MOLINA TALBOT LOFGREN YOUNG - ALL ROADS LEAD HOME (2023)

 

Chevaux (Fous) de retour ...

En préambule et en guise d’avertissement, il y a un piège dans ce disque. Parce que, hein, avouez que vous y avez cru. Voir accolés à la suite les noms de Ralph Molina, Billy Talbot, Nils Lofgren et Neil Young, on pense bien évidemment à un disque du Canadien et de ses comparses, avec une coquetterie littéraire qui a juxtaposé leurs noms au lieu d’un habituel Neil Young & Crazy Horse. Ben non, vous avez tout faux.

Ralph Molina

Ce « All roads lead home » c’est une compilation au sens le plus strict du terme. Et pas une compilation de ce que les quatre ont fait paraître ensemble. Non, une compilation de titres solo enregistrés par les papys (ben oui, comment voulez-vous les appeler, ils ont 308 ans à eux quatre au moment de la parution du disque) lorsqu’ils étaient bloqués chez eux pendant la pandémie du Covid. Le pire est quand même évité, ils ont beau être vieux, ils savent (ou quelqu’un dans la baraque sait pour eux) se servir d’internet, ont fait circuler des fichiers à des potes ou à leur band, chacun à rajouté sa partie instrumentale, et on n’a pas à se farcir dix titres acoustiques …

Quoique … Neil Young, que l’on a connu moins chiche (voir la cadence effrénée à laquelle il sort de nouveaux trucs ou fait paraître ses archives musicales), balance seulement une version acoustique (guitare, harmonica, voix) de « Song of the seasons », titre paru en version « orchestre » sur une de ses dernières rondelles « Barn ». Rondelle que j’avais oublié d’écouter (Neil Young a tendance depuis bien trente ans à faire du Neil Young d’avant, en moins bien). Une fois le titre original youtubé, verdict : la version de « Barn » est meilleure que celle de « All roads … » qui rajoute une minute et demie à la version d’origine de six minutes, pas vraiment concise … Au mieux un fonds de tiroir, au pire du remplissage tendance foutage de gueule …

Billy Talbot

Les trois autres se montrent moins chiches, et a priori nous honorent de titres originaux (difficile de savoir pour Nils Lofgren, que ce soit en solo ou avec d’autres, il a dû sortir trois cents douzaines de disques) avec un remarquable esprit d’équité (trois titres chacun). Autant en venir à la conclusion, l’ensemble est assez décevant.

Pourtant, on a affaire à trois types qui ont quand même fréquenté deux backing bands parmi les meilleurs des douze derniers siècles (Crazy Horse pour les trois, le E Street Band en plus pour Lofgren).

Les trois vieux ont au moins deux problèmes majeurs. Ils ont peu composé (oui, je sais, Lofgren et sa kyrielle de disques, les meilleurs sont ceux des débuts, dans les seventies, j’en ai une paire que j’écoute jamais, et je dois pas être le seul), et on peut pas dire qu’ils avaient des titres fulgurants sous le coude à glisser sur « All roads … ». Pour finir de gâter la sauce, tous les trois n’ont plus de voix, si tant qu’ils en aient eu une un jour. A ce jeu, le pire est Ralph Molina.

Nils Lofgren

Le problème, c'est que ces trois vioques, ils ont joué tellement de fois tellement de bons morceaux dans leur vie, qu’il en reste forcément quelque chose. Et surtout dans un registre classic rock, ballades pépères, mid tempos enjoués, des trucs avec une intro, des couplets, un refrain, un p’tit solo quand il faut (Lofgren est le plus démonstratif à la guitare, même s’il n’y a rien qui donne envie de balancer les superlatifs). Molina est celui qui compose le mieux, ses titres sont intrinsèquement les meilleurs, mais bon, le malheur c’est qu’il chante. Lofgren est le plus concis, dépassant rarement les trois minutes, et se conduisant en Rémy Bricka du folk-rock-machin. Il joue de tous les instruments sur ses trois titres, avec le renfort sur un titre d’un autre Lofgren (son frère ? son fils ?) et d’un bassiste sur un autre morceau. Et Talbot, sans faire de vagues ou crisser les pneus, nous sert trois morceaux centristes, dont à mon avis le meilleur de la rondelle, ce « Rain » (rien à voir avec l’homonyme des Beatles) placé en ouverture.

Outre ce « Rain », qu’est-ce qui mérite qu’on jette une oreille distraite sur ce disque ? « It’s magical » de Molina qui n’est pas spécialement magique (et cette voix !), est cependant une jolie ballade up tempo, « Cherish » de Talbot accroche grâce à son intro hendrixienne, avant de tourner vinaigre, la faute à un tempo mollasson inadapté à la stridence des guitares. A demi convaincante aussi, une autre compo de Molina, « Just for you », jolie ballade triste avec son sax pleurnichard.

