’autre gros succès du Heat, « Going up
the country », c’est aussi lui), il en sera le premier macchabée (ingestion
de trop de barbituriques, sans que la thèse du suicide puisse être validée). Il
n’en tirera aucune gloire posthume (il est celui du « Club des 27 »
qu’on ne cite jamais), c’était un gars au tempérament discret voire mutique, il
n’avait rien du rocker flamboyant …
Canned Heat était un groupe sympa, accessible, et du
moins à ses débuts plutôt « positif » (point trop de drogues dures,
ça viendra plus tard). Témoin sur « Boogie … » le titre anti-drogue « Amphetamine
Annie » boogie mâtiné de rhythm’n’blues. Episode connu de la coolitude du
groupe, lors du festival de Woodstock, pendant que le groupe joue, un zombie
raide def monte sur scène, titube vers le colossal Hite, et vient le taxer
d’une clope. Hite sort son paquet de la poche de son polo Prisu, file une clope
au gars qui fouille ses poches, il a pas de briquet. Hite sort le sien, donne
du feu au quidam, qui entame la causette, puis repart en zigzaguant, le tout
sans que Hite se départisse de son sourire et de sa bonhommie. Lors du même
festival, l’activiste et plus ou moins organisateur Abbie Hoffman, monte sur
scène à la fin d’un titre des Who, et commence à entamer un speech militant au
micro. Speech dont on ne saura rien, Pete Townshend lui administre un magistral
coup de pied au cul et l’éjecte de la scène …
Bon, revenons à « Boogie … ». Quelques machins
bluesy (« Whiskey headed women », « Turpentine moan ») de circonstance,
bien dans la ligne du parti, n’apportent pas grand-chose, tout comme le
boogie-rock de « World in a jug ». La rondelle ne serait pas complète
sans un autre titre à la John Lee Hooker, « My crime ».
En tout cas, la version réaménagée de « Boogie
… » est meilleure que ce que le disque aurait pu donner avec les premières
reprises mises en boîte, avec ses reprises empruntées au répertoire de (of
course) Hooker (« Whiskey & wimmen », T Bone Walker (« Mean
old world »), Albert King (« The hunter »), Buster Brown
(« Fannie Mae »), ou Big Joe Turner (« Shake rattle &
roll »). Pour les deux dernières, ça souffre quand même un peu beaucoup de
la comparaison respectivement avec les versions de Presley ou des Stones.
Voilà, voilà, j’ai dit pas mal de bien d’un disque de
Canned Heat …
Ça vous dit quelque chose, le nom de Mick Jagger ?
Oui ? ‘tain, vous devez être vieux … Peut-être pas autant que Sir Mick,
mais bon … Donc le Mick, il y a cinquante ans qu’il imite (le chant, la
gestuelle scénique), en évidemment plus vieux et moins bon, le Jagger du début des
seventies. Avant cela, Mick Jagger sur scène avait beaucoup emprunté à
Tina Turner, et encore avant à James Brown. Et quand il a commencé, vers 63-64,
son modèle principal c’était Solomon Burke. Solomon qui ? … Bougez pas, je
vous présente le bestiau …
Même si aujourd’hui, on cite à peu près aussi
souvent Solomon Burke quand on cause musique, qu’on cite Raymond Kopa en
parlant cyclisme ou Louison Bobet dans une discussion sur le foot (oui, je sais,
y’a un twist, c’est pour voir si vous connaissez vos classiques).
Le brave (?) Solomon, il est, pour être gentil, un
peu tombé dans l’oubli et il risque pas trop de revenir au sommet, vu qu’il a
claqué en 2010. Il fait partie de toute une litanie de chanteurs américains de
… musique noire pour faire simple, qui ont eu leur quart d’heure de demi-gloire
au début des sixties, coincés temporellement entre Jaaaames Brown (la figure
tutélaire), Sam Cooke (le beau gosse hyper populaire à la voix de velours) et
les futures stars soul à venir (les types des écuries Stax et Atlantic, les Otis
Redding, Wilson Pickett, Sam & Dave, …). Sans oublier les hits de la Tamla ou
de Spector … Malgré tout, des Ben E. King, Arthur Alexander, Don Covay, Geno Washington,
Jackie Wilson (ces deux derniers ayant suscité deux – belles – chansons des
Dexys Midnight Runners au début des 80’s), récoltaient quelques hits et
pouvaient prétendre atteindre le haut de l’affiche. Solomon Burke faisait
partie du lot.
Des premiers enregistrements au début des années 60,
une signature chez Atlantic, commencent à le sortir du troupeau d’anonymes qui
s’escriment dans la chanson. Burke a pour lui une voix malléable, avec une
facilité certaine pour monter dans les aigus et descendre dans les graves, et
une présence sur scène physique et énergique. « Just out of reach » sera
son premier succès, paru en 1961, et présent dans les charts à l’occasion d’une
réédition deux ans plus tard. « Cry to me » suivra quelques mois plus tard.
