ELVIS COSTELLO - MY AIM IS TRUE (1977)


Elvis est mort, vive Elvis !

Il y en a dont on peut raisonnablement se demander s’ils n’ont pas juste eu la chance d’être au bon endroit au bon moment, et de profiter de l’effet d’aspiration d’un mouvement musical alors dans l’air du temps. Combien de groupes punks ont été signés juste parce qu’ils se disaient punk ? Par charité et manque de temps, pas de noms …
Cet autre Elvis a sorti son premier disque en 1977. Mais lui, on ne peut le soupçonner de surfer sur la bonne vague. D’abord parce qu’il a pas vraiment le look d’un surfeur, et ensuite parce qu’il est quand même d’un niveau bien supérieur à la moyenne pour l’écriture de chansons. Un talent comme le sien se serait forcément fait remarquer. C’est bien simple, Costello, il est pour moi dans le Top 5 des plus grands auteurs anglais (oui, je sais, y’a du monde et de sacrés clients par ailleurs, mais je persiste et signe …). Parce que Elvis Costello punk ? C’est un peu court, même s’il a débuté discographiquement avec ce « My aim is true » en 1977, et si son look de teigneux à costards étriqués pouvait l’assimiler à une scène pub-rock. Mais Costello (Declan Patrick McManus pour l’état civil, c’est son manager Jake Rivera qui le rebaptisera Elvis, comme l’autre, et Costello du nom de sa grand-mère) s’il cherche à se faire un nom dans le milieu musical, n’a rien du punk archétypal : il est marié et fait des petits boulots dans l’informatique ou l’industrie cosmétique.
Clover, le backing band des sessions studio
Sur la foi d’un premier single (« Less than zero »), Costello est signé chez l’indépendant Stiff Records, où il peut enregistrer ce « My aim is true », avec Nick Lowe à la production (la connexion pub-rock, Costello avait commencé à la périphérie du genre), et comme backing band un solide groupe de requins de studio américains, Clover (dont pour la petite histoire, la plupart finiront accompagnateurs de Huey Lewis, l’auteur du carton planétaire « Power of love » sur la B.O de « Retour vers le futur »).
Evidemment, si l’on compare ce « My aim is true » aux disques de l’apogée de Costello trois-quatre ans plus tard, on mesure tout le chemin que le binoclard va parcourir à marches forcées, surtout lorsqu’il se sera dégotté les accompagnateurs de rêve que seront les Attractions. Ici, ça sonne sec, austère, rêche. Sans que ce soit rachitique pour autant. Il y a déjà toute l’infinie palette d’écriture dont Costello est capable. Ce type est un consommateur boulimique de musique (il avouera dans les années 80 en jouer ou en écouter quinze heures par jour, et acheter des dizaines de disques par semaine) capable de composer des chansons dans des styles très différents, voire a priori antinomiques. Et ce premier disque sorti en pleine vague punk n’a rien à voir avec les productions des Damned, Clash, Pistols et consorts. Costello est avant toute chose un songwriter dans le sens le plus pur du terme. Ici, pas d’hymne de révolte adolescente, des chansons. A l’ancienne, serait-on tenté de dire, car elles respectent tous les antiques critères d’écriture : de la mélodie, des couplets, des refrains, de la concison, des arrangements malins. Seule l’interprétation est vive, nerveuse, avec ce phrasé limite arrogant qui sera une de ses trademarks les plus durables.
Tous les genres dans l’œil du cyclone de l’an de grâce 1977 sont abordés, on trouve dans les titres des colorations rock, pop, ska, reggae, jazz, rockabilly, … Comme si Costello s’était attaché à livrer une carte de visite en forme de CV, pour montrer et démontrer de quoi il était capable. Ce disque est fatalement bridé (c’est son premier, le budget n’est pas colossal), mais il y a déjà des titres qui malgré cette rusticité sont déjà des classiques. Le premier single « Less than zero », l’immense « Watching the detectives », les deux avec leur base reggae, le premier (petit) hit « Alison », qui tire vers la ballade jazzy, et puis toutes ces petites vignettes, ces chansonnettes truffées de sonorités chaque fois différentes, l’une dépouillée, l’autre enluminée par des chœurs et des arrangements chiadés …
« My aim is true » va à l’essentiel (13 titres en 35 minutes), beaucoup plus patchwork teigneux qu’album au sens seventies du terme. Ensuite Costello va écrire comme un forcené (13 titres bonus sur la superbe réédition chez Rhino, dont un bon paquet d’inédits), s’éparpiller dans une multitude de genres (la pop très orchestrée, le rock, la country, les funestes jazz et classique, …) publier pendant une décennie des disques la plupart soit bons soit très bons à une cadence infernale, en produire d’autres (et pas des anodins, le premier Specials, « Rum, sodomy & the lash » des Pogues), recevoir l’adoubement des plus grands (deux disques co-écrits avec McCartney) avant comme tous les autres de sombrer dans la redite et l’anodin. Aujourd’hui, il fait partie des centristes du rock, au bras de sa jazzeuse de femme Diana Krall, très loin de ses uppercuts musicaux des débuts …

Du même sur ce blog :
This Year's Model
Imperial Bedroom 
Punch The Clock