J’avais jamais accroché à Black Sabbath. Mon psy m’a dit
que ça remontait à mes années collège. En ces temps-là (début des 70’s), les
gars qui écoutaient de la musique étaient soit Led Zep, soit Purple (les has
been en étaient restés aux Beatles et aux Stones, les cons …). Moi je faisais
tourner en boucle le premier Maxime Le Foxterrier, sa poésie gentiment baba
(« San Francisco ») et libertaire (« Parachutiste »)... Nobody's perfect… Et
puis y’avait trois quatre mecs patibulaires mais presque, tignasse plus longue
et plus sale que la moyenne, jeans pattes d’eph à la propreté douteuse, et
treillis pourris de l’armée US avec écrit au feutre noir le nom de Black
Sabbath, et qui toisaient toute la cour de récré d’un air méchant et d’un œil
noir. Comme les filles ne les regardaient pas, ou dédaigneusement, j’ai
logiquement conclu que Black Sabbath, c’était de la musique de cons faite pour
des cons.
Black Sabbath 70 |
Des lustres plus tard, j’ai jeté une oreille distraite
sur leurs premières rondelles, bof … Et puis de toutes façons, ils étaient vite
devenus totalement ringardisés, l’espèce de machin qui subsistait encore sous
ce nom était l’objet des moqueries des hardeux. Si même eux en voulaient pas …
Encore plus tard, le nom de Black Sabbath est revenu avec insistance, des nuées
de gonzos créaient de multiples chapelles de l’église hard (heavy, dark, doom,
death, sludge, que sais-je encore …) et citaient les quatre corniauds de Birmingham
comme la référence ultime, ceux qui avaient mis au monde la frange la plus
noire du rock …
Afin d’assurer ma réputation partagée par moi
d’encyclopédiste du binaire, j’ai rouvert le dossier Sabbath. Au début. Et là,
y’a un skeud qui clignote, « Paranoid », parce que quasiment tous ses
titres se retrouvent dans les Best of et compiles diverses consacrées au
quatuor originel.
Autant y aller franco, « Paranoid », c’est du
lourd. Beaucoup mieux, beaucoup plus fort, plus lourd, plus fou, que dans mes
souvenirs. Bon, ça relève pas non plus de l’épiphanie, mais ça déchire
proprement. Pourtant, c’est bête comme chou, la musique du Sab.
C’est d’abord une réaction. Une réaction au Swingin’
London. Les quatre de Black Sabbath viennent de Birmingham, cafardeuse cité
industrielle des Midlands. Un patelin où si t’as de la chance, ton avenir c’est
une silicose la cinquantaine venu dans la mine, ou une vie dans une boîte
métallurgique (Iommi a laissé quelques phalanges sur une machine à l’usine).
Alors quand tu vois les Beatles de la pochette de « Sgt Pepper » ou
les Stones de « Satanic Majesties », c’est un monde inaccessible pour
toi, petit prolo fumeur de joints et buveur de pintes le week end. Iommi,
toujours lui, a pu juger sur pièces le Swingin’ London, puisque pendant le
court laps de temps où il a fait partie de Jethro Tull, il a participé au raout
psyché du « Rock’n’roll circus ». Ces types (Iommi, Osbourne, Ward,
Butler) qui commencent à se croiser dans des groupes du dimanche à Birmingham,
ils prennent une grosse baffe à l’écoute des Ricains lourds et violents genre
Vanilla Fudge, Iron Butterfly, Blue Cheer. Le son du Sab, il vient de ceux-là,
et pas des fanfreluches londoniennes…
Les mêmes en couleur |
Les rythmiques de plomb, la lourdeur lancinante, seront
leur signature musicale. Coup de bol (ou de génie), ils vont barbouiller tout
ça de satanisme à deux shillings véhiculé par les films de la Hammer. Cette
provocation potache, leur rock violent au ralenti, les feront immédiatement
remarquer. En 1970, ils sortiront deux disques, le premier éponyme et ce
« Paranoid ».