Le premier est une ballade soul interprétée d’une voix suave qui n’est pas sans
rappeler le King Elvis himself lorsqu’il s’adonnait à ce genre de ritournelles.
« Cry to me » est d’une structure plus travaillée, empruntant
toujours à la soul, mais le tempo s’accélère, laissant apparaître des sonorités
venues du doo-wop et du rhythm’n’blues. C’est le moment que choisit Atlantic
pour faire de Burke une de ses priorités. Un auteur maison, qui commence dans
la production, Bert Berns, est chargé du disque, sous le regard et les oreilles
attentives de Jerry Wexler, producteur en chef d’Atlantic (et plus ou moins
bras droit d’Ahmet Ertegun, fondateur du label). Solomon Burke devient une
affaire sérieuse.
Ce « Rock ‘N Soul » qui résultera des séances,
indique par son titre même la direction choisie. La soul est le matériau de
base, mais un pont veut être construit avec le « rock » au sens le
plus large, c’est-à-dire un crossover entre musiques blanches et noires. Rien
de nouveau et d’extraordinaire dans la démarche artistique, si ce n’est que
généralement, ce sont des chanteurs blancs qui allaient vers la musique noire
(le cas d’école Presley), plus rarement l’inverse.
Burke bénéficie donc de la machine Atlantic, ce qui
n’est pas rien. Et de titres qui pourraient bien marcher. Bon, pas les siens,
Burke compose peu (deux titres vers la fin du disque, pas les meilleurs), mais
il peut compter sur un tracklisting sur-mesure, pour l’essentiel des reprises.
Et pas de n’importe qui. Figurent dans les crédits des noms comme Wilson
Pickett, Woody Guthrie, Don Covay, Leiber & Stoller, … Ce « Rock ‘N
Soul » va pourtant être doté d’un son assez curieux, avec une place
souvent démesurée accordée aux choristes dont les voix au premier plan viennent
parasiter Burke, pourtant pas vraiment un aphone au micro. Nouveau concept
musical (rock ‘n soul) et donc nouveau concept sonore ? Je sais pas, mais
ça pique parfois les oreilles …
Tout est fait pour attirer le chaland. Les
« vieux » hits « Just out of reach » et « Cry to me » sont de la
revue, et oui, on peut trouver des chansons qui tirent (un peu) vers le
rock’n’roll … Bon, pas tant que ça en fait, seule « Hard ain’t it
hard » peut être raccrochée au wagon du binaire. L’essentiel est composé de
soul parfois énergique (« Goodbye baby (Baby goodbye), « You’re good
for me »), mais le plus souvent sous forme de ballades (« Can’t
nobody love them all », « Someone to love me », « He’ll
have to go », cette dernière ayant dû pas mal plaire à Willy DeVille). Dans
l’intitulé du disque, Burke aurait aussi pu rajouter « pop » (« Won’t
you give him » semble sous forte influence Beatles), voire « gospel »
et « jazz » (« You can’t love them all » a des effluves de
ces deux genres. Pour faire simple, « Rock ‘N Soul » c’est un peu un
fourre-tout (pas mal foutu cependant) de plein de musiques à l’époque plutôt mainstream.
L'Ecole des Fans ...
Et Jagger et les Stones, alors ? On y vient, on
y vient… le jeune Mick était fan, essayait de tenir la scène comme Burke, et
les Stones ont allègrement pioché dans son répertoire à leurs débuts. Ils ont
repris quatre titres interprétés par Burke, dont deux qui font partie du
tracklisting de ce « Rock ‘N Soul » : « Cry to me » et
« If you need me », ce dernier quasiment plagié dans leur « Time
is on my side ». Et comme les Stones sont des garçons bien élevés qui
payent leurs dettes, ils ont parfois invité Solomon Burke à venir pousser la
chansonnette avec eux sur scène dans les années 2000, quand ils avaient pris l’habitude
de faire participer des guests à leur rock’n’roll circus…
Burke avec ce disque récoltera quelques hits mineurs
qui visiteront le ventre mou du Billboard… mais aucun n’imprimera, même pas un « Everybody
needs somebody » qui fera par contre la fortune et le succès des Blues
Brothers. Burke, même très diminué en fin de vie, continuera tant qu’il le
pourra de se produire sur scène, non sans avoir contribué à assurer sa
descendance (on parle tout de même d’une vingtaine d’enfants légitimes) …
Les Platters, c’est « Only you », la
putain de chanson de mariage, un des titres les plus connus, joués et repris du
monde, avec ses trémolos à l’entame du refrain, sa voix de ténor et ses violons
dégoulinants … Bon, aujourd’hui, les cinq Platters présents sur la version
originale sont tous morts, mais des Platters continuent de tourner dans le
circuit des oldies aux States pour des grabataires en smoking et des mémères à
chien-chien.
