Mort à Venise ...
Nicolas Roeg (claqué en 2018) a eu sa décennie de gloire dans les 70’s. Notamment en faisant tourner des stars du rock. Mick Jagger qui faisait du Mick Jagger dans « Performance », et David Bowie qui faisait son Ziggy Stardust dans « L’homme qui venait d’ailleurs ». Ces deux films, qui intrinsèquement valent pas lourd, et doivent leur postérité et leur notoriété à leurs acteurs principaux, ne doivent pas occulter le fait que Roeg sait concevoir un film et tenir une caméra.
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Christie, Sutherland & Roeg |
« Ne vous retournez
pas » (« Don’t look now » en V.O.) en est la démonstration et a
mieux traversé les décennies. Par exemple cité comme un film de premier plan par
des gens ayant pourtant peu de choses en commun, comme Danny Boyle et Justine
Triet.
Pour « Ne vous retournez
pas », Roeg a un scénario et deux stars bankables au générique. Le
scénario est dû à son complice Alan Scott, extrapolé d’après une courte
nouvelle de Daphné du Maurier. Du Maurier, son thème de prédilection, c’est le
polar, avec parfois une touche de fantastique. Pas étonnant que Hitchcock s’en
soit servi à trois reprises (l’oublié « La taverne de la Jamaïque »
et les deux beaucoup plus conséquents « Rebecca » et « Les
oiseaux »).
Les deux stars de Roeg sont le
Canadien Donald Sutherland (carrière aux States, révélé dans « Les douze
salopards », premiers rôles dans « M.A.S.H. », « De l’or
pour les braves », « Klute ») et l’Anglaise Julie Christie
(entre autres l’inoubliable Lara du « Docteur Jivago »). Le reste du
casting, au mieux présent sur quelques scènes (les deux sœurs) est composé de troisièmes
couteaux pas vraiment très aiguisés devant la caméra.
L’histoire de « Ne vous retournez pas » est chronologique. Dans les premières scènes au montage alterné intérieur-extérieurs, on voit une petite fille en ciré rouge et son jeune frère jouer au bord d’un étang aux abords d’une maison cossue. Dans laquelle le père (John Baxter / Sutherland) visionne des diapos agrandies de vitraux pendant que la mère (Laura / Christie) lit. Quand le père a la vision d’une tache sanglante se répandant sur la diapo, il est surpris. Quand il pense que cette vision irréelle pourrait être une prémonition, il se rue vers l’étang, plonge et remonte avec dans les bras le cadavre de sa fille qui vient de se noyer. La mère qui passe derrière une fenêtre voit la scène et pousse un grand hurlement.
C’est à ce moment qu’intervient
une transition remarquable (même si elle pompée sur une similaire vue dans « Les
39 marches » de qui vous savez et si vous savez pas je vous plains) où le
hurlement devient bruit strident d’une perceuse qui fore un mur (avec un léger
décalage, on entend d’abord le son avant d’avoir l’image).
A coté du gars qui tient la perceuse, Sutherland observe le mur dans un piètre état, le plan s’élargit, on est dans une église en cours de restauration. Très vite, on comprend que John est architecte, et supervise un projet de rénovation de bâtiments dans Venise, qui se passe en hiver, pour ne pas obérer l’activité touristique. Avec Laura, ils logent dans un hôtel à peu près vide, tandis que leur fils a été placé dans un pensionnat anglais. Les événements ont lieu (même si aucun repère temporel n’est précisé) peu après la noyade de leur fille dont on sent Laura beaucoup plus affectée que son mari. La rencontre d’un couple de vieilles anglaises comme eux, dont l’une est aveugle et médium sera un tournant dans leur séjour. Une Laura qui participe avec elles à une séance de spiritisme, au cours de laquelle la voyante leur recommande de quitter immédiatement Venise, en sort tout ébranlée, et doit faire face aux remarques narquoises de John, cartésien et rationnel, qui ne croit pas à ces balivernes.
