FLASH CADILLAC AND THE CONTINENTAL KIDS - FLASH CADILLAC AND THE CONTINENTAL KIDS (1972)

 

Sooner or later ...

Ils étaient pas forcément au bon endroit (le Colorado, c’est pas l’Etat qui a fourni le plus de musiciens célébrissimes), mais surtout ils étaient pas là au bon moment. Flash Cadillac & The Continental Kids (joke on ne peut plus ricaine, nom à base de bagnoles, la marque Cadillac et la Lincoln Continental, j’y connais pas grand-chose, mais je crois que c’est un mix des deux sur la pochette), ils ont commencé dans les seventies et ont eu leurs cinq minutes de gloire en tant que Herby and the Heartbeats (le groupe de la scène de bal dans « American Graffiti » le film de George Lucas).


Flash Cadillac, déjà en 72, ils regardent dans le rétroviseur. A peu près pile poil dix ans en arrière, soit vers 1962, époque, on nous l’a appris à l’école, où la musique américaine était pas au mieux. Les antiques pionniers de la fin des 50’s étaient soit morts physiquement soit, pire, artistiquement. Bob Dylan, les Byrds, la Tamla, Spector, … n’en étaient au mieux qu’à leurs premiers vagissements. Les charts étaient occupés par de jeunes (voire très jeunes) gens (blancs) BCBG, mêlant avec une précision d’experts comptables relents de doo-wop et restes de rock, et généralement prénommés Frankie (Avalon, Valli, voire Lymon bien que ce dernier soit – ô scandale – noir). C’est cette génération et cette époque qu’on voit dans au cinéma « American graffiti », et un peu plus tard dans « Grease ».

Donc Flash Cadillac etc … ils sont un peu dans un no man’s land revival, coincés entre Sha Na Na (sorte d’ancêtres américains de Au Bonheur des Dames, célèbres pour s’être égarés au milieu des hippies à Woodstock), et le revival rockab initié à partir de 75 par Robert Gordon et jackpotisé au début des 80’s par les Stray Cats. Les six Flash Cadillac sont soit des attardés musicaux, soit des précurseurs, en tout cas totalement hors sujet et à peu près sans équivalents dans l’Amérique du début des 70’s.


La descendance des teen idols est clairement affichée au verso de la pochette de ce disque, leur premier, avec une dédicace encadrée d’Annette Funicello, toute jeune star maison de Disney des années cinquante (en 72 en grosse perte de vitesse sinon oubliée), sorte de grand-mère virtuelle des Britney Spears ou Zendaya … Assez étrangement, alors que le décorum renvoie à de l’hyper consensuel, c’est beaucoup moins évident à l’écoute de « Flash Cadillac … ».

Quand ils donnent dans le rockabilly, ils font pas penser au gentil Ricky Nelson, mais plutôt au Johnny Burnette Trio (« Reputation »), voire à Eddie Cochran (« Nothin’ for me », étonnante de similitudes). Mieux, sur un titre comme « Endless sleep », Flash Cadillac etc … sonne en 72 comme les Cramps de 82. Faut fouiner dans les crédits (maigres, sur certaines rééditions, dont la mienne, y’a même pas les auteurs des chansons) pour trouver écrit en petit que le producteur de « Flash … », c’est nul autre que cette grande asperge déjantée de Kim Fowley, grand amateur de « coups » musicaux qui verra son obstination à truster le haut des charts par groupes (manipulés) interposés, obtenir le jackpot avec les gamines trashy et rock’n’roll des Runaways (Joan Jett, Lita Ford et consorts …). Pourquoi le groupe ou Epic, leur label, sont-ils allés chercher Fowley, mystère et boule d’opium …

Les Flash Cadillac ont beau être six, ils écrivent peu (à eux deux, le claviers et le guitariste ont signé trois titres sur douze). « Flash … » est donc surtout un disque de reprises. Et l’on s’aperçoit vite que c’est pas « l’authenticité » qui compte, mais plutôt la façon de sonner, de jouer qui importe. C’est léger, ludique, parfois trop, mais ça fait partie du concept. Les Flash Cadillac sont au rock’n’roll des origines ce que Madness des débuts sera à la musique jamaïcaine.

