BLAKE EDWARDS - DIAMANTS SUR CANAPE (1961)

 

Diamonds are a girl's best friends ...

« Breakfast at Tiffany’s », titre autrement plus significatif que sa traduction française a fait d’un premier rôle féminin de comédies romantiques (Audrey Hepburn) parfois réussies (« Vacances romaines », « Sabrina », « Charade »), une icone du cinéma et de la mode. Alors qu’elle ne cochait aucune des cases requises à l’époque.

Breakfast at Tiffany's

Pas américaine (Anglaise de naissance, réfugiée aux Pays-Bas pendant la WW2, elle n’ira aux States que la vingtaine sonnée commencer sa carrière au théâtre), brune (alors que les stars de l’époque se nomment Marylin Monroe ou Kim Novak), longiligne silhouette limite anorexique (alors que les susnommées ont des formes généreuses), des grands pieds et de grands sourcils.

« Breakfast at Tiffany’s » en fera aune star, inaugurant un look androgyne mis en valeur par les grands couturiers (français, cocorico). Son « habilleur » attitré sera Hubert de Givenchy, ce chic frenchy sera plus ou moins dupliqué tout au long des sixties (Jackie Kennedy, Françoise Hardy, …). De brune mutine qui semblait promise à une carrière de faire-valoir de stars vieillissantes (exemples-type « Sabrina » avec Bogart, « Charade » avec Cary Grant), cette autre Hepburn va se muer en cover girl (le too much « My fair Lady », l’amusant « Comment voler un million de dollars ») qui fait tomber les hommes à ses pieds.

« Breakfast at Tiffany’s » est tiré d’une nouvelle de Truman Capote, adaptée d’une façon plutôt soft. Nouvelle qui narre les aventures d’une Texane montée à New York pour y vivre de ses charmes (explicite chez Truman Capote, suggéré dans la seconde scène du film, où un quidam la course jusque devant chez elle, furieux de lui avoir donné cinquante dollars pour qu’elle aille se refaire une beauté aux toilettes d’un endroit chic et qu’il n’a pas vue revenir, les cinquante dollars n’étant pas uniquement pour le pourboire de la dame pipi).

Audrey Hepburn & Blake Edwards

C’est la Paramount qui est maître d’ouvrage, qui a choisi le metteur en scène (Blake Edwards, sous contrat avec elle) et son actrice principale (Marilyn Monroe). Las, la blonde fait un de ses caprices de diva, refuse le rôle, et les producteurs, sans y croire vraiment, contactent Audrey Hepburn, qui à la surprise générale accepte sur-le-champ. Elle sera donc Holly Golightly (patronyme à multiples jeux de mots quasiment intraduisible qui pourrait donner quelque chose comme « sainte allumeuse »).

La première scène donne son titre au film. Petit matin, dans un New York désert un taxi jaune laisse devant la boutique du bijoutier Tiffany’s une jeune femme en robe de soirée, qui petit-déjeune en dévorant des yeux les pierres précieuses exposées en vitrine. Elle quitte à regret sa contemplation et rentre lentement à pied chez elle où l’attend l’éconduit furibard cité plus haut.

« Breakfast at Tiffany’s » est une des références de la comédie romantique des sixties. L’aspect romantique, c’est la liaison contrariée par de multiples rebondissements que l’on voit venir de loin entre Holly et le nouvel occupant du logement situé à l’étage au-dessus, un écrivain plus ou moins raté et fauché joué par George Peppard. La comédie, c’est la patte de Blake Edwards et son art des gags et des personnages loufoques. Intrinsèquement, sur ces deux aspects, « Breakfast at Tiffany’s » n’est pas une franche réussite.

Peppard, Hepburn & Neal

George Peppard, espoir du cinéma américain, avec son physique de beau gosse sportif, ne concrétise pas avec ce film (ni avec les suivants d’ailleurs) les espoirs que la production a placés en lui. Jeu transparent et limité, il se fera surtout remarquer en draguant (plutôt lourdement paraît-il, et sans aucun résultat) ses deux partenaires sur le film, Audrey Hepburn et Patricia Neal (joli second rôle, celle qui donnait la réplique à Paul Newman dans « Le plus sauvage d’entre tous », est ici la maîtresse décoratrice qui entretient Peppard). Mais Peppard n’est pas la seule faute de casting, il y a pire avec Mickey Rooney, qui joue un autre voisin asiatique de l’immeuble. Irascible et grimaçant, jeu très outré derrière un maquillage grossier, tous les intervenants (Edwards, les producteurs) ont reconnu qu’il n’était pas le bon choix (a-t-il d’ailleurs été un bon choix un jour, tant il en fait toujours trop dans tous ses films ?). Autant que Rooney, c’est son personnage qui pose problème, envoyant à chacune de ses apparitions en forme de running gag, la comédie sentimentale vers des contrées de grosse farce lourdingue. N’est pas Jerry Lewis qui veut …

De toutes façons, c’est Audrey Hepburn qui écrase tout, pour ce qui est sa meilleure prestation devant une caméra. Très glamour, limite sexy, elle porte le film à bout de bras, et fait de Holly Golightly un personnage de fiction devenu légendaire. Toutes les femmes ont rêvé de ses sobres robes noires, de son sac à main, de son fume-cigarettes (d’au moins cinquante centimètres). Si ses liens avec Givenchy ressemblent souvent à du placement de produit, la firme Ray Ban peut aussi lui dire un grand merci. On voit Hepburn plusieurs fois avec des Wayfarer à verres teintés de vert. Au moins autant que Bob Dylan qu’on apercevra beaucoup avec les Wayfarer dans les sixties (mais pas seulement, voir la pochette de « Infidels »), elle contribuera à la notoriété de la marque (pas assez pour éviter que la vénérable firme de binocles soit rachetée par des Ritals, no fun et no comment …). Sans parler évidemment de la bijouterie Tiffany’s (qui n’avait pas vraiment besoin de cette pub pour être connue) dont Hepburn deviendra aussi l’égérie et une sorte de porte-parole.

Dans « Breakfast at Tiffany’s », Hepburn montre qu’elle peut tout jouer (l’ingénue, la malicieuse, la séductrice, l’émotion les larmes…). Et surtout la jet-setteuse de basse extraction. Toujours clope au bec et whisky à la main, une composition magistrale de pilier de bar légèrement (ou gravement) ivre en permanence. Contre toute attente, elle refuse d’être doublée lorsqu’il s’agit de chanter l’imputrescible classique de Henry Mancini (écrit pour l’occasion) « Moon river ». Ce couplet et ce refrain chantés (en faisant semblant de s’accompagner à la guitare) récolteront l’Oscar de la meilleure chanson originale.

