Protest singer
Woody Guthrie, aujourd’hui, ce doit être comme les
productions de chez WARP, il doit plus rester que trois pékins que ça
intéresse. Il faut quand même une bonne dose d’abnégation pour à l’heure des
Black Eyes Peas ou Coldplay triomphants, s’enquiller dans les esgourdes ce
« Dust bowl ballads » … ou un machin des Boards of Canada …
Parce que Woody Guthrie, c’est du rêche, du brut de
décoffrage. Une voix, une guitare sèche, et quand par hasard (et pas souvent)
il y a une traînée d’harmonica, çà prend de suite des allures d’épopée
wagnérienne. Ajoutez un son garanti d’époque qui crachote et grésille à
tout-va, et on a largement de quoi rebuter le spectateur de base de
« Taratata » …
Woody Guthrie et son arme de destruction massive ... |
Et pourtant, la descendance spirituelle de Woody
Guthrie est à peu près infinie. C’est le premier véritable chanteur
« engagé » américain, qui tire son inspiration de sa propre situation
(guère reluisante, c’est un prolo atteint d’une maladie nerveuse irréversible
et mortelle, on peut trouver plus glamour comme CV) ; mais aussi et
surtout de celle de ses semblables, tout ce petit peuple américain qui a pris
la crise de 1929 et la Grande Dépression qui a suivi en pleine poire.
Ce « Dust bowl ballads » dans sa version
actuelle de 2000 est une réédition augmentée, d’une série d’enregistrements
thématiques de Guthrie réalisés vers 1940. Placés sous la double influence des
« Raisins de la colère » de Steinbeck (des chansons sont consacrées à
Tom Joad, un des héros du roman, interprété la même année par Henry Fonda dans
le film de John Ford), et des tempêtes de sable bien réelles qui ont touché
l’Oklahoma où vivait Guthrie et qui rajoutées aux effets de la crise de 1929,
ont provoqué un exode massif vers la Californie …
Guthrie est considéré comme le père spirituel de
tous les folkeux « engagés ». Sauf que les titres originaux de
Guthrie sont à peu près tous de la country music pur jus, ne s’aventurant que
rarement dans le registre parlé du folk de l’époque, et ne s’inspirant guère
malgré certains intitulés de morceaux (« Talkin’ dust bowl blues »,
« Dust pneumonia blues », « Dust bowl blues ») du blues des
Noirs, autres parias de la société américaine … Cette country music en solo met
en valeur les mélodies légèrement sautillantes, qui se teintent parfois de la
syncope du rag (« Do Re Mi »).
Les textes, socialement positionnés (pour l’époque
s’entend), sont eux construit d’après des formes littéraires répétitives (il
faut capter l’attention, trouver des formules imagées, égrener plusieurs fois
les vers) qui tirent leurs origines de la nuit des temps (les tragédies
grecques, les chansons de geste, …). C’est uniquement au niveau des textes que
l’on peut rattacher Woody Guthrie aux folk singers des sixties.
Car la « descendance » de Guthrie sera
pléthorique. D’abord dans les années 50 avec Pete Seeger et surtout Ramblin’
Jack Elliott son véritable « héritier », ensuite la décennie suivante
avec évidemment Dylan (qui soit dit en passant n’a fait que suivre et copier
Elliott, jusque dans ses visites à l’hôpital new-yorkais dans lequel Guthrie a
fini ses jours), et tous ses plus ou moins disciples à guitares sèches et feux
de camp …
Guthrie était un radical (son fameux sticker
« This machine kill fascits » apposé sur sa guitare dès le début des
années 30), un des premiers artistes à prendre fait et cause pour le New Deal
de Roosevelt. Ceux qui se réclament de lui ne sont aujourd’hui que des
centristes du rock. Avec mention particulière à Springsteen, qui a aussi
utilisé le personnage de Tom Joad pour un de ses titres d’albums, et chanté un
des morceaux de ce « Dust bowl ballads » (« Vigilante
man »), sur l’album de reprises (« Folkways, a vision shared »)
qu’ont consacré à Woody Guthrie et son
équivalent noir et blues Leadbelly tous les Hervé Morin du rock (Dylan, U2,
Mellencamp, …). Lequel « Folkways …» n’était qu’un remake d’un double
vinyle de 1972 ( « A tribute to Woody Guthrie ») qui voyait déjà les
François Bayrou de l’époque (Judy Collins, Richie Havens, Dylan bien sûr
évidemment, …), s’attaquer live au répertoire de leur inspirateur…