Neil Young

Les rares bonnes choses sont le « Rain » déjà évoqué, le « Fill my cup » de Lofgren qui grâce à une rythmique vaudou-tribale, amène un peu d’originalité à un ensemble prévisible et ronronnant, et l’assez concerné mid tempo rock de « Look through the eyes of your heart » de Molina.

Ce qui fait quand même assez peu pour des types dont le nom clignote en haut de la chose folk-rock depuis des décennies. J’aurais aimé tartiner des feuillets pour dire du bien de cette rondelle qui n’apportera rien à l’œuvre de ses auteurs. Il faudra certainement attendre qu’ils sortent un disque où ils jouent vraiment ensemble pour trouver quelque chose de consistant à se mettre entre les oreilles …




JOHN HUSTON - GENS DE DUBLIN (1987)

 

The final cut ...

John Huston est un géant du cinéma. Avis ferme, définitif et surtout incontestable. De son premier film (« Le faucon maltais », rien que ça), à « L’honneur des Prizzi » son dernier en date, il a une filmographie éloquente quand il s’attaque à « Gens de Dublin ».

John Huston, Anjelica Huston & Donal McCann

Sauf que là, il est face à quelques problèmes. Il sait, rongé par la maladie depuis des années, que « Gens de Dublin » sera son dernier film. D’ailleurs, il sera mort avant que son film sorte en salles à l’automne 1987. Et cette mort qu’il voit venir, elle est au centre du film. D’ailleurs en V.O. il s’appelle « The dead », ce qui est assez peu elliptique.

Le film est adapté d’une nouvelle éponyme de James Joyce, retranscrite à quelques détails près de façon très fidèle. Comme chacun (?) le sait Joyce était Irlandais, très attaché à son pays, et Huston a tenu à ce que le film soit tourné en Irlande, avec une très grosse partie du casting irlandais. Seule sa fille Anjelica et un petit second rôle anglais ne sont pas des locaux. Sauf que tout ne se passera pas comme prévu. Huston est en fauteuil roulant, sous oxygène, et seuls les quelques rares extérieurs seront tournés à Dublin et sa proche campagne par son fils Danny. Son état de santé de plus en plus en plus dégradé obligera toute l’équipe du film à tourner dans des studios californiens. C’est à ce genre de détails qu’on reconnaît l’obstination de Huston, parce que quasiment tout le film se passe en intérieurs, mais il aurait voulu que cette histoire intimiste située par Joyce dans le Dublin de 1904 soit tournée en Irlande.


« Gens de Dublin » est un film crépusculaire. Et pas seulement parce qu’il se passe pendant une soirée et une nuit. Même si le titre trouvera son explication rationnelle dans les dernières scènes, tout ce qui a précédé nous montre un monde agonisant.

Le jour de l’Epiphanie 1904, comme chaque année ce jour-là, des invités se rendent dans une maison de petites bourgeoises, chez deux sœurs d’au moins la soixantaine et leur nièce. Soirée qui se veut mondaine, où se presse une société qui s’est mise sur son 31 pour l’occasion. Convives plutôt âgés, la moyenne étant un peu abaissée par la présence de quelques jeunes (mais plutôt vieux dans leurs têtes), venus là pour tâter du piano, chanter et danser. Evidemment, on n’est pas dans l’ambiance rave party, la musique c’est du classique ou du religieux, idem pour les danses, chants et poèmes qui occupent l’assistance (une quinzaine de personnes au total), le temps que tous les convives arrivent et boivent un verre (ou plusieurs, on y reviendra) avant de passer à table.

Très vite, hormis les trois maîtresses de maison, quatre personnes sont mises en avant : un couple, les Conroy (Anjelica Huston et Donal McCann), Freddy (Donal Donnelly) le fils d’une amie de la famille, et Dan Browne (Dan O’Herlihy) un protestant, seul au milieu de tous les cathos. On voit vite que chez les Conroy on s’épie, on se surveille et que tout ne va pas pour le mieux dans le couple, que Freddy, ivrogne réputé est déjà bourré en arrivant, et que le vieux Mr Browne lève facilement le coude à l’apéro.


Quand tout ce petit monde passe à table, on pourrait s’attendre, comme plus tard dans l’extraordinaire « Festen » de Thomas Vintenberg, à ce que tout parte en vrille. Mais on sait se tenir chez les petits bourgeois de Dublin en 1904. Et chacun y va de sa petite minauderie, sa petite digression, son discours pompeux et ringard, pour maintenir toute la bienséance qui s’impose. Ce qui scénaristiquement est fort bien vu, mais laisse l’impression (le titre en V.O.) qu’il y a un « ancien monde », corseté dans ses traditions qui est en train de mourir. Une femme invitée ancienne amante de Conroy, part avant le repas, pour aller assister à une réunion « politique » (républicaine irlandaise ? suffragette ?). Toute cette assemblée, percluse par ses règles d’un autre siècle, on la sent prête à disparaître, la plupart sinon la totalité des discussions, resassent que oui, c’était bien mieux avant (la plupart des convives sont férus de musique et de chanteurs classiques, Caruso suscite chez eux bien d’interrogations dubitatives, alors que les vieilles gloires chantantes locales sont évoquées avec des trémolos dans la voix).