Côté loufoquerie, ça commence d’entrée avec la reprise de l’antique « Muleskinner blues (Blue yodel # 8) » vieille scie du countryman Jimmie Rodgers, reprise déjà de multiples fois (de Woody Guthrie à Dolly Parton qui venait d’en faire un hit national). Après le « Reputation » évoqué plus haut, les Flash Cadillac font un mauvais, très mauvais sort à « Crying in the rain », une des plus belles chansons du monde créée par les Everly Brothers. La filiation gaguesque avec Sha Na Na frappe les oreilles avec le sautillant « Betty Lou », que les au Bonheur des Dames ont dû écouter, tant leur « Oh les filles » va lui ressembler … Une reprise instrumentale (comme l’original) de « Pipeline » des Chantays n’apporte rien à ce classique de la surf music.


La face B (oui, on cause bien 33 RPM, ce disque n’a jamais été réédité en Cd) débute avec « She’s so fine », un des deux « classiques » de Flash Cadillac, qui figurera l’année suivante sur la B.O. de « American graffiti » (en compagnie de « At the Hop », autre titre du groupe et leur plus gros succès, qui sera sur l’album suivant, ces deux morceaux étant il me semble bien les deux seuls à être postérieurs à 1962, année où se déroule l’action du film). A propos de « At the hop », le dernier titre du disque « Up on the mountain » semble en être le brouillon avec son rythme doo-wop accéléré. Le reste de la face, hormis le plagiat ? - hommage ? de Cochran déjà évoqué ne mérite pas de passer à la postérité …

Et tant qu’on parle de postérité, celle de Flash Cadillac & the Continental Kids n’a pas traversé les décennies. Certes cet album et le suivant, boostés par « American graffiti » se vendront un peu, un troisième paraîtra (en fait une compilation des deux précédents), un autre fera un four monumental, et vers 75, le groupe se dispersera (avant des tentatives avortées de reformation à destination du marché nostalgia pendant des décennies). Aucun membre du groupe ne connaîtra par ailleurs succès et gloire. Pire, quand le revival rockab initié par les Stray Cats explosera, ils ne seront jamais cités comme influence par quelque porteur à banane de blouson de cuir.

Les Flash Cadillac ont joué la carte du gag sonore, ils n’auront jamais aucune reconnaissance ni crédibilité. Une page anecdotique du rock américain des 70’s …





CHARLES LAUGHTON - LA NUIT DU CHASSEUR (1955)

 

Love and Hate ...

« La nuit du Chasseur » (idem en anglais, « Night of the Hunter »), ce serait trop facile (mais je vais pas m’en priver) de dire que des films comme ça, on n’en tourne qu’un dans sa vie …

Charles Laughton & Lilian Gish

Et effectivement, ce sera le seul passage de Charles Laughton derrière la caméra. Laughton, c’est un Anglais qui a surtout travaillé aux Etats-Unis (il sera naturalisé américain en 1950). Et c’est surtout un acteur de théâtre. Un genre exigeant, où on peut pas tricher, refaire la prise. Faut enchaîner et être juste. Son physique « particulier » (sur lequel il a beaucoup ironisé), lui vaudront au cinéma des rôles de méchants (l’inoubliable Capitaine Blight dans « Les révoltés du Bounty » de Frank Lloyd) ou de sournois (Gracchus dans « Spartacus », où à mon sens il enterre les Kirk Douglas, Laurence Olivier et autres Peter Ustinov, pourtant pas des débutants). Laughton est exigeant pour lui, et va devenir un maniaque derrière la caméra.

Enfin, derrière la caméra, c’est aller un peu vite en besogne. La technique de l’image, de l’éclairage, de la prise de vue, il n’y comprend rien. Pour « La nuit du Chasseur », Laughton est au sens le plus strict du terme, un metteur en scène. La caméra, elle est confiée à Stanley Cortez, un chef opérateur de l’A.S.C. déjà remarqué sur « La splendeur des Amberson » d’Orson Welles. Et pendant que Laughton peaufinera son scénario avec David Grubb (l’auteur du roman « La nuit du Chasseur »), Cortez placera ses caméras et va concevoir un éclairage fabuleux, un noir et blanc hyper contrasté, jeux d’ombres gigantesques et de pénombres.

