Bon, c’est une affaire compliquée … Parce qu’on
cause là d’un skeud dont l’édition originale d’occase en état mint ou pas loin
vaut entre 300 et 400 euros. Cherchez pas à connaître mon adresse pour venir
braquer ma turne et me le piquer, j’ai que la réédition Cd de chez Castle Music
en 2005, valeur d’occase 3 euros (moins les frais de port, mais je suis pas
vendeur, je revends jamais des disques que j’ai un jour achetés).
Faut dire que quand ce disque était paru (début 68)
il s’était fait remarquer. Par un packaging hors norme, à une époque où le
music business ne regardait pas (trop) à la dépense. Le vinyle était logé dans
une boîte métallique représentant (ou parodiant, les avis diffèrent), une
antique boîte de tabac anglaise. Très vite, quelque comptable chez Immediate a
dû aligner des chiffres et « Ogdens’ … » est ensuite sorti sous une
pochette cartonnée classique (et ne parlons pas des rééditions Cd, même si une
a repris le boîtier en ferraille, genre « Metal Box » de P.I.L.).
Lane, Marriott, McLagan & Jones, Small Faces 1968 |
Là où l’affaire se complique encore plus, c’est que
« Ogdens’ … » n’est pas une parution anecdotique qui ne vaudrait que
pour son packaging d’origine. Le disque, sans rivaliser en unités écoulées avec
ceux des Beatles s’est pas mal vendu. Faut dire que les Small Faces, c’est pas
rien niveau casting. Steve Marriott, Ronnie Lane, Kenney Jones, Ian McLagan. Si
vous avez jamais vu ces noms sur des notes de pochette, c’est soit que vous
savez pas lire, soit que vous achetez des disques de Bénabar (ce qui est bien
pire que de ne pas savoir lire).
Les Small Faces, c’est plus encore que les Who ou
les Kinks des débuts, le groupe mod de référence, celui qui lorgne autant du
côté de la soul et du rhythm’n’blues américains que du côté rock’n’roll. Lancé
comme un groupe à singles (aux succès commerciaux moyens), les Small Faces sont
vite lâchés par leur maison de disques Decca. Un certain Andrew Loog Oldham,
qui dispose de quelques moyens (avec l’argent gagné par – ou sur le dos – des
Rolling Stones dont il fut manager à leurs débuts) les recrute pour être le
fleuron du label qu’il vient de monter, Immediate.
Pour favoriser leur inspiration, il leur offre une
croisière, de fait une party ininterrompue sur un bateau. C’est couché sur le
pont et passablement aviné que Ronnie Lane (c’est ce que disent les autres, lui
a réfuté), contemplant le ciel étoilé et n’apercevant qu’un quartier de lune, a
ameuté ses potes pour leur demander ou diable était passé l’autre partie de la
Lune. Déclic immédiat de la bande : ah que voilà un puissant fil conducteur
d’un album concept … Et non, les Pink Floyd n’étaient pas du voyage, mais
certaines mauvaises langues prétendent que cette histoire les aurait aidé à
baptiser un de leurs disques à succès des seventies …
Les Small Faces vont pousser jusqu’au bout cette
illumination alcoolisée et vont se lancer dans l’écriture de « Ogdens’
… ». Il leur apparaîtra assez vite que la chose va être assez compliquée à
mettre en musique, surtout qu’ils rêvent d’acteurs récitant des dialogues,
d’orchestrations grandioses et tout le toutim … Prudemment, ils s’en tiendront
à une face du vinyle, la seconde. Qui est pas meilleure que « Tommy », mais
dure quatre fois moins longtemps, c’est déjà ça … Cette enfilade de six titres
est entrecoupée de textes dits par un certain Stanley Unwin, paraît-il très
connu en son temps, et qui narre la quête par Happiness Stan (le nom du personnage) de la partie
manquante de la Lune …
Un texte paraît-il drôle, à condition d’avoir un
plus que bon niveau en anglais. En tout cas la mise en scène (et en sons) d’une
galerie de portraits de décalés (ou de dérangés, c’est selon). Parmi lesquels
le lunaire Happiness Stan et Mad John (un homme de main de Don Arden, premier
manager des Small Faces, avec lequel le groupe semble avoir quelques comptes à régler).
