Le premier Velvet, c’est un des disques les plus
mythiques de la maintenant interminable saga du wock’n’woll … un disque qui ne
laisse pas indifférent. Soit on le porte au pinacle, soit on ne comprend pas
très bien ou pas du tout pourquoi tant de barouf autour de cette rondelle.
« Velvet Underground & Nico », c’est le disque qui passe de
l’autre côté, qui explore toutes les dark sides de la vie, de la musique …
toutes ces choses et ces sons pas très jojos qu’on évacuait jusque là un peu
hypocritement.
Nico, Warhol, Tucker, Reed, Morrison, Cale |
Du pop-rock qui attaque l’oreille, alors que la
mode, la référence ultime, c’était les Beatles, les Beach Boys, les
girl-groups, la sunshine pop, tout ce qui était joli, bien fait, bien propre,
bien mignon … Alors tu parles quand tu prends le son du Velvet … quasiment
l’antithèse. La rythmique du Velvet ? Une batterie (jouée par une meuf, et
circonstance aggravante dans un monde de paraître, toute moche) réduite à un
kit dans sa portion la plus congrue et jouée debout (hérésie ? non,
beaucoup des batteurs des pionniers du rock’n’roll jouaient de la sorte, celui
des Forbans aussi d’ailleurs...). La basse ? jouée par celui (Cale ou Morrison)
qui avait pas autre chose à foutre. Alors que le règne des sections rythmiques
musclées et techniques (les fondations, la base, bla-bla-bla, …) arrivaient, le
Velvet faisait quasiment l’impasse sur cet aspect. La guitare ? un type
qui moulinait mécaniquement le structure rythmique (Sterling Morrison), un
autre qui cherchait pendant ce temps la note qui produise le même effet que les
ongles griffant un tableau noir (Lou Reed)… tout çà à l’époque des tags
« Clapton is God » sur les murs de Londres, annonçant le culte
(stupide) du guitar-hero technique et flamboyant … Un violon ? quoi, un
putain de crin-crin dans un groupe de rock ? Le symbole absolu de toute la
musique qu’il était de bon ton de mépriser : la classique pour les bobos,
la country pour les ploucs … en plus un violon alto (le plus grinçant), entre
les pattes d’un type (Cale) qui s’efforçait de le rendre le plus désagréable
possible à l’oreille. Et au chant ? alors là, c’est la cerise sur le
gâteau … ils étaient deux, le Lou Reed qui parlait, marmonnait, et une femelle
blonde (Nico) avec une voix caverneuse, les deux à peu près incapables de
chanter juste sur des mélodies pourtant pas très élaborées …
Et ils causaient de quoi, au fait ? Oh, Jésus
Marie Joseph, jamais on n’avait entendu çà … pas des pluie dures de bombes
(Dylan), et pas de vouloir hold la hand de la pretty little girl (tous les
autres). Non, le type, là, qui écrivait quasi tous les textes (en plus de la
musique), ce Lou Reed, c’était juste un sale pédé accro à l’héro, qui balançait
sur des boogies préhistoriques ou des mélodies macabres ses histoires de putes,
de dealers qu’on attend au coin de la rue, de sado-masochisme et de fix à
l’héro … la naissance du glauque’n’roll, cherchez pas ailleurs, c’est le 1er
Velvet … Petite parenthèse, la vraie vie de Lou Reed n’était pas aussi
caricaturale que ce que le prétend l’histoire « officielle », il a
été plus longtemps hétéro qu’homo, et ses rapports avec les drogues très dures
terminés depuis le début des années 60 (les shoots avec des seringues usagées,
l’hépatite C contractée alors, même si Lou Reed a été bien destroy quelques
temps, en gros jusqu’à la fin des 70’s, il a également pris quelques sages
précautions pour rester en vie, et la légende du junkie agonisant et se fixant
sur scène n’est justement que légende et mise en scène …).
Le Velvet, au départ et à la base, c’est pas un
groupe de rock comme on l’entendait à l’époque et l’entend aujourd’hui. C’est
juste la partie sonore du concept artistique qui se voulait total et global
monté par Andy Warhol à New York, The Factory. C’est là, dans cet immense loft
que celui qui était en train de devenir le pape du pop art, avait réuni une
faune hétéroclite, voire interlope, censée travailler à l’élaboration de
nouvelles formes d’expression artistique. De fait, c’était à peu près une party
ininterrompue, avec comme figures de proue Paul Morrissey (photographe, futur
cinéaste), Joe Dallessandro et Edie Sedgwick (acteurs), Ultra Violet (peintre
et plasticienne), Gerard Malanga et Mary Woronow (danseurs), plus quelques
figures locales « pittoresques » comme Candy Darling … Le Velvet
Underground était avant tout un assemblage hétéroclite ( Reed, Cale, Morrison,
Tucker) et cosmopolite (trois Américains et un Gallois, John Cale). Il
deviendra encore plus hétéroclite et cosmopolite quand Warhol lui adjoindra (ou
plutôt lui imposera) une mannequin et actrice allemande, répondant au surnom de
Nico, et remarquée par son Pygmalion pour son apparition (le plus souvent en
armure !) dans « La dolce vita » de Fellini. Warhol entend faire
de cette sculpturale blonde troublante son égérie et la chanteuse de cette
bande de va-nu-pieds qu’est le Velvet Underground. Un spectacle est monté,
l’Exploding Plactic Inevitable, le Velvet accompagne Nico, Lou Reed chante
quelques titres, Woronow et Malanga dansent (lui met en scène une choquante
chorégraphie à base de tenues de cuir et de fouet), Morrissey balance sur un
écran des photos et animations psyché-barrées … Les « concerts » sont
donnés dans des galeries d’art ou de petites salles à travers les Etats-Unis,
divisent la presse très spécialisée, mais n’ont aucun impact réellement
populaire.
