Affichage des articles dont le libellé est Pop. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Pop. Afficher tous les articles

ALICE COOPER - FROM THE INSIDE (1978)


 Shock Corridor ?

Résumé des épisodes précédents : Alice Cooper était un groupe censé représenter le double maléfique de son chanteur Vincent Furnier. Après quelques années de disques plutôt bons, voire plus pour certains (« Killer », « School’s out, « Million dollar babies », liste non exhaustive), de grosses ventes, des concerts très courus et de plus en plus spectaculaires, exit le Alice Cooper Group, et place à Vincent Furnier solo sous le nom d’Alice Cooper. Qu’est-ce que ça change, me direz-vous ? Sur le papier pas grand-chose, même si la perte du bassiste Dennis Dunaway, architecte sonore des débuts, va se traduire par un changement de tonalité musicale. Le premier disque solo, « Welcome to my nightmare » est le plus gros succès de « groupe ». Faut dire que Furnier a conservé son atout maître : le producteur canadien Bob Ezrin. Qui va le suivre pour encore deux albums, puis jeter l’éponge. En cause, le comportement totalement erratique de Furnier. Qui a fini par réellement devenir schizophrène, totalement alcoolo (il avouera quelques années plus tard consommer par jour une centaine de bières et deux litres de bourbon, euh … vraiment, t’exagérais pas un peu quand même quand tu prétendais ça, Vincent ?). Résultat des courses : un internement plus ou moins volontaire fin 77 en hôpital psychiatrique pour une « remise à niveau ».

Vincent Furnier 1978

Et musicalement, au niveau de son entourage, nouveau départ. Aux paroles, Bernie Taupin, certainement rencontré sûrement au comptoir d’un bar, quand on connaît le goût pour la picole du partner in crime d’Elton John. A la direction de l’orchestre, Dick Wagner (du duo siamois Hunter-Wagner, remember le « Rock’n’roll animal » de Lou Reed) compagnon de route du Coop depuis plusieurs années. Est rassemblé un équipage pléthorique, au sein duquel on trouve des requins de studio très cotés (Jim Keltner aux fûts), et d’autres en devenir (Rick Nielsen, futur Cheap Trick, Lukather et Kimball, futurs Toto), et une armada de choristes. A la production, un autre Canadien, David Foster, aux déjà nombreux (mé)faits d’armes …

« From the inside » est en quelque sorte un concept-album autobiographique, inspiré par l’internement du Vincent. Vraiment vécu ou résultat d’un brainstorming avec Taupin ? J’en sais rien et je m’en cogne un peu beaucoup si vous voulez savoir. Parce que de toute façon et de n’importe côté qu’on l’envisage, « From the inside » ne fait pas partie de ce que l’homme au boa a fait de mieux. Même si attention, vu le casting et le pognon de dingue comme dirait l’autre guignol, il y a de quoi dans cette rondelle pour attirer le chaland, et le banquier d’Alice a été bien content … Pour situer, « From the inside » pour Alice Cooper, c’est un peu comme « Dynasty » pour Kiss. Le disque carrément à l’assaut des passages radio. Sauf qu’ici pas de tube inoxydable et putassier à la « I was made for lovin’ you ». Même si avec « How you gonna see me now », le Coop s’est essayé au hit consensuel, qui ne sonne finalement que comme un fond de tiroir de l’Elton John de l’époque, et qui n’a vraiment été qu’un succès … en Belgique.

Alice Cooper 1978

J’ai cité Elton John. Et j’assume. Je sais pas si c’est la présence de Taupin ou le fait que beaucoup de titres reposent sur le piano, ou les deux, mais il me semble qu’il y a beaucoup du collectionneur de lunettes dans « From the inside ». « Wish I were born in Beverly Hills » aurait pu avoir sa place sur « Goodbye Yellow brick road », de même que le « How you gonna see me now » déjà cité.  Sinon, ça lorgne parfois vers le baroque, plus ou moins pompier. « Nurse Rozetta » (bonjour le cliché du fantasme sur l’infirmière), fait furieusement penser à la musique du « Rocky Horror Picture Show », et l’ultime, long et tarabiscoté titre final (« Inmates … »), on retrouvera tout ça en bien mieux sur « The Wall » de Waters – Pink Floyd, un disque produit par … Bob Ezrin. Comme quoi tout est dans tout et inversement …

Moi, ce qui me plaît chez le Coop, ce sont ses bons gros riffs méchants. Portion congrue ici, il faut se contenter de l’assez quelconque « Serious » pour avoir quelque chose qui ressemble à du (vrai) rock. Au débit également, la voix malsaine et vicieuse ne drive plus les morceaux, elle fait juste de la figuration sur quelques bribes de titres.


Y’a même un duo assez consternant (avec Marcy Levy ou Marcella Detroit, en fait c’est la même, une ancienne choriste à Clapton), ça s’appelle « Millie and Billie », roucoulade entre deux internés toxicomanes … on est assez loin de « Vol au-dessus d’un nid de coucou », dont « From the inside » s’était de façon assez évidente inspiré …

Allez, une paire de trucs à sauver, « From the inside » le morceau, rock middle of the road sympathique et « The quiet room », entame de ballade mièvre et vaporeuse avant une accélération et un final où l’Alice retrouve sa voix « historique » …

Ce disque très centriste et plutôt mollasson sera une bonne vente, ça permettra au Coop de rajouter quelques numéros tordus et d’autres effets spéciaux gore dans ses concerts, qui seront de plus en plus courus, et la cash machine de l’Alice Cooper Inc. pourra tourner à plein régime …

Il n’empêche, c’est avec ce genre de disques assez inconsistants que le futur partenaire de golf de Donald Trump (‘tain, sans déc’, mon petit Vincent, comment t’as fait pour tomber aussi bas ?) entamera une carrière grand public … Sans moi (ouais, je sais il a pas fait que des daubes depuis plus de quarante ans, y’a quelques trucs passables de temps en temps) …


Du même sur ce blog :




JOHN LENNON - IMAGINE (1971)

 

Béatification ...

Être John Lennon aurait pu en soi être suffisant … Être un ex-Beatles, plus grand groupe pop de tous les temps, (co-)auteur de la moitié de leurs titres les plus connus, et leader du groupe (enfin, celui qui l’ouvrait le plus souvent, à grands coups de métaphores et de punchlines comme on dirait maintenant dans les conférences de rédaction de CNews) … Un génie, vous disaient plein de gens … Et le John se plaisait à cultiver son image de rigolo sérieux, d’intello loufoque, pour la plus grande extase de ses fans …


Une fois la débandade du plus grand etc … consommée, les quatre (enfin, moins Ringo, qui enchaînait soirées casino et cocktails) vont se livrer à une course à l’échalotte afin de déterminer qui était le meilleur Beatles. Ce qui entrainera une diarrhée vinylique conséquente, à coups d’albums tous les six mois pour Lennon et Macca, et carrément un triple vinyle pour Harrison … et sans compter les machins inaudibles sortis par le couple John et Yoko (« Two Virgins », « Unfinished music », « Wedding Album », le « Plastic Ono Band » version Yoko).