Il faut bien avouer qu’arrivé dans ces conditions au bout d’une heure (c’est-à-dire aux trois quarts du film), on commence quand même à trouver le temps un peu long. C’est finement joué (la plupart du casting vient du théâtre), mais on voit mal ce qui pourrait raviver l’attention.


Il faut attendre le départ des convives et une chanson traditionnelle poussée par un ténor (la star chantante de la soirée, qui avait jusque là prétexté l’économie de sa voix pour ne pas pousser la goualante), pour voir Mme Conroy se raidir, s’arrêter net dans l’escalier et être fortement troublée par cette rengaine. Dès lors, dans les dernières vingt minutes, Huston se concentrera sur le couple Conroy rentré à son hôtel et on comprendra pourquoi une simple chanson traditionnelle peut faire ressurgir plein de souvenirs, on s’en doute pas forcément gais …

Je connais pas suffisamment la filmo de Huston (y’a du boulot, des dizaines de films) pour l’affirmer catégoriquement, mais « Les gens de Dublin » a peu à voir avec les pièces majeures de son œuvre, au moins au niveau du rythme. Il se passe pas vraiment grand-chose en une heure vingt, et tout le casting disparaît pour laisser Anjelica Huston et Donal McCann dans leur face-à-face. Et là on retrouve cette fascination pour les personnages tragiques qui comptent tant chez Huston.

Renforcé par la décence qu’imposait la mort de Huston, « Gens de Dublin » a reçu un bon accueil (critique, c’est pas avec des films comme ça que tu remplis les salles). Alors oui, c’est un clap de fin honnête et digne, un bon Huston mais pas un « grand » Huston …


Du même sur ce blog : 


U2 - THE JOSHUA TREE (1987)

 

Zabriskie Point ...

Quand commence la seconde moitié des années 80, U2 écrase toute forme de concurrence en Europe. Les quatre potes Irlandais sont devenus le groupe rock phare du Vieux Continent. Avec une musique pleine d’hymnes aux guitares carillonnantes, un chant tout en lyrisme (pompier disent les détracteurs, détracteurs qui n’ont pas toujours tort), et une production toute batterie en avant qui les fait instantanément reconnaitre au bout de trois mesures. Pour leur défense, on peut aussi dire qu’ils ont tenté (et réussi si l’on s’en tient au strict résultat commercial), un virage assez risqué en allant se faire produire par le Canadien Daniel Lanois et surtout Brian Eno, maltraiteur de sons en chef (leur quand même assez décousu « The unforgettable fire »).

The Edge, Larry Mullen, Adam Clayton, Bono : U2 1987

Avec « The Joshua Tree », les U2 ne changent pas une équipe qui gagne, mais décident de placer la barre beaucoup plus haut, l’objectif après l’Europe étant de conquérir le marché américain, soit devenir the next big thing around the world. Mission accomplie. Et fait assez rare pour être souligné, sans se compromettre éhontément dans le « commercial », et sans rien renier de ce qui avait fait U2 depuis ses débuts. Alors oui, « The Joshua tree » est un disque américain, en tout cas le disque le plus américain de toute la discographie de U2.

Ça commence avec la pochette. Toujours signée Anton Corbjin, en totale rupture avec leurs précédentes. Très arty, à l’opposé du gosse (le même) en gros plan (« Boy », « War »), de la photo passe-partout des quatre (« October »), du vieux château so british envahi par le lierre (« The unforgettable fire »). La photo de « The Joshua tree » a été prise en Californie, dans la désertique Death Valley, et précisément au Zabriskie Point, son endroit le plus célèbre et touristique (et pas seulement à cause du film d’Antonioni). Le joshua tree est un végétal qui pousse dans le coin, à mi-chemin entre l’arbuste et le cactus. Celui qui est au verso de la pochette est devenu un quasi-lieu de pèlerinage (il a fini par crever de soif, et un gros finaud l’a abattu à la tronçonneuse, gros émoi du U2 fan-club).

Joshua Tree Tour 1987

« The Joshua tree », avant même de l’écouter, il suffit de regarder la tracklisting pour voir à quel point ce disque se veut américain. Tous les titres de chansons pourraient être des titres ou des répliques de western. Et ces titres sont agencés dans un ordre particulier derrière lequel il y a une histoire. Si tous les titres ont été produits par Eno et Lanois, certains mixages de morceaux ont été réalisées par leur historique metteur en sons, Steve Lillywhite. Une fois son boulot terminé, une soirée familiale a été organisée avec les U2. A laquelle participait Kirsty MacColl, chanteuse anglaise (cf son succesful duo avec Shane McGowan des Pogues « Fairytale of New York »), à la ville Mme Lillywhite. Elle est autorisée à écouter les bandes, et classe les onze titres du disque en fonction de ses goûts personnels, du meilleur au moins bon. Quand ils voient cette liste, les U2 (et leur management, maison de disques, …) décident de la conserver telle quelle pour l’ordre des titres du disque. Force est de reconnaître que dame MacColl avait des goûts personnels raccord avec ceux du public, puisque les trois premiers titres ont été les trois plus gros succès du groupe lorsqu’ils sont sortis en single.