Mieux, plusieurs formations vocales sont les
Platters. Jamais vraiment un « groupe », plutôt un conglomérat de
tessitures de voix assemblées par un manager, grâce à un subtil (?) montage
juridique, quiconque a un jour fait partie des Platters peut, une fois qu’il a
quitté le groupe « original », tourner avec des comparses sous le nom
de Platters. Ainsi, il paraît qu’à la fin des 80’s, plus d’une demi-douzaine de
formations des Platters tournaient en même temps, et il est arrivé qu’il y en
ait deux à l’affiche le même soir dans la même ville …
Les Platters c’est une formule et une recette pressées
jusqu’au trognon. Au départ (début des 50’s) groupe vocal issu des chorales d’église
comme l’Amérique en comptait des multitudes, ils se professionnaliseront en
rencontrant un manager (véreux, forcément véreux, il signera ou cosignera sans
avoir écrit la moindre note ou le moindre mot un paquet de chansons du groupe),
le dénommé Buck Ram. Après quelques ajustements d’effectif (des types sont
virés, remplacés par d’autres, une chanteuse-choriste est rajoutée) et quelques
galettes gravées dans l’indifférence générale, le jackpot arrive en 1955 avec « Only
you », les Platters profitant alors de l’engouement pour le doo-wop
naissant, même s’ils sont assez éloignés des standards de ce genre. Ils en
laisseront de côté l’aspect festif et joyeux, se contentant de livrer une
palette sonore irréprochable aseptisée … et blanchie. Il est saisissant de
constater que quasi toutes les photos sont trop éclairées, et donc les reflets
de la lumière sur leurs visages en blanchissent fortement le teint … on parle d’une
époque où la ségrégation vivait des jours heureux. Bien évidemment, les chansons
ne véhiculeront rien qui puisse faire ciller qui que ce soit, no sex, no drugs (même
si leur premier chanteur lead s’est fait virer pour consommation de
marie-jeanne), et no rock’n’roll …
Même si, pas cons, ils se raccrocheront à tous les
courants musicaux noirs qui fleurissent à l’époque. Les Platters seront
gentiment rhythm’n’blues (« Ridin’ on the mainline » avec ses
effluves rythmiques louisianaises), tâteront à leur façon de la soul (« Put
your hand in the hand » chanté lead par la femme) et inventeront quasiment
(involontairement ?) le rythme Tamla Motown (« Headin’ time » en
1956, soit trois ans avant les débuts du label de Berry Gordy). L’âge d’or du
groupe durera en gros une poignée d’années (la seconde moitié des années 50) et
les verra truster le haut des charts avec les follow-ups de « Only
you » (« The great pretender », leur plus gros succès aux
States, « Smoke gets in your eyes » pour moi leur meilleur titre),
avant de descendre lentement mais sûrement du haut des charts.
Leur style (une irréprochable voix de ténor, celle
de Tony Williams, des chœurs discrets et sirupeux) sera copié durant des
décennies par des formations chorales noires, mais aucune n’obtiendra leur
succès. Leur répertoire (chansons crées ou reprises obscures popularisées pour
la première fois) sera repris maintes fois. Deux de leurs titres finiront plus
tard en haut des hit-parades, « Crying in the chapel » par Elvis
himself et « The great pretender » par Freddy Mercury.
Les Platters ont été (et sont toujours) de dociles
exécutants, les montagnes de dollars qu’ils ont générées n’ont bien évidemment
pas toutes finies dans leurs poches. Témoin cette compilation au packaging
minimaliste (le « livret » est une feuille cartonnée recto-verso),
parue sur un label douteux (Fine Tune, « spécialisé » dans les fonds
de catalogue et « gold collections » de vieilleries). Il n’est même
pas sûr que les versions présentes soient les versions originales, leurs succès
ayant été réenregistrés plusieurs fois par les différentes formations des
Platters …
C’est très bien les Platters … pour un faire un
gentil cadeau à vos grands-parents … quel que soit votre âge …
A la fin de l’été 1938 John Hammond (le père du bluesman
laborieux du même nom) est dans le Mississippi pour faire signer chez la
Columbia un certain Robert Johnson, dont quelques singles chez Vocalion qu’il a
entendus lui ont fait forte impression. Hammond apprend que le type qu’il
cherche vient de mourir. Il n’aura cependant pas fait le voyage de New York pour
rien, il rentrera avec dans ses bagages Big Bill Broonzy. Et plus tard il
signera pour la Columbia Billie Holiday, Bob Dylan, Aretha Franklin, Leonard Cohen,
Bruce Springsteen, … entre autres. Conclusion : Hammond avait des oreilles
et savait s’en servir …
Début des années 60, dans sa chambre, Brian Jones, leader
de Rolling Stones qui se cherchent (et cherchent encore le succès) fait écouter
au minot Keith Richards un disque importé des States. Question du Keith :
« C’est qui ? ». Réponse : « Robert Johnson ».