Face à cette prestation de Hepburn, tous les autres noms du casting font piètre figure. Outre les déjà évoqués Peppard et Rooney, d’autres auraient pu tirer leur épingle du jeu. Mais que ce soit Martin Balsam (un des « Douze hommes en colère »), Buddy Ebsen (le mari texan « oublié » de Holly), ou même Patricia Neal (décoratrice, maîtresse et carnet de chèques de Peppard), pourtant seconds rôles confirmés, ils disparaissent noyés par la tornade Hepburn.

La party

Et le réalisateur dans tout ça ? A mon humble avis, il montre ses limites. Capable de mettre en scène quelques gags, on peut pas vraiment dire que Blake Edwards impose sa marque de fabrique. A une exception près, lors de la party organisée dans l’appartement de Holly, où se succèdent personnages et situations surréalistes, avec acteurs et figurants serrés comme des anchois dans quelques mètres carrés (certainement pas un hasard si les mêmes paramètres seront repris dans ses plus grands succès, « La Panthère Rose » et of course « La Party »). Alors que le film est censé se passer entièrement à New York, quelques extérieurs ont bien été utilisés (la devanture de Tiffany’s, la Bibliothèque municipale, la maison où vit Holly), mais toutes les scènes d’intérieur ont été tournées dans les studios de la Paramount à Hollywood. Et encore, on a échappé au quasi débutant à l’époque John Frankenheimer, initialement prévu derrière la caméra et qu’au vu de sa carrière, on voit mal se dépêtrer d’une comédie glamour.

« Breakfast at Tiffany’s » c’est l’histoire du verre à moitié plein. Raté sur bien des points, il n’est sauvé que par une prestation hors normes d’Audrey Hepburn. Et rien que pour ça, il faut l’avoir vu …





GUS VAN SANT - ELEPHANT (2003)

 

Bowling for Columbine ...

20 avril 1999 à Columbine, petite ville (25 000 habitants) du Colorado. Deux lycéens de 18 ans se rendent lourdement lestés d’armes de guerre et d’explosifs dans leur école et tirent sur tout ce qui bouge. Bilan : treize morts, vingt et un blessés.

18 mai 2003. « Elephant » de Gus Van Sant, « inspiré » par la tuerie est projeté au Festival de Cannes. Quelques jours plus tard, il y recevra la Palme d’Or et le prix de la mise en scène.

Gus Van Sant Cannes 2003

Quelques mois plus tôt, un film documentaire de Michael Moore, « Bowling for Columbine », utilisait la tuerie pour un plaidoyer contre la libre circulation des armes aux USA.

Autant dire que ce massacre a bouleversé (un temps, ce genre de carnage est récurrent aux States, c’est sûr ce coup-ci on va s’attaquer au problème des ventes d’armes, vous allez voir ce que vous allez voir, et puis on passe à autre chose) la société, pour que le monde du cinéma s’en empare si vite et à deux reprises.

« Elephant » est le dixième film de Van Sant, qui a accumulé succès critiques et commerciaux (« Drugstore cowboy », « My own private Idaho », « Will Hunting », « Psycho » entre autres, je cite ceux-là parce que je les aime bien), et inaugure un dyptique avec son successeur « Last days ». A savoir que ces deux films sont très fortement inspirés par des faits réels (le suicide de Kurt Cobain pour « Last days »), mais ne sont en aucun cas des reconstitutions des faits évoqués, la licence poétique, ce genre de choses, s’est justifié Van Sant, enfin certainement pour éviter procès et procédures.


« Elephant », d’abord pourquoi ce titre ? En référence à un film anglais homonyme d’Alan Clarke (c’est là que se pointe le fan de Bowie, Alan Clarke ayant réalisé pour la télé au début des 80’s une adaptation de « Baal » de Bertold Bretch avec l’ex Ziggy dans le rôle-titre, parce que le reste de ses travaux à l’Alan Clarke, ça me dit strictement rien). Lequel film montre une série de meurtres sans motifs, et son titre fait référence à l’expression « elephant in the room », littéralement, tout le monde identifie le problème bien visible, mais personne ne cherche de solution.

Bon, c’est quoi l’éléphant dans la pièce chez Van Sant ? Ce qu’aujourd’hui on appelle harcèlement scolaire (le plus déterminé, le « cerveau » du carnage est brimé et rejeté par les autres lycéens). Le libre accès aux armes, y compris de guerre. On commande sur internet, on est livré à domicile, et c’est le jour où les deux reçoivent leur dernier fusil d’assaut maousse qu’ils passent à l’action. Malin, Van Sant ne se contente pas des faits établis qui ont généré le massacre de Columbine. On a des allusions au jeux vidéo de FPS (en gros, on flingue tout ce qui bouge, en « étant » le personnage qui tire), Van Sant avait voulu utiliser une franchise bien connue (« Doom ») qui a mis son veto. Un truc basique en noir et blanc vite créé par un informaticien de passage est montré dans le film, un des deux tueurs y joue (sans conviction, il balance assez vite son ordi portable). On a aussi en attendant le camion de livraison qui amène le dernier flingue, un reportage, un documentaire historique sur la montée du nazisme qui passe à la télé, mais les deux ados ne le regardent pas vraiment, un des deux sait même pas à quoi ressemble Hitler. On a aussi la notion de rite sacrificiel, les deux se promettent de ne pas en réchapper, et toutes leurs frustrations d’ados rejetés se traduisent par un baiser échangé sous la douche avant de s’équiper de treillis et de trimbaler leur arsenal dans des sacs. Van Sant évoque de possibles et plausibles mobiles du passage à l’acte, il n’en définit aucun comme crucial. D’ailleurs, pour brouiller les pistes, les deux tueurs semblent (sans que cela soit explicité) deux fils de bonne famille, le « leader » Alex vit (avec ses parents ?) dans une maison cossue aux grands espaces, et joue bien du piano (en l’occurrence des sonates de Beethoven qui servent de B.O. au film).


La présentation des deux tueurs (les derniers moments avant la commission de l’acte) est située vers la fin du film, et apparaît comme la litanie des causes pouvant générer un massacre de masse. Van Sant n’analyse pas, il livre des éléments.