« Imagine » est le second 33T du binoclard le plus célèbre du monde, version Ghandi du pop-rock-machin …. Qui succède à l’introspectif « John Lennon / Plastic Ono Band » et deviendra le plus connu de son auteur et un incontournable de toutes les listes des meilleurs disques ever … en grande partie grâce à son morceau titre, scie pacifique et consensuelle (« … imagine all the people living life in peace, … imagine there’s no countries, no possessions … ») que tout humain, mis à part Vlad the Lad et quelques autres du même tonneau, ont entendu jusqu’à la nausée dans leur vie. S’il ne fallait garder qu’un titre de Lennon pour le « grand public », nul doute que « Imagine » serait celui-là. Un truc bête comme chou, une mélodie toute simple sur un piano légèrement désaccordé, la voix doublée du John (il ne la supportait pas « naturelle » et a systématiquement utilisé le re-recording pour ses parties vocales), et des paroles déjà en 1971 d’un autre temps autour de la thématique hippie du peace and love déjà passée de mode …


Alors forcément, quand un morceau comme ça se trouve en intro d’un disque, ledit disque va s’écouler par millions et ravir ceux qui ne demandent qu’à l’être. Mon exigence et ma rigueur légendaires m’obligent à signaler à l’auditoire que, comme tous les 33T de Lennon, « Imagine » n’est pas le chef-d’œuvre que l’on vous vend depuis cinquante ans. Meilleur que beaucoup d’autres, certes (quelqu’un pour défendre « Some time in New York City » ou « Mind games » ?), mais aussi bien chargé en titres … comment dire … euh … quelconques.

Ici, deux arbres cachent la forêt calcinée. « Imagine » donc et peut-être l’encore meilleur « Jealous guy ». Ce dernier, malgré ses airs de famille troublants avec « Imagine » (le tempo, la mélodie au piano entêtante) est plus fini, plus abouti. Le pont sifflé est une bonne trouvaille et les cordes sont parcimonieusement et judicieusement dosées sur le final.

Ono, Lennon & Spector

L’occasion de citer Phil Spector. On le sait, Lennon et Harrison s’étaient entichés du grand homme (enfin, pas par la taille) dès la période eau dans le gaz des Beatles. Contre l’avis de McCartney, Spector avait produit « Let it be », album poisseux et dégoulinant de violons qui n’arrivaient pas à masquer la panne créative de ceux qui étaient encore quatre mais plus fabuleux pour un sou. Et logiquement, Spector allait accompagner Harrison et Lennon dans leurs débuts en solo. Soyons clair, et de toute façon l’histoire s’est chargée de vérifier les supputations, Spector n’a plus rien de magique depuis l’échec de ce qu’il considérait être son chef-d’œuvre, le colossal « River deep, mountain high » (le titre, mais aussi l’album) de Ike (prié de rester loin de tout ça en studio) et Tina Turner. Le génie capable de transformer n’importe quelle chansonnette en titre d’anthologie commence à être sérieusement à l’Ouest, avant de bientôt basculer de l’autre côté de la farce … Mais en 71, même un Spector déclinant est un type qui sait pousser les boutons dans un studio. Pas de Wall of Sound ici, le Phil donne plutôt dans l’épuration boisée. Quelques cordes, violons, discrets dans le mix, et pas d’instrumentation pléthorique. Même si question casting, y’a du beau linge sur « Imagine ». Les fidèles Klaus Voormann (pote de longue date, la pochette de « Revolver » c’était lui) et Nicky Hopkins (cinquième Beatles et sixième Stones), Jojo Harrison sur une moitié des titres (très bon à la slide sur « How do you sleep ? », on y reviendra sur ce titre), Jim Keltner (avec qui n’a-t-il pas joué ?) et Alan White (futur Yes) se partagent les parties de batterie, le grand King Curtis vient de temps souffler dans son sax … Et Yoko, allez-vous me dire ? Elle se contente de la co-écriture d’un seul titre (« Oh my love »), et surtout ne vient brailler sur aucun. Ah, et pour l’anecdote, c’est elle qui a pris la photo de Lennon qui sert de base avant retouche nuageuse et floutée à la pochette du disque …

A l’heure où le mot disruptif est à la mode, on peut pas dire que « Imagine » soit un disque disruptif. « Plastic Ono Band » l’était beaucoup plus, tout en rugosités et aspérités (le cri primal de Janov, la conceptualisation de Dieu, …). Lennon tirait un trait sur le monde des Beatles, dont « Imagine » est par contraste beaucoup plus proche. Et son ancien acolyte Macca au cœur des débats et du titre « How do you sleep », titre méchant et pas du tout second degré qui lui est adressé. « The sound you make is muzak to my ears », moi je veux bien, mais on peut pas vraiment dire que Lennon n’ait jamais pataugé dans la guimauve depuis la séparation des Beatles … l’assez embêtant et neuneu « Oh my love » en est la preuve ici … Ultime tacle à la carotide pour Macca, une photo au verso de la pochette qui voit Lennon tenir un cochon. Allusion à la pochette de « Ram » du Paulo où l’on voyait le bassiste poser avec un mouton. Tout ça est un peu mesquin et de toute façon niveau coup en dessous de la ceinture est loin de « The Notorious Byrds Brothers » ou David Crosby fraîchement parti du groupe est remplacé par un cheval sur la pochette … Dans ce contexte, on peut trouver étrange « Crippled inside », avec ses faux airs de « Lady Madonna » (signée McCartney), et ses rythmes antiques de jazz New Orleans. Joli morceau un peu quelconque tout de même …


Avec « Imagine » on se retrouve avec un peu de tout et aussi un peu n’importe quoi. « I don’t want to be a soldier », mantra bluesy et pacifique un peu longuet, où le Jojo prend une grosse voix grave farcie d’écho qui fait penser aux ruminations du Morrison de la fin des Doors. Niveau rêche, on a aussi l’autre blues « It’s so hard », ouais, bof … « Give me some truth » fait penser à « I’m the walrus » et bénéficie d’un solo tout en distorsion d’Harrison. Globalement, la fin du disque ne vaut pas le début, malgré un bon « How ? » titre où les arrangements de Spector sont le plus présents mais arrivent à rester sobres, aidés par le chant le moins bidouillé de Lennon et son final à l’harmonica qui renvoie à « Love me do » … Boucle bouclée ?

Au final, si Lennon avait réuni sur un seul disque les meilleurs titres de « Plastic Ono Band » et « Imagine », on aurait eu quelque chose qui ressemblerait au meilleur disque solo d’un ex-Beatles … Qui sera à mon avis « Band on the run » de McCartney-Wings …



Du même sur ce blog :

CHARLOTTE GAINSBOURG - IRM (2009)

 

Fortunate son ...

