Et au milieu coulait une rivière ...
« Les
roseaux sauvages », c’est un film un peu particulier dans l’œuvre de
Téchiné. Pour au moins deux raisons, c’est – quasiment – un film de commande et
un film (quasiment) autobiographique.
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André Téchiné |
Et ceux qui connaissent bien Téchiné ont bien compris qu’il a mis beaucoup de lui dans cette histoire. Parce que le film se passe aux alentours de Villeneuve sur Lot (Téchiné est né et a grandi à Valence d’Agen, à quelques kilomètres), raconte l’histoire d’un groupe d’ados en 1962 (Téchiné est né en 43), dont l’un est plutôt attiré par les garçons que par les filles (Téchiné aussi). Téchiné n’a jamais contesté ces éléments, a même reconnu qu’il a vécu certaines scènes ou situations mises en images, mais réfute l’idée de biopic au sens strict du terme, des scènes ou des personnages étant pure invention …
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Gorny, Bouchez, Morel & Rideau |
« Les
roseaux sauvages », c’est un film sur la France profonde, rurale, en 1962,
au moment où la guerre d’Algérie est au cœur de l’actualité du pays. Et la
guerre d’Algérie, ça n’occupait pas que les travées de l’Assemblée et les
tentations putschistes d’un quarteron de généraux comme disait l’autre.
« Les roseaux sauvages », après son générique façon lettrage de
cahier d’écolier, débute par un mariage champêtre. Un fils de paysan, beau
comme un camion de pompiers dans son uniforme militaire rutilant, convole avec
sa promise sur fond de chansons paillardes reprises en chœur par les convives,
et de valses crachotées par un petit électrophone. Très vite, la réalité
rattrape les festivités bucoliques. Le marié, passablement bourré, serre de près
une prof du village, partagé entre drague lourdingue et préoccupations beaucoup
plus graves. Il va partir le lendemain pour l’Algérie et compte sur la prof,
responsable locale du Parti Communiste, pour le faire revenir au plus vite au
pays. Malaise de la prof, qui lui assure qu’elle ne peut rien faire, se
débarrasse de ce cavalier trop entreprenant, et quitte la fête, emmenant au
passage sa fille Maïté et un copain à elle, François.
Dans ces premières scènes, on a vu la guerre d’Algérie en filigrane, et les ados. Et ces ados campagnards, de près ou de loin, ils vont vivre la guerre et ses répercussions dans leur petit bled. Tout en restant des ados du début des années 60, en proie à leurs premiers émois amoureux et confrontés à une réalité historique qui va finir par tous les rattraper. Ces ados, ce sont donc Maïté (Elodie Bouchez, seule comédienne « parisienne » et qui trouve dans « Les roseaux sauvages » son premier grand rôle), François (Gael Morel), le jeune coincé introverti qui vient de la ville (Lyon), Serge (Stéphane Rideau), le jeune paysan frangin du marié, et Henri (Frédéric Gorny) beau gosse aux faux airs de Gabriel Attal, le plus âgé du lot, dont on apprendra assez vite qu’il rentre d’Algérie après un carnage familial, qui passe son temps à écouter les nouvelles de la guerre à la radio, et qu’il souscrit entièrement aux discours de l’OAS. Tous les quatre sont lycéens, les garçons dans la même classe, et ils ont comme prof Mme Alvarez, la mère de Maïté.
C’est autour
de ces quatre ados que le film va s’organiser, même si les histoires connexes
auront une grosse influence. Sur fond de premières boums (avec en fond sonore des
titres, qui cahier des charges de la série oblige, devaient être contemporains
de l’époque mise en images, on entend donc Chubby Checker, Beach Boys, Platters,
Del Shannon, …), les amour(ette)s adolescentes vont se mettre en place. Maïté
en pince pour François, qui est attiré par Serge. Le tournant du film sera la
mort en Algérie du frangin de Serge. La mère de Maïté va culpabiliser, tomber
en dépression et finir par un passage en hôpital psy. Serge veut abandonner le
lycée pour revenir sur l’exploitation agricole, envisage même d’épouser sa
veuve de belle-sœur qu’il « console » la nuit. Maïté va de plus en
plus se politiser (la tradition communiste familiale), et Henri va se
radicaliser, affichant de plus en plus ses affinités OAS.
Les scènes de tension vont se multiplier entre les quatre ados, entrecoupées de moments de plaisir simples, les matches de rugby, les séances ciné avec allusions aux films de Bergman (« A travers le miroir ») ou Demy (« Lola »), les virées alcoolisées en mob sur Toulouse, et les baignades dans la rivière (le Lot ?) qui traverse le village. C’est d’ailleurs dans et aux abords de cette rivière, en attendant les résultats du Bac, que se démêleront les histoires reliant les quatre ados.
« Les
roseaux sauvages » est autant un exercice de style (la recréation
méticuleuse de la vie provinciale du Sud-Ouest pendant la guerre d’Algérie),
qu’un drame où des adolescents doivent faire face quasiment seuls aux
bouleversements de l’Histoire, et s’initier à la vie amoureuse et sexuelle. On
sait que Téchiné n’est jamais aussi bon que quand il scrute les tourments de
l’âme et les dilemmes amoureux (voir ses films cités plus haut).
Dans
« Les roseaux sauvages » il y arrive sans avoir recours à ses stars
chevronnées habituelles (Deneuve, Auteuil, Dewaere, …). « Les roseaux
sauvages » de son aveu est très écrit, minutieusement répété, et les
jeunes acteurs s’en tirent très bien. Pourtant, seule Elodie Bouchez se fera un
nom grâce à ce film. Les trois garçons tenteront aussi une carrière d’acteur,
beaucoup moins successful, disparaissant assez vite des radars …