« Elephant » ne se résume pas aux derniers préparatifs du duo d’assassins et au carnage dans le lycée, le film nous fait vivre quelques moments de différents lycéens victimes – ou pas – du gunfight. Avec un procédé original, la caméra suit souvent les protagonistes (donc filmés de dos) dans l’enfilade de couloirs du lycée et nous les présente (juste leurs prénoms) par un intertitre. Et comme certains des élèves se croisent, échangent quelques mots, on a droit à la même scène filmée sous deux angles différents (parfois trois même, on a le blond peroxydé et le photographe qui discutent quelques secondes pendant que passe en courant la moche complexée) et en faisant la plupart du temps abstraction de toute chronologie). Le contraste est saisissant entre la banalité du train-train quotidien de lycéens (les trois jeunettes amatrices de ragots, qui touchent à peine à leur plateau-repas par peur de grossir avant d’aller se faire vomir dans les chiottes, ce qui se révèlera être une bien mauvaise idée).


« Elephant », c’est aussi un casting de jeunes amateurs (de Portland, ville fétiche de Van Sant dans laquelle il a longtemps vécu et où ont été tournés nombre de ses films) dont bien peu ont continué leur carrière devant la caméra. Le seul qui a vraiment fait « carrière » (dans des rôles mineurs et souvent dans des films de seconde zone) est John Robinson (celui qui joue John, le blond peroxydé à tee-shirt jaune imprimé d’un taureau), Alex Frost (celui qui joue Alex, quasiment tous les acteurs ont gardé leurs vrais prénoms) s’étant contenté de quelques rares apparitions dans des séries B).

A noter qu’une des personnes les plus impliquées dans le projet « Elephant » est Diane Keaton, l’ex et principale égérie de Woody Allen, qui a mis des billets pour la production du film. Lequel est un peu à part dans la filmo de Van Sant, sorte de film « politique », « engagé », deux genres auxquels il ne s’est guère frotté, mis à part avec le biopic « Harvey Milk » sur l’activiste homosexuel candidat à la mairie de San Francisco.

A noter que malgré la répétition des scènes (même si elles sont filmées avec des angles différents), « Elephant » ne dure même pas une heure vingt. Comme quoi on peut être concis et dire (ou sous-entendre) beaucoup de choses.

Film crucial de Van Sant, à ranger à côté de son autre coup de poing en images « Drugstore cowboy » …


Du même sur ce blog :

Last Days



JOHN HUSTON - QUAND LA VILLE DORT (1950)

 

Le crime était presque parfait ...

Le Dvd que j’ai fait partie d’une collection Warner « L’âge d’or du cinéma américain – Les grands classiques du film noir ». J’ai aucune idée des autres titres (vu le lettrage sur la tranche et le numéro de celui-ci – 12 – il doit y en avoir une quinzaine sous cet intitulé) mais en ce qui concerne « Quand la ville dort » je valide tout à fait le titre ronflant de la série. C’est un film à voir et revoir, on ne s’en lasse pas.

A priori, rien de révolutionnaire dans « Quand la ville dort ». L’histoire d’un casse qui tourne mal. Et au cœur de l’histoire, une poignée de petits malfrats dans une petit bled du Midwest jamais nommé pendant la prohibition (Angelica Huston, dans une courte présentation du film de son père, situe l’action en 1929).

John Huston & Marilyn Monroe

A la réalisation, John Huston donc. Pas vraiment un débutant, et pas un manchot derrière une caméra, en plus d’être scénariste, producteur, et de se lancer à partir des années 50 dans une carrière d’acteur. Quand il s’attelle à « Quand la ville dort » (« The asphalt jungle » en V.O., pour une fois un titre qui claque, que ce soit en français ou en anglais), il a remporté deux ans plus tôt une statuette pour un film monumental, « Le trésor de la Sierra Madre », et il avait commencé sa carrière de réalisateur avec « Le faucon maltais », classique de chez classique, malgré une intrigue aussi claire que celle de « Mulholland Drive » du regretté David Lynch.

 « Quand la ville dort » est tiré d’une nouvelle de l’écrivain W.R. Burnett et grave dans le marbre les codes du film noir, comme « Little Caesar » du même Burnett avait « inventé » par son adaptation au cinéma le film de gangsters. « Quand la ville dort », c’est l’histoire d’une bande de petites frappes, avec cinquante nuances de loose. Tout se passe la nuit, sauf la scène finale. Le pitch est simple, un prétendu as du braquage « Doc » Riedenschneider (un immigré allemand ou autrichien, voir ou plutôt écouter son accent teuton en VO) sort de cabane et tente illico de monter « le coup » de sa vie (le braquage d’une bijouterie) grâce à des infos recueillies auprès d’un autre taulard. Il se rend chez Cobby, le gérant d’un tripot clandestin spécialisé dans les paris sur les canassons pour lui expliquer ses besoins en logistique et en personnel. Une fine équipe locale est recrutée (un chauffeur barman et bossu, une brute locale qui fera le ménage si besoin, un as du perçage de coffres), et l’avocat Emmerich (Louis Calhern), patron de fait du tripot, s’occupera du recel et de la vente du butin. Entre « imprévus » pendant le casse (une alarme qui se déclenche dans un immeuble voisin et va faire se rappliquer tous les flics du bled, et un vigile qui anticipe l’heure de sa ronde) et l’avocat véreux, forcément véreux, qui va essayer de doubler tout le monde, l’aventure se terminera mal et le plus souvent très mal pour tous les protagonistes de l’affaire. Des films avec ce genre de scénario, il doit en sortir trois douzaines par mois, aussitôt vus, aussitôt oubliés. Sauf qu’avec « Quand la ville dort », on a une œuvre majeure.

Jaffe, Hagen & Hayden

Dans le film noir, y’a toujours une ou des nanas qui entraînent les héros vers leur perte. Ici, il y en a deux. La première c’est la cocotte entretenue par Emmerich, jouée par la quasi débutante devant les caméras, une certaine Marilyn Monroe (Angela). Ecervelée pas méchante pour deux sous, mais d’une frivolité emplie de rêves qui coûtent cher (un voyage sentimental à Cuba, en ces temps-là villégiature de vacances des riches américains), elle provoquera l’irréparable chez Emmerich. Monroe n’est présente que pour deux scènes, la première vêtue d’un ensemble écossais informe à gros carreaux mais qui laisse apercevoir quand elle fait demi-tour une silhouette callipyge promise à un bel avenir. Dans la seconde scène elle minaude en longue robe bustier et laisse apercevoir son nucléaire potentiel érotique. L’autre femme « tragique », c’est une jeunette qui se trémousse sur du jazz endiablé craché par un juke-box, tout Playtex en avant devant le Doc qui ne peut s’arracher à ce spectacle, a même remis une pièce dans la machine, et les trois minutes que durent le titre lui seront fatales. Dans le casting, il y a aussi deux autres femmes. May, l’épouse d’Emmerich (malade ? infirme ?) toujours alitée, qui malgré son état de dépendance physique, garde une emprise sur son mari, démontrant que derrière le vieux beau affairiste et malhonnête, il n’y a qu’une lopette sans caractère. Doll (Jean Hagen), qui semble davantage tirer ses revenus de son corps que d’un travail « honnête », en pince pour Dix (grandiose Sterling Hayden), voit bien qu’il file un mauvais coton, et fera tout pour l’aider à s’en sortir.