Comme tout le monde, Charlotte est la fille de ses parents. Mais c’est  la seule au monde à être la fille de Serge Gainsbourg et Jane Birkin. Ce qui n’est pas forcément un handicap dans la vie. D’ailleurs, elle fait carrière sous le pseudo de son père (pour l’état-civil, elle s’appelle Charlotte Lucy Ginsburg). Son gagne-pain, à Charlotte, c’est d’être actrice. Un métier pour lequel elle est assez douée, excellant dans des rôles de pleureuse diaphane triste, mais pas que …Elle fait des disques aussi, la Charlotte … et là on peut se poser deux questions : pourquoi et comment ?


Pourquoi faire des disques quand on s’appelle Charlotte Gainsbourg ? Parce que Gainsbourg, dans le monde des maltraiteurs de gamme, c’est un nom bankable, et il n’a échappé à personne que le monde de la musique, c’est aussi une industrie qui exige des résultats, des marges, des dividendes, etc … On prend moins de risques à sortir un disque étiqueté Gainsbourg que celui de gugusses peut-être extrêmement talentueux mais inconnus. Et puis, Charlotte Gainsbourg et la chansonnette, y’a peut-être quelque chose de freudien et d’œdipien à régler. On se souvient de son père la forçant à chanter toute gamine des mélodies difficiles, sur des textes (et un clip) pour le moins équivoques (l’assez douteux « Lemon Incest ») …

Comment on fait de la musique quand on s’appelle Charlotte Gainsbourg ? Et que certains prérequis pointent aux abonnés absents. Quand on ne compose pas qu’on n’écrit pas (ou si peu) de textes, et qu’on a une voix à faire passer Maman Jane pour la Callas, on fait quoi ? A mon humble avis, on ferait mieux de rester à la maison … Pas Charlotte, à qui on donne un disque « clés en mains », sur lequel elle n’a plus qu’à poser son petit filet de voix. Bon, des gens qui ne font quasi exclusivement que chanter sur leurs disques, on en connaît et des fameux (Frank Sinatra ou Elvis Presley pour n’en citer qu’une paire). Mais ils chantent mieux que Charlotte …

Cet « IRM » est beaucoup plus un disque de Beck (Hansen) que de Charlotte (Gainsbourg). Beck, au début, c’était un mixeur de genres assez étonnant, réussissant à faire des choses pas dégueus en marchant à rebrousse-poil des conventions (de l’électro, du rap et de la country avec « Loser », fallait y penser). Son étrange mayonnaise a fini à la longue par tourner vinaigre, et encore plus quand est venu se rajouter à la musique un malvenu prosélytisme scientologue. Mais on peut toujours compter sur lui pour bricoler des trucs bizarres.

Ici, il s’en donne à cœur-joie, réunissant une multitude de zozos programmant leurs Mac, lui-même étant crédité de plein de bidules électroniques. Même s’il y a aussi de vrais instruments (noyés sous les programmations), et un casting aussi long qu’un générique de dessin animé Pixar, c’est Beck qui écrit, compose et joue quasiment tout. A part deux types dont je préfère pas citer le nom pour les paroles d’une imbécilité rare de « Le chat du Café des Artistes » qui accumulent des trucs aussi forts que « Quand on est mort c’est qu’on est mort, quand on ne vit plus c’est qu’on ne vit plus », et un poème d’Apollinaire mis en musique (la tarte à la crème de la chanson française de « qualité », aller piocher chez Verlaine, Rimbaud, Apollinaire, ça fait littéraire et romantique …).

Charlotte G. & Beck H.

Musicalement, Beck oblige (ou se sent obligé ?), on passe du coq à l’âne, pauvres mélodies interchangeables sur fond d’innombrables programmations rythmiques envahissantes, on va butiner vers plein de genres (vers l’électro, la ballade acoustique, la pop 60’s).

Quelques rares compos tiennent à peu près la route. « Le chat du Café … » s’il avait un bon texte renverrait aux meilleurs trucs que composait Gainsbourg Père pour Jane B., « Heaven can wait » est un joli exercice rétro très influencé par le Beatles sound, « Time of the assassins » c’est pour moi le meilleur titre de la rondelle, belle mélodie pop-folk à la Duncan Browne. A noter aussi, mais pour d’autres raisons « Dandelion » (étonnant que Tony Visconti ou les héritiers de Marc Bolan n’aient pas dégainé les avocats, c’est un plagiat du T-Rex sound époque « Electric warrior »). Le reste, c’est du bruit pour after de bobos, furieusement (?) novateur (?) et étrange (?), manière d’accompagner le champagne rosé quand les lumières de l’aube viennent signifier la fin d’une nuit passée dans des endroits rupins des beaux quartiers de Paris…

La Charlotte « chante » pour l’essentiel en anglais, c’est-à-dire qu’elle murmure des textes en essayant de suivre la mélodie. Dans les meilleurs moments assez proche de la tessiture de sa Jane de mère, mais sans son feeling ingénu. Ici, c’est pour le moins laborieux …

Pour paraphraser le philosophe hélicoptérisé Balavoine, qui déclarait qu’il faudrait remplacer le besoin par l’envie, Charlotte G. aurait dû se poser la question essentielle : avait-elle besoin de faire un disque ou en avait-elle juste envie ?


ROXY MUSIC - FOR YOUR PLEASURE (1973)

 

Crossroads ...

Comme indiqué en sous-titre, « For your pleasure » est « the second Roxy Music album ». Et même si une demi-douzaine suivra, « For your pleasure » sera le dernier de la formation d’origine. Avec Brian Eno s’entend. Autant commencer par lui … ce type me laisse assez circonspect avec ses théories (les stratégies obliques, comme si dans le rock il fallait être un stratège, ceux qui l’ont inventé ne connaissaient même pas l’existence de ce mot), sa litanie de disques ambient, pour les aéroports, … qui remplacent avantageusement les somnifères … Tout ça pour le côté obscur de la farce … Parce qu’en face, on le retrouve très impliqué (souvent comme producteur, ou metteur en sons, comme on veut) de quelques rondelles pas dégueulasses, genre les Bowie période Berlin, les meilleurs Talking Heads ou U2, et … « For your pleasure » sans oublier une poignée de disques à lui superbes dans les 70’s … Difficile de dire avec précision la part d’Eno sur « For your pleasure », parce que Roxy a un sacré leader maximo, en la personne de Bryan Ferry, qui signe, ce qui n’est pas rien, la quasi-totalité des musiques et des textes. Mais ces chansons sonnent toutes d’une façon étrange, inédite, inouïe, quand Eno les a tripatouillées (tout un tas de bruitages, de sons passés à travers des ordis ou des synthés), que ce soit en studio ou sur scène (lors des concerts, il est à la table de mixage, pas sur les planches).