Par ordre d’apparition, d’abord « Where the streets have no name », qui pose la trame de tout ce qui va suivre. Des nappes discrètes de synthés, une note de guitare répétée, puis la rythmique se met en place et « lance » le titre ; il faut attendre 1’45 pour entendre la voix de Bono. Même si c’est la plus longue intro du disque, toutes les autres sont minutieusement usinées, installant une atmosphère avant que le riff ou la mélodie s’installent. « The Joshua tree » est un disque très travaillé, où tout a été pesé, mesuré (idem pour toutes les fins de titres, aucun shunt brutal ou fading). Et ça fonctionne. La comparaison qui me vient à l’esprit pour le côté ultra chiadé, c’est « Dark side of the moon » du Floyd. Bon, « The Joshua tree » n’atteindra pas les mêmes scores intersidéraux de vente, mais il s’en dépotera quand même une grosse vingtaine de millions dans le monde, ce qui le situe largement dans le Top 50 des disques les plus vendus de tous les temps.


Second titre et second hit « I still haven’t found what I’m looking for » fait évidemment partie des classiques de U2, en forme d’hymne qui pour une fois reste sobre et permet de mesurer à quel point Bono est devenu un très grand chanteur.

Bono est encore à la manœuvre et éclabousse « With or without you » de sa présence vocale. Une ballade de format tout ce qu’il y a de classique avec son crescendo, et même si elle ne vaut pas « One » sur « Achtung baby », reste un des incontournables du groupe.

Bon, et une fois qu’on a passé les trois classiques, il reste quoi de bon dans « The Joshua tree » ? Ben m’sieur, à peu près tout le reste.

Perso, j’aurais tendance à zapper « In God’s country » énième single paru, parce que c’est le titre qui renvoie le plus à ce qui avait fait le succès et la trademark sonore des Irlandais. Ce titre aurait pu figurer sur n’importe lequel de leurs disques précédents, il n’est pas indigne, mais à mon sens en deçà de tous les autres.

Dans le même registre (qui assurent la transition avec le passé), mais avec la touche d’originalité qui fait la différence « Exit » (morceau mené une fois n’est pas coutume par la basse avant l’explosion tachycardique), et le lyrique « Red hill mining town » (dans la lignée « War » - « Unforgettable fire »).

J’ai une tendresse particulière pour « Bullet the blue sky », avec son gros riff de guitare saturée, son tempo lourd, sa batterie en avant, pour un rendu très post-punk, pas très éloigné dans l’esprit de ce que faisait Nick Cave du temps des Birthday Party.


« « Running to stand still » est le titre le plus américain de ce disque très américain. Intro au dobro, ballade country crépusculaire et mutante, hantée par les yodels de Bono et son final avec harmonica en avant.  Un harmonica qu’on retrouve sur « Trip through your wires », couplée à un gros son de batterie très Lillywhite style, et une mélodie qui il me semble bien sera décalquée sur l’un de leurs hits à venir, « Angel of Harlem » (sur le disque suivant, le foutraque « Rattle and hum »).

« One tree hill » est une ballade en hommage à Greg Carroll (à qui le disque est dédié), un Australien membre de leur staff de tournée et qui a fait une Duane Allman. C’est une chanson au rythme triste (le contraire eût été malvenu), mais qui évite le piège du lamento larmoyant.

Le dernier titre de la rondelle (« Mothers of the disappeared ») est le titre politique du disque. Il fait référence à toutes ces femmes argentines, qui après le coup d’Etat de Videla qui avait fait disparaître (emprisonnés ou pire) leurs enfants, maris, parents, tournaient tous les jours en rond sans un mot sur la Plaza de Mayo à Buenos Aires (toute manifestation ou revendication étant évidemment interdite). Cette dignité révoltée et silencieuse avait fortement marqué le groupe lors d’une tournée en Amérique du Sud et ils en ont tiré une chanson, longue ballade triste. Ce titre dans l’esprit de « Sunday bloody Sunday » est une incursion de U2 dans la « politique ». Pour le meilleur et pour le pire, Bono n’en sortira pas intact et va dans les années suivantes se prendre pour un chef d’Etat et aller discutailler d’égal à égal avec les grands de ce monde. Pas sûr que ce soit ni sa place ni son rôle …

N'empêche quel grand disque que ce « Joshua tree » …


Des mêmes sur ce blog :

War
Achtung Baby
All That You Can't Leave Behind






FRED McLEOD WILCOX - PLANETE INTERDITE (1956)

 

Peurs et fantasmes ...