Calhern & Monroe

Ce sont les hommes (ceux qui n’agissent que la nuit, quand la ville dort) et leurs interactions qui sont le cœur de l’intrigue. Huston prend du temps (indispensable, pour nous préparer à la tragédie inéluctable qui les guide) pour nous les présenter. Un peu comme dans « Seven », il nous les décrit avec en filigrane leurs péchés capitaux. Le Doc (Sam Jaffe, grand pote à Huston), c’est le besoin de luxure. Il suffit de le voir feuilleter d’un œil gourmand, un calendrier de pinups, pour comprendre que ce besoin de chair jeune et fraîche va être un sacré grain de sable dans sa trajectoire. Dix, c’est le jeu. Il est redevable à Cobby (et donc Emmerich) d’un gros paquet de dollars parce qu’il est fou de courses hippiques sur lesquelles il joue gros. Il avouera à Doll que son rêve c’est de revenir plein aux as au pays (le Kentucky) pour racheter la ferme de son paternel éleveur de chevaux. Un rêve qu’il exaucera très fugacement (magnifique dernière scène, pour une fois en plein jour, qui le verra s’effondrer au milieu de chevaux dans un enclos). Emmerich, lui, est cupide. Il a installé Angela comme une princesse, a toujours besoin de grosses sommes pour l’entretenir, se retrouve en faillite quand tout le monde le croit très riche, et en vient donc à essayer de doubler les braqueurs qu’il « sponsorise ». Cobby, c’est la lâcheté qui le perdra. Quand Dix lui demande un délai pour rembourser, il s’écrase, et quand un flic, pourtant véreux et corrompu jusqu’à la moelle lui file une paire de baffes, il se met à chialer comme un gosse et balance les braqueurs. Effet domino, tomberont avec lui le chauffeur (un barman solitaire qui préfère la compagnie des chats à celle des hommes), le perceur de coffres (rangé des voitures, mais qui fait ce dernier coup pour pouvoir soigner son gosse malade), Emmerich, Dix, le Doc, le flic ripou …

Ripoux contre ripoux ?

La présentation des personnages pourrait paraître longue (le braquage intervient peu ou prou au milieu du film) mais est essentielle pour comprendre la mécanique infernale guidée par leurs pulsions qui va s’enclencher et les perdre. Chef-d’œuvre de mise en scène d’entrée, la présentation de Dix. La pénombre, de grandes avenues miséreuses et désertes, une voiture de police qui patrouille, et Dix qui se cache dans des encoignures obscures, derrière des piliers pour ne pas se faire repérer. Sans la moindre parole prononcée, on voit tout de suite à qui l’on va voir affaire. Cette nuit, c’est le décor intangible du film. C’est le biotope des malfrats, alors que le jour appartient aux honnêtes gens.

D’une certaine façon, « Quand la ville dort » est un film moral. Les mal intentionnés finissent mal, la loi et l’ordre peuvent triompher (voir le chef de la police qui plastronne devant une meute de journalistes). « Quand la ville dort », j’en ai causé au-dessus, est un film psychologique, qui dissèque ces mécaniques de l’âme compliquées qui font dérailler les entreprises méticuleusement élaborées. Mais c’est aussi (surtout) un vrai polar tragique, avec ses scènes pleines de suspens (les braqueurs vont-ils s’en sortir quand les sirènes des alarmes mugissent ? comment va se terminer le face-à-face à quatre entre Emmerich, son homme de main d’un côté, Dix et le Doc de l’autre, et un sac plein de bijoux entre eux ? Doll réussira t-elle à sauver Dix ? le Doc échappera t-il aux flics et atteindra-t-il Cleveland ? …)

Chef-d’œuvre essentiel …





BILLY BRAGG - TALKING WITH THE TAXMAN ABOUT POETRY (1986)

 

Prolétaires de tous pays etc ...

Billy Bragg, c’est un peu le dernier troubadour. Un genre en voie de disparation (disparu ?), un descendant des Jonathan Richman, du Dylan des débuts, de tous ceux qui y ressemblent, et des vénérables ancêtres Pete Seeger et Woody Guthrie. Parenthèse : avec les géniaux Wilco, il mettra en musique des textes de Guthrie inédits (l’indispensable « Mermaid Avenue » et sa suite « Mermaid Avenue 2 » moins cruciale).

Billy Bragg est apparu sur la scène musicale anglaise au début des années 80, et évidemment pas dans l’air du temps. En plus d’être un folkeux engagé, il se double d’un romantique sentimental (il est amoureux d’Ingrid Bergman, oui, celle de Casablanca et un temps Mme Rossellini, amour platonique puisqu’elle est morte alors qu’il commençait sa carrière). Comme si ça ne suffisait pas pour faire de lui un cas social assez atypique, il va faire dans la politique, au sens noble du terme. Avoir la vingtaine dans les années Thatcher, ça a quand même tendance à radicaliser le propos …

Billy Bragg à l'ombre de Lincoln

Avec Paul Weller (ex Jam, à ce moment-là Style Council) et Jimmy Sommerville (ex Bronski Beat et là dans les Communards), Bragg va fonder le Red Wedge, au départ mouvement artistique de soutien au Labour Party, qui, plus Miss Maggie faisant des ravages sociaux, plus il attirera de monde, culminant par des tournées sous étiquette Red Wedge de nombreux artistes ayant rejoint le mouvement avant les législatives de 1987 qui se traduiront par … une victoire écrasante des conservateurs thatchériens (la troisième consécutive, un record).

