Shoegazing ...
Le shoegazing … le machin juste avant le grunge et la
britpop. Ça ne vous rajeunit pas, hein ? Si ça peut vous rassurer, moi non
plus … Le shoegazing, tout est contenu dans le terme. Des zozos qui jouaient en
regardant leurs chaussures. Enfin, plus exactement, le rack (souvent démesuré)
de pédales d’effets sur lesquelles ils s’escrimaient en triturant les cordes de
leurs guitares.
Le shoegazing, c’est avant tout une approche auditive. C’est basé sur la guitare qui doit phagocyter l’espace sonore, et qu’on essaye de faire sonner différemment, étrangement, comme si c’était pas une guitare. Sur des bases pop inspirées par la léthargie mélodique du 3ème Velvet, des Jesus & Mary Chain, et des quiet/loud somnolents. Le tout enrobé par des couches d’innombrables parties de guitare pour un rendu tout à la fois cotonneux et strident. Avant tout une affaire de studio et de production.
Courant musical à la mode quelques temps fin 80’s – début
90’s en Angleterre. Première (et dernière star) du genre : Ride, avec
l’assez intéressant « Nowhere » paru à l’automne 1990. Un an plus
tard sortait « Nevermind » de Nirvana et dès lors la messe shoegaze
semblait dite. Sauf que … depuis presque trois ans, une bande de forcenés multipliaient
les séances de studio pour sortir le disque référence.
My Bloody Valentine (MBV pour les amis et pour le reste
du post), c’était un quatuor : un batteur, une bassiste et un couple (à la
ville comme à la scène) de guitaristes, Kevin Shields et Bilinda Butcher. Les
deux composaient et chantaient. Et Kevin Shields, asocial monomaniaque
produisait et recherchait obsessionnellement « le son », celui qui
allait lui permettre de redistribuer toutes les cartes du pop-rock machin. MBV
avait fait paraître quelques Ep’s et un album, « Isn’t anything »
(que j’ai, et peut-être même écouté, mais si c’est le cas il m’a laissé aucun
souvenir), et surtout convaincu Alan McGee, boss du label Creation de financer
leur prochain chef-d’œuvre.
Creation (nommé à cause du groupe garage anglais garage
des 60’s du même nom), était un gros label indé, qui avait fait paraître les
premiers Jesus & Mary Chain et Primal Scream, et remplissait ses caisses
avec les shoegazing dont il avait les principaux groupes (Ride et Slowdive).
L’histoire est connue. La confiance de McGee envers MBV a failli ruiner le label
à cause du coût astronomique des trois années passées en studio par Shields et
consorts … Pour la petite histoire, c’est pas MBV qui a renfloué le navire (ils
auraient pu en vendre des dizaines de millions de leur « Loveless »,
ça aurait pas suffi à équilibrer les comptes), mais quelques années plus tard,
un groupe de frangins sourcilleux de Manchester, avec leur groupe Oasis …Shields et Butcher devant, les autres derrière ...
« Loveless » est une expérience (et une
expérimentation) sonore. Assez unique et remarquable. Assez vaine aussi. Je m’en
vas vous expliquer tout ceci (attention, je m’attaque à un des jalons du rock,
qu’on retrouve cité dans toutes les listes ou bouquins de skeuds absolument
géniaux et rigoureusement indispensables) …
Au crédit de « Loveless », il y a plein de
choses. Tout d’abord un son que personne n’avait jamais retranscrit sur disque.
Un magma de guitares empilées sur des bases mélodiques simples (un riff,
quelques accords) avec utilisation systématique de l’effet tremolo, certaines
pistes mises en avant sur le mix, puis assourdies quelques mesures plus tard.
La batterie est tout juste audible (en totale opposition avec ces rythmiques
herculéennes à la Steve Lillywhite qui avaient dominé les 80’s), les voix sont
monocordes, farcies d’effets et mixées très bas ce qui rend les paroles totalement
incompréhensibles (d’ailleurs trois ou quatre titres sont instrumentaux sans que
ça saute vraiment aux oreilles), la structure quiet/loud des couplets/refrains
est inversée (loud pour les couplets, quiet pour les refrains). Les épithètes
pour qualifier le son de MBV se sont multipliés avec parfois beaucoup d’imagination,
on a souvent parlé à leur sujet de « guitares liquides » (suite à un
article dans un mag anglais où le journaliste décrivait la musique de MBV comme
écoutée immergé dans la baignoire quand le groupe joue dans la salle de bains).
En tout cas une expérience sonore unique et originale, et une unité de sons et
de tons constante tout du long du disque. Et en live, les MBV jouaient extrêmement
fort, à la limite du supportable, tout en contraste avec le chant juste
audible.
Il faut aussi reconnaître à MBV un talent certain pour
faire émerger les mélodies de ce magma sonore, sans que rien ne soit pourtant
fait pour les mettre en avant. On pense souvent aux Jesus & Mary Chain pour
la construction des titres, c’est simple mais évident. L’agencement du disque
est réussi, les titres les plus agressifs sont au début, et on tend vers l’apaisement
(bruyant), voire la « normalité » (le dernier titre « Soon »
propose des gimmicks quasi infantiles et une batterie pour une fois audible sur
un groove quasi hip-hop) à mesure que défilent les pistes.
Au débit de « Loveless », on peut dire que dans le rayon guitares jouées de façon « originale », ils n’étaient pas une sorte d’OVNI unique en son genre. Qu’il me soit permis de préférer à leur magma sonique l’approche toute particulière de l’instrument par Tom Verlaine et Richard Lloyd dans Television (le fabuleux et inégalé « Marquee Moon »), voire d’avoir une pensée pour ce bon vieux Neil Young qui lors de la parution de ce « Loveless » venait de mettre sur le marché deux ou trois disques studio remplis de saturation (dont l’extraordinaire « Ragged glory »), et de publier un live strident (« Weld ») dont certaines versions expended contenaient un Cd supplémentaire (« Arc ») d’une demi-heure comprenant uniquement du feedback de guitare. Plus radical tu meurs …
L’obstination de Shields de sortir un disque « sans
concessions » rend quand même l’objet monolithique, et la plupart des
titres interchangeables. Même si deux sont parus en singles, (« Only
shallow » et « When you sleep », assez « évidents »),
et qu’également « I only said » et « Soon » méritent la
citation. Le buzz autour de « Loveless » sera phénoménal, mais comme tous
les buzz durera peu.
Les MBV vont hésiter entre intégrité et intégrisme, et
surtout se heurter au mur de la suite à « Loveless », que faire quand
on a tout donné et mis toutes ses obsessions sur un même disque ? La suite
était tellement peu évidente a priori, que fatalement de suite il n’y aura pas.
Le groupe s’est séparé de fait vers le milieu des 90’s sans avoir publié autre
chose, s’est reformé des lustres plus tard autour des inamovibles Shields et Butcher
avec une nouvelle rythmique, et a fait paraître un disque (« mbv »)
en 2013, au retentissement bien moindre (doux euphémisme) que « Loveless ».
Qui restera sa pièce maîtresse certes, mais pas au point
qu’elle me suive dans la proverbiale île déserte …