Keith : « Ouais, ok, mais l’autre guitariste ? ».
Brian : « Personne, il joue tout seul Johnson … ».
Ce même disque (« King of the Delta blues ») paru en
1961 (un volume 2 sortira une dizaine d’années plus tard), traumatisera à
jamais un certain Eric Clapton qui va bientôt se faire un nom comme guitariste
des Yardbirds … Et qui reprendra Johnson un nombre incalculable de fois, de
« Cross road blues » du temps de Cream, jusqu’à un album entier de
reprises (« Me and Mr Johnson », 2004) …
1969,
les Stones enregistrent « Let it bleed ». Keith fait écouter à Mick
un titre inédit pirate de Johnson. Emballé, Mick est OK pour intégrer ce titre,
« Love in vain » sur leur nouvel album … La version originale de
Johnson sortira pour la première fois sur ce « Complete Recordings » trente
ans plus tard.
Extrapolation … Avril 1930. Mme Virginia Johnson meurt en
mettant au monde son enfant, qui ne survivra pas non plus. Le père, Robert
Johnson, s’en remettra. Qu’en serait-il advenu de ce gamin s’il avait
vécu ? Et s’il avait pris de bons avocats, il aurait aujourd’hui plein de
thunes (venues des droits d’auteur de papa) et titillerait dans le classement
Forbes les Bezos, Gates ou Zuckerberg, tant les chansons du paternel ont été
reprises …
16 Août 1938. Après une nuit d’agonie et de souffrance, Robert
Johnson est déclaré bon pour le cimetière. La veille au soir, il donnait un
concert dans un rade d’un trou perdu du Mississippi (Greenwood), où il avait
l’habitude de se produire. Il partageait l’affiche avec Sonny Boy Williamson.
Un péquenot du coin dont Johnson serrait la femme de près, lui tend une
bouteille entamée de whisky. Williamson lui dit de ne pas boire, Johnson le
repousse et tête la fiole. Le cocktail strychnine-whisky fera rapidement effet…
Telle est la version la plus « officielle » de la mort de Robert
Johnson …
Quand Robert Johnson était sur scène et qu’un type dans
le public ne le quittait pas des yeux, aussi sec Johnson arrêtait de jouer et
quittait les planches. Il avait peur que le quidam comprenne et lui pique ses
plans de guitare. Variante Chuck Berry qui déclarait que s’il bougeait autant
sur scène et se livrait à des chorégraphies étranges (le duck walk entre
autres), c’était pour masquer sa façon de jouer…
A l’inverse, ceux qui l’ont connu affirment que Robert
Johnson, même pris dans une discussion, était capable de reproduire à la note
et au mot près une chanson entendue une seule fois. Robert Johnson était-il un
vulgaire détrousseur des morceaux écrits par d’autres ?
Sur deux des trois seules photos certifiées de Robert
Johnson (dont la pochette de ce Cd), on voit bien ses mains. Des doigts aux
phalanges démesurément longs, à la E.T. Peu ou prou les mêmes paluches aux
doigts immenses que Hendrix ou Jeff Beck, les deux autres extra-terrestres de
la six cordes … Johnson était capable de tenir les notes basses sur trois
cordes et de jouer des accords ouverts sur les trois autres, d’où la méprise de
Keith Richards. Un son et un jeu uniques (et sans sustain, échoplex et pédales
d’effets …).
Robert Johnson aurait rencontré le Diable à un carrefour,
lui aurait fait cadeau de sa vie en échange d’un cours particulier de guitare.
Un autre Johnson raconte la même histoire, et aucune des chansons de Robert,
malgré des titres évocateurs (« Cross road blues », « Preaching
blues », « Me and the devil blues ») n’y fait précisément
allusion … cheap thrills …
Robert Johnson est doté d’une des voix les plus
particulières du blues, très aigue (certains partisans de la théorie du complot
version douze mesures affirment que ses enregistrements ont été accélérés pour
obtenir ce timbre vocal, et que le talent de Robert Johnson ne serait que
bidouillage de studio … assez improbable cependant). Johnson multiplie aussi
dans ses parties chantées les yodels venus du hillbilly et de la country, allant
parfois faire untour du côté du phrasé
du rag (« They’re red hot ») …
En cinq jours (23,26 et 27 Novembre 1936, 19 et 20 Juin
1937), Robert Johnson a enregistré 63 prises (la plupart des titres en deux
versions). Seules 41 prises représentant 29 titres sont répertoriées à ce jour.
On suppose les autres prises détruites. Cinq jours, c’est à peu près le temps
qu’il faut depuis quarante ans pour régler en studio le son de la batterie …
Robert Johnson était pote avec Sonny Boy Williamson (le
premier), aurait traîné avec Son House, aurait connu Charley Patton. Son idole et
inspirateur était un certain Ike Zinnerman.