Quand paraît « Talking with the taxman about poetry », joli titre de disque, discuter poésie avec un contrôleur des impôts, c’est pas la première chose qui vient à l’esprit quand on est face à l’administration, et ça le sera encore moins quand la Thatcher mettra en place à la fin de la décennie l’ignoble poll tax (qui causera en partie sa perte). « Talking … » dans sa pochette originale était sous-titré « le difficile troisième album ». Bragg commençait à être sinon célèbre du moins connu et il fallait convaincre, encore (plus) et toujours (plus). Et pas se louper …

Comme je connais pas ses deux premières rondelles, je peux pas comparer. Dans icelle, y’a un peu de tout. A mon sens construite comme un vinyle, une première partie plutôt dépouillée dans la grande tradition folk, alors que le final est beaucoup moins rêche, dans une configuration « groupe ». Je vais avancer dans le brouillard, ce qui me changera pas trop de la météo, parce que le Cd de Billy Bragg que j’ai, c’est une réédition avec une rondelle bonus, dont je vous dirai quelques mots si j’y pense. Problème, si ces titres bonus sont assez documentés niveau infos sur le livret, le « Talking … » original, que dalle. Juste les titres des morceaux, aucune info sur ceux qui accompagnent Bragg, pas les paroles des chansons, ce qui est très couillon quand on est face à un gars qui a « du texte ». Un grand majeur dressé à l’attention du label Cooking Vinyl, responsable et coupable de cette réédition. Mais que mes contempteurs se rassurent, c’est pas parce que j’ai rien à dire que je vais fermer ma gueule …

J’ai pioché à droite à gauche (surtout à gauche, toujours à gauche) qu’il y avait sur « Talking … » la présence de Johnny Marr des Smiths, Bragg ayant dans ses débuts ouvert pour la bande à Morrissey, ceci explique cela (mais sur quels titres joue Marr ? mystère mais il y a quelques parties « tranchantes » de gratte, je suppose que c’est lui), et de Kirsty McColl (Mme Lillywhite pour l’état-civil et si vous savez pas qui est Steve Lillywhite, révisez vos années quatre vingt) que même en tendant l’oreille, j’ai pas vraiment réussi à entendre dans les chœurs …

Johnny Marr & Billy Bragg

Donc Billy Bragg sur disque, c’est un mix entre crooner pop, protest singer, et déclameur de slogans marxistes hooliganesques. Ça peut paraître indigeste, mais ça ne l’est pas. Juste parfois un peu décousu …

Le titre qui s’inscruste le plus facilement dans la mémoire est le premier « Greetings for the new brunette », joli single pop en forme d’hymne (ou plutôt d’ode à une certaine Shirley) malgré un accompagnement minimaliste. Autre hommage, cette fois-ci pas à une brunette, « Levi’s Stubbs tears », Levi Stubbs étant pour ceux qui avaient pris musiques électroniques en première langue, le chanteur lead des Four Tops (une vieille obsession anglaise depuis les mods des sixties pour la soul américaine). Bien dans l’air du temps eighties, « The warmest room », avec ses couplets vaguement reggae et les refrains braillés, fait penser à Joe Jackson ou Elvis Costello à leurs débuts. J’aime bien aussi « There is power in the union », hymne-slogan juste accompagné par une guitare solo carillonnante (genre les contemporains Alarm et Big Country) qui évoque aussi la défenestration du « Star spangled banner » par Hendrix à Woodstock. Dans le genre slogan, on a aussi le radical « Ideology » voix très en avant et l’ultime « The home front », protest song linéaire et électrique.

Parfois, ce disque part un peu dans tous les sens, comme la reprise façon blues mutant du « Train train » des oubliés et oubliables Count Bishops, « The marriage » sorte de reggae au tempo mariachi qui renvoie aux brûlots sociaux des Specials. Sur un titre (« Honey I’m a big boy now »), un piano remplace la guitare acoustique ou électrique (ou acoustique électrifiée) pour assurer la mélodie lead, un autre a des relents celtiques (« Wishing the days away »), un autre (« Help save the youth of America ») fait penser aux slogans braillards de l’infect « Cut the crap », mais Bragg s’en sort mieux (c’est plus dépouillé, sur un tempo proche de celui de « Bankrobber ») que le bon vieux Joe Strummer et les bourrins qui l’accompagnaient pour ce dernier tour de piste honteusement étiqueté Clash.

Singin' in the rain Billy Bragg live

« Talking … » n’a rien de transcendant, n’est nullement indispensable, c’est juste un bon disque « militant » avec à la louche une moitié de titres plutôt pas mal, le reste relevant de l’anecdotique.

La rondelle bonus contient outre quelques démos et versions alternatives une paire de titres basés sur un duo guitare acoustique – mandoline (Bragg et un certain Hank Wagford) deux reprises, une de l’inévitable Woody Guthrie (« Deportee ») et une autre assez décalée du « Sin City » des Flying Burrito Brothers. Rien de réellement superflu, mais rien de renversant non plus.

« Talking … » c’est le genre de disques qui traverse mal les années. Nul doute qu’il était beaucoup plus important, voire d’une certaine façon crucial en termes d’engagements militants au moment de sa sortie. Presque quarante ans plus tard, il est évidemment beaucoup moins dans l’air du temps … A ranger à côté de la VHS du Live Aid …



Du même sur ce blog :

LARS VON TRIER - ANTICHRIST (2009)

 

Chemin de croix ...

« Antichrist » de Lars von Trier est un film qui suscite des réactions très variées, tant par son contenu que par sa forme. Ce long-métrage, sorti en 2009, est souvent décrit comme une œuvre provocante et dérangeante, mêlant horreur psychologique et drame existentiel.

D'un côté, certains critiques saluent la manière dont von Trier aborde des thèmes profonds tels que la douleur, la perte et la nature du mal. Les performances de Charlotte Gainsbourg et Willem Dafoe sont souvent mises en avant, leur intensité émotionnelle apportant une profondeur au récit. La cinématographie, avec ses images saisissantes et symboliques, contribue également à créer une atmosphère oppressante et troublante.

Cependant, le film a également été critiqué pour sa violence graphique et son approche parfois jugée misogyne. Les scènes explicites peuvent choquer et déranger, ce qui peut amener certains spectateurs à se sentir mal à l'aise ou à rejeter le film. De plus, la narration non linéaire et les éléments symboliques peuvent laisser certains spectateurs perplexes, rendant l'expérience cinématographique difficile d'accès.

En somme, "Antichrist" est un film qui ne laisse pas indifférent. Il peut être perçu comme une œuvre d'art audacieuse et réfléchie ou comme une provocation gratuite, selon la sensibilité de chacun. C'est un film qui invite à la réflexion et à l'interrogation, mais qui nécessite une certaine ouverture d'esprit pour en apprécier pleinement les nuances. »

Von Trier & Dafoe

Ah que voilà une analyse centriste, on sort tous les parachutes. Bon cette critique est signée Chatgpt, j’avais jamais testé l’A.I., et j’ai vite compris que n’importe qui avec trois neurones connectés sortira quelque chose de moins neuneu … Alors cher Chat etc …, voici ma contribution.