Black Sabbath prend le rock à rebrousse-poil. Faisant de
leur défauts (une technique plus qu’hésitante, un look anti-glamour au
possible, une crétinerie assumée, de la provocation simpliste, du satanisme de
pacotille, …) des qualités dans lesquelles vont se reconnaître tous ceux qui
jamais ne risquent de monter dans l’ascenseur social. Le Sab des débuts est le
groupes des prolos, des asociaux, des cons et des moches. Plus tard viendront
les dérangés et bas du front séduits par l’occultisme de carnaval …
Les Sab sont incapables d’écrire une chanson « dans
les règles de l’art », de concevoir des ponts, des arrangements. Ils font
se succéder des séquences (on fait tourner un riff en boucle, on enchaîne sur
un mini solo de batterie, on change brutalement de tempo ou de mélodie, et on
accole tout ça à la va comme je te pousse), privilégiant bien sûr les down ou
mid tempo (c’est plus facile de trouver les notes quand ça va pas vite) aux
accélérations façon dragster d’Hendrix ou à la virtuosité des power trio genre
Cream. Et dans un logique réflexe spinaltapien, le Sabbath joue fort et très
saturé. Réunissant par là-même tous les ingrédients pour sortir des disques
grotesques avec une régularité métronomique. Sauf que là, à leurs débuts, et plus
particulièrement sur « Paranoid », la sauce prend et tous ces titres
fonctionnent.
On attaque avec « War pigs », le morceau
anti-guerre. Qui n’arrive pas à la cheville de « Masters of war » ou
de « Machine gun », mais l’important n’est pas là. On est bluffé par
cette ambiance brute, noirâtre, les riffs lancinants de Iommi, les roulements
de toms de Ward, cette affreuse voix de crécelle dans les aigus de l’Ozzy.
Il y a là une patte sonore, une recette assez unique. Que
le groupe va répéter sur quasiment tous les titres du disque.
« Paranoid » est un bloc, un pavé lourd, mal dégrossi, mais un putain
de pavé quand même …
Les mêmes live |
Huit titres. Dont cinq parpaings de metal lancinant.
« War pigs », « Iron man » et son riff d’anthologie, le mid
tempo aplatissant de « Electric funeral », « Hand of doom »
qui a généré un sous-genre du hard, le classic heavy rock « Fairies wear
boots ». Une remarque à propos de ce dernier. Soit les paroles (en
principe c’est Butler qui est l’auteur des lyrics) sont complètement stupides,
soit pires (fairies, c’est normalement les fées, ou alors les tarlouzes en
argot).
« Planet caravan », c’est le slow façon Black
Sabbath. Pas exactement aussi lascif que « Whiter shade of pale » si
vous voyez ce que je veux dire. « Planet caravan » ça pue les types
hébétés qui ont fumé trop d’herbe (« Sweet leaf » de leur premier
disque, ode à la ganja des Midlands), ça fait l’effet d’un château de cartes
sonore qui va s’écrouler, porté par la voix gémissante et inexpressive d’Ozzy.
Tellement décalé que ça en devient génial. Tous ces titres taquinent ou
dépassent les cinq minutes. Il y en a deux de beaucoup plus courts.
« Paranoid », de l’aveu du Sab, a été rajouté à la hâte pour arriver
au timing recommandé d’un trente trois tours. C’est un rock’n’roll violent, très
proche dans l’esprit du « Speed King » de Purple, qui deviendra un hit
et lancera la carrière du groupe all over the world. L’instrumental « Rat salad »
semble lui totalement décalqué (la virtuosité en moins) sur le « Moby Dick »
du Zeppelin avec son riff immédiatement mémorisable et son solo de batterie.
Conclusion : « Paranoid » est un disque crétin.
Et génial à la fois. Dans un genre radicalement différent, il me fait penser au
premier Ramones. Et ça c’est vraiment un compliment …
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