Jane’s Addiction, c’est une de ces références que l’on
s’échange sous le manteau. Pas vraiment underground (2 millions de copies de ce
« Ritual … » dépotées rien qu’aux States), mais suffisamment
borderline pour faire fuir l’amateur de binaire lambda. Une existence et une
discographie erratiques (le groupe n’a fait paraître que deux albums studio à
ses débuts), des retrouvailles épisodiques sous haute tension, bref une entité
qui passe à côté de toute logique mercantile et commerciale, de tout plan de
carrière… Même si tous les festivals « indépendants » du monde plus
ou moins libre découlent du Lollapalooza initié au début des 90’s par Perry
Farell, le frontman de Jane’s Addiction …
Dites-le avec des fleurs, Jane's Addiction 1990 |
Jane’s Addiction, c’est l’accouplement du hard
zeppelinien des 70’s avec la génération indie. Un crossroad, avec le diabolique
pacte faustien pour les guider. Arrivée trop tôt ou trop tard selon les
humeurs, la musique de Jane’s Addiction est une sorte de totem, un pont entre
les générations. Non pas que ces types aient inventé quoi que ce soit (il y a
bien longtemps que dans les années 90 tout avait déjà dit et redit), mais leur
approche est apparue et est restée assez unique et originale. Personne ne veut
des Jane’s Addiction, ne les cite comme référence. Et surtout pas ceux qui les
ont copiés, imités, plagiés (rayer les mentions inutiles …). En premier lieu
les Red Hot Chili Machin. Des copains paraît-il. Des copains bien plus riches
aujourd’hui certes. Mais qui n’ont jamais fait aussi bien que
« Stop ! » et « No one’s leaving » qui ouvrent
« Ritual … », les deux titres engloutissant hard, rap et funk dans
leur folle sarabande. Et si les Jane’s Addiction n’étaient pas particulièrement
discrets niveau look, souvent vêtus des fonds de tiroir de leurs grand-mères,
ils ne se sont jamais ridiculisés à plastronner en tongs et bermudas qui sont
depuis leurs débuts la tenue officielle des RHCP et les décrédibilisent à
jamais …
Jane’s Addiction, c’est surtout Farell et Navarro,
certes. Que l’on me permette de citer Stephen Perkins et Chris Chaney qui
constituent une section rythmique malléable, capable de tout jouer. Car même
s’ils sont considérés comme un groupe de hard, Jane’s Addiction, c’est beaucoup
plus que ça, ils ne se cantonnent pas à deux titres, un lent et un rapide,
joués jusqu’à la nausée. Chez eux, ça swingue, ça chaloupe, ça funke, ça passe
du coq à l’âne, ça déchire sa race … On trouve toujours un OVNI dans leurs
rondelles. Sur celle-ci, il s’appelle « Of course », et on dirait
avec quelques années d’avance (le rythme oriental, le violon omniprésent, la
mélodie zigzagante, …) ce que feront Page et Page lorsqu’ils se
« réuniront » pour « No quarter ».
Farell, Chaney, Perkins & Navarro : Jane's Addiction |
Tiens, et puisque le nom du dirigeable est quasiment lâché,
autant signaler que Jane’s Addiction est de tous ceux qui se sont inspirés de
Led Zep, ceux qui s’en sont le mieux approchés. A cause de Navarro d’abord. Sur
lequel l’influence de Page est évidente, et pas seulement sur le look (l’air
ténébreux et la même tignasse noire que le Jimmy de la fin des 60’s). Navarro
tire vers la stratosphère tous les titres avec ses extraordinaires parties de
guitare (énormissime sur « Ain’t right », le titre le plus speed du
disque). Ce type plutôt très mal dans sa peau (il a de quoi, sa mère a été tuée
sous ses yeux) est sans conteste et de loin le guitar hero des 90’s.
Les Jane’s Addiction sont capables de partir dans des
directions improbables, dans des expériences qu’en d’autres temps on aurait
qualifiées « d’acides ». Témoins les deux titres au cœur du disque,
qui flirtent avec les dix minutes, « Three days » et « Then she
did … ». Le premier est même l’inspiration de la pochette (bien évidemment
censurée dans la puritaine Amérique), et raconte une « expérience »
vécue par Farell avec deux femmes dans une orgie de sexe et de drogue qui dura
trois jours. Débuté lent et acoustique, le morceau vire à la débauche
électrique sous l’impulsion de Navarro qui tronçonne des riffs métalliques
ahurissants de puissance. « Then she did … » c’est le titre
zeppelinien par excellence (« The Rover » sur « Physical
Graffiti » semble le modèle évident) avec vers la fin sa partie de piano
au second plan qui renvoie à celles de Mike Garson chez Bowie époque « Alladin
Sane ».
Deux titres ont poussé le disque vers le succès
commercial « Stop ! » et surtout « Been caught stealing »,
groove machine avec aboiements de chien en intro et titre le plus connu et
emblématique du groupe. Manière d’être exhaustif, il convient de citer « Obvious »
avec ses arrangements de synthé et ses faux airs à la U2 (sous amphétamines) dans
le genre hymne psalmodié de stadium rock. Enfin, « Classic girl » qui
clôt la rondelle est une ballade vénéneuse, parasitée par un final plein de
breaks et d’accélérations…
Les Jane’s Addiction auraient pu, auraient du devenir
énormes. Les quatre types ont cessé d’émettre collectivement quelques mois après
la sortie de « Ritual … ». Deux personnalités écrasantes (Farell l’atypique
chanteur de hard, et Navarro l’introverti) ça faisait déjà beaucoup d’egos surdimensionnés
au mètre carré. Une consommation effrénée de drogues (on parle pas là d’un
petit pétard le samedi soir, mais de dépendance féroce à l’héroïne) ont
accéléré la débâcle forcément prévisible dans le contexte.
Même s’ils se retrouveront des années plus tard (Strays »
en 2003), rangés plus ou moins des poudres blanches, ce sera sans la magie qui habitait
« Ritual de lo habitual ».
Des mêmes sur ce blog :