Allons droit au but comme on dit à La Jonquera. « Antichrist » est une purge, une vraie. Prétentieuse, grotesque, malsaine, et je pourrais continuer la liste. Ce qu’on voit et entend à l’écran, et pire, ce que ça sous-entend apportera une citerne d’eau au moulin de ceux qui aiment pas Lars Von Trier … moi, perso, je m’en fous de Von Trier, de ses dépressions à répétition, de ses problèmes de bibine, de ses déclarations douteuses. J’aimerais pas boire une bière avec lui, c’est un type qui m’intéresse pas.

Ses films, par contre j’en ai vu quelques-uns. De ses premiers « dogmatiques » jusqu’à ces démonstrations techniques dont « Melancholia » me semble être l’apogée.

La fille de Serge
« Antichrist » se présente sous des atours chiadés. Du gros travail sur le son, encore plus sur les images. Du noir et blanc très contrasté et hyper ralenti du « prologue », à son pendant, le ralenti en moins dans les dernières images, en passant par du traitement numérique high tech (les optiques lensbaby, genre de fish-eye à l’envers, l’insertion d’images subliminales, les bords de cadre mouvants, les rajouts ou effacements numériques, …), ça a du sens, ça voudrait prouver que le taf est pas bâclé …

J’ai poussé la conscience professionnelle (ou conscience bénévole plutôt) jusqu’à m’offrir (pour pas cher du tout d’occase) une version Dvd avec pléthore de bonus et d’extras, il faut deux disques pour tout caser. Premier truc intrigant, alors que Arte a mis des sous dans la production du film, c’est M6, pas vraiment réputée pour ses choix cinématographiques pointus, qui édite les deux rondelles. Chacun en tirera les conclusions qui s’imposent (ou pas). On a droit au commentaire audio du film par Von Trier, interviewé par un critique (et surtout fan) anglais. Le Lars a pas grand-chose à dire (peur du dérapage ?) et tape en touche genre « j’avais pas pensé à ça, là c’est juste pour plaisanter, c’est pas moi qui tenais la caméra, ça c’est juste un hommage, … ». Dans le genre langue de bois de SAV, Charlotte Gainsbourg fait dans la marqueterie d’art pendant une interview promo de trois-quarts d’heure quelques temps après avoir reçu le prix d’interprétation féminine à Cannes (pour son talent ? pour son courage ? son inconscience ? sa démarche suicidaire ?) pour son rôle dans le film, où non, franchement, elle ne pense pas du tout que le film soit choquant ou véhicule une image hyper misogyne de la femme … Bon soit. Passons et attachons-nous à ce qu’on voit à l’écran.


Première séquence (en hyper ralenti donc, genre clip « torride » de George Michael). On y voit un couple (Willem Dafoe et Charlotte G.) faire l’amour nu sous la douche. Avec pendant quelques secondes un gros plan du machin qui rentre dans le truc (effectué par des hardeurs). Arrêt sur image. C’est quoi l’utilité de ce gros plan X ? Peur que les gens comprennent pas ce qui se passait, ou première provoc totalement gratuite ? Et pendant que le couple se livre à une partie de va-et-vient comme ils disent dans « Orange mécanique » leur bambin de deux-trois ans ouvre les barrières de son lit, monte sur le rebord de la fenêtre, bascule dans le vide et va s’aplatir sur le bitume enneigé quelques étages plus bas.

Séquence suivante, image couleur classique à l’enterrement du bambin (bonne idée, procession filmée depuis l’intérieur du corbillard) et là, Charlotte (comme dans « Hiroshima mon amour », le couple n’a ni nom ni prénom) s’effondre. Des jours plus tard, elle reprend ses esprits à l’hôpital, on comprend qu’elle a complètement dévissé émotionnellement et psychologiquement. Ça tombe bien, Dafoe est thérapeute et va l’aider à remonter la pente. Pas l’idéal, c’est lui-même qui le dit, un thérapeute ne doit pas soigner un proche ni baiser avec son patient, et donc il va commettre deux fautes professionnelles.

Et avoir une très mauvaise idée. Le couple va partir se retirer au milieu des bois dans une cabane coupée du monde. Et là tout va déraper. Et pas qu’un peu ... Arrêt sur image. Ce qui va survenir dans cette cahute en rondins c’est encore plus con que ce qui arrive aux promeneurs dans « Evil dead », film qui au moins revendiquait la grosse blague gore. « Antichrist » vise plus haut que « Evil dead », c’est pas dans la cave qu’il faut pas aller, ici c’est dans le grenier, et « Antichrist » n’est évidemment pas un hommage au film qui a rendu célèbre Sam Raimi. « Antichrist » est dédié, accrochez-vous, c’est inscrit après la dernière image, à Tarkovski. Pourquoi ? Accrochez-vous bis, c’est le Lars qui le dit, parce que Tarkovski est son cinéaste préféré (soit), parce qu’il y a beaucoup de scènes en forêt (ouais, comme dans « Stalker », mais c’est pareil dans tous les Tarzan ou « Délivrance ») et parce qu’à moment donné … il pleut (parce qu’il pleut souvent dans les films de Tarkovski, mais dans « Seven » ou « Limbo » aussi, et encore plus, et c’est pas des films de Tarkovski).


Par contre ce que vous verrez pas dans la filmo de Tarkovski et que vous verrez en gros plan dans « Antichrist », c’est une espèce de torture porn à base de coups de bûche sur le gourdin, de perçage de mollet à la chignole rouillée, de fixation d’une meule au dit mollet, de plantage de ciseaux dans le dos, pour finir par une excision en très gros plan, avant strangulation définitive. Le tout entrecoupé de copulations frénétiques et d’images d’animaux sauvages en voie de putréfaction, de bras et de jambes sortant des racines d’un arbre, un renard qui parle … et pourquoi donc tout ça me direz-vous, pour démontrer quoi ?

Oh, un truc bien basique, bien vieux et bien rance. Que la femme est par nature hystérique, et peut être facilement possédée (non, pas dans ce sens, bande de pervers, dans l’autre, par le démon). Et pour que ce soit bien évident, Von Trier nous dissèque tout ça dans sa cabane dans les bois (hommage littéral de ma part à un autre nanar horrifique). Construisant pas à pas, plan par plan, sa théorie misogyne qui voit la Charlotte passer de la prostration à l’abattement, aux visions, à la perte de contrôle, à l’échafaudage secret de plans diaboliques, aux pétages de plombs hystériques du final, le tout servi par des indices grotesques (le « souffle » de Satan par la fenêtre ouverte, les manuels de sorcellerie planqués, les passages à l’acte, jusqu’à sa fin « flamboyante »). Sans oublier les théories fumeuses des « trois mendiants » (la corneille, la biche et le renard, manquait plus que la belette pour se croire dans une chanson de Manau), les pluies de glands (non, non, ceux qui tombent du chêne), et jusqu’à la dernière scène de nouveau en noir et blanc où une foule de femmes sans visage monte sur une colline dans la forêt.