Parenthèse. En 2019 est sortie par Wild Side une version restaurée en HD du film. Des Blu-ray de vieux films, j’en ai. Qui au niveau du film lui-même, ne présentent généralement aucun intérêt, la haute définition ayant même tendance à amplifier les défauts techniques de l’image d’origine. Si vous ne devez avoir qu’un vieux film en Blu-ray, c’est « La nuit du Chasseur » qu’il vous faut. Un travail tout bonnement extraordinaire, qui montre que Cortez avait dépassé toutes les contingences techniques de l’époque. Et tout ça avec des moyens certainement pas pharaoniques.

D’ailleurs, pas de noms flamboyants en haut de l’affiche au générique. Mitchum en est la star (mais pas le premier choix de la production). Mitchum est en 1954 lors du tournage (trente-six jours en tout et pour tout, quasiment tout en studio, y compris la descente de la rivière) au mieux un bon second rôle avec deux défauts majeurs, éthylique forcené à faire passer les soirées du Rat Pack pour des séances de yoga, et pire, plus ou moins « socialiste », ce qui aux U.S.A. à l’époque était comparé à de la haute trahison. En gros, Mitchum est ingérable. Laughton l’a vite compris, il organise tous les autres personnages par rapport au sien.

Robert Mitchum

Autre parenthèse. Dans le Blu-ray dont au sujet duquel je causais plus haut, il y a parmi les bonus plus de deux heures et demie (soit quasiment deux fois la durée du film) de rushes qui montrent la répétition des scènes. Avec un Laughton (à peu près toujours hors champ) omniprésent, qui donne la réplique à tous les acteurs, jouant tous les personnages. On voit qu’il vient du théâtre et que c’est un maniaque. Il fait refaire d’innombrables prises parce que l’intonation d’une seule syllabe, un clignement de paupières, un geste esquissé, un sourire trop ou pas assez prononcé ne lui conviennent pas. Passe encore pour quelqu’un qui a fait l’Actor’s Studio (comme Shelley Winters) mais Laughton tyrannise tout le monde (les deux gosses - la gamine a vraiment cinq ans et craque parfois – et le moindre figurant ou second rôle, témoin celui qui joue le vieux pote pêcheur du gamin, qui sera éjecté au premier jour de tournage et remplacé). N’est guère épargnée Lilian Gish (qui fut quand même dans sa jeunesse l’égérie de Griffith et la première star féminine mondiale, avant Louise Brooks ou Marlene Dietrich), dont on sent que derrière sa bonhommie placide, elle n’en pense pas moins lorsqu’elle doit multiplier les prises. Il n’y a que Mitchum qui a un traitement de faveur. Il tient même parfois tête à Laughton parce qu’il ne joue pas, il est le Révérend Powell et tout s’organise autour de lui …

Powell, c’est le personnage qui a fait rentrer Mitchum dans la légende du cinéma. Parce que Mitchum en fait tellement, que ce faux curé devient tout bonnement extraordinaire. Powell joué par Mitchum n’est plus humain, il est inhumain. La scène où Mitchum mime le combat du Bien et du Mal avec la bataille entre ses deux mains où sont tatouées sur les phalanges « love » et « hate » (ça, c’est de l’idée scénaristique géniale !) repousse les limites du raisonnable, de l’entendement et même de la folie. Et à la fin, alors qu’il vient de se faire plomber par Lilian Gish, sa fuite à travers l’appartement, le jardin, les clôtures, pour aller se réfugier dans la grange se fait en poussant des cris qui n’ont rien d’humain. Le jeu de Mitchum est totalement hanté, irréel, bestial … Pas sûr qu’au moment du tournage il ait été au mieux physiquement et mentalement, mais le résultat est époustouflant, une performance à la Daniel Day-Lewis, sa seule présence aux dires des témoins électrisait le plateau de tournage avant qu’il commence à jouer ses scènes … Il y a une anecdote avec Shelley Winters. Mitchum, sans qu’on sache très bien pourquoi, la détestait, à la limite de la haine. Quand le pêcheur la retrouve noyée attachée à sa voiture au fond de l’eau, c’est une prise sous-marine avec un mannequin au visage moulé sur celui de Winters. Mitchum a fait tout un foin, exigeant de Laughton que ce soit elle qui soit vraiment attachée à la bagnole au fond de la rivière, sinon le film allait perdre toute sa crédibilité … Ceci explique que des années plus tard, lors d’une interview où il revenait sur sa carrière, Mitchum tout en faisant son Mitchum (air goguenard, énormes lunettes fumées, cigare de la taille d’un tronc d’arbre), ait décrété que Laughton était de loin le meilleur metteur en scène avec qui il avait travaillé (sympa pour tous les autres, il a tourné avec le gotha des réalisateurs américains pendant quatre décennies).

