Holly soit qui mal y pense ...
25 Février 1957. Séances d’enregistrement de
« That’ll be the day », paru cinq mois plus tard. 3 Février 1959. Mort de Buddy Holly dans un
crash d’avion. En comptant large, 23 mois de « carrière ». Enfoncés
Hendrix, Cobain, et tous les crucifiés du Club des 27 (de toutes façons Holly
n’avait que vingt deux ans). Question reconnaissance posthume, Holly bat tous
les records.
Parce que parmi ceux qui l’ont comme référence primordiale, y’a du lourd. Du très lourd.
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| Buddy Holly & the Crickets |
Bob Dylan. Dans son discours (qu’il a envoyé, il a
pas daigné se déplacer) à l’occasion de la remise du Prix Nobel de littérature
(2016), il cite comme influence majeure (en lieu et place de tous les Guthrie, Seeger ou Leadbelly auxquels on était en droit de s’attendre) Buddy Holly. Il explique
qu’à dix sept ans, il a fait 150 bornes pour le voir en concert, deux jours
avant sa mort. Et qu’il a ressenti pendant le show l’émotion musicale de sa
vie, que c’est grâce à Buddy Holly qu’il a voulu écrire des chansons et les
jouer sur scène.
Les Beatles. Un certain John Lennon, traumatisé par
son second (et dernier) disque (l’éponyme « Buddy Holly ») se fait le
même look que lui, (coupe de cheveux et binocles) et baptise le premier groupe
qu’il forme avec McCartney les Silver Beetles, en hommage aux Crickets, les
accompagnateurs de Buddy Holly. Les Beatles reprendront « Words of
love » sur « Beatles for sale » leur quatrième disque.
Les Rolling Stones. Leur troisième single anglais
est une reprise de « Not fade away » (numéro 3 des charts). C’est
aussi leur premier single paru aux Etats-Unis.
C’est pas tout. De tous ceux que l’on qualifie de « pionniers » du rock, Buddy Holly est un des très rares (avec le Johnny Burnette Trio) à opérer avec un backing band attitré, les Crickets. Qui faisait qu’il pouvait sortir des disques sous son nom propre ou avec son groupe (de toute façon, c’étaient les mêmes qui l’accompagnaient). Seul Rod Stewart a fait aussi bien voire mieux à l’époque des Faces, dont il était le chanteur (chez Warner), les mêmes Faces l’accompagnaient sur ses disques solo (chez Mercury). Buddy Holly, en « solo » ou avec les Crickets, était chez MCA.
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| Buddy Holly |
Plutôt pingre, la vénérable maison ricaine. Ce
« Chirping Crickets » dure 26 minutes pour 12 titres. Ce qui aurait
pu laisser de la place pour rajouter quelques singles dont le Holly n’était pas
avare (un tous les deux mois en moyenne, et pas des bouche-trous). Pour ne rien
arranger à l’histoire, ce disque est doté d’une pochette assez repoussante.
Certes, Buddy Holly et ses copains n’étaient pas des sex symbols (on leur
donnerait cinquante balais chacun), mais j’espère qu’ils ont pas payé le photographe.
Avec en plus d’avoir l’air totally neuneu, il manque un morceau de la tête à
celui à gauche de Buddy Holly (en fait non, après avoir vu plusieurs photos sur
le Net, il avait une coiffure vraiment très étrange) …
Mais comme un disque, belle pochette ou pas, c’est
surtout fait pour être écouté, il y a quoi à se mettre entre les oreilles dans
« The chirping Crickets » ? Au moins cinq classiques du
binoclard. Avec par ordre d’apparition « Oh boy » (rockabilly aux
relents de gospel), « Not fade away » (transposition en encore plus
saccadée du Diddley beat), « Maybe bay » (quintessence du Buddy Holly
style, premier génie pop ever, du Beatles avant l’heure), « It’s too
late » (grille d’accords éternelle pour chialer dans sa bière parce la
baby elle s’est barrée), et l’imputrescible « That’ll be the day »,
un des classiques absolus du rock des 50’s.
Ce qui permet de se rendre compte de plusieurs
choses. Buddy Holly était un compositeur de génie, et un chanteur étonnant,
vocalement limité à bien des égards, des limites qu’il arrive à compenser par
un élan juvénile (on y va, on fonce, on verra bien …), participant à la
création de ce phrasé approximatif à base de hiccups et de changements
incessants d’octaves, que l’on trouve souvent dans le rock des pionniers.
Autre chose dont on se rend compte. Les trois-quarts des titres sont cosignés par Norman Petty, également producteur exécutif. On a longtemps vu dans Petty une sorte d’escroc à la Colonel Parker. Sauf que contrairement au faux bidasse d’Elvis, Petty avait déjà un petit nom dans le music business, ayant travaillé avec notamment Roy Orbison et « découvert » le tout jeune Waylon Jennings qui intègrera la dernière version des Crickets (et a eu la bonne idée de céder sa place dans l’avion qui allait se crasher au Big Bopper). Bon, sinon Petty s’est paraît-il bien gavé abusivement de droits d’auteur, mais son travail en studio est incontestable, et il n’est pas stupide d’affirmer (tendance générale) que sans Norman Petty, il n’y aurait pas eu de Buddy Holly, ou du moins pas à ce niveau-là.
Parce que Holly est un défricheur. Et un
traditionnaliste à la fois. Défricheur parce qu’il a introduit dans le rock des
fifties, un caractère mélodique inédit, séparé, voire déconnecté de l’aspect
rythmique qui jusque là l’incluait (voir le cas d’école Chuck Berry, où c’est
le rythme qui contient la mélodie). Et traditionnaliste parce que Buddy Holly
part très souvent d’extrapolations de choses bien définies comme le gospel
(« Oh boy ») et surtout le doo wop (« You’ve got love » et les
quatre derniers titres de la rondelle, pas les plus connus et qui font un peu
office de remplissage tant ils semblent déclinés à l’identique d’une même
matrice).
Le remplissage final, certainement pour capitaliser
sur les premiers succès des singles (« That’ll be the day ») finira
dans le Top 3 des hit-parades), limite l’impact de ce premier Lp. Les progrès
en termes de composition de Buddy Holly seront exponentiels, les titres
d’anthologie s’enchaîneront à une vitesse frénétique. Le « Buddy
Holly » paru à la fin de la même année sera meilleur.
Une bonne compilation (« The very best of Buddy
Holly & the Crickets » de 1999 est parfaite) reste cependant la
meilleure porte d’entrée pour l’œuvre de l’auteur le plus original des années
50.
Du même sur ce blog :
Buddy Holly
The Very Best Of Buddy Holly & The Crickets