Les vignettes musicales issues de cette suite vont du pas très bon au franchement
pénible, dans un enrobage sonore plutôt surchargé (piano classique à la Moody
Blues pour « Happiness Stan », soul bancale pour « The
journey », fanfare-comptine pour « Happy days toy town »). Et
quand les titres sont plutôt sobres, ils ressemblent étrangement à des choses
plus connues. « Rollin’ over » d’assez loin le meilleur titre de la
face, débute par le riff de « Foxy Lady » de Hendrix (d’après le groupe,
le Voodoo Chile était fan des Small Faces et ne voyait pas d’inconvénients à ce
qu’ils le plagient, une vision peut-être exagérée de la réalité, toujours
est-il qu’il n’y a pas eu procédure, Hendrix étant de toute façon assez éloigné
des considérations bassement matérielles). A l’inverse, « The hungry
intruder » et son folk acoustique énergique ont dû tomber dans l’oreille
de Townsend, tant des pans entiers de leur futur « Tommy » en sont
voisins.
Pour moi, vous l’aurez compris, cette face lunaire
de « Ogdens’ … » constitue un gâchis. Parce que voir un Marriott vocalement
appliqué est un non-sens, lui qui a une des plus belles voix soul des sixties
anglaises. Sans compter que c’est un excellent guitariste, vif, tranchant, sachant
aller à l’essentiel sans être démonstratif. Ronnie Lane, son alter ego dans les
compos (même si pour ce disque, McLagan et Jones participent un peu à
l’écriture), est un grand auteur et un grand bassiste. Ian McLagan sait se
démultiplier sur ses claviers et participera en tant que sessionman aux disques
du gotha du rock (Stones, Dylan, Joe Cocker, Rod Stewart, Springsteen, …).
Kenney Jones est un quasi clone de Keith Moon (les dérives éthyliques et
opiacées en (un peu) moins), à tel point qu’à la mort de Moon, il prendra son
tabouret au sein des Who. Et quand ces quatre-là font du rock sans se griller
les neurones dans des concepts fumeux, ça dépote. Les Small Faces ont sorti
quelques singles mémorables, dont le colossal « All or nothing », une
des meilleures chansons des quinze derniers siècles.
Les bonnes chansons de « Ogdens’ … », ils faut
donc aller les chercher dans la première partie du disque. « Long agos
… » (soul rock) et « Rene » (psyché, jazz et jam finale) sont
correctes sans plus. Les quatre restantes sont d’un autre calibre. « Ogdens’
… » le morceau-titre est un instrumental entre soul et space rock et
montre qu’on a affaire à de sérieux clients qui jouent compact et savent éviter
le solo egomaniaque. « Song of a baker », dans un blind test, tout le
monde hurlerait que c’est un grand morceau des Who (l’intro, les riffs, les
roulements de toms de Jones). « Afterglow of you
love », c’est la perle du skeud. Il faut dépasser l’intro cafouilleuse, se prendre
cette mélodie first class dans la poire et s’extasier sur la performance vocale
de Marriott. Il reste un titre dans cette face. L’objet
de la discorde. Qui
s’intitule « Lazy Sunday ». Un pastiche navrant des Kinks, une récréation
neuneue à prendre au second degré. Marriott n’en voulait même pas sur le
disque. Immediate a choisi de le sortir en single. Marriott est devenu furieux,
d’autant plus que la chanson, sans atteindre les sommets des charts, a bien
marché, écornant quelque peu la crédibilité du groupe. Résultat des
courses : Marriott va quitter le groupe dont il est le leader, les Small
Faces vont être remerciés par Immediate. Les trois autres vont continuer,
raccourcissant leur nom en Faces.
Pour remplacer l’irremplaçable Marriott, il en
faudra deux, un guitariste et un chanteur. Leurs noms : Ron Wood et Rod
Stewart … Mais c’est une autre histoire …