Roxy est un groupe étrange, dans ce début des seventies où la bizarrerie la plus extravagante est la norme. Cité juste après Bolan et Bowie lorsqu’il s’agit de définir le glam-rock, on le retrouve en bonne place sur toutes les compilations prog seventies. Vous me direz, c’est en ratissant large qu’on trouve le plus de fidèles. A mon sens, Roxy penche beaucoup plus vers le glam que vers le prog (cette funeste engeance a tendance à vouloir rattacher à sa chapelle plein de choses et de gens qui n’ont rien à voir avec Genesis, Yes, les types de Canterbury and so on …). Même si on retrouve chez Roxy Music, l’espace de quelques mesures les sonorités alambiquées et les arrangements tarabiscotés qui font tout le charme (?) des progueux … Et de toutes façons, niveau glam, les Roxy écrasent toute la concurrence au moins visuellement (voir leurs tenues sur la pochette intérieure), à faire passer Bowie pour un attaché parlementaire du Modem …


Tiens, et puisqu’on parle pochette, autant causer de celle-ci, une des plus connues du rock. Parce que d’emblée Roxy Music s’est plus fait remarquer par ses pochettes que par sa musique. La légende prétend que le groupe a été signé par Chris Blackwell sur Island au vu du projet de maquette pour la pochette de son premier album, une mannequin allemande façon playmate Playboy sur une pochette en recto et verso (gatefold). Pour « For your pleasure », le principe est le même. Pochette gatefold, même photographe (Karl Stoecker). Autant la précédente était lumineuse, autant celle-ci est sombre. Elle est captée dans un grand studio (pour y faire rentrer une limousine), vinyle noir sur le sol, décor Las Vegas by night. Le modèle choisi est Amanda Lear. Bustier, robe fourreau et longs gants de cuir noir, talons aiguille vertigineux, cambrure de gymnaste des pays de l’Est, panthère noire tenue en laisse. Un peu au second plan, Bryan Ferry (chauffeur ?, compagnon ?) semble l’attendre à la portière d’une limousine. Amanda Lear n’est pas vraiment une inconnue. Muse-amante de Salvador Dali dans un improbable triangle amoureux (l’autre sommet du triangle est Gala, épouse légitime de Dali), ancienne compagne de Brian Jones (la chanson « Miss Amanda Jones » sur « Between the buttons »), et à l’époque de la photo, compagne (en pointillés) de Bryan Ferry. Cette pochette marquera bon nombre de personnes. Dont particulièrement un chanteur anglais, qui se renseignera sur cette blonde longiligne, la contactera et se mettra en couple avec elle pendant quelques années. Que ceux qui ne savent pas qu’il s’agit de David Bowie se fassent connaître, il n’y a rien à gagner …


Et la musique, au fait, dans ce disque ? bonne question, garçon, j’y viens … « For your pleasure » débute par une cavalcade glam, « Do the strand », avec un sax façon corne de brume (dans la lignée « Fun house » des Stooges, ou de Bowie) et un piano annonciateur du style Mike Garson (bientôt chez Bowie). « Beauty queen » est la ballade épique très 70’s, « Strictly confidential » est le titre qui fait que parfois Roxy est associé au courant prog (on dirait du Genesis supportable, donc à peu près du Van der Graaf Generator). « Editions of you » est le titre le plus méchamment rock, avec un solo de sax traité par Eno qui le fait ressembler à un solo de guitare. Ce titre fait penser au « Suffragette City » de … Bowie (décidément) et le malin Damon Albarn devait bien l’avoir en tête quand il a composé « Song 2 ». La première face du vinyle se terminait par « In every dream home a heartache », ballade reposant au début sur des sonorités électroniques avant un grand final d'électricité rugissante, et chanson d’amour adressée à … une poupée gonflable « I blew up your body, but you blew my mind ».

La seconde face est plus expérimentale, entamée par « The Bogus man » longue (presque dix minutes) mélopée lancinante, pas très éloignée du krautrock de Can. « Grey lagoons » revisite la face glam avec sax et guitares saturées en avant, dans la lignée de ce faisait Elton John à la même époque (l’album « Goodbye yellow brick road »). Fin des hostilités avec le morceau-titre, ballade malade (traitement des sons de sax et de batterie) sur fonds de synthés inquiétants, anxiogènes.


Il ressort de tout ça que Ferry est un grand auteur-compositeur (le format chansonnette de trois minutes est pulvérisé, mais ça reste facile d’accès) doublé d’un grand chanteur, à la palette vocale étendue, comme une sorte de Sinatra glam. Que le band derrière tient la route (Phil Manzanera est un grand guitariste et sera par la suite un sessionman très recherché, la rythmique est efficace dans des schémas pourtant parfois compliqués, le sax de MacKay se démarque des plans archi-rebattus du rhythm’n’blues). Et que Eno confère une étrangeté sonore (ça sonne bizarre, sans être expérimental – prise de tête).

Cette formation et ce disque seront l’apogée de Roxy Music. Certes le groupe sera populaire, reconnu commercialement, les disques suivants se vendront bien mieux que ce « For your pleasure », mais aucun n’atteindra sa beauté étrange et vénéneuse  …



Des mêmes sur ce blog :

Country Life
Siren


..

TRAFFIC - Mr FANTASY (1968)

 

Explosés avant d'exploser ...

Philippe Manœuvre, dans une de ses « Discothèques » (idéale, secrète, je sais plus …) développe une théorie intéressante sur cette rondelle de Traffic : c’est la première de la « musique des cottages », qui partira du Berkshire, dans les Midlands anglais, pour finir avec les premiers Black Crowes, en passant par toute la scène psychédélique anglaise (Pink Floyd entre autres), californienne (la clique de Laurel Canyon), avec des escapades métalliques dans les 70’s (Led Zeppelin) … A savoir un groupe claquemuré dans un cottage cossu à la campagne, se nourrissant de jams bluesy et de toutes les drogues qui passent à sa portée … Et ma foi, c’est une vision d’une certaine forme de création musicale qui se tient … et j’ai pas la culture musicale suffisante pour contredire Manœuvre …

J’ai quand même une autre théorie qui concerne ce disque. On y trouve le musicien le plus honteusement oublié par la Grande Histoire et les petites histoires du rock, j’ai nommé Steve Winwood. Ce type est numéro un des charts des deux côtés de l’Atlantique à 17 ans avec le Spencer Davis Group avec « Keep on running », un succès qu’a bien failli imiter « Gimme some lovin’ ». Et en cette fin des années 60, on retrouvera le nom de Steve Winwood sur plein de groupes et de disques qui comptent (dans Blindfaith, Ginger Baker’s Airforce, sur « Electric Ladyland », pour ne citer que ses faits d’armes les plus marquants …).

Mason, Winwood, Capaldi, Wood : Traffic 1968

C’est Winwood (ou plutôt son départ du Spencer Davis Group) qui va déclencher la formation de Traffic. Un groupe de potes, Winwood donc (multi-instrumentiste avec prédisposition pour tout ce qui a des touches d’ivoire), Jim Capaldi (batterie), Chris Wood (flûte et sax essentiellement), et Dave Mason, le meilleur pote de Winwood (multi-instrumentiste lui aussi, très porté sur le sitar, période oblige …). Tous les quatre chantent, mais en laissant pour l’essentiel la voix lead à Winwood. Heureusement, ce type a une voix « noire » (le genre de voix qui fera la fortune de Joe Cocker ou Rod Stewart, même si Winwood n’est pas autant dans les graves et la raucité), à tel point que de nombreux DJ’s des stations noires des USA le prenaient pour un Black (carrément pour Ray Charles), ce qui avait largement contribué au succès du Spencer Davis Group. Les Traffic sont jeunes, très (vingt et un ans de moyenne d’âge).