Le Velvet et Nico se doivent de laisser une trace.
Avant de disparaître, car l’atmosphère est détestable entre Nico, prétendue
star parachutée peu diplomatiquement par Warhol dans le groupe et Lou Reed, a
priori à cette époque-là le seul capable d’écrire quelque chose qui ressemble
plus ou moins à des chansons. Lou Reed, qui commence là sa carrière de joyeux
luron et philanthrope rebaptisera d’ailleurs Nico « l’emmerdeuse ».
Ce disque sobrement baptisé « The Velvet Underground &
Nico », sort dans les bacs début 67, juste avant le fameux Eté de l’Amour.
Autant dire que question timing, il est pas vraiment dans l’air du temps.
Warhol a conçu une pochette toute blanche, avec une banane au milieu, même pas
le nom du groupe mais le sien. Cette banane peut se peler (« Peel slowly
and see »), dévoilant une partie comestible … rose. Une symbolique
phallique que même les fans de la Comtesse de Ségur pouvaient percevoir. Sur
les premiers exemplaires, légende ou anecdote, une fois cette chair rose
dévoilée, il fallait passer à l’acte, la gomme adhésive étant parfumée au LSD …
En comptant large, ce disque se vendra à mille
exemplaires. Et peu après sa parution, Nico quittera le Velvet. Scénario
classique, la galère habituelle du groupe de rock anonyme … L’histoire aurait
pu, aurait dû s’arrêter là. En dépit de mésententes de plus en plus grandes
chez les « rescapés » (à chaque disque suivant, le Velvet perdra encore
un membre essentiel, Cale, puis Lou Reed), trois autres disques officiels
estampillés Velvet Underground paraîtront entre 67 et 70, avant la débandade
définitive. Deux Anglais, d’abord Brian Eno de Roxy Music et David Bowie de la
Ziggy Stardust Incorporated ne vont pas tarir de louanges sur le Velvet. Le
premier aura une phrase restée célèbre (« Velvet & Nico s’est vendu à
1000 exemplaires, mais tous ceux qui en ont acheté un ont monté immédiatement
leur propre groupe »), l’autre reprendra très fréquemment sur scène le
« White light / White heat » de leur second album, avant de décider
de faire de Lou Reed une superstar glam …
Edie Sedgwick, Gerard Malanga & The Velvet Underground live |
La légende du Velvet, sa réhabilitation et sa
sacralisation sont dès lors en route. Même si … le Velvet c’est trop
dérangeant, pas assez « confortable ». Il suffisait d’entendre dans
les JT officiels et sérieux il y a quelques jours lorsque le vieux Lou (maintenant archi-reconnu, célébré et
décoré) a cassé sa pipe le fonds sonore : toujours « Walk on the wild
side », certes pourtant pas bluette inoffesive au niveau du texte, et
jamais « Heroin » ou « Venus in furs ».
Car au final, qu’est-ce qu’on y trouve, sur ce
« Velvet & Nico » ? La Révolution, tout simplement, la
première vraie mutation monstrueuse du rock, qui qu’on le veuille ou pas était
jusque là affaire de bisounours, tant ceux qui en faisaient que ceux qui
l’écoutaient. Les choses étaient simples : le rock, ça venait de chez les
ploucs le bluegrass, la country, le hillbilly (rien que les noms déjà …), le
blues (en plus d’être des paysans, ils étaient noirs …), le folk, le
rock’n’roll, rien que des campagnards tout çà … La ville, c’était le domaine de
la pop, moins sauvage, plus conviviale ? Les Beatles à Liverpool, la Tamla
à Detroit, le Brill Building à New York, Spector et Beach Boys à L.A, c’était
parfaitement « cadré »… Les hippies qui commençaient à se multiplier,
c’était pire, ils partaient de San Francisco pour aller se perdre à Woodstock,
Monterey, ou dans le Larzac … en fait ils retournaient chez les ploucs …
Avec le Velvet, le rock, tendance ‘n’roll devient un
élément culturel du décor urbain. La rupture est encore plus consommée dès lors
qu’il s’agit des textes. Absolument tous (Dylan et quelques autres folkeux de
moindre acabit étant l’exception qui confirme la règle) ne parlaient que de
meufs (avec plus ou moins d’élégance), de saine amitié virile, de bagnoles et
de motos … Lou Reed causait de putes, de travestis, d’homos, de drogués (tous
les autres se défonçaient, mais étaient au mieux vaguement allusifs), de dealers,
de sado-masochisme, de petits matins blêmes … ça jouait pas dans la même cour
de récréation que « Yellow submarine », c’est clair…
Quatre titres sont chantés (ouais, si on veut) par
Nico. La ballade mortifère des lendemains qui déchantent (« Sunday
morning »), pop perverse, voix grave hautaine qui comme si ça ne suffisait
pas est gavée d’écho. La voix de Nico dégage une impression de dominance, un
aspect hiératique, solennel, totalement flippant. Même dans le registre
girl-group dévoyé (« Femme fatale »), ou la comptine dépravée
(« I’ll be your mirror », tout le 3ème disque du Velvet
est en gestation dans ce titre). La solennité inaccessible et funèbre de la
dame trouvant son apogée dans « All tomorrow’s parties ».