« Planète interdite », lorsqu’il est sorti en salles au printemps 1956 aux Etats-Unis a connu un joli succès populaire. C’est un film « à part », à la croisée de multiples genres.

Fred Wilcox

C’est résolument une série B (voire pire) plus ou moins assumée, mêlant parfois en dépit du bon sens science-fiction, romance, humour et horreur (tous ces genres devant aujourd’hui être appréhendés à l’aune de ce qu’ils signifiaient au milieu des années 50). C’est une série B qui se donne les moyens d’avoir du succès. La MGM produit, le film est tourné en Scope et en couleurs (Eastmancolor), les effets spéciaux sont en pointe et ambitieux. Et c’est apparemment le premier film d’anticipation qui envoie l’Homme vers les planètes lointaines (jusqu’alors, c’étaient des Aliens plus ou moins sympathiques qui venaient sur Terre). C’est aussi un film qui exploite les rêves, peurs et angoisses du moment pour les projeter dans le scénario.

Un scénario qui est une extrapolation de « La tempête » de Shakespeare (aucun avis, j’ai pas lu cette pièce). Derrière la caméra, Fred (McLeod) Wilcox, réalisateur maison de la MGM, dont le seul titre de gloire était d’avoir tourné la première série de films sur le colley Lassie la décennie précédente. Sur « Planète interdite », Wilcox fait le job, et utilise au maximum les effets spéciaux novateurs mis à disposition par la MGM.

Robby & Morbius

La star du générique est Walter Pidgeon, acteur canadien à la grosse voix grave qui eut son heure de gloire la décennie précédente avec des premiers rôles dans « Qu’elle était verte ma vallée » et « Mrs Miniver », avant de voir son nom écrit de plus en plus petit au générique de séries B. En haut de l’affiche avec lui, deux quasi débutants, Leslie Nielsen (oui, celui qui obtiendra dans les années 80 la célébrité internationale avec son personnage d’inspecteur Debrin dans la série de film « Y a-t-il un flic … ») et Anne Francis, exemple type de ces starlettes des 50’s qui partageront leur emploi du temps entre seconds rôles sexy dans des nanars et shootings pour pages centrales des premiers magazines pour adultes.

Et bizarrement, la star du film se révèlera être un tas de ferraille et de plastoc (avec un type à l’intérieur), Robby le Robot. Certainement « l’acteur » le plus cher du générique, sa conception et sa réalisation ayant coûté la somme non négligeable à l’époque de cent mille dollars. D’ailleurs Robby vivra sa vie après le film, en devenant le personnage principal d’une série B « The invisible boy » et d’un épisode d’un autre nanar télévisé (« The thin man »), un robot sans aucun rapport avec le « personnage » de « Planète interdite ».

Leslie Nielsen

« Planète interdite » est un film d’anticipation se déroulant à la fin du XXIIème siècle (un siècle après que l’homme ait marché sur la Lune, nous apprend-on en voix off au début du film). L’évolution technologique a permis les voyages intersidéraux à x fois la vitesse de la lumière et un équipage est en route vers la lointaine étoile Altaïr, où un vaisseau d’exploration ne donne plus de signe de vie depuis une vingtaine d’années. La mission de secours est menée par le capitaine Adams (Leslie Nielsen). Lorsque leur vaisseau s’approche de la planète, ils reçoivent un message peu amène du scientifique de l’équipe supposée disparue (le professeur Morbius / Walter Pidgeon) leur stipulant qu’il n’a besoin de rien et surtout de personne et l’enjoignant de faire demi-tour. Le vaisseau de sauvetage se pose malgré tout, est accueilli par un Morbius soupe-au-lait et sa fille Altaïra (Anne Francis) beaucoup plus accorte et avenante, assistés par leur robot multifonction Robby.

Très vite, on voit que Morbius maîtrise des technologies bien plus avancées que ses visiteurs, on apprend qu’avec sa fille ils sont les seuls survivants de leur équipage, décimé par une force mystérieuse et maléfique. Et à mesure qu’Adams et sa troupe percent les secrets de la planète Altaïr, ils se trouvent confrontés de plus en plus violemment à un ennemi aussi invisible que dangereux.

Bon, ce genre de thriller spatial, on en a vu des milliards. « Planète interdite » est novateur dans le sens où son scénario jette les bases de plusieurs thématiques qui seront reprises dans les films de science-fiction à suivre. Par exemple, la série télévisée « Star Trek » est totalement décalquée sur Adams, son vaisseau et son équipe (le plus frappant ces décors d’intérieur, avec ces immenses tableaux représentant les futurs ordinateurs où trônent juste une poignée d’énormes boutons). La planète « habitée » par un créature maléfique (« Alien » of course et tant d’autres), les civilisations à l’intelligence supérieure (les Krells disparus d’Altaïr ont eu bien des « descendants » sur grand écran), tout ça est déjà dans « Planète interdite ». Par contre, ce qu’on verra pas trop par la suite ce sont des filles aussi girondes qu’Anne Francis dont les ultra mini-jupes (des années avant Mary Quant et Paco Rabanne) ont marqué les spectateurs de l’époque (oui, elle est plus sexy que Sigourney Weaver en marcel et petite culotte à la fin de « Alien »).