Shelley Winters & Robert Mitchum

« La nuit du Chasseur » se passe dans l’Amérique rurale (un petit bled au bord du fleuve Ohio) post Grande Dépression. La crise économique, le chômage, la lutte quotidienne juste pour avoir quelque chose à mettre dans l’assiette, ont profondément transformé les gens. Ainsi, un père de famille, Ben Harper (parenthèse, c’est le vrai nom du guitariste baba cool soporifique, donc pas un pseudo en rapport avec le film), devient un braqueur de banques pour faire bouillir la marmite à la maison où l’attendent sa femme Willa (Shelley Winters) et ses deux gosses John (la douzaine), et Pearl (cinq ans). Un jour son braquage tourne mal, il tue deux types, est serré de près par la police, et a juste le temps de remettre le butin du casse (dix mille dollars) à ses enfants (surtout John), exigeant d’eux qu’ils le planquent et ne révèlent la cachette à personne, même pas à leur mère.

Parenthèse (pff, encore, tu commences à nous gonfler avec tes parenthèses). Le Ben Harper du film, qui n’a droit qu’à quelques scènes, est joué par un second couteau, Peter Graves, qui accèdera à la gloire mondiale en devenant des années plus tard, Jim Phelps, le chef des agents de la cultissime série télé « Mission Impossible ».

Avant d’être pendu, Harper se retrouve dans le même cachot que le (faux) révérend Harry Powell et manque lui révéler en parlant dans son sommeil (fabuleuse scène lorsque Harper marmonne son histoire et que la tête de Powell apparaît à l’envers - il est dans le lit au-dessus -, avant que Harper se réveille, l’aperçoive, lui colle une magistrale torgnole, avant de se mettre un mouchoir dans la bouche pour ne plus pouvoir parler en dormant).

Powell, on l’a déjà vu au tout début, roulant dans une voiture, ses tatouages LOVE-HATE sur les doigts, en train de s’adresser au Seigneur, avant de se tétaniser avec un regard d’assassin à un spectacle de strip-tease. Powell, c’est une extrapolation de tous ces évangélistes qui dans les années 30 parcouraient le Midwest sinistré par la crise pour ramener les âmes dans le « bon » chemin (et qui aujourd’hui sont les farouches partisans de Trump, la loi et l’ordre, et par-dessus tout le Seigneur qui nous guide tous). Son truc, à Powell, c’est pas de sauver les brebis égarées, c’est de séduire les veuves qui ont un petit magot, les buter et partir avec l’argent.

Il va donc arriver chez Willa Harper. Autre scène fabuleuse, le petit John raconte à sa sœur une histoire de croquemitaine, c’est la nuit, ils sont dans leur chambre à peine éclairée par la lumière de la rue, et se dessine sur le mur l’ombre gigantesque du chapeau que porte Powell (ces ombres démesurés, que l’on verra souvent dans le film, me semblent être un hommage de Laughton et plus encore de Cortez au cinéma expressionniste allemand des années 1920-1930, genre « Le cabinet du Docteur Caligari », « M le Maudit », etc …). Le plan suivant nous montrera sa silhouette devant la clôture de la maison, dans la lueur blafarde des réverbères. Ça vous dit rien cette image ? Ce sera copié-collé par Friedkin dans « L’exorciste » quand Max Von Sydow arrivera devant la maison de Linda Blair, elle servira d’ailleurs souvent d’affiche au film, au Blu-ray, Dvds, etc …

L'exorciste ?