Robert Johnson était un musicien professionnel. Son
terrain de prédilection était le Mississippi (Delta blues). Contrairement à
tous ses successeurs, il semble qu’il n’ait jamais fait ni envisagé de faire un
tour à Chicago.
Robert Johnson avait la réputation d’un tombeur et d’un
serial niqueur. Ça aussi, ça fera partie du CV de tout bluesman qui se
respecte.
Bien avant les junkies des sixties (Morrison, Hendrix,
Joplin) et les suivants (Cobain, Winehouse), Robert Johnson a aussi inventé le
club des 27 …
A part Muddy Waters, mais dont la carrière a duré
plusieurs décennies (et bien aidée par Willie Dixon), je ne vois pas qui peut
lutter par la quantité (et la qualité) des standards publiés. Et si Mme Sony
(propriétaire de la Columbia) avait la bonne idée de nettoyer le son de ce
qu’elle met sur le marché de Robert Johnson (vraisemblablement repiqué sur les
shellacs Vocalion, souffle et crachotements à la pelle, dynamique inexistante),
ce serait parfait …
Merci à la dernière génération de verres progressifs qui
m’ont enfin permis de lire les caractères microscopiques du copieux et
instructif livret de ce « Complete Recordings » …
« Further » est un disque pour les vieux
fait par un vieux … même si Richard Hawley n’est pas vieux (enfin pas tant que
ça, plus de cinquante prunes au compteur quand même), il est né vieux.
Comprendre qu’il a jamais été à la mode (même s’il a fait a partie de Pulp,
Pulp de quoi ? … laisse tomber), qu’il a le sourire amoché par un bec de
lièvre, qu’il a pas la même garde-robe qu’Elton John (Elton qui ?? oh ta
gueule, ignare), oubliant le noir pour le gris anthracite quand il est de bonne
humeur, ce qui lui arrive pas souvent, et qu’il est né avec une guitare (un
truc de vieux, évidemment) greffée au bout des bras et qu’en plus il sait s’en
servir …
Donc quand il est en costard gris anthracite, c’est
qu’il est de bonne humeur (c’est-à-dire triste, le gars vient de Sheffield,
morne cité qui fut industrielle avant Thatcher et la mondialisation), sinon
normalement il est sinistre … Ses disques, c’est pas exactement Patrick
Sébastien.
N’empêche que le bonhomme il a construit –
patiemment, c’est pas un hyper productif – ce qu’il faut bien appeler une
œuvre. Cohérente, même si ses disques ne sont pas des copier-coller des
précédents. Il peut passer de ses blues à lui (qui ont peu à voir avec Muddy
Waters), ceux du sublime « Truelove’s gutter », à une rondelle tous
potards sur onze, son ode à la guitare électrique qu’est « Standing at the
sky’s edge » tout en gardant une qualité d’écriture et d’interprétation
remarquables. Hawley sait écrire des chansons et sait les coucher sur disque …
« Further » est concis (11 titres pour 36
minutes). Et c’est regrettable. Parce qu’on passerait des heures à en écouter
des morceaux comme ça … Parce qu’aujourd’hui, à part des types qui ont plus de
soixante-dix balais (Dylan, Macca, les Stones, Neil Young, Ray Davies,
Springsteen, liste close), personne n’est en théorie capable de sortir des
trucs comme ça. Et ceux que je viens de citer encore moins, en tout cas pas sur
un disque entier.
« Further » il serait sorti y’a
quarante-cinquante ans, il serait aujourd’hui sur toutes les listes des albums
qui comptent. Là, il va s’en vendre trois douzaines.
« Further », il me semble que c’est un jeu
de pistes, parce que trop de hasard, c’est plus du hasard, c’est fait exprès.
« Further » il est pas monolithique, il commence par le meilleur
morceau d’Oasis (l’axe Beatles meets the Stones en gros) que Noel Gallagher n’a
pas écrit depuis environ un quart de siècle. « Off my mind », il
s’appelle, c’est du rentre-dedans mélodique avec sax discret et solos de
guitare. Ah ouais, je vous ai pas encore dit, « Further » il est joué
par un noyau dur de quatre types, Hawley, guitares, chant, écriture et
production, Shez Sheridan, guitares, claviers, backing vocaux, et une section
rythmique. Sheridan et le bassiste co-produisant également la rondelle,
enregistrée at home, à Sheffield donc. Et sur quasiment tous les titres, une
section de cordes intervient, avec bon goût et sans jamais être envahissante,
ce qui aurait pour résultat de donner dans le pathos larmoyant.