« Antichrist » est un film prétentieux. Visuellement réussi. Mais c’est surtout un film très con … A fuir … J’espère au moins que ça a aidé Von Trier à sortir de sa dépression à lui …


Du même sur ce blog :

Breaking The Waves
Les Idiots


PLACEBO - 1973 (1973)

 

Le piège ...

Bon, inutile de faire de trop longues présentations. Même s’ils sont un peu passés de mode, Placebo, c’est-à-dire Brian Molko et ses deux (?) potes ont pas mal fait parler d’eux à la fin du siècle dernier, avec leur britpop à tendance glam, allant même, reconnaissance suprême, jusqu’à partager un titre avec David Bowie. Et donc, fidèles à eux-mêmes, avec une obstination qui force le respect, ils intitulent leur disque « 1973 », millésime glam de référence …


Bon, en fait non … Compteurs à zéro, on reprend.

Comme Nirvana, Placebo fait partie des groupes connus dans les nineties, et qui ont eu une formation homonyme qui a sévi avant eux. Les Placebo dont au sujet duquel je vas vous entretenir sont un groupe de jazz fusion belge. Jazz … fusion … et belge … on est mal, chef, on est mal …

Et après écoute minutieuse, je confirme, on est mal. Bon, faut un peu relativiser. Dans ce genre, des rondelles pires, j’en ai connues. Ici, on est face à une famille nombreuse souvent fortement marquée par Blood, Sweat & Tears, vous savez cette fanfare pléthorique de « techniciens » fondée par Al Kooper. Le Al Kooper de Placebo il s’appelle Marc Moulin, Belge de son état, et contrairement à Kooper, il partira pas avant d’avoir fini d’enregistrer le premier disque, Moulin, c’est l’âme de Placebo, c’est lui qui compose et arrange tous les titres. Douze personnes figurent au générique de « 1973 » dont cinq cuivres au assimilés (une clarinette), une paire de bassistes (qui se remplacent au fil des titres) un trio de batteurs (ils ont souvent deux sur les titres), un guitariste (sur un seul morceau, fans de Jimi passez votre chemin), et donc le Moulin susnommé aux claviers et synthés.

A la louche, y’ a deux lignes directrices dans cette rondelle. La première, voir plus haut, c’est en gros Blood, Sweat & Tears qui aurait plus ou moins abandonné ses accents rhythm’n’blues pour aller fouiner du côté du jazz fusionné par Miles Davis et tous ses disciples, malheureusement fort nombreux à l’époque. Et comme en ces temps-là, on raisonnait en termes de face vinyle, quand on retourne le plastoc noir, on a des titres pour faire simple plus atmosphériques (le dernier « Re-Union » est l’œuvre de Moulin seul avec ses machines, et ça évolue entre Floyd planant et machins plus invertébrés genre Tangerine Dream).

Marc Moulin

Moi j’aime bien (on se refait pas, hein) le seul titre où on entend une guitare, « Polk » il s’appelle, le gratteux joue funky, ça ressemble à du Curtis Mayfield (la B.O. de « Superfly »). Sur cette face-là, « Red Net » est supportable, rythme alangui, genre comédie musicale triste. « Only nineteen » soit j’en dis rien, soit du mal …

Revenons à la première face. « Bolkwush » c’est du Blood etc … instrumental (comme sur tout le disque, personne ne se hasarde à pousser la goualante derrière le micro, ça vaut peut-être mieux ainsi) dans la formule sonore, sans le côté soul et rhythm’n’blues des Ricains, « Temse » me paraît avec ses deux batteurs synchrones comme une visite du côté des rythmes motorik chers aux groupes teutons de l’époque, sauf que la famille nombreuse de cuivres vient parasiter tout le machin. On a droit à un titre live (« Phalène »), bonne surprise parce que c’est cool, construit, sobre, et surtout sans les farineux solos tous azimuts de mise dans le genre. « Balek » qui suit, c’est quasiment à l’opposé un machin où beaucoup de monde joue en même temps, mais pas forcément ensemble.


A noter que ce « 1973 » a bénéficié d’une réédition cossue (vinyle 180 grammes) par le label Music On Vinyl, spécialisé généralement dans les œuvres « culte », c’est-à-dire de prétendus chefs-d’œuvre oubliés qu’il convient de réhabiliter en grandes pompes sonores. Il me semble pas que « 1973 » réponde à tous ces critères, son écoute va pas provoquer des épiphanies de masse.

Quant à ce Placebo-là, sa carrière sera brève, trois ou quatre ans pour trois disques, et malgré la parution d’un disque live et d’un album tribute par d’obscurs jazzeux belges (?) ces dernières années, son parcours est bel et bien terminé, son âme Marc Moulin étant décédé après avoir eu une petite célébrité dans les 80’s grâce à Telex, groupe pastiche des groupes à synthés fort en vogue à l’époque …


ROBERT ZEMECKIS - FORREST GUMP (1994)

 

Born to run ...

Parce que « Born to run » ça peut servir de résumé en trois mots du film. Et aussi parce que la masterpiece du Boss est la chanson qui manque dans la B.O., notamment quand Forrest Gump fait son marathon across the U.S.A. Question, Springsteen serait-il plus dur en affaires pour les autorisations sur ses titres que les rescapés et ayant-droit des Doors, qu’on entend trois fois dans « Forrest Gump », parmi les 45 titres de la B.O. ?

Zemeckis & Hanks

Tout ça pour dire que « Forrest Gump » est aussi un film qui s’écoute, même si les extraits musicaux sont souvent réduits à quelques secondes, et en sourdine au fin fond du mix sonore. Je vais vous dire, le tracklisting de la B.O. aurait pu être celui d’un film signé Scorsese. A une exception (majeure) près : dans « Forrest Gump » rien que des titres américains des fifties au tout début des eighties, qui illustrent chronologiquement l’histoire (à quelques pains temporels près, par exemple quand Forrest arrive en 67 au Vietnam, on entend « Fortunate son » de Creedence, sorti deux ans plus tard). C’est là tout l’a priori étrange de ce film, comment a-t-il pu être un immense succès mondial alors que plus américain tu peux pas, l’histoire d’un simplet de l’Alabama qui par hasard se trouve dans des situations, des endroits, en face de personnages qui ont fait l’Histoire, Histoire qu’il influence, en initiant Elvis à sa danse pelvienne désarticulée, en soufflant les paroles de « Imagine » à John Lennon, en téléphonant à la police pour signaler un cambriolage au Watergate Hotel, sans parler de ses « rencontres » avec JFK, Lyndon Johnson, Nixon ?