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Laisse les gondoles à Venise ... |
Parce que lui est tout de même
intrigué par une petite silhouette en ciré rouge qui semble se cacher et le
fuir, et qu’il aperçoit fugacement une paire de fois aux abords des canaux. Même
si le couple Baxter reste très uni, témoin une longue scène de plumard jugée très
scandaleuse lors de la sortie du film (certains ont prétendu qu’elle n’était
pas simulée, le prétendu réalisme n’est du qu’à un montage malin alternant
plans de quelques secondes du couple en action et les mêmes se rhabillant pour
aller à un dîner), une certaine parano commence à les envahir, elle très sensible aux visions de l’aveugle ( ! ), et lui victime d’un accident de chantier
qui aurait pu lui être fatal. Ça flippe encore plus quand le pensionnat les
appelle pour leur dire que leur fils a eu un accident bénin. John entend rester
pour terminer son boulot, mais il accompagne Laura dans le vaporetto qui la
conduira à l’aéroport pour qu’elle retourne au chevet du gamin en Angleterre. Sauf
que le lendemain, il la revoit en tenue de deuil en compagnie des deux
frangines sur une gondole-corbillard.
Direction le poste de police où
dans un décor très Brazil-Gillian, il raconte tout à un flic qui ne l’écoute
que d’une oreille distraite. Il faut dire que dans cette Venise hors-saison rôde
un serial killer qui donne du couteau dans les ruelles sombres et étroites qui
bordent les canaux, alors l’Anglais avec sa femme et les mystérieuses
frangines, c’est pas une priorité. C’est quand le proprio du pensionnat lui
téléphone et lui passe Laura qui lui annonce son retour à Venise que tout
se complique et pour John et pour le spectateur. Et le dernier quart d’heure du
film va donner lieu à un twist scénaristique remarquable.
Parce que Roeg (dont tous ceux
qui le connaissent affirment qu’il avait quasiment image par image le film dans
sa tête avant d’avoir commencé à tourner) installe une atmosphère à laquelle on
ne peut guère échapper. Le cadre, c’est-à-dire Venise en hiver est glauque à
souhait. Dans ces ruelles sombres, étroites et souvent désertes, dans ces
bâtiments décrépis éclairés par une lumière d’hiver pisseuse, tout l’envers des
cartes postales d’une place Saint-Marc grouillante de vacanciers en goguette au
milieu des pigeons, il ressort des impressions mortifères et angoissantes. Les
couleurs sont mates, sombres, l’éclairage est voulu approximatif, et l’image très
granuleuse, à l’exception évidemment du rouge très vif de ce ciré que portait
la fille Baxter quand elle s’est noyée et dont est aussi vêtue cette petite
silhouette fugace aperçue plusieurs fois à Venise.
Et la parano et le malaise induits par les images et les scènes vont crescendo à mesure que les incidents, les accidents et surtout les visions et les prémonitions de la médium rajoutent des éléments surnaturels à l’histoire.
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Le petit chaperon rouge ? |
C’est ce mélange de genres qui
fait la qualité de « Ne vous retournez pas ». Est-on devant un drame
psychologique, une histoire surnaturelle, un thriller ? Et certains
parlent du film comme un des très rares giallos non italiens, même si réduire « Ne
vous retournez pas » à ce genre typiquement transalpin de la fin des
années 60 – début des années 70 est plutôt réducteur, même si on retrouve chez
Roeg meurtres sanglants, phénomènes étranges, érotisme, autant de thèmes chers
aux Bava, Fulci, Argento et consorts …
En fait, en 1973 lors de sa
sortie, « Ne vous retournez pas » est un objet cinématographique
plutôt unique, à la marge de tous les genres évoqués. Qui n’a pas affolé le
box-office, les distributeurs américains (Paramount il me semble) ayant exigé
que Roeg en supprime une demi-heure, qui à ma connaissance est restée totalement
inédite (pas de director’s cut sur les derniers supports physiques malgré une
restauration en 4 K). A la longue, c’est devenu un film culte, des cinéastes
plutôt « décalés » le citant comme une référence.
Et il y en a même un (Shyamalan)
qui comment dire, me semble s’en être fort inspiré et qui a cartonné au
box-office, avec Bruce Willis dans le rôle principal …
Du même sur ce blog :