« Further » n’est pas vraiment joyeux et sautillant, mais c’est loin
d’être un machin plombant tire-larmes. Il y a même un titre enlevé
(« Alone », superbe) comme si Chris Isaak s’essayait au reggae (le
rythme). Et vers la fin un boogie colossal avec un le réglementaire harmonica,
ça s’appelle « Time is », croisement entre les Stones et Free (le
refrain commence par « Time is on your side right now », et si ça
c’est pas du message subliminal je veux passer le reste de mes jours à écouter
Louane et Angèle). Tant qu’on est dans le subliminal on a « Galley
girl » entre le glam prolo de Slade et l’allusion à Creedence (répéter des
« rollin’, rollin’, rollin’ » à foison renvoie quand même un peu à
une certaine Fière Mary …).
Les morceaux dont au sujet desquels je viens de
parler constituent la face la plus enjouée et rythmée de la rondelle. Tout le
reste repose sur des ballades plus ou moins désenchantées, quelquefois sur fond
de country-rock pépère, réminiscent des Eagles des débuts ou du Neil Young
campagnard de « … Gold Rush » et
« Harvest » (« Further » le morceau, « Emilina says »,
« Not lonely »). Hawley nous fait aussi sa confession claptonienne avec « My little
treasures », où comment voir le monde à travers le cul des bouteilles
d’alcools forts consommés sans modération. On voit planer l’ombre tutélaire des
meilleurs moments du Dylan 70’s (« Midnight train »), et parfois
celle d’un de ses disciples, l’oublié Lloyd Cole (« Not lonely »,
« Doors », cette dernière avec ses relents de « Forest
fire »). Et comme de bien entendu, on ne peut pas faire de disque triste
classieux sans que surgisse à un moment ou un autre le fantôme de Roy Orbison.
Ici le binoclard est présent par l’esprit sur le lamento électrique de
« Is there a pill ».
« Further » ne se résume cependant pas à
un catalogue d’influences trop visibles qui empêchent de voir l’originalité de
Hawley. Ce disque est un sommet de finesse d’écriture (et de production) et à
ce siècle-ci, je ne vois guère que Wilco (si Jeff Tweedy et sa troupe
daignaient nous honorer d’un disque, mais que deviennent-ils donc ?)
capable de sortir un machin de classic rock de ce niveau.
Tous les fans du perruqué frisé vous le diront, il y a
des dizaines d’années que Polnareff n’avait pas sorti un disque. Ce qui
n’empêchait pas le monde de tourner (plus ou moins rond, mais c’est un autre
débat …). Alors là, dans un timing mercantile parfait avant les fêtes il nous a sorti un disque qui sent le sapin pour mettre sous le sapin. Un disque de plus
d’une heure (quelqu’un lui a-t-il suggéré que pareille longueur n’est plus de
mise depuis plus de trente ans ?), un disque interminable. Et quasiment
minable tout court.
Polnareff 2018
Polnareff, je suis fan de ses débuts. Nettement moins des
bouillasses seventies (même si occasionnellement on pouvait y trouver des
tueries totales) depuis et y compris le prétentieux « Polnareff’s ».
Et je suis encore moins fan de l’homme Polnareff. Exilé fiscal (sous prétexte
qu’un génie comme lui n’avait pas à rendre des comptes au fisc, la belle
excuse). Pas pire que tous les Tapie, Ghosn, Cazeneuve ou Balkany le mafieux de
Levallois, le pire de tous peut-être … j’ai pas du tout aimé ses retours
hyper-médiatiques très chèrement monnayés (l’aubade du 14 Juillet sur les
Champs-Elysées financée par Sarko-Nabot Ier, donc par nos impôts, no comment
…). Pas plus que ses déclarations opportunistes d’un crétinisme pervers sur sa
sympathie pour les gilets jaunâtres, eux qui demandent entre autres le
rétablissement de l’ISF, alors que lui justement s’en exonérait en s’exilant
aux States … Fuck you Polnareff …
Et si on parlait musique, puisqu’à la limite on peut
faire abstraction de tout le reste ? Et tant qu’à évacuer le problème de
l’opportunisme, disons tout d’abord le mépris que m’inspire le titre
« Terre Happy », qui en plus d’un jeu de mots affligeant, nous montre
un Polnareff qui nous livre un machin larmoyant très pro-écolo (il a du
apprendre que le collectionneur de 4X4 Hulot était très populaire en Macronie,
faut ratisser le plus large possible quand on sort un disque tous les cent
ans …). Polnareff (74 ans au compteur, génération Dylan-McCartney-Jagger-etc.
