Il y a des gens
dont on n’attend rien. De bon ou mauvais. Curtis Hanson fait partie de ces
réalisateurs dont tout le monde se fout, qui tourne des films dont tout le
monde se fout, critique comme public …
Et puis, sans
que l’on sache pourquoi, le type sort un machin qui met tout le monde d’accord,
un très gros succès populaire encensé par tous ceux que l’on paye pour donner leur
avis sur ce qu’ils ont vu avant les autres sur un écran. Moi personne me paye,
ce qui évidemment ne donne donc aucune valeur à mon avis. Et pourtant je le dis
haut et fort, « L.A. Confidential » est un super film.
Pearce, Hanson & Crowe |
Un film auquel
on a bien du mal à comprendre quelque chose la première fois, parce qu’ici il n’y
a ni bons ni méchants. Juste un tas de types plus ou moins pourris, et qui dans
le meilleur des cas agissent pour eux et non pas forcément pour ce pourquoi ils
sont payés. « L.A. Confidential » est une histoire de flics, plus ou
moins corrompus, qui s’agitent dans le Los Angeles des années cinquante. Autour
d’eux gravitent des femmes (bizarrement, mieux traitées dans le scénario, même
si une finira à la morgue et l’autre … on en reparlera), et toute une faune allant
du journaliste cupide et partial, aux politiques dépravés ou manipulateurs, en
passant par les milliardaires proxénètes et les immigrés (surtout les chicanos)
en bons clients qu’on tabasse ou flingue impunément.
A la base de « L.A.
Confidential », un bouquin de James Ellroy, qu’il est inutile de présenter,
tant son nom est associé aux polars glauques et désespérés, un descendant-successeur
des Hammett ou Chandler, les rails de coke en plus … Dire que l’intrigue est
aussi compliquée que celle du « Faucon maltais » ne relève pas de la
litote. Faut dire qu’il n’y a pas un mais plusieurs protagonistes principaux et
que leurs histoires pas très nettes finissent par se croiser lorsque des
enquêtes qu’ils mènent chacun de leur côté deviennent une seule et même
affaire.
Les flics |
On ne peut
pas ne pas penser au « Chinatown » de Polanski pour plusieurs raisons :
les reconstituions méticuleuses et pointilleuses du Los Angeles d’une époque
révolue, chez Polanski les années 30, ici les années 50, le rôle crucial de la
femme qui fait avancer le scénario, Dunaway vs Basinger, et les deux enquêtes qui
évoluent et finissent dans les plus hautes sphères de la société de la ville. On
a aussi des différences notables, dans « Chinatown » il n’y a
vraiment qu’un type qui mène l’enquête (et Nicholson n’est même pas flic, c’est
un privé), et ses méthodes (no guns et le moins de bastons possibles) tranchent
radicalement avec l’atmosphère violente voire ultra-violente de « L.A.
Confidential ». Hanson cite aussi « Le grand sommeil » (avec
Bogart et Bacall) comme source d’inspiration. Comme il y a des décennies que je
l’ai pas vu, je lui fais confiance …
Le film doit
tout à Hanson. C’est lui qui écrit l’adaptation du bouquin d’Ellroy, et s’en va
à la pêche aux producteurs. Le sulfureux Arnon Milchan (mais au nez très creux lorsqu’il
s’agit de faire des cartons au box-office) est séduit par le projet ambitieux
de Hanson qui sent qu’il a un super scénario et envisage d’entrée la
superproduction hollywoodienne. Milchan commence à se gratter la tête lorsque
Hanson lui annonce ses deux acteurs tête d’affiche : Russell Crowe et Guy
Pearce. Deux métèques donc. Totalement inconnus du public américain (et de
celui du reste du monde aussi, d’ailleurs). L’un est néo-zélandais et a marqué
Hanson par un rôle se skinhead facho et violent (pléonasmes) dans « Romper
stomper » (que je recommande au passage), l’autre en jouant une drag-queen
dans « Priscilla, folle du désert » (que je recommande aussi).
Crowe sera donc
un flic brutal, révélant au monde entier un baraqué castagneur, le genre de
rôle qu’il endossera à peu près toute sa carrière. A côté de son personnage,
Eastwood dans « Dirty Harry », c’est l’Inspecteur Gadget … Pearce
sera un flic honnête (à peu près le seul du scénario) au départ, mais qui
finira par carriérisme d’abord puis par Basinger alpagué, et finalement lorsqu’il
sent qu’il peut régler une affaire toute perso (retrouver l’assassin de son
père, flic aussi et tué dans des circonstances non élucidées en service), par déraper
sérieusement vers la haine et la violence.
Autre flic du
casting, Kevin Spacey, le flic corrompu jusqu’à l’os, plus ou moins associé à
Danny DeVitto, journaliste d’une feuille de chou à scandale. Les deux se
refilent des infos (et du pognon) pour booster leurs carrières respectives, en
évoluant dans la high society, à l’affût du moindre ragot ayant à voir avec la
drogue, l’adultère, la prostitution et les trafics divers. Les deux finiront
mal, le premier sur la voie de la rédemption, le second parce qu’il est devenu
une pièce à conviction gênante … Une faune interlope sur laquelle règnent des
caïds qui s’entretuent, des flics haut placés qui ferment les yeux, et des
politiques véreux ne refusant jamais un bon pot-de-vin complètent les figures
des protagonistes majeurs.
Kim Basinger, envie de croire au Père Noel ? |
Et puis il y
a la femme, jouée par une sublime Kim Basinger, qui trouve là certainement son
meilleur rôle. Prostituée haut de gamme maquée par un milliardaire qui conçoit
ses créatures (à grand renfort des chirurgie esthétique si besoin) comme les
sosies d’actrices célèbres. Cette Veronica Lake des trottoirs n’est pas seulement
là pour donner un côté glamour et sexy au film, c’est un personnage principal,
qui petit à petit dévoile fractures et brisures d’une fille paumée venue tenter
la fortune à L.A. Veuve noire qui attire dans ses filets soit sur ordre de son
mac soit de sa propre initiative quelques-uns des acteurs principaux …
« L.A.
Confidential » est un film prenant parce qu’il est ancré dans le réel (le
tabassage des Mexicains en prison a bien eu lieu pour le Noel 1951, les personnages
de Spacey et DeVitto ont existé, la feuille de chou à scandale s’appelait même « Confidential »).
Mais aussi parce que même avec des personnages fouillés, il n’y a pas de temps
mort, et que ça tape et ça flingue aussi fort que dans « Les affranchis ».
Pour finir et
pour donner une idée de la noirceur toujours sous-jacente du film, cet échange
laconique entre Pearce: « Pourquoi t’es devenu flic ? » et
Spacey : « Je ne m’en souviens plus » …