Explosés avant d'exploser ...
Philippe Manœuvre, dans une de ses « Discothèques »
(idéale, secrète, je sais plus …) développe une théorie intéressante sur cette rondelle
de Traffic : c’est la première de la « musique des cottages », qui
partira du Berkshire, dans les Midlands anglais, pour finir avec les premiers
Black Crowes, en passant par toute la scène psychédélique anglaise (Pink Floyd
entre autres), californienne (la clique de Laurel Canyon), avec des escapades
métalliques dans les 70’s (Led Zeppelin) … A savoir un groupe claquemuré dans
un cottage cossu à la campagne, se nourrissant de jams bluesy et de toutes les
drogues qui passent à sa portée … Et ma foi, c’est une vision d’une certaine
forme de création musicale qui se tient … et j’ai pas la culture musicale
suffisante pour contredire Manœuvre …
J’ai quand même une autre théorie qui concerne ce disque. On y trouve le musicien le plus honteusement oublié par la Grande Histoire et les petites histoires du rock, j’ai nommé Steve Winwood. Ce type est numéro un des charts des deux côtés de l’Atlantique à 17 ans avec le Spencer Davis Group avec « Keep on running », un succès qu’a bien failli imiter « Gimme some lovin’ ». Et en cette fin des années 60, on retrouvera le nom de Steve Winwood sur plein de groupes et de disques qui comptent (dans Blindfaith, Ginger Baker’s Airforce, sur « Electric Ladyland », pour ne citer que ses faits d’armes les plus marquants …).
Mason, Winwood, Capaldi, Wood : Traffic 1968 |
C’est Winwood (ou plutôt son départ du Spencer Davis
Group) qui va déclencher la formation de Traffic. Un groupe de potes, Winwood
donc (multi-instrumentiste avec prédisposition pour tout ce qui a des touches
d’ivoire), Jim Capaldi (batterie), Chris Wood (flûte et sax essentiellement),
et Dave Mason, le meilleur pote de Winwood (multi-instrumentiste lui aussi,
très porté sur le sitar, période oblige …). Tous les quatre chantent, mais en laissant
pour l’essentiel la voix lead à Winwood. Heureusement, ce type a une voix
« noire » (le genre de voix qui fera la fortune de Joe Cocker ou Rod
Stewart, même si Winwood n’est pas autant dans les graves et la raucité), à tel
point que de nombreux DJ’s des stations noires des USA le prenaient pour un
Black (carrément pour Ray Charles), ce qui avait largement contribué au succès
du Spencer Davis Group. Les Traffic sont jeunes, très (vingt et un ans de
moyenne d’âge).
Deux autres types vont être essentiels dans les débuts de
l’aventure Traffic. Le Jamaïcain Chris Blackwell qui a monté un petit label
dans son pays pour promouvoir les débuts du rocksteady, du ska et du reggae,
sans trop de succès. Mais le gars a du pognon, ouvre une succursale de son
label à Londres, tombe sous le charme de la voix et du talent d’auteur de Winwood,
signe Traffic et paye au groupe son fameux séjour dans le cottage de Berkshire.
L’autre gars qui va compter est un jeune producteur américain, qui a fait ses
premières armes derrière la console avec le Spencer Davis Group et va suivre Winwood
et Traffic dans leur virée campagnarde. Il se nomme Jimmy Miller, un nom que
les fans des Stones vont rapidement apprendre à connaître …
Tout ce beau monde improvise, jamme (et se défonce) dans la riante campagne anglaise. Les titres issus de ces rustiques séances seront finalisés aux Olympic Sound Studios, dans la banlieue de Londres. C’est là que tout va se compliquer. Mason est soit absent soit ailleurs, les tensions vont s’accumuler avec les autres (notamment Winwood). Mason quittera le groupe avant la fin des séances, et de fait Traffic n’existe plus lorsque paraît « Mr Fantasy » …
Encore faut-il savoir de que « Mr Fantasy » on
parle … celui avec la pochette rougeâtre très psychédélique, ou celui avec le
visuel beaucoup plus sobre du groupe (les trois moins Mason) ? Le premier
est en vaillante stéréo, compte dix titres, et est sorti en Angleterre (et en
Europe). Le second a douze titres en stricte mono, est paru quelques semaines
plus tard aux States (entre temps Mason a définitivement quitté le groupe, c’est
pour cela qu’il n’est plus sur la pochette). Les deux ont sept titres en commun,
l’ordre du tracklisting est totalement différent. Une fois n’est pas coutume,
rendons grâce aux industriels de la musique qui ont mis les deux vinyles
originaux sur la même réédition Cd (dans la série des Island remasters) …
Vu ses conditions d’élaboration, il y a de tout sur ce « Mr Fantasy », les fulgurances géniales côtoient les pochades datées de défoncés. Quand c’est bon, c’est stratosphérique. Deux titres fabuleux ne se trouvent que sur l’édition américaine, « Paper sun » le 1er single du groupe (pop soul psychédélique avec arrangements de sitar) et « Smiling Phases » (une face B de 45T, merveille de soul blanche avec un chant sublime de Winwood, ce titre sera repris et fera le bonheur et le succès de la troupe Blood, Sweat & Tears). Commun aux deux disques, on a « Heaven is in your mind » (pop soul, conclu par un homérique solo de guitare), « No face, no name, no number » (ballade frissonnante cousine de « Whiter shade of pale ») et « Dear Mr Fantasy » (mélodie slow blues avec harmonica et tout le tremblement, au service de la voix magique de Winwood).