Powell va courtiser la fragile Willa, poser son emprise sur elle (autre scène folle, celle de l’expiation, où la pauvre veuve avoue ses péchés devant les voisins, au milieu d’un cercle de torches enflammées, sous le regard impassible du pasteur en arrière-plan), l’épouser (autre scène énorme, celle de la nuit de noces), avant de la tuer (encore une scène démente ponctuée d’engueulades homériques où Powell expose sa vision du monde et des femmes, qui ne pensent qu’à la luxure alors que le Seigneur ne les a mises sur Terre que pour procréer, ‘tain, on croirait entendre l’agité du bocage de Villiers). Ne lui reste dès lors plus qu’à faire avouer aux gosses où est le magot (nous, on le sait, il est dans la poupée de chiffons que ne quitte pas la petite fille).

La gamine se laisserait embobiner, son frangin est beaucoup plus méfiant, et les deux s’enfuient en barque sur le fleuve, chassés par Powell (un autre plan à montrer dans les écoles de cinéma, les deux gosses réfugiés dans une grange, avec au loin au soleil levant, la silhouette menaçante de Powell sur son cheval au pas qui se détache sur l’horizon). C’est à ce moment-là, le moment de la chasse, qu’on passe du thriller haut de gamme à autre chose. Finies pour un temps les confrontations et les dialogues chiadés, on suit la barque qui descend le fleuve filmée depuis la rive avec au premier plan des lapins, des toiles d’araignée, des hiboux, des tortues, des crapauds. Comme une relaxation alanguie qui remplace la tension. Un procédé qui sera repris et sublimé par Malick au point de devenir sa trademark (je sais pas s’il s’est inspiré de Laughton) qui interrompt l’action pour nous montrer des rochers moussus, un petit ruisseau, des animaux, du vent qui agite des champs de blé ou des feuilles dans les branches, …


Le final de « La nuit du Chasseur » n’est pas celui d’un thriller. Ou si peu. Les enfants échouent (dans tous les sens du terme) chez une vieille dame, Mme Cooper (extraordinaire Lilian Gish) qui recueille des enfants abandonnés. Et plutôt que l’action (quasi inexistante), Laughton choisit de nous nous montrer le combat de deux esprits qui se revendiquent du même Seigneur. Parce que Powell n’a pas inventé son personnage de pasteur, il se croit réellement investi d’une mission, sauver le monde de la perdition, même si ça doit passer par quelques meurtres et en récupérant du fric au passage. Mme Cooper, elle, veut faire le bien de ses prochains tout en respectant scrupuleusement les Saintes Ecritures. La scène clé du film (et une des plus extraordinaires qu’il soit donné à voir sur un écran), c’est ce face-à-face nocturne devant la maison de Mme Cooper où Powell et elle se livrent un combat qui se veut définitif par chants religieux interposés, chacun chantant le sien pour couvrir la voix de l’autre.

« La nuit du Chasseur » est une œuvre unique, inclassable, où se mélangent poésie, mysticisme, polar, suspense, humour (noir). En fait la vraie direction du film nous est donnée dès la première scène, où Lilian Gish récite, façon lecture d’une page des Evangiles, ce qu’est l’histoire que nous allons voir et sa morale. « La nuit du Chasseur », c’est une fable biblique …

« La nuit du Chasseur » a été un bide lors de sa sortie, et Laughton (mort en 62) n’aura plus jamais les moyens (si tant est qu’il en ait eu l’envie) d’en tourner un autre. Chef-d’œuvre définitif, il est aujourd’hui très justement toujours cité comme un des plus grands films de tous les temps …




ANIMAL COLLECTIVE - FEELS (2005)

 

Animal on est mal ...

Animal Collective furent dans les années 2000 les chouchous de Pitchfork, mag musical ricain spécialisé dans l’avant-garde pop si l’on veut être diplomate, ou dans les ectoplasmes branchouilles si l’on veut être réaliste. Ce groupe qui sortait des maxis ou des Lp à la vitesse où Bigard enchaîne les tristes blagues en-dessous de la ceinture, est originaire du Maryland, côte Ouest des States.

