Génération psyché ...
Tout le monde (enfin, ceux que ça intéresse) connaît ces
disques devenus mythiques de la fin des 60’s, œuvres de types bien bariolés
dans leur tête, toujours cités comme fabuleux, et que personne, à l’époque
comme plus tard, n’a jamais acheté. Et donc les deux exemples les plus connus
doivent être le « Odessey and oracle » des Zombies et le « Walk
away Renée » des Left Banke, condamnés au « culte » perpétuel
derrière « Good vibrations », « Sgt Peppers »,
« Forever changes », les 1er Floyd, Hendrix, Doors,
Airplane, … Et régulièrement, des hordes de types avec des fleurs dans leurs
cheveux en bataille remontent au front en vue d’écrire une nouvelle page de
cette pop psychédélique qui les fait fantasmer. Sauf exception, dans
l’indifférence un peu générale …
Dernier en date : l’Australien Kevin Parker et son
Tame Impala de (faux) groupe. Encensé à juste titre ces temps-ci. Bon, ben
oubliez-le, le gars dont au sujet duquel je vais vous causer vient de sortir un
disque insensé. « Cabinet of curiosities » il s’appelle le skeud, et
le gars en question, Jacco Gardner, vient des improbables Pays-Bas. Improbables
quoi que … Cet étrange morceau de terre plus bas que la mer, réputé pour ses
habitants à vélo, ses champs de tulipe, son Ajax d’Amsterdam et ses
coffee-shops a toujours eu la fibre anglophile. Et donc, dès les sixties, alors
que chez nous on s’extasiait sur Sylvie Vartan et Richard Anthony, les Bataves
avaient des groupes locaux qui n’avaient rien à envier aux anglais adeptes d’un
rock garage énervé, genre Q65 ou Oustsiders. Et aujourd’hui, qui retrouve t-on
derrière ce Jacco Gardner ? Un vieillard, Jan Audier, qui a bossé comme
ingé-son derrière les mythiques Q65. Pour que la légende soit plus belle, le
sieur Gardner fait croire que Audier n’avait pas mis les pieds dans un studio
depuis 40 ans, ce qui est faux, il participait de temps à autre à
l’enregistrement ou la production de disques.
Jacco Gardner donc. Pas encore 25 ans. Des débuts dans un
duo folk électrique (bâillements). Et puis avec l’aide du septuagénaire Audier,
ce « Cabinet of curiosities ». Dont la pochette intrigue. Un enfant
blond avec un ciré rouge (« Don’t look now », le film de Nicholas
Roeg ?) perdu dans une forêt luxuriante où se cache une girafe bleue
(« Avatar » ?). Je sais pas quels genres de films il se passe
dans sa tête, mais en tout cas son disque sonne comme un flash-back pour
continuer dans l’allusion cinématographique.
Compteurs bloqués circa 1967. Encore un, diront les
ronchons. Qui auront tort. Celui-là, je sais pas si c’est le bon, mais en tout
cas, c’est un bon. Qui ne récite pas ses gammes psychédéliques comme tous les
autres, s’appliquant à recopier leurs modèles. Non, lui il sonne comme l’élève
récitant sa leçon et qui se hisse au niveau des antiques maîtres, comme s’il
était le contemporain de Brian Wilson, Arthur Lee et Syd Barrett. Surtout Syd
Barrett. Il est fan du mangeur de space cakes du premier et inégalé disque du
Floyd et de ses erratiques disques solo bricolés, et ça s’entend. Mais pas
trop. Gardner semble assez doué pour ne pas se ridiculiser à plagier
« Lucifer Sam ». D’ailleurs il est pas très rock, Gardner. Plutôt pop
et folk. Nombre de titres, en gros la moitié, commencent par des arpèges de
guitare acoustique, et dévident le genre de mélodies que ne renieront pas fans
de Paul Simon, Donovan ou Nick Drake. Le restant, c’est de la chanson pop haut
de gamme qui va lutter sur le même terrain que des « Alone again
or », « Wouldn’t it be nice », « Lucy in the sky … »,
« Time of the season », … Même s’il apparaît totalement improbable
que les titres de ce « Cabinet … » fassent des hits. Pas exactement
le genre de choses susceptibles d’intéresser les sourds qui trouvent génial le
patapouf coréen et son style gnangnan …
Et pourtant, qui ces jours-ci est capable d’écrire avec
ce son délicieusement vintage (cette batterie qui n’est pas putain de
compressée et mise tout en avant est un régal, on dirait que c’est Ringo Starr
ou Hal Blaine qui en jouent, ce son de claviers (en fait des samples de
Mellotron), cette voix aérienne doublée et chargée d’écho, …) une douzaine
chansons originales dans tous les sens du terme dont aucune, je dis bien
aucune, n’est à zapper ? Répondez pas tous ensemble …
C’est « dans l’esprit », et totalement original
à la fois. Tout au plus peut-on noter sur l’intro de « The Riddle »
un gimmick entendu sur « Good vibrations », ou cette montée de la
batterie sur le refrain de « Chameleon » qui ressemble au rythme du
« White rabbit » de l’Airplane. Pour le reste, le Gardner a trouvé
des mélodies irréelles, des constructions simples mais magiques, déjà
perceptibles sur les deux singles (« Clear the air », « Where
will you go ») de l’année dernière repris sur ce Cd, et qui avaient
commencé à alimenter le buzz.
Vu l’état actuel du « marché » et du
« public », il serait surprenant que Jacco Gardner vende des disques
par millions, fasse un hit (bien que « Help me out » dans un monde idéal
devrait squatter le haut des charts). Il est trop à l’écart des modes et
tendances, tellement « ailleurs » dans un univers intemporel où seuls
les très grands ont su se hisser dans leurs meilleurs moments.
D’ailleurs, d’une façon peut-être prémonitoire et en tout
cas lucide, il envisage plutôt de se tourner vers la production des disques des
autres que de continuer à en sortir sur son propre nom. Il ne reste plus qu’à
espérer qu’il change d’avis, car là, il a pondu un truc tellement fantastique
que ça mériterait bien une suite …
Du même sur ce blog :
Du même sur ce blog :