Andy Warhol l'avait dit ...
… que tout le monde aurait son quart d’heure de gloire…
Et donc, en cet an de grâce de mil neuf cent nonante quatre, vint le tour de
Lyle Lovett…
Ceux qui avaient l’œil exercé pouvaient l’avoir vu traverser le champ des caméras pour quelques petits seconds rôles, surtout chez Robert Altman. Ceux qui faisaient les bacs à soldes rayon « new country & folk-rock singers-songwriters, americana & so on … » étaient peut-être un jour tombés sur un de ses disques précédents…
Lyle Lovett, bientôt de retour dans l'ombre ... |
Lyle Lovett était un gars à la renommée confidentielle
chez lui aux States et un inconnu à peu près total partout ailleurs. Et puis,
tout à coup les rotatives de la presse musicale se sont emballées et on vit un
peu partout en quadrichromie sa bouille
émaciée en lame de couteau de clown triste et sa silhouette filiforme. La
raison de tout ce tapage médiatique est à chercher à la dernière ligne du
livret de ce « I love everybody », au chapitre dédicaces :
« For Julia ». Julia ? Julia Roberts, la Pretty Woman que le
Lovett venait d’épouser. Dès lors, de troisième couteau, Lovett va devenir au
bras de sa belle une figure people. Dont on
guette les moindres faits et gestes … et les sorties de disques. Que
certains, perdant tout sens de la mesure, trouveront géniaux et entretiendront
ainsi le buzz … Ne reculant pas à le comparer à de chenus et respectables
ancêtres, lâchant un peu trop précipitamment
les noms de Dylan, Leonard Cohen ou Randy Newman.
Bon, ce « I love everybody » n’est pas si
mauvais que çà, mais c’est loin d'être un disque crucial. Composé pour l’essentiel de
morceaux anciens, antérieurs à ses premiers opus des années 80, retravaillés
pour l’occasion. Un disque doté d’une grande unité de son, tous les titres se
ressemblent, tempo ralenti, country-folk pépère, batterie balayée, basse et
guitares discrètes … généralement un trio basique et une propension, pour pas
dire une manie de rajouter des arrangements à base de violon ou de violoncelle.
Au début, ça fait la farce, mais comme le procédé se répète quasi systématiquement
sur l’ensemble des dix-huit titres, ça fait monotone. On trouve de temps en
temps quelques cuivres, bien discrets au fond du mix, mais ça donne pas
forcément de l’entrain …
Quelques anciennes gloires sur la pente savonneuse de l’oubli sont dans les chœurs sur quelques titres, comme le Simple d’Esprit Jim Kerr, la Tom Waits à cigarillo Rickie Lee Jones, le chanteur de Was (Not Was) Sweet Pea Atkinson, sans oublier Madame Lovett sur une paire de titres … de toutes façons, c’est tellement perdu au fin fond de la bande, que la Julia Roberts, elle pourrait chanter comme la Aya Machin, on s’en rendrait pas compte … et le requin de studio tambour majeur Kenny Aronoff vient donner le rythme sur quelques titres. Il a pas dû pécho une tendinite, tout est down tempo, pour pas dire comateux … Dans cet exercice casse-gueule de chansons dépouillées, faut pas être le premier blaireau venu si on veut se faire remarquer. Et comme le Lyle a une voix uniforme, pour pas dire monocorde, et que dès qu’il essaye de la pousser, par exemple sur « Old friend », ça frise le pathétique on a bien du mal à se raccrocher à quoi que ce soit dans cette rondelle …
Lyle Lovett et sa choriste préférée ... |
Des fois on y croit, quand arrive un pied de batterie
énervé et en avant (« Penguins »), las on déchante vite, ce n’est
qu’un machin avec des cuivres que même Danny Brillant il en aurait pas voulu.
Le tour des morceaux à sauver est vite fait. « Fat babies », le
meilleur de la rondelle, assez étoffé au niveau sonore, puis on peut zapper une
dizaine de plages pour arriver à « La to the left », vraie chanson
avec belle mélodie, et ensuite la dernière l’éponyme « I love everybody »,
construite sur le même modèle que « Fat babies » avec un crescendo point
trop mauvais …
Tout le reste, c’est bien gentillet, bien soporifique,
des ersatz d’americana, de country-rock, de folk, de blues ( le mal nommé « I’ve
got the blues », aucun feeling), ça ronronne doucement … S’il faut trouver
quelque chose de positif, c’est au niveau de l’enrobage que ça se passe, jolie pochette
classieuse à la Doisneau, résultat d’une séance « sur le vif » parisienne
(comme les photos du livret), informations copieuses, nombreuses notes … très
intéressant pour les yeux, sauf que le problème d’un disque, c’est d’abord fait
pour les oreilles, et là, ça coince quand même …
Je sens poindre une question essentielle … si on a beaucoup
parlé de celui-ci, pourquoi les disques suivants sont passés sous les radars ?
La réponse, my friends, elle est chez les avocats, lorsque la Julia et le Lyle
ont divorcé, l’année suivante. Et Lyle Lovett est devenu forcément beaucoup
moins intéressant …