Chacun sa croix : Animal Collective 2005

« Feels » est leur sixième rondelle en six ans, et la première de leur tiercé consécutif prétendu « majeur » (« Feels » donc, « Strawberry jam » et « Merriweather post pavillion ». J’ai écouté les trois et believe me, y’a vraiment pas de quoi passer des nuits blanches à les mettre en boucle sur le lecteur.

Mais qui sont ces Animal Collective. Ben voyons, un « collectif ». Quatre types planqués derrière des pseudos énigmatiques et aussi couillons qu’un discours de politique générale de Bayrou, soit Avey Tare, Deakin, Geologist et la « star » Panda Bear (star parce que ce bisounours a mené de front une carrière solo remplie de disques extraordinaires – ou totalement inaudibles au choix). Pour ce « Feels », sont venus prêter main forte Kristin Valtysdottir (Islandaise, sorte de Björk du pauvre, ce qui n’est pas rien) sous le pseudo de Doctess et un violoniste d’avant-garde, forcément d’avant-garde Eyvind (Kand), un joueur d’alto, John Cale devait pas être libre, c’est ballot, ça aurait remonté le niveau.

« Feels » en Cd, c’est un machin cartonné, avec les six pseudos des zozos, la liste des titres, un code-barres, et les trois lignes de mentions légales de copyright du label. Un packaging royal, et que les mecs viennent pas chouiner que les gens sont pas sympas, ils téléchargent gratos plutôt que d’acheter de la musique. Sans parler du contenu, soignez un peu le contenant et ça ira peut-être moins mal …


Derrière les neuf titres du disque, y’a un puissant concept. Partir d’un open tuning de guitare très désaccordé, et caler tous les autres instruments (rythmique, piano, synthés) sur cette guitare qui joue faux. Et rajoutez sur quelques titres des impros en une prise du violoneux. Vous l’entendez arriver le truc ?

Niveau écriture, Animal Collective donne dans la pop tendance symphonique (ou pompière, c’est selon) avec deux types de morceaux : un sur un mid tempo et un sur un down tempo, mais vraiment down. Manière de bien achever les chevaux, ces titres seront étirés à la limite du supportable grâce à des intros et surtout des outros interminables, le tout mixé façon shoegazing (tous les instruments et les voix sont passés à travers moultes bécanes pour aboutir à une sorte de brouillard sonore d’où émerge … rien de bon en fait). Parce que se prendre pour My Bloody Valentine rejouant « Pet sounds » au petit matin blême après une nuit passée sous substances (les Animal Machin ont avoué chercher l’inspiration dans le LSD), c’est une chose, arriver à un résultat audible, c’en est une autre …

Le résultat, sur lequel un certain nombre de sourds se sont extasiés, ressemble à de l’Arcade Fire sous Lexomil pour les morceaux « rapides » (« Did you see the words », « Grass », et « Turn into something ») les six autres plus ou moins à du Devendra Banhart (barde folk velu contemporain).


Ma préférence va nettement pour les titres les plus enlevés qui sont écoutables voire plaisants avec mention spéciale pour « Grass », pas forcément parce que c’est le meilleur, juste parce que c’est le plus court. Le plus intéressant (« Did you see the words ») ouvre le disque. On est intrigué par ce son étrange qui devient quand même assez vite crispant, ça ressemble donc à Arcade Fire, ou à des Beach Boys qui tels Adjani, seraient au fond de la piscine (l’atmosphère mate, aquatique). « Turn into something » clôture la rondelle, c’est plutôt enlevé (surtout par rapport à la grosse demi-heure qui a précédé), il peut être – toutes proportions gardées – considéré somme le titre folk-rock de l’album.

Les six autres titres, ils me gavent sévère. Certains (« Daffy Duck » (?), « Banshee beat ») flirtent avec les huit minutes, et s’apparentent à de longues ruminations invertébrées., « Bees » réussit l’exploit d’être à la fois et sinistre et minimaliste, « Loch raven », ça commence agonisant, et ça finit en état de mort cérébrale (ou l’inverse), « Flesh canoe », c’est du brouillard sonore, léthargique et minimaliste. J’aurais aimé rajouter à la liste des titres à sauver « The purple botlle », amusant avec son chant à l’hélium, son tempo frénétique et minimaliste à la Devo, mais il est beaucoup trop long (plus de six minutes) et comme chacun sait, les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures …  

Allez, poubelle direct, et toutes mes excuses à Gérard Manset dont le titre d’un de ses meilleurs morceaux ne méritait pas d’être associé à pareille chose…


NICOLAS ROEG - NE VOUS RETOURNEZ PAS (1973)

 

Mort à Venise ...

