Tout seul ... comme un grand
Depuis le temps, on l’a quelque peu oublié,
Rundgren, même s’il compte encore des bataillons de fans fidèles. Mais au début
des seventies, il avait fait fort, avec ce disque et son suivant (« A
wizard, a true star »), souvent considérés comme les pièces maîtresses
d’une discographie hétéroclite et longue comme un jour de trader sans
plus-values.
Justement, Rundgren se traîne une sale réputation de
type près de ses sous, plus prompt à parler pognon et bizness que musique,
distant et arrogant, ce qui lui vaut une certaine forme d’ostracisme de la part
des médias spécialisés, peu séduits par le bonhomme. Un peu comme Prince, qui
l’a souvent cité, et partage avec lui certains traits de caractère désagréables
…
Todd Rundgren 1973 |
Rundgren a débuté avec Nazz, groupe quelque peu
anecdotique de rock garage, réhabilité avec d’autres par Lenny Kaye sur sa
compilation « Nuggets », avant de démarrer une carrière en solo au
début des années 70. Ce « Something / Anything » est une œuvre
considérable. A l’origine double 33 T plus ou moins conceptuel (chaque face
vinyle est censée représenter un thème), à la durée démesurée (une heure et
demie), c’est aussi pour l’essentiel (les trois premières faces) un disque où
tout est écrit, joué, arrangé et produit par le seul Rundgren. Qui rejoint pour
l’occasion des gens comme Stevie Wonder ou Paul McCartney, adeptes de ce genre
d’exercice solitaire.
Il faut être fan au dernier degré pour prétendre que
tout est bon dans ce pavé. Qui souffre de tous les défauts inhérents à ce genre
de mausolées égocentriques, l’auto complaisance qui empêche de trier le
superflu de l’essentiel, et les lacunes techniques pour certains instruments
qui finissent par devenir trop voyantes (ici les parties de batterie, réduites
à leur plus simpliste expression). Mais la balance est largement favorable, et
Rundgren se révèle un auteur inspiré et un musicien doué (avec notamment de
superbes parties de guitare sur la première face du second disque). Et
personnellement, je n’échangerais pas ce « Something / Anything »
contre les deux premiers McCartney. Un McCartney dont l’influence et l’ombre
mélodique planent sur pas mal de titres, à commencer par le hit introductif
« I saw the light », mais également des choses comme « Saving
grace », « Marlene », « Cold morning light »,… Et comme
le Paulo de Liverpool, Rundgren sombre quelquefois dans la mièvrerie (« It
wouldn’t have … » comme du Chicago de la fin des 70’s).
Il y a aussi de la ballade à tendance soul
classico-pompière qui ravira les amateurs de Procol Harum, « Sweeter
memories », « Torch song », « Dust in the wind »,
cette dernière n’ayant que le titre de commun avec la scie sirupeuse de Kansas,
… quelque titre qu’on croirait sorti d’un bastringue rétro (« The night
the carousel … »), un hommage au rythm’n’blues de la fin des 50’s
(« Wolfman Jack », référence au légendaire DJ blanc dont Lucas fera
un des personnages centraux de son « American graffiti » l’année
suivante), un hommage également (enfin rien qu’au titre je suppose) à Hendrix
(« Litle red lights ») sur lequel le Todd se multiplie à la guitare.
Car Rundgren, souvent présenté à tort comme un musicien « à
machines » est un excellent guitariste, qui n’hésite pas à envoyer le bois
grave sur le hard blues « Black Maria », sortir bien avant
l’invention du terme des titres de power pop (« Couldn’t I just tell
you »), et attendre quasiment la fin du disque pour placer son titre le
plus connu, la somptueuse ballade « Hello it’s me ».
Alors certes sur cette somme il y a parfois
l’impression de redites et une poignée de titres guère marquants, mais on
aimerait trouver autant de qualité d’écriture chez les prétendus génies actuels
(au hasard, le quelconque Sufjan Stevens) qu’il y en a sur ce disque.
Assez étrangement, « Something /
Anything », disque pourtant très « anglais » par bien des
aspects, sera un best seller à peu près sans lendemain aux Etats-Unis
seulement.