Warhol & Nico |
Lou Reed trouve son meilleur rendement dans les
lents boogie monolithiques de la première face vinyle (« I’m waiting for
my man », le « man » étant le dealer), ou « Run run
run », ce dernier se colorant de relents psyché, une des rares concessions
à l’air du temps. « Venus in furs » est le titre le plus dérangeant
de cette face, par son thème-hommage à Sacher-Masoch, mais aussi parce qu’il
fait se confronter dans les discordances et les dissonances l’alto de Cale et
la guitare de Reed, sur fond des percussions tribales de Mo Tucker. On entend,
on ressent la douleur, la souffrance et la mort que véhiculent ce titre.
Car « Velvet & Nico » c’est aussi un
disque organique, qui parle aux sens, tout le contraire d’un boucan arty obtus.
On s’en rend compte à l’entame de la seconde face vinyle quand on doit
affronter « Heroin », le titre qui a le plus fait pour la réputation
malsaine de Lou Reed.
« Heroin » est une description par la parole et la musique d’un fix,
cette relation-dépendance entre amour et haine que le junkie porte à sa came.
Description portée par un tempo qui s’accélère (le sang qui cogne dans les
tempes) et striée par le violon de Cale (la raison qui zigzague). A ma
connaissance, personne n’avait encore abordé la drogue et sa dépendance de
façon aussi frontale, aussi crue, dans une chanson. Le contraste est saisissant
avec la suivante, la plus « légère » du disque, l’enjouée (par le
tempo) « There she goes again ». Après le court intermède chanté par
Nico (« I’ll be your mirror »), on pourrait penser à un final moins
éprouvant. C’est justement là que le Velvet choisit de pousser le bouchon le
plus loin. Peut-être lassé de l’hégémonie d’écriture de Reed, Cale fomente un
coup d’état et s’arroge la co-écriture pour « The black angel’s death
song ». C’est le violon strident
du Gallois qui mène cette danse forcément macabre, et ces trois minutes
d’agression préfigurent les 17 de « Sister Ray » sur le disque
suivant, « White light / White heat ». Le final du disque
« European son » est une longue litanie stridente, résultant de jams
bruyantes du temps de la tournée Exploding Plactic Inevitable, signée
collectivement. Elle présente dans l’esprit beaucoup de similitudes avec
« The end » des Doors sortie quelques semaines plus tôt. Les paroles
sont un hommage à Delmore Schwarz, père spirituel de Lou Reed, écrivain
« maudit » américain récemment mort dans l’oubli.
« The Velvet Underground & Nico »
mettra à peu près cinq ans avant de commencer à être reconnu et cité comme un
disque majeur. Son aura n’a depuis fait que croître, des pans entiers du rock
(le krautrock, le punk new-yorkais, Sonic Youth et tous ses descendants, tous
les frangins Bruitos de la planète, série en cours, …) le citent comme
influence majeure. Les autres disques du Velvet en découlent d’évidence. Même
si dès le suivant Nico ne sera plus là … On l’a oublié, mais le Velvet n’était à
l’origine censé être que son backing-band …
Parmi la multitude de rééditions en version plus ou
moins DeLuxe ou Expended parues, celle de 2010 fait la part belle à
l’Allemande. Outre les versions mono et stéréo du disque, on y trouve en
version single (inutile de dire qu’ils n’ont pas visité le haut des charts) les
quatre morceaux qu’elle chante et une bonne part de son premier disque solo
« Chelsea girl », écrit par Lou Reed et produit par John Cale, ce qui
permet de signaler que malgré le peu de succès rencontré par ses disques en
solo, c’est vraiment elle la première « héritière » du Velvet, celle
qui est restée toute sa carrière dans « l’esprit » du groupe,
responsable d’une discographie assez abrupte, où l’on retrouve toujours cette
atmosphère hiératique et glaciale des « All tomorrow’s parties » et
autres « Femme fatale ».
« Velvet Underground & Nico » est pour
moi un des deux ou trois meilleurs disques du siècle passé, de l’actuel, et de
ceux à venir. Depuis sa parution, pillé, imité, plagié … mais jamais égalé …
Des mêmes sur ce blog :
P.S. Sur la vidéo de "Wating for my man", l'enfant assis à côté de Nico est Ari, le fils qu'elle a eu avec Alain Delon