Nicolas Roeg (claqué en 2018) a eu sa décennie de gloire dans les 70’s. Notamment en faisant tourner des stars du rock. Mick Jagger qui faisait du Mick Jagger dans « Performance », et David Bowie qui faisait son Ziggy Stardust dans « L’homme qui venait d’ailleurs ». Ces deux films, qui intrinsèquement valent pas lourd, et doivent leur postérité et leur notoriété à leurs acteurs principaux, ne doivent pas occulter le fait que Roeg sait concevoir un film et tenir une caméra.

Christie, Sutherland & Roeg

« Ne vous retournez pas » (« Don’t look now » en V.O.) en est la démonstration et a mieux traversé les décennies. Par exemple cité comme un film de premier plan par des gens ayant pourtant peu de choses en commun, comme Danny Boyle et Justine Triet.

Pour « Ne vous retournez pas », Roeg a un scénario et deux stars bankables au générique. Le scénario est dû à son complice Alan Scott, extrapolé d’après une courte nouvelle de Daphné du Maurier. Du Maurier, son thème de prédilection, c’est le polar, avec parfois une touche de fantastique. Pas étonnant que Hitchcock s’en soit servi à trois reprises (l’oublié « La taverne de la Jamaïque » et les deux beaucoup plus conséquents « Rebecca » et « Les oiseaux »).

Les deux stars de Roeg sont le Canadien Donald Sutherland (carrière aux States, révélé dans « Les douze salopards », premiers rôles dans « M.A.S.H. », « De l’or pour les braves », « Klute ») et l’Anglaise Julie Christie (entre autres l’inoubliable Lara du « Docteur Jivago »). Le reste du casting, au mieux présent sur quelques scènes (les deux sœurs) est composé de troisièmes couteaux pas vraiment très aiguisés devant la caméra.

L’histoire de « Ne vous retournez pas » est chronologique. Dans les premières scènes au montage alterné intérieur-extérieurs, on voit une petite fille en ciré rouge et son jeune frère jouer au bord d’un étang aux abords d’une maison cossue. Dans laquelle le père (John Baxter / Sutherland) visionne des diapos agrandies de vitraux pendant que la mère (Laura / Christie) lit. Quand le père a la vision d’une tache sanglante se répandant sur la diapo, il est surpris. Quand il pense que cette vision irréelle pourrait être une prémonition, il se rue vers l’étang, plonge et remonte avec dans les bras le cadavre de sa fille qui vient de se noyer. La mère qui passe derrière une fenêtre voit la scène et pousse un grand hurlement.


C’est à ce moment qu’intervient une transition remarquable (même si elle pompée sur une similaire vue dans « Les 39 marches » de qui vous savez et si vous savez pas je vous plains) où le hurlement devient bruit strident d’une perceuse qui fore un mur (avec un léger décalage, on entend d’abord le son avant d’avoir l’image).

A coté du gars qui tient la perceuse, Sutherland observe le mur dans un piètre état, le plan s’élargit, on est dans une église en cours de restauration. Très vite, on comprend que John est architecte, et supervise un projet de rénovation de bâtiments dans Venise, qui se passe en hiver, pour ne pas obérer l’activité touristique. Avec Laura, ils logent dans un hôtel à peu près vide, tandis que leur fils a été placé dans un pensionnat anglais. Les événements ont lieu (même si aucun repère temporel n’est précisé) peu après la noyade de leur fille dont on sent Laura beaucoup plus affectée que son mari. La rencontre d’un couple de vieilles anglaises comme eux, dont l’une est aveugle et médium sera un tournant dans leur séjour. Une Laura qui participe avec elles à une séance de spiritisme, au cours de laquelle la voyante leur recommande de quitter immédiatement Venise, en sort tout ébranlée, et doit faire face aux remarques narquoises de John, cartésien et rationnel, qui ne croit pas à ces balivernes.