Deux autres types vont être essentiels dans les débuts de l’aventure Traffic. Le Jamaïcain Chris Blackwell qui a monté un petit label dans son pays pour promouvoir les débuts du rocksteady, du ska et du reggae, sans trop de succès. Mais le gars a du pognon, ouvre une succursale de son label à Londres, tombe sous le charme de la voix et du talent d’auteur de Winwood, signe Traffic et paye au groupe son fameux séjour dans le cottage de Berkshire. L’autre gars qui va compter est un jeune producteur américain, qui a fait ses premières armes derrière la console avec le Spencer Davis Group et va suivre Winwood et Traffic dans leur virée campagnarde. Il se nomme Jimmy Miller, un nom que les fans des Stones vont rapidement apprendre à connaître …

Tout ce beau monde improvise, jamme (et se défonce) dans la riante campagne anglaise. Les titres issus de ces rustiques séances seront finalisés aux Olympic Sound Studios, dans la banlieue de Londres. C’est là que tout va se compliquer. Mason est soit absent soit ailleurs, les tensions vont s’accumuler avec les autres (notamment Winwood). Mason quittera le groupe avant la fin des séances, et de fait Traffic n’existe plus lorsque paraît « Mr Fantasy » …


Encore faut-il savoir de que « Mr Fantasy » on parle … celui avec la pochette rougeâtre très psychédélique, ou celui avec le visuel beaucoup plus sobre du groupe (les trois moins Mason) ? Le premier est en vaillante stéréo, compte dix titres, et est sorti en Angleterre (et en Europe). Le second a douze titres en stricte mono, est paru quelques semaines plus tard aux States (entre temps Mason a définitivement quitté le groupe, c’est pour cela qu’il n’est plus sur la pochette). Les deux ont sept titres en commun, l’ordre du tracklisting est totalement différent. Une fois n’est pas coutume, rendons grâce aux industriels de la musique qui ont mis les deux vinyles originaux sur la même réédition Cd (dans la série des Island remasters) …

Vu ses conditions d’élaboration, il y a de tout sur ce « Mr Fantasy », les fulgurances géniales côtoient les pochades datées de défoncés. Quand c’est bon, c’est stratosphérique. Deux titres fabuleux ne se trouvent que sur l’édition américaine, « Paper sun » le 1er single du groupe (pop soul psychédélique avec arrangements de sitar) et « Smiling Phases » (une face B de 45T, merveille de soul blanche avec un chant sublime de Winwood, ce titre sera repris et fera le bonheur et le succès de la troupe Blood, Sweat & Tears). Commun aux deux disques, on a « Heaven is in your mind » (pop soul, conclu par un homérique solo de guitare), « No face, no name, no number » (ballade frissonnante cousine de « Whiter shade of pale ») et « Dear Mr Fantasy » (mélodie slow blues avec harmonica et tout le tremblement, au service de la voix magique de Winwood).


Le reste n’est pas toujours à négliger, on sent l’influence de l’époque (le psychédélisme à fond les manettes), que ce soit dans les bluettes très floydiennes époque Barrett (la comptine « Berkshire poppies », « House for everyone », ces deux titres très corrects) voire dans le trip vers Katmandou (« Utterly simple » tout sitar en avant, très harrissonien et aussi pénible que le « Whitin you whitout you » du George sur « Sgt Peppers … »). Quand la fumée dans le manoir devenait trop épaisse, ça pouvait partir dans des directions étranges (« Coloured rain » entre jazz, prog, blues, psyché, « Dealer », son sitar et sa saugrenue guitare flamenco sur le final, ou « Giving to you » avec son Hammond traité façon Lord dans le Deep Purple de la grande époque quelques années plus tard) …

La référence évidente de l’inspiration générale est Jimi Hendrix (la façon d’utiliser la guitare, la technique extra-terrestre en moins), comme toute la scène anglaise plus ou moins bluesy de l’époque, traumatisée par les prestations scotchantes du gaucher de Seattle, le son de Jimmy Miller risquant quant à lui de surprendre ceux qui ne le connaissent que par le cafouillis bordélique des Stones à venir. Certes, quelquefois ça sonne bizarre (pourquoi foutre au fond du mix sur certains titres la voix unique de Winwood), mais globalement c’est assez clair, bien en place, avec un gros travail sur la batterie (rappelons que Jimmy Miller sera à la batterie sur « You can’t always get what you want », ceci expliquant sans doute cela …).

Traffic n’aura jamais le succès escompté par Blackwell (qui ne laissera pas tomber Winwood pour autant, il le signera pour sa carrière solo dont les débuts fin 70’s seront très lucratifs aux States), et entamera dès ce disque inaugural un parcours en dents de scie entre brouilles, splits, réconciliations, reformations, changements de line-up, d’où réussiront quand même à surnager quelques perles méconnues ou oubliées (« John Barleycon must die ») …


THE KINKS - SOMETHING ELSE BY THE KINKS (1967)

 

Something about England ...

Que les choses soient claires : les Kinks sont le groupe le plus sous-estimé des 60’s (avis comme de bien entendu ferme, définitif et incontestable). Ils ont commencé comme tous ceux de la même génération (Beatles, Stones, Who and so on …), en truffant leurs albums de reprises, plus des originaux ressemblant à des reprises… Puis petit à petit les compositions originales ont pris le dessus. On prête aux Kinks l’invention du hard-rock (accidentelle, une histoire d’ampli lacéré au rasoir par Dave Davies, qui a donné ce son de guitare sauvage et inouï) avec « You really got me » en 1964. Très vite le talent d’auteur et de compositeur de l’autre Davies du groupe, le frère aîné Ray, s’imposera, et après avoir surfé sur la vague et dupliqué « You really got me », l’écriture des Kinks basculera dans une autre dimension à partir du disque « Face to face » en 1966 avec des masterpieces (« Dandy », « Most exclusive residence for sale », « Sunny afternoon ») et quelques singles fabuleux parus dans la foulée (« I’m not like everybody else », « Dead End Street »). « Face to face » inaugure le quartet de disques indispensables qui vont se succéder (« Something else … », « Village green », « Arthur »), faisant de Ray Davies l’auteur d’un répertoire fabuleux (rappelons que les Stones étaient deux à écrire, les Beatles deux et demi avec Harrison, et que Townsend s’est quand même quelquefois fourvoyé dans la grandiloquence, avec l’essentiel de « Tommy » mais pas seulement …).