Anne Francis

« Planète interdite » est un film qui joue sur les peurs. Celles visuelles (l’apparition du monstre), mais aussi celles diffuses dans la société de l’époque liées au développement du nucléaire et à son corollaire, celui des bombes atomiques. Le vaisseau d’Adams est propulsé par l’énergie nucléaire, les Krells d’Altaïr ont exploité au maximum cette énergie, l’ont utilisée pour leur bien, avant d’en devenir les victimes et de laisser ses vestiges comme une malédiction pour quiconque foulerait leur planète. On n’ira pas jusqu’à dire que « Planète interdite » ouvre un débat de société, mais il traduit bien les réactions de l’époque face à une technologie qui s’accélère, suscitant espoirs réels et craintes diffuses mais tout autant réelles.

« Planète interdite » rajoute des situations comiques (les scènes avec le cuistot de l’équipage, l’apprentissage de la vie en société et amoureuse d’Altaira, certaines apparitions de Robby, …), de la psychologie à deux balles (l’inconscient générateur de monstruosités ou de monstres tout court). Le tout construisant une espèce de macédoine scénaristique où tout part dans tous le sens, oubliant parfois le bon (sens). Autre élément défavorable, le jeu des acteurs ne rentrera pas dans les grands moments du 7ème Art.

Par contre, ce film rappelons-le de 1956 surprend par son aspect visuel. Les couleurs pétaradantes d’abord (on se contentait du noir et blanc pour la science-fiction, les défauts des trucages se voyaient moins), « Planète interdite » est du grand spectacle (les vaisseaux spatiaux se déplaçant à proximité des planètes, les décors « lunaires » d’Altaïr (pompés, et même carrément pillés par Roger Dean pour les pochettes de disque des sinistres Yes). Mais surtout, deux choses ont marqué les esprits : la visite de la cité souterraine des Krells qui juxtapose toutes les techniques d’effets spéciaux (images renversées, mate painting, décors gigantesques, …), et la création du monstre (c’est l’antique chefs des effets spéciaux du « Fantasia » de Disney qui a été recruté pour créer la bestiole, ainsi que les rayons laser des armes, et l’atterrissage du vaisseau).


D’ailleurs dans les bonus du Blu-ray (des heures, pas toujours captivantes), on a droit à un défilé de réalisateurs stars de films de sci-fi (Spielberg, Lucas, Scott, Cameron, Landis, Carpenter, Dante, …) qui ne tarissent pas d’éloges sur « Planète interdite », nombreux étant ceux qui avouent y avoir pioché des sources d’inspiration pour leurs œuvres majeures à eux. Tous sont à peu près unanimes pour dire qu’il faudra attendre « 2001 » de Kubrick pour trouver un aussi gros choc visuel. Et le plus enthousiaste du lot est Spielberg, alors que d’autres (Ridley Scott et James Cameron pour pas les nommer) frisent parfois la condescendance …





ANDRE TECHINE - LES ROSEAUX SAUVAGES (1994)

 

Et au milieu coulait une rivière ...

« Les roseaux sauvages », c’est un film un peu particulier dans l’œuvre de Téchiné. Pour au moins deux raisons, c’est – quasiment – un film de commande et un film (quasiment) autobiographique.

André Téchiné
Quasiment une commande parce que le film est une extrapolation « rallongée » d’un moyen-métrage (« Le chêne et le roseau ») pour Arte. La chaîne franco-allemande avait demandé à une dizaine de réalisateurs connus de lui fournir une œuvre de fiction dont le thème central serait l’adolescence. Quelques-unes de ces fictions ont été « rallongées » pour répondre aux canons d’exploitation en salles. « Les roseaux sauvages », joli succès commercial et célébré par les professionnels de la profession est de cette série celui qui est passé à la postérité, et avec « Ma saison préférée » et « Hôtel des Amériques » fait partie pour beaucoup du tiercé majeur de Téchiné.