Laisse les gondoles à Venise ...

Parce que lui est tout de même intrigué par une petite silhouette en ciré rouge qui semble se cacher et le fuir, et qu’il aperçoit fugacement une paire de fois aux abords des canaux. Même si le couple Baxter reste très uni, témoin une longue scène de plumard jugée très scandaleuse lors de la sortie du film (certains ont prétendu qu’elle n’était pas simulée, le prétendu réalisme n’est du qu’à un montage malin alternant plans de quelques secondes du couple en action et les mêmes se rhabillant pour aller à un dîner), une certaine parano commence à les envahir, elle très sensible aux visions de l’aveugle ( ! ), et lui victime d’un accident de chantier qui aurait pu lui être fatal. Ça flippe encore plus quand le pensionnat les appelle pour leur dire que leur fils a eu un accident bénin. John entend rester pour terminer son boulot, mais il accompagne Laura dans le vaporetto qui la conduira à l’aéroport pour qu’elle retourne au chevet du gamin en Angleterre. Sauf que le lendemain, il la revoit en tenue de deuil en compagnie des deux frangines sur une gondole-corbillard.

Direction le poste de police où dans un décor très Brazil-Gillian, il raconte tout à un flic qui ne l’écoute que d’une oreille distraite. Il faut dire que dans cette Venise hors-saison rôde un serial killer qui donne du couteau dans les ruelles sombres et étroites qui bordent les canaux, alors l’Anglais avec sa femme et les mystérieuses frangines, c’est pas une priorité. C’est quand le proprio du pensionnat lui téléphone et lui passe Laura qui lui annonce son retour à Venise que tout se complique et pour John et pour le spectateur. Et le dernier quart d’heure du film va donner lieu à un twist scénaristique remarquable.

Parce que Roeg (dont tous ceux qui le connaissent affirment qu’il avait quasiment image par image le film dans sa tête avant d’avoir commencé à tourner) installe une atmosphère à laquelle on ne peut guère échapper. Le cadre, c’est-à-dire Venise en hiver est glauque à souhait. Dans ces ruelles sombres, étroites et souvent désertes, dans ces bâtiments décrépis éclairés par une lumière d’hiver pisseuse, tout l’envers des cartes postales d’une place Saint-Marc grouillante de vacanciers en goguette au milieu des pigeons, il ressort des impressions mortifères et angoissantes. Les couleurs sont mates, sombres, l’éclairage est voulu approximatif, et l’image très granuleuse, à l’exception évidemment du rouge très vif de ce ciré que portait la fille Baxter quand elle s’est noyée et dont est aussi vêtue cette petite silhouette fugace aperçue plusieurs fois à Venise.

Et la parano et le malaise induits par les images et les scènes vont crescendo à mesure que les incidents, les accidents et surtout les visions et les prémonitions de la médium rajoutent des éléments surnaturels à l’histoire.

Le petit chaperon rouge ?

C’est ce mélange de genres qui fait la qualité de « Ne vous retournez pas ». Est-on devant un drame psychologique, une histoire surnaturelle, un thriller ? Et certains parlent du film comme un des très rares giallos non italiens, même si réduire « Ne vous retournez pas » à ce genre typiquement transalpin de la fin des années 60 – début des années 70 est plutôt réducteur, même si on retrouve chez Roeg meurtres sanglants, phénomènes étranges, érotisme, autant de thèmes chers aux Bava, Fulci, Argento et consorts …

En fait, en 1973 lors de sa sortie, « Ne vous retournez pas » est un objet cinématographique plutôt unique, à la marge de tous les genres évoqués. Qui n’a pas affolé le box-office, les distributeurs américains (Paramount il me semble) ayant exigé que Roeg en supprime une demi-heure, qui à ma connaissance est restée totalement inédite (pas de director’s cut sur les derniers supports physiques malgré une restauration en 4 K). A la longue, c’est devenu un film culte, des cinéastes plutôt « décalés » le citant comme une référence.

Et il y en a même un (Shyamalan) qui comment dire, me semble s’en être fort inspiré et qui a cartonné au box-office, avec Bruce Willis dans le rôle principal …


Du même sur ce blog :

L'Homme Qui Venait D'Ailleurs