Et durant cette période « pop » des Kinks, seul un Brian Wilson de l’autre côté de l’Atlantique réalisait aussi des prodiges. Le plus gros malheur des Kinks fut certainement d’être sur Pye, gros petit label mais sans toutefois avoir les moyens des majors pour booster la carrière de ses artistes. Les Kinks ont eu des singles à succès, mais leurs albums se sont toujours piètrement vendus. Et pourtant …

Les disques des Kinks sont dans l’air du temps au niveau sonore (pop, psyché, arrangements classiques, baroques, cuivres, chœurs, ou instruments jusque là délaissés dans le rock …). A la console, ils bénéficient de Shel Talmy (producteur des Who entre autres) avec Ray Davies toujours pas très loin de lui. Lequel Ray Davies est un équilibriste de l’écriture. Dans l’air du temps et en même temps très personnel …

Alors en 67  les Kinks portent des chemises à pois ou à jabots, du velours, des vestes à brandebourgs, … comme tout musicien branché londonien qui se respecte. Mais alors que la concurrence a la tête dans les étoiles, les buvards, la route de Katmandou, et toute cette sorte de choses, les Kinks sont profondément et viscéralement Anglais avant tout le reste … et pas des beuglards nationalistes bas du front, juste des types attachés à un territoire, sa culture, son Histoire, son patrimoine … pas étonnant qu’ils se soient vautrés dans la conquête de l’Amérique dans cette décennie-là, on imagine mal le répertoire kinksien de la fin des 60’s dans les arenas des grandes métropoles et encore moins dans les salles du Midwest ou les bars du Texas …


« Something else … » n’est pas parfait … difficile de faire des disques parfaits en 67, quand tout le monde goûte sans modération à tout un tas de plaisirs et de substances jusque-là inconnus ou défendus. Il y a toujours une ou plusieurs couillonnades dans les totems de l’époque que leurs auteurs s’appellent Beatles, Stones, Who, Hendrix, Doors, Jefferson Airplaine, Beach Boys, Love, Byrds, … et les Kinks n’échappent pas à la règle (le seul à y échapper est Dylan, parce qu’il ne fait pas comme tous les autres, il fait du Dylan). Sur « Something else … » on peut zapper « No return » (dérive vers des rivages bossa nova ?) et « Funny page » (bâclé et sans intérêt). Le reste on peut le garder, et plutôt deux fois qu’une …

Avec par ordre d’apparition « David Watts », une mélodie instantanément mémorisable, qui avait un gros riff de guitare hardos aurait pu être un hymne pour stades genre « Smoke on the water », « We will rock you », « Seven nation army ». Si elle n’inspirera pas les candidats hooligans, elle fera le bonheur de Paul Weller qui en donnera une version hommage énergique et un des incontournables des Jam sur « All mod cons », leur troisième disque.


Second titre de « Something else … » une étrangeté comme le music business en tolérait dans ces années 60 un peu folles. En effet, le titre est signé du seul Dave Davies, chanté par lui, sorti en single sous son nom. Les trois autres Kinks se sont contentés de jouer dessus en studio. Ce titre, (« Death of a clown »), avec son intro à la « Lady Jane » (et si vous connaissez pas « Lady Jane », allez fissa réviser la bio de Brian Jones, et si vous savez pas qui est Brian Jones, oh putain, qu’est-ce que vous foutez sur ce blog ?). En tout cas, « Death of a clown » sera à cette époque-là le plus gros succès commercial de toutes les choses plus ou moins estampillées Kinks, ce qui ne contribuera pas à arranger les relations compliquées (un peu à la Gallagher Brothers) des frères Davies. A noter que dans les bonus de la réédition Castle Music de « Something else … », on a droit aux deux titres (« Lincoln County » / « There’s no life without love ») d’un autre single (sans le moindre succès) publié par Ray Davies, et qui vaut une blinde en vinyle sur les sites spécialisés …

Ray Davies

Bon, je vais pas faire l’article titre par titre, sachez qu’à part les deux évoqués plus haut, le reste est excellent, avec mention particulière à des bluettes comme « Harry Rag », « Tin soldier man », « End of the season », qu’on retrouve souvent sur des compiles des Kinks, et qui traduisent le début de l’évolution de l’écriture de Ray Davies, vers ce qui sera appelé de l’autre côté de la Manche du « vaudeville » (rien à voir avec la signification française du mot) … Une évolution des Kinks au niveau sonore similaire à celle des Beatles (« Sgt Peppers … » et « Something else … » sont parus à un mois d’intervalle, fanfares, arrangements à base d’orchestrations classiques, travail sur les chœurs (chez les Kinks, c’est la femme de Ray Davies, Raisa, qui vient souvent susurrer derrière le groupe). Là où Davies se distingue c’est par ses textes et ses thèmes. C’est un observateur plutôt caustique de la société anglaise (mais le « petit peuple » dont il est issu garde toujours son affection), et un adepte de la théorie du « c’était mieux avant », la nostalgie d’époques révolues …

Ce qui nous amène à « Waterloo Sunset », titre de clôture du disque, description nostalgique et attachante d’un coucher de soleil sur la station de métro de Waterloo Station, avec son couple d’amoureux qui se balade … plus londonien que ça, tu peux pas. Ce qui n’empêche pas ce titre d’être fabuleux et universel, et considéré par beaucoup (dont moi) comme le meilleur des Kinks …

Conclusion : « Something else by the Kinks », c’est peut-être pas encore leur meilleur, mais à tout le moins une pierre angulaire de leur discographie …


Des mêmes sur ce blog :

Think Visual


DAVID BOWIE - HUNKY DORY (1971)

 

The end of the beginning ...

En 1971, quand paraît « Hunky Dory », David Bowie n’est au mieux qu’un outsider parmi d’autres. Même si les tombés au champ d’honneur sont légion, il reste encore du lourd en haut de l’affiche. Et Bowie aimerait bien s’y retrouver en haut de l’affiche. Il y a une éternité (7 ans) qu’il a commencé à enregistrer. Avec des groupes d’abord, puis sous son nom (enfin sous son pseudo de scène, il est David Jones pour l’état-civil). Et seul un hit, « Space Oddity » en 1969 l’a placé fugacement sur la carte des gens qui comptent. Pire, une de ses vieilles connaissances-ami-concurrent, Marc Bolan, triomphe avec son « groupe » T.Rex.


Et Bowie, qui a toujours humé l’air du temps pour y coller au plus près comprend que des changements s’imposent. D’ailleurs, « Changes » qui ouvre son nouvel album est choisi comme single. Choisi par sa maison de disques plus exactement. Lui avait proposé « Life on Mars » …

Parenthèse martienne. « Life on Mars » est une déclinaison de « Comme d’habitude » de Claude François. Très tôt, Bowie avait voulu la reprendre, veto des éditeurs français (ils cherchaient une star pour l’adaptation, pas un inconnu). Ce sont finalement Paul Anka d’abord, et Frank Sinatra ensuite qui en feront un énorme succès international. D’ailleurs sur le verso de « Hunky Dory », à côté du titre « Life on Mars » on voit écrit entre parenthèses « inspired by Frankie ». Bowie n’a gardé que la grille d’accords et écrit ses propres paroles. Récemment, tous les JT de la planète l’ont diffusée lorsque le bidule techno américain s’est posé sur Mars. Alors que les paroles n’ont aucun rapport. Assez abstraites, elles semblent conseiller aux tenants de « l’Ancien Monde » (comme diraient les macronistes) réfractaires à tout changement des mentalités d’aller voir s’il y a de la vie sur Mars … « Life on Mars » ne sortira en single qu’un an et demi après sa parution sur « Hunky Dory » (mi-73, avec « The man who sold the world » en face B), pour surfer sur la vague Ziggy Stardust et occuper les charts. D’ailleurs le « clip » qui l’accompagne, nous montre un Bowie peinturluré par Pierre Laroche, très loin du look cheveux très longs de la période « Hunky Dory » … Fin de la parenthèse.