« Forrest Gump » vient d’un roman « récréatif » du même nom d’un historien, scénarisé par Eric Roth dont ce sera la première adaptation plébiscitée (il bossera par la suite pour des « grosses machines » réalisées par Michael Mann, Spielberg, Fincher, Villeneuve, …). Pour « Forrest Gump », seront portés aux nues les noms de Robert Zemeckis et Tom Hanks. Les deux ne sont pas des débutants, le premier vient de réaliser « … Roger Rabbit » et les deux premiers volets de « Retour vers le futur ». Hanks a déjà beaucoup tourné, et bien souvent n’importe quoi (avec même un Oscar pour le navrant « Big »), avant de vraiment capter l’attention avec ses deux derniers films, « Nuits blanches à Seattle » et « Philadelphia ». Pour Zemeckis et Hanks (premier choix de la production), « Forrest Gump » amènera la consécration définitive.

Hanks & Wright

Hanks est parfait dans le rôle du simplet parfois génial, comme une version exubérante de Hoffman dans « Rain Man », avec sa vision rousseauiste (l’homme est naturellement bon, c’est la société qui le pervertit). Je suis généralement pas très fan de son jeu sans aspérités et des personnages qu’il a tendance à ramollir, affadir pour qu’ils suscitent de la pitié larmoyante, mais force est de reconnaître que dans « Forrest Gump » toutes les récompenses et nominations prestigieuses qu’il obtiendra sont bien méritées.

Et le reste de la distribution se hisse à son niveau de Sally Field (la mère), à Robin Wright (l’amour de sa vie) en passant par Gary Sinise (son supérieur au Vietnam) ou l’extraordinaire Mykelti Williamson (Bubba, son « jumeau » noir).

Tout ceci ne serait pas aussi fort sans la Zemeckis touch. Il a du pognon pour tourner, et va l’utiliser. Pas pour les extérieurs, une grosse partie du film a été tourné dans un tout petit périmètre (à Savannah en Géorgie, et le Vietnam dans une zone marécageuse de Caroline du Sud toute proche). Mais surtout Zemeckis va utiliser toutes les techniques numériques de pointe. Beaucoup de scènes se feront devant un rideau vert, notamment quand intervient Sinise amputé de ses deux guiboles, les ordinateurs tourneront plein pot pour les effets de mouthmorphing (faire bouger les lèvres en fonction des dialogues « revisités » des Kennedy, Johnson, Lennon et autres), pour rajouter des balles de ping-pong (non, Hanks n’est pas devenu un des frères Lebrun, il ne fait qu’agiter la raquette dans le vide). Les effets spéciaux dernier cri ont simulé des balles traçantes, des lâchages de napalm, des foules dans les stades ou au mémorial Lincoln … Deux anecdotes. Tout n’est pas retouché, certaines scènes historiques ont été recréées avec des figurants (il n’y avait pas de films à bricoler, juste des photos qui témoignaient de l’événement). Une scène très longue à tourner fut la partie de ping-pong en Chine. L’adversaire de Hanks était un Sud Coréen parmi les tout meilleurs mondiaux. Comme il n’y avait pas de balle, les deux devaient mimer la partie. Hanks y arrivait sans problème, mais le pro n’arrivait pas à se synchroniser avec une balle imaginaire, c’est à cause de lui que d’innombrables prises ont dû être faites …

Zemeckis a réussi à virer Yoko Ono ...

Visuellement, « Forrest Gump » est à la pointe de la technologie. Mais c’est surtout un film finement drôle. Zemeckis se tient loin des gags cartoonesques de « … Roger Rabbit » ou de ceux plutôt lourdauds de « Retour vers le futur ». Mentions particulières au personnage de Bubba, sa lèvre pendante et son obsession pour la pêche aux crevettes et la façon de les cuisiner, et à la scène devenue culte où Robin Wright chante seulement « vêtue » d’une guitare acoustique « Blowin’ in the wind » dans un bouge à strip-tease. Les allusions sont parfois pointues, quand Hanks pousse Sinise dans son fauteuil roulant au milieu des taxis dans une rue enneigée de New York, c’est un hommage-pastiche d’une scène de « Macadam cowboy » similaire avec Dustin Hoffman et John Voight, et on y entend la même chanson (« Everybody’s talkin’ » de Harry Nilsson) que dans le film de Schlesinger.

Pour moi, c’est le final de « Forrest Gump » (en gros les vingt dernières minutes) qui est le moins réussi. Le ton change, on n’est plus dans l’ironie, on touche à des sujets graves (le Sida), et on dérive vers le pathos larmoyant, en rupture assez (trop ?) franche avec les deux heures précédentes. Tellement flagrant que c’est évidemment voulu, mais que les ficelles émotionnelles sont bien grosses. Ces dernières bobines permettent d’apercevoir dans le rôle du fils de Forrest Gump le tout jeune Haley Joel Osment, futur premier rôle des blockbuster « Sixième sens » et « A.I. Intelligence Artificielle » (avant qu’il aille tourner des nanars passés sous les radars, mais c’est une autre histoire).

Sinise, Williamson & Hanks

La plus grosse surprise étant que « Forrest Gump » reste un film accessible (à condition d’avoir un QI supérieur à 75) alors qu’a priori cette visite loufoque dans l’histoire politique et sociale des sixties et seventies américaines pourrait sembler assez hermétique. Mais tout passe, surtout si l’on fait attention aux monologues intérieurs de Gump, bien souvent aussi drôles que les scènes qui l’encadrent …

Ce qui fait que « Forrest Gump » me semble faire partie des rares films qui se bonifient à chaque nouveau visionnage …

Anecdote : « Forrest Gump » a été un succès mondial, a gagné plein d’Oscars, et forcément, bien des gens ont attendu une suite (ils avaient pas compris que l’histoire était terminée). Les rumeurs sur cette suite se sont soudainement amplifiées il y a quelques mois quand on a appris que Zemeckis tournait un film avec dans les deux rôles principaux Tom Hanks et Robin Wright. Raté, « Here » n’est évidemment pas la suite de « Forrest Gump » …