pour situer) aurait pu la jouer profil bas, se contenter de sortir un disque
honnête, que de toutes façons ses vieux fans chauves auraient acheté les yeux
et les oreilles fermés. Le type a suffisamment de talent (le génie, il en a eu
aussi, mais le propre du génie, c’est qu’il est le plus souvent éphémère, et
celui de Polnareff l’a fui depuis longtemps) pour à l’instar des chenus ancêtres
de son âge, sortir un truc point trop désolant …
La grand-mère de Polnareff
Las, il nous a pondu une rondelle d’une prétention
terminale, une démonstration musicale au forceps à grand renfort d’orchestres
classiques et/ou symphoniques. Des cohortes de violons, violoncelles, cuivres,
qui le plus souvent n’apportent rien ou peu de choses aux titres qu’ils
parasitent (les trois-quarts). On peut même se demander s’ils ne sont pas là
pour couvrir la déchéance vocale de Polnareff. On aurait parfaitement compris
(et pardonné) qu’à son âge, il ne puisse plus aller aussi haut dans les aigus,
tandis qu’ici ces couches d’instruments empilés donnent l’impression de n’être
que des cache-misères. Quand il se hasarde sans filet dans un titre piano-voix
(« Grandis pas »), y’a comme qui dirait un malaise, on attend quelque
chose qui ne peut plus venir, et on se retrouve devant un machin dont Obispo ne
voudrait pas comme bonus track …
« Enfin ! » s’ouvre et se ferme par deux
longs instrumentaux (10 minutes de moyenne) qui prouvent que quand on a tout
oublié, restent les années de Conservatoire. C’est « écrit », pensé,
réfléchi, d’une précision sonore diabolique (pas facile de mixer sur
l’introductif « Phantom » des violoncelles et la guitare hardos du
requin de studio Tony McAlpine), mais prodigieusement chiant, à un point qu’on
trouverait intéressant des horreurs comme le « Underture » des Who
sur « Tommy » … Le problème, c’est que quand la durée des titres se
réduit et qu’il y a des paroles, c’est pas plus captivant. Ambiances
funky-groovy-jazzy le plus souvent, qui dans le meilleur des cas semblent
marcher sur les pas du Stevie Wonder qui commençait à décliner, celui des
années 80 et suivantes.
Polnareff sans perruque ?
Les années 80, on y est parfois en plein dedans, et à ce
titre le navrant « Sumi », gros riff hardos d’entrée pour un rock FM
à la Europe (non, pas l’Union, les tocards de « Final Countdown »),
avec paroles et jeux de mots d’une indigence stupéfiants. Le genre de truc qui
pourrait tourner en boucle sur les radios si quelqu’un pensait à les écouter …
Des lustres sans disques, mais pas du neuf pour autant. « Ophélie
flagrant des lits » (des titres comme ça te donnent envie d’acheter
l’Almanach Vermot), était d’après les fans jouée régulièrement en concert
depuis longtemps. Je veux bien croire que ça puisse fonctionner en live
tellement c’est crétin, un mix entre Dorothée (celle du Club du même nom, oui,
on en est là) et son propre « LNAHO », là aussi pas ce qu’il a fait
de mieux … Quand on sait que Polnareff a passé des décennies à baver sur
« Tous les bateaux tous les oiseaux », son plus gros succès, qu’il
trouvait d’une simplicité débile, faudrait qu’il réécoute à tête reposée ce
qu’il sort maintenant …
Qu’est-ce qu’il reste à sauver ? Pas grand-chose
certes, pourtant Polnareff est encore capable de chansons fulgurantes. Ici il y
en a deux. « Longtime » c’est du Polnareff éternel, la tuerie
mélodique, et des paroles pas trop cons (un titre sur le manque d’inspiration,
ceci explique cela). Mais le meilleur titre arrive vers la fin, ça s’appelle
« L’homme en rouge », ça parle du Père Noel que les enfants pauvres
attendent et qui ne vient pas, et ça cumule paroles pour une fois simples et
sensées et une partie musicale à classer dans le Top 10 de Polnareff …
Tout ceci ne fait pas un ratio qualitatif extraordinaire.
En fait c’est quand le disque est terminé qu’on dit « Enfin ! »
L’autre Elvis, quand il a débuté dans la tornade
punk, il a aligné pendant quelques années des dizaines de titres, au moins un
album par an pendant dix ans. Point culminant : « Imperial
bedroom » en 1982. Et jetés façon rafale de kalachnikov deux follow-ups
« Punch the clock » (de grands titres surproduits) et « Goodbye
cruel world » (de mauvais titres surproduits). Et puis il est passé à
plein d’autres choses, produisant ( après le premier Specials, le premier
Pogues), s’est rêvé en King of America, a fait des rondelles avec plein de gens
(de Sir Paul McCartney à la cantatrice Anne Sofie Von Otter, ça ratisse large),
a épousé la bassiste des Pogues puis Diana Krall, et continué à sortir des
disques à la pelle.
Elvis Costello 2018
Dont j’ai acheté quelques-uns, sur la foi de types
qui juraient leurs grands dieux que là, ça y était, le grand Costello était de
retour. Des galettes que j’ai écouté en travers (qui étaientpeut-être meilleures que les deux-trois
d’avant) et qui depuis prennent la poussière sur une étagère. Ce coup-ci, avec
« Look now », les exégètes du bonhomme ressortent le baratin habituel
dans lequel le mot chef d’œuvre revient à chaque phrase. Ils ont tort,
évidemment, mais beaucoup moins que d’habitude.