Le reste n’est pas toujours à négliger, on sent l’influence
de l’époque (le psychédélisme à fond les manettes), que ce soit dans les
bluettes très floydiennes époque Barrett (la comptine « Berkshire poppies »,
« House for everyone », ces deux titres très corrects) voire dans le
trip vers Katmandou (« Utterly simple » tout sitar en avant, très
harrissonien et aussi pénible que le « Whitin you whitout you » du
George sur « Sgt Peppers … »). Quand la fumée dans le manoir devenait
trop épaisse, ça pouvait partir dans des directions étranges (« Coloured
rain » entre jazz, prog, blues, psyché, « Dealer », son sitar et
sa saugrenue guitare flamenco sur le final, ou « Giving to you » avec son Hammond traité façon Lord dans le Deep Purple de la grande époque quelques années plus tard) …
La référence évidente de l’inspiration générale est Jimi
Hendrix (la façon d’utiliser la guitare, la technique extra-terrestre en moins),
comme toute la scène anglaise plus ou moins bluesy de l’époque, traumatisée par
les prestations scotchantes du gaucher de Seattle, le son de Jimmy Miller risquant
quant à lui de surprendre ceux qui ne le connaissent que par le cafouillis bordélique
des Stones à venir. Certes, quelquefois ça sonne bizarre (pourquoi foutre au
fond du mix sur certains titres la voix unique de Winwood), mais globalement c’est
assez clair, bien en place, avec un gros travail sur la batterie (rappelons que
Jimmy Miller sera à la batterie sur « You can’t always get what you want »,
ceci expliquant sans doute cela …).
Traffic n’aura jamais le succès escompté par Blackwell
(qui ne laissera pas tomber Winwood pour autant, il le signera pour sa carrière
solo dont les débuts fin 70’s seront très lucratifs aux States), et entamera dès
ce disque inaugural un parcours en dents de scie entre brouilles, splits,
réconciliations, reformations, changements de line-up, d’où réussiront quand
même à surnager quelques perles méconnues ou oubliées (« John Barleycon
must die ») …
C'est tout de même un peu foutraque, ça se barre dans tous les sens. L'époque veut ça, et substances ad-hoc. Parfois on entend un peu de Beatles, de Kinks, les premiers Bowie. "Dear Mr Fantasy" je la connaissais par Al Cooper et Mike Bloomfield, rallongée de solos bien barrés aussi.
RépondreSupprimerDu coup j'écoute "The low spark..." de 1971. C'est d'une autre tenue.
On parle bien de Jimi Hendrix, le guitariste, ou de Jimmy Hendrix, homonyme ?
Ce que tu racontes sur la voix de Winwood (une des plus belles, mais spéciale de la pop) me rappelle cette histoire que Tina Turner racontait, au moment de reprendre "Proud Mary", elle a des conversations téléphoniques avec Tony Joe White, souhaite le rencontrer, lui dire de vive voix tout le bien qu'elle pense de ses chansons, rendez-vous est pris, elle tombe sur lui en studio et tombe de sa chaise : elle pensait qu'il était noir !
Connais pas "The low spark" ... Mais 71, c'est sûr que déjà y'a pas mal de fanfreluches acides qui sont passées de mode (notamment le putain de sitar, j'aime pas du tout cet instrument ...).
SupprimerPour Jimmy Hendrix, un grand merci au correcteur automatique du traitement de texte qui y connaît rien en wokandrol. Je corrige, c'est le genre de trucs qui me pique les yeux ...
Proud Mary, c'est Creedence, donc John Fogerty ... je sais pas si Ike & Tina ont repris du TJ White à cette époque-là. y'a eu "steamy windows" mais c'était sur la fin de carrière de la Tina, dans les années 90 je crois ... De toutes façons, elle est pas très fufute la Tina, White, ça veut dire blanc ...
Tu as raison (et j'ai donc perdu la mienne, de raison) "Proud Mary" c'est Fogerty. Une erreur pareille mérite de se flageller. TJ White c'est "Polk salad Annie". Pourtant j'étais certain que Tina Turner parlait de White... Ou alors c'est elle qui déraille.
RépondreSupprimer(Tu as un regain d'activité qui confine à la boulimie, fait gaffe !)
C'est la technique du stop and go. Pour le moment c'est go ... Quand ça va être stop, ça risque de durer quelques temps ...
SupprimerJe préfère quand tu es "go" que "stop". J'dis ça, j'dis rien... Tiens, j'ai écouté un live de 73 de Traffic, genre des titres de 18 minutes, putain, ils s'éclataient les gars !
RépondreSupprimerDernier comm' pour aujourd'hui.
RépondreSupprimerthe low sparks a été mon entrée dans Traffic et j'ai ensuite méthodiquement acheté tous leurs albums.
Winwood, enfin qqu'un qui en parle (!) est pour moi l'un des plus grands songwriters qui soit et ce ne sont pas les afficionados des reprises qui diront le contraire...
BST bien cité, justement mais aussi Joe Cocker qui a souvent repris des titres de Winwood.
Winwood c'est lui qui tient l'orgue dans le voodoo child de Jimi sur la version longue, lente et bluesy avec Cassady à la basse je crois.
Bref, ces gars là si jeunes ont lors de l'éclosion de traffic, avec déjà une telle carrière...
Ca m'a toujours laissé rêveur.
Ce qui est surtout étonnant de la part de quelques types surdoués de l'époque, c'est effectivement leur jeunesse.
SupprimerOn en trouve qui en avaient fini avec leur meilleure époque la vingtaine à peine entamée et qui de plus avaient écrit l'essentiel de leurs succès (Winwood, Alex Chilton, Stevie Wonder, Prince, ...)