« Hunky Dory » est en progrès et en évolution par rapports aux précédents disques de Bowie. Il y a du changement (« Ch Ch Ch Ch Changes … »). Tony Visconti, producteur et bassiste du précédent « The man who sold the world » n’est plus du casting (il aura l’occasion de se rattraper, tant son nom s’est retrouvé associé à Bowie pendant des décennies). Derrière les consoles, officie Ken Scott (débuts tout minot aux côtés de George Martin aux studios Abbey Road, ce qui n’est pas rien pour apprendre à pousser des boutons). A la basse (et accessoirement à la trompette) Trevor Bolder. A la guitare, Mick Ronson, à la batterie Woody Woodmansey. Aux touches d’ivoire, un jeune surdoué, Rick Wakeman (oui, oui, celui-là même qui passera dans Yes avant de prendre un melon monumental et d’entamer une risible et prétentieuse carrière solo, mais qui en ce début des 70’s fait partie des pas trop mauvais Strawbs et participe à plein de sessions de studio, sessions pour lesquelles il est très demandé). Bowie joue quelques parties de guitare, les plus faciles de piano (c’est lui qui le dit dans les notes de pochette), et souffle dans un saxo. A la lecture du casting, on s’aperçoit qu’il suffit d’enlever Wakeman pour avoir l’équipe qui quelques mois plus tard, mettra en boîte « Ziggy Stardust » …

De Ziggy, on en est encore loin … Quoique … « Queen Bitch », avant-dernier titre de « Hunky Dory » contient tous les plans (les riffs de guitare saturée, le tempo rock’n’roll, la voix hurlée et forcée dans les aigus) de la prochaine mutation de Bowie et pourrait figurer tel quel dans « Ziggy … ». Je pense qu’au moment de l’enregistrement de « Hunky Dory », le suivant est déjà dans la tête de Bowie, au niveau sonore et dans la recherche du nom qui claque et commence par un Z. C’est malheureusement son fils qui vient de naître, le futur réalisateur Duncan Jones, qui se verra baptiser de l’encombrant prénom de Zowie … comme pour se faire pardonner, Bowie lui écrit la comptine folk « Kooks » dans un style qui fait penser à Donovan, titre dans lequel Bolder se hasarde à quelques notes de trompette.

Angela, David & Zowie Bowie

« Hunky Dory », comme ses prédécesseurs, part un peu dans tous les sens. Une tentative avouée (et avortée) d’imprimer les charts avec « Changes » qui fera de ce titre très mélodique et très pop un des classiques de Bowie, de la revue sur toutes les compilations. Une nette prédominance sur la première face du 33 Tours de parties de piano (« Oh ! You pretty things », « Life on Mars » évidemment, le dispensable « Eight lines poem »). Bowie nous refait aussi du gimmick à la 12 cordes acoustique qui avait contribué au succès de « Space Oddity » sur « Quicksand » (avec moins de réussite). Un titre qui ne vaut réellement que pour son texte ésotérique, où sont cités pêle-mêle Aleister Crowley, Himmler, Churchill, Greta Garbo, le Livre des Morts tibétain, … sans qu’on sache très bien où tout cela veut en venir … Témoin également de l’éparpillement du disque « Fill your heart » laboure les mêmes terres désuètes (vaudeville) que les Kinks de Ray Davies à la même époque.

Trois titres sont centrés autour de personnalités qui compteront beaucoup dans la vie et la carrière de Bowie. Andy Warhol dans la chanson éponyme, montre la fascination de Bowie pour le maître du Pop-art et sa galaxie, la Factory, dont font partie le Velvet Underground (il reprendra « White light, white heat » sur scène durant la période Ziggy Stardust) et qui dit Velvet dit Lou Reed (pile un an après la parution de « Hunky Dory », sortira « Transformer » produit par Bowie superstar, c’est dire si l’accélération du chanteur aux yeux vairons va devenir phénoménale …). « Song for Bob Dylan » a lui aussi le mérite de ne pas laisser planer l’ambiguïté sur le destinataire. Sur une instrumentation qui sonne très The Band, Bowie livre au Zim un hommage reconnaissant pour l’ensemble de son œuvre et de son interprétation (« a voice like sand and glue »), tout en laissant paraître une certaine frustration sur les parutions récentes, ce sur quoi on ne pouvait guère lui donner tort, Dylan étant pour le moins en 1971 à la recherche d’un second souffle créatif …

Ronson, Bowie & Woodmansey

Enfin, le titre qui clôture « Hunky Dory » est l’autobiographique « Bewley Brothers », en référence plus ou moins transparente à sa complicité adolescente avec son demi-frère Terry Burns, de dix ans son aîné, qui a été son formateur et initiateur musical (lui faisant connaître entre autres, nobody’s perfect, le jazz). Schizophrène, Burns a été interné à la fin des années 60 (il a été la source d’inspiration du titre « All the madmen » sur « The man who sold the World » et le sera plus tard de « Jump they said » qui évoque son suicide sur le disque « Black tie white noise » en 1993). Devenu star, Bowie entretiendra des rapports ambigus avec son demi-frère, réglant ses frais médicaux, le visitant parfois fréquemment, ou au contraire passant des années sans le voir ni s’inquiéter de sa santé …

« Hunky Dory » ne m’apparaît pas faire partie de la demi-douzaine d’indiscutables de Bowie, mais se situe juste en dessous, et inaugure réellement la décade prodigieuse de Mr. Jones.



Du même sur ce blog :

The Man Who Sold The World 

Ziggy Stardust

Aladdin Sane

Station To Station

Heroes

Tonight
The Next Day


PREFAB SPROUT - FROM LANGLEY PARK TO MEMPHIS (1988)

 

Le rêve américain ...