Et ceux qui connaissent bien Téchiné ont bien compris qu’il a mis beaucoup de lui dans cette histoire. Parce que le film se passe aux alentours de Villeneuve sur Lot (Téchiné est né et a grandi à Valence d’Agen, à quelques kilomètres), raconte l’histoire d’un groupe d’ados en 1962 (Téchiné est né en 43), dont l’un est plutôt attiré par les garçons que par les filles (Téchiné aussi). Téchiné n’a jamais contesté ces éléments, a même reconnu qu’il a vécu certaines scènes ou situations mises en images, mais réfute l’idée de biopic au sens strict du terme, des scènes ou des personnages étant pure invention …

Gorny, Bouchez, Morel & Rideau

« Les roseaux sauvages », c’est un film sur la France profonde, rurale, en 1962, au moment où la guerre d’Algérie est au cœur de l’actualité du pays. Et la guerre d’Algérie, ça n’occupait pas que les travées de l’Assemblée et les tentations putschistes d’un quarteron de généraux comme disait l’autre. « Les roseaux sauvages », après son générique façon lettrage de cahier d’écolier, débute par un mariage champêtre. Un fils de paysan, beau comme un camion de pompiers dans son uniforme militaire rutilant, convole avec sa promise sur fond de chansons paillardes reprises en chœur par les convives, et de valses crachotées par un petit électrophone. Très vite, la réalité rattrape les festivités bucoliques. Le marié, passablement bourré, serre de près une prof du village, partagé entre drague lourdingue et préoccupations beaucoup plus graves. Il va partir le lendemain pour l’Algérie et compte sur la prof, responsable locale du Parti Communiste, pour le faire revenir au plus vite au pays. Malaise de la prof, qui lui assure qu’elle ne peut rien faire, se débarrasse de ce cavalier trop entreprenant, et quitte la fête, emmenant au passage sa fille Maïté et un copain à elle, François.

Dans ces premières scènes, on a vu la guerre d’Algérie en filigrane, et les ados. Et ces ados campagnards, de près ou de loin, ils vont vivre la guerre et ses répercussions dans leur petit bled. Tout en restant des ados du début des années 60, en proie à leurs premiers émois amoureux et confrontés à une réalité historique qui va finir par tous les rattraper. Ces ados, ce sont donc Maïté (Elodie Bouchez, seule comédienne « parisienne » et qui trouve dans « Les roseaux sauvages » son premier grand rôle), François (Gael Morel), le jeune coincé introverti qui vient de la ville (Lyon), Serge (Stéphane Rideau), le jeune paysan frangin du marié, et Henri (Frédéric Gorny) beau gosse aux faux airs de Gabriel Attal, le plus âgé du lot, dont on apprendra assez vite qu’il rentre d’Algérie après un carnage familial, qui passe son temps à écouter les nouvelles de la guerre à la radio, et qu’il souscrit entièrement aux discours de l’OAS. Tous les quatre sont lycéens, les garçons dans la même classe, et ils ont comme prof Mme Alvarez, la mère de Maïté.


C’est autour de ces quatre ados que le film va s’organiser, même si les histoires connexes auront une grosse influence. Sur fond de premières boums (avec en fond sonore des titres, qui cahier des charges de la série oblige, devaient être contemporains de l’époque mise en images, on entend donc Chubby Checker, Beach Boys, Platters, Del Shannon, …), les amour(ette)s adolescentes vont se mettre en place. Maïté en pince pour François, qui est attiré par Serge. Le tournant du film sera la mort en Algérie du frangin de Serge. La mère de Maïté va culpabiliser, tomber en dépression et finir par un passage en hôpital psy. Serge veut abandonner le lycée pour revenir sur l’exploitation agricole, envisage même d’épouser sa veuve de belle-sœur qu’il « console » la nuit. Maïté va de plus en plus se politiser (la tradition communiste familiale), et Henri va se radicaliser, affichant de plus en plus ses affinités OAS.

Les scènes de tension vont se multiplier entre les quatre ados, entrecoupées de moments de plaisir simples, les matches de rugby, les séances ciné avec allusions aux films de Bergman (« A travers le miroir ») ou Demy (« Lola »), les virées alcoolisées en mob sur Toulouse, et les baignades dans la rivière (le Lot ?) qui traverse le village. C’est d’ailleurs dans et aux abords de cette rivière, en attendant les résultats du Bac, que se démêleront les histoires reliant les quatre ados.


« Les roseaux sauvages » est autant un exercice de style (la recréation méticuleuse de la vie provinciale du Sud-Ouest pendant la guerre d’Algérie), qu’un drame où des adolescents doivent faire face quasiment seuls aux bouleversements de l’Histoire, et s’initier à la vie amoureuse et sexuelle. On sait que Téchiné n’est jamais aussi bon que quand il scrute les tourments de l’âme et les dilemmes amoureux (voir ses films cités plus haut).

Dans « Les roseaux sauvages » il y arrive sans avoir recours à ses stars chevronnées habituelles (Deneuve, Auteuil, Dewaere, …). « Les roseaux sauvages » de son aveu est très écrit, minutieusement répété, et les jeunes acteurs s’en tirent très bien. Pourtant, seule Elodie Bouchez se fera un nom grâce à ce film. Les trois garçons tenteront aussi une carrière d’acteur, beaucoup moins successful, disparaissant assez vite des radars …


MICHAEL KIWANUKA - KIWANUKA (2019)

 

L'éternel retour ...