Parce que « Look now » est d’abord une
grosse surprise. Il y a quelques mois, Costello interrompait une tournée pour
se faire opérer selon ses termes « d’un cancer agressif ». Rémission
en vue ou chant du cygne, j’en sais rien, mais le gars Elvis a visiblement jeté
toutes ses forces dans cette rondelle. Entouré de ses vieux briscards de
toujours (Pete Thomas aux fûts, Steve Nieve aux claviers, soit les deux tiers
de ses historiques Attractions, plus son bassiste habituel depuis longtemps
Davey Faragher), il a même décroché sa première collaboration avec une de ses
idoles, Burt Bacharach (90 ans, et toujours bon pied et bonnes mains, puisqu’il
joue du piano sur les trois titres qu’il a co-écrits). Les titres co-écrits avec
Bacharach sont pas une pièce rapportée, ils s’inscrivent parfaitement dans la
logique et dans la tonalité générale de « Look now ».
Costello & The Imposters
Bacharach, c’est une des institutions du Brill
Building (cet immeuble de Manhattan qui servait de repaire aux auteurs-compositeurs
dans les années 60). Parce qu’à l’époque, au siècle dernier encore vierge de
toutes les saloperies voyeuristes du Net, genre Instagram, Facebook et
consorts, la situation aux States était simple : hormis les blueseux et
les folkeux (et dans une moindre mesure quelques rockers), il y avait ceux qui
chantaient et ceux qui leur écrivaient les chansons. Ce sont les anglais,
Beatles et Stones, qui ont inventé la notion de groupe où très vite, les types
se sont mis à chanter leurs propres morceaux. Les Américains ont suivi, bien
sûr, avec un petit temps de retard, mais la lignée des auteurs-compositeurs a
eu encore de beaux jours, soit qu’il soient mercenaires ou qu’ils soient
salariés par un label (Stax, Motown, …). Bacharach est un des plus illustres (des
hits à la pelle pour plein de gens, dont son interprète fétiche Dionne
Warwick). Toute cette digression pour dire que pour Costello, qui a toujours
tourné autour de la chansonnette, travailler avec Bacharach, c’est atteindre le
Graal …
« Look now » est un disque de chansons,
n’ayant plus rien à voir avec le punk, le rock, le reggae, la pop, autant de
genre déjà abordés il y a des décennies par Costello. Pour situer, faut
envisager cette galette comme celles publiées par les grandes voix, genre
Presley de la fin ou Sinatra de toujours. Le gros problème de Costello, c’est
que s’il est capable d’écrire tout seul des choses d’un classicisme
tarabiscoté, il lui manquait la présence et l’assurance vocales nécessaires à
l’exercice. Et là pour le coup, il chante mieux que jamais, des mélodies parfois
complexes où il faut cumuler technique et feeling.
Burt Bacharach 2018
Il y a des choses d’une évidence absolue, la
chanson-titre (Costello et son Band plus juste Bacharach au piano), le dépouillement
de quelques ballades éternelles down-tempo (« Stripping paper »,
« Photographs can lie »). En règle générale, les compos sont
excellentes. Sauf que parfois, manière de rentabiliser tous les musicos
additionnels (une armée de violons et de claviers, des vents, des cuivres, des
choristes), les arrangements sont à limite de l’étalement ostentatoire de
richesse. A comparer avec la production de « Imperial bedroom »
(Costello aidé par rien de moins que Geoff Emerick, l’ingé-son de George Martin
à Abbey Road), qui laissait respirer les chansons. Sur « Look now »,
les mélodies croulent, voire sont étouffées sous les arrangements. Quelquefois,
il aurait fallu que Costello se souvienne que less is more, il suffit de
comparer la finesse incroyable de « I let le sun go down » avec
« He’s given me things » (la moins bonne des trois cosignées avec
Bacharach), où pourtant l’instrumentation pléthorique est la même.
Malgré ces réserves, il reste de grands titres.
Parce que tous sont pas des minots, sont des compositeurs de très haut niveau
(Costello), des instrumentistes de haut vol (Steve Nieve), que tout le monde
est depuis longtemps à l’abri des pressions du music business se plaît à
exercer sur ceux qui débutent. Et tant qu’on en est à causer troisième âge,
signalons la présence à l’écriture sur un titre, l’excellent « Burnt sugar
is so bitter » d’une autre très grande du Brill Building, Carole King.
« Look now » est couplé dans sa version Deluxe
avec un EP quatre titres (« Regarde maintenant ») de facture et de
ton similaires, mais qui donne l’occasion d’entendre Costello chanter en français
(« Adieu Paris »). Enfin on sait qu’il chante en français en lisant
les paroles, parce que c’est encore plus incompréhensible que la VF du « Heroes »
de Bowie, ce qui n’est pas rien …
« Look now » un bon disque de Costello ?
Affirmatif. Du niveau de ses meilleurs ? Euh, faut pas pousser …