Langley Park est un petit bled à côté de Durham, pas très loin de Newcastle, Nord de l’Angleterre. C’est dire si c’est pas vraiment un coin sexy. Les frangins McAloon y sont nés, et c’est là qu’ils y ont fondé un des groupes au nom le plus problématique qui soit, Prefab Sprout (Le Bourgeon Préfabriqué), un patronyme lui aussi pas glamour pour deux sous…

Prefab Sprout, ça fait partie des noms que se refilent en douce quelques conspirateurs, maniaques de chansons pop bien torchées. Ici, dans la riante Gaule, un seul de leurs titres a dû être diffusé trois fois à la radio. Il s’agit de « When loves break down », issu de leur précédente rondelle « Steve McQueen ». Et dans leur pays natal, on peut pas vraiment dire que ce soit des stars. Pour ne rien arranger à leur cas, ce « Steve McQueen » a dû changer de nom pour paraître aux USA, les héritiers de Josh Randall étaient prêts à dégainer les avocats, d’autant plus qu’on y voyait sur la pochette le groupe poser sur une Triumph, la même que dans « La Grande Evasion ». La Steve McQueen Family n’a pas été sympa sur le coup, parce que le disque était une déclaration d’amour à une certaine forme de way of life et de culture américaine. Démarche étonnante de la part de sujets de Sa Gracieuse (?) Majesté, généralement peu enclins à apprécier quoi que soit qui ne vienne pas de chez eux …

Paddy McAloon, Neil Conti, Wendy Smith, Martin McAloon

Pour bien se faire comprendre, les Prefab Sprout allaient remettre le couvert avec les mêmes intentions, envisageant par le disque de se transporter à Memphis, Tennessee. Pourquoi Memphis, patrie de la country et de la soul, alors que tout dans cette rondelle renvoie à la Côte Est (Brooklyn, New-York, le New Jersey) ? Seul Paddy McAloon doit connaître la réponse.

Parce que Prefab Sprout, c’est quasi une affaire familiale autour de lui (on y trouve sa fiancée, la douce et diaphane Wendy Smith à la basse, et son frangin Martin à l’autre guitare). Seul « étranger » au clan McAloon, mais là depuis les débuts, le batteur Neil Conti (qui finira une fois le groupe en stand-by très demandé, on le retrouvera à cogner derrière Mick Jagger, David Bowie, Steve Winwood, Robert Palmer, et une multitude d’autres à peine un peu moins célèbres …). Et puis, et c’est là où le bât me blesse, il y a le cinquième Prefab Sprout, leur producteur Thomas Dolby. Un sorcier des synthés et des studios, qui passe son temps à utiliser les possibilités des consoles high-tech multipistes en ce début des années 80, et est responsable sous son nom de quelques disques dont je ne dirai rien, par pure humanité …

« From Langley … » se situe chronologiquement entre « Steve McQueen » et « Jordan : The comeback » (il y en a un autre avant « Jordan … », qu’il vaut mieux passer sous silence), les deux chefs-d’œuvre du groupe. Il est aussi à mi-chemin des deux sommets au niveau sonore, entre le classicisme pop de « Steve … » et la folie baroque de « Jordan … ».

Tous les centristes de la chanson pop ouvragée vous diront donc que « From Langley … » est le meilleur des trois. Ben non … Entendons-nous bien, ce disque est excellent, mais n’atteint pas la pureté de « Steve … », ni le suicide exubérant qu’est « Jordan … ». La faute au Dolby déjà cité, responsable et coupable d’un indigeste enrobage sonore, très « moderne » peut-être en 88 (et encore …), mais irrémédiablement daté aujourd’hui avec cette énorme batterie trop en avant, ce foisonnement d’arrangements et d’effets sonores en tous genres (les horribles faux cuivres, les gargouillis de synthés, …).


Par contre, rien à dire au niveau des compositions, qui atteignent des niveaux dont seul Costello période « Imperial bedroom » et dans une moindre mesure les Pale Fountains de « Pacific Street » et les High Llamas de « Gideon Gaye » ont su s’approcher dans les 80’s. La plupart des mélodies sont écrites au piano ou au synthé, d’où leur complexité, s’inspirent des grands ancêtres de la pop certes, mais aussi du patrimoine classique européen, et évidemment vu le lièvre couru, des Gershwin, Bernstein, et autres auteurs de Tin Pan Alley ou du Brill Building (beaucoup de titres font penser à des thèmes des comédies musicales de Broadway). L’utilisation des chœurs (le frangin et la copine du Paddy) est aussi à contre-courant de ce qui s’est toujours pratiqué, ils sont ici envisagés plutôt comme répondant à la voix principale (mais pas comme dans le gospel), plutôt que venant en renfort à l’unisson sur les refrains, et sont généralement sous-mixés, leur donnant un côté lointain, vaporeux et irréel.

Assez étrangement, alors que ce disque est l’antithèse de tout ce qui se vend à l’époque en Angleterre et plus encore aux States, ce sera la plus grosse vente de Prefab Sprout de l’autre côté de l’Atlantique (sans bien entendu que ça fasse de l’ombre à Michael Jackson). L’album sera porté par le (petit) succès du single « Cars & Girls », qui comme son titre l’indique et aussi surprenant que ça puisse paraître, est un hommage à Bruce Springsteen. Et pas un hommage ironique, une déclaration de fan sincère (certainement beaucoup plus tout de même aux sujets principaux d’inspiration de ses premières années, les filles et les bagnoles, qu’à leur accompagnement musical). Ce qui confirme l’étrangeté de Paddy McAloon, on ne peut plus Anglais par sa culture et ses compositions, et qui révère les sons et genres les plus typiquement américains (Faron Young, autrement dit le Dylan style sur « Steve … », le Boss ici) qui soient. On a même droit à un titre très rock, très différent de tout le reste, qui ne dépareillerait pas dans le répertoire de Tom Petty (« The golden calf »).


Mais le cœur de « From Langley … », ça reste un hommage à la musique new-yorkaise d’avant le rock, encastrant dans les structures pop les clins d’œil à toutes ces sons qui faisaient se déplacer les foules pour voir des musicals sur Broadway, une certaine forme de divertissement qui n’existait quasiment plus lorsque Paddy McAloon est né. Tous ces « Nightingales » (avec en guest un solo d’harmonica de Stevie Wonder, pas son meilleur cependant), « Enchanted » (où il est question des Capulet et des Montaigu, revisités bien sûr façon « West Side Story »), « I remember that » ou « Manhattan » (dans laquelle est évoqué Sinatra et où il y a au fin fond du mix une partie de guitare acoustique de … Pete Townshend), poursuivent la même idée reste.

Ceux qui ont lu jusque-là sont maintenant autorisés à poser la bonne question : « et le reste de la musique américaine, il en est question ? ». Pas du tout. Le titre « Knock on wood » n’est qu’un leurre (rien à voir avec le titre homonyme de Wilson Pickett) et pas le plus mémorable du disque tout comme la bluette romantique « Nancy … », voire le dernier titre de dream pop (tant au niveau des paroles que de la musique) « The Venus of the soup kitchen ». Et l’inaugural « The king of rock’n’roll » n’est pas un hommage à Elvis, mais un regard ironique sur tous ces types qui n’ont rien compris au truc et qui s’imaginent les rois du rock’n’roll. En fait, un Paddy McAloon qui fantasme sur les Etats-Unis, il n’envisage pas de faire de la Harley dans la Vallée de la Mort, si vous voyez à qui je pense…

Paddy McAloon, il conçoit le rêve américain d’une autre façon …


Des mêmes sur ce blog :

Steve McQueen