Où il va être question de soul. Vous savez, ce machin qui a eu son apogée dans la seconde moitié des années 60, et qui voyait des chanteurs ou chanteuses (généralement pas blancs), dotés d’un beau filet de voix, interpréter dans des tenues rutilantes (costards cintrés pour les messieurs, robes lamées pour ces dames) des chansons bien écrites, accompagnés par des backing bands aussi nombreux (à grand renfort de cuivres, de choristes, …) qu’efficaces. Noms qui clignotaient plus haut et plus brillamment que les autres, ceux d’Otis Redding et Aretha Franklin … Et puis tout ce bazar a vite évolué, l’affaire a viré Philly Sound, disco, a été mélangée à plein d’autres genres, vidée de sa substance initiale, et malheur ultime, jugée ne plus être commercialement porteuse … Et de temps à autre, on a vu apparaître de nouveaux chevaliers blancs du genre tenter de la ressusciter, pour un tour de piste acclamé mais sans lendemain (Maxwell), ou une carrière qui est vite passée à autre chose de plus économiquement « porteur » (Jamiroquai, Mary J. Blige, Erikah Badu, …).

Michael Kiwanuka

L’un des derniers (?) de ces néo-soulmen en date, c’est l’Anglais Michael Kiwanuka. Gosse ougandais ayant fui le régime d’Amin Dada avant de se faire bouffer, réfugié dans les banlieues prolos londoniennes, ayant choisi l’école plutôt que la petite délinquance, tout en devenant musicien et gratouilleur sérieux, ce qui lui valut quelques séances de musicien de studio … Une « révélation » venue par les disques du grand Otis et de Dylan, tout l’antique écheveau dévidé pour élargir sa culture sonore, et un premier disque (« Home again ») au succès d’estime chez les British à peu près exclusivement.

« Kiwanuka » est sa troisième rondelle. Et quand on ne met que son nom comme titre, on veut faire comprendre que c’est le disque de l’affirmation, et de la confiance (en soi). Soit.

Et ça ressemble à quoi, la musique de Kiwanuka ? Les noms qui reviennent le plus souvent le concernant sont dans l’ordre ceux d’Otis Redding, Bill Withers et Van Morrison. Ouais, bof … Si avec pas mal d’imagination on peut parfois valider les deux derniers, pour Otis, faudra m’expliquer. Kiwanuka est un bon chanteur, capable de poser sa voix de différentes façons, mais jamais sans que ça évoque la tessiture et la puissante souplesse du crashé en avion. Perso, si je devais citer un nom concernant cette rondelle éponyme, ce serait celui de Stevie Wonder période « Songs in the key of life ». Flagrant sur plusieurs titres (« You ain’t the problem », « Living in denial », « Hard to say goodbye ») sur lesquels les similitudes sont parfois troublantes, sans toutefois tomber dans la copie ou le plagiat.

Danger Mouse & Kiwanuka

Comme l’aveugle à dreadlocks, Kiwanuka écrit, compose, chante et joue d’une multitude d’instruments (guitares, basse, B3, synthés). Différence notable, Kiwanuka ne produit pas ses disques. Je vois pas pourquoi il irait perdre son temps à pousser des boutons sur la console, parce qu’il peut compter à ce poste sur rien de moins que le sieur Brian Burton, plus connu sous son pseudo Danger Mouse. Avis tout personnel, Danger Mouse est le producteur number one de ce siècle, celui que l’on convoque pour essayer de se remettre à flot (U2, Red Hot Chili Peppers, Norah Jones, …), pour expérimenter (Damon Albarn et son Gorillaz, …), pour conquérir les charts (Black Keys dont il fut pendant quasi une décennie le troisième membre), sans compter ses collaborations (Cee-Lo Green, Karen O, …) et ses propres groupes (Gnarls Barkley, Broken Bells). Et comme si ça ne suffisait pas, sur « Kiwanuka », un autre producteur lui aussi multi-instrumentiste vient apporter sa contribution. Il s’appelle Inflo, j’ignorais son existence, et apparemment serait d’après ses laudateurs, le Quincy Jones de la neo-soul et du r’n’b anglais. Ce trio a pas besoin de grand-monde pour jouer de tous les instruments et remplir l’espace sonore, mais sur quelques titres section de cordes, de cuivres, choristes ou musiciens additionnel viennent étoffer les compos.

Le résultat d’ensemble est bon, voire parfois plus. C’est évidemment pas la soul des 60’s qui se retrouve téléportée dans la fin des années 2010. Le son est contemporain, sans que ça sonne racoleur. De la construction sérieuse sans le recours forcené à des gimmicks « tendance ». On ne trouve pas dans « Kiwanuka » de voix passées à travers des vocoders, ni ces insupportables sonorités métallisées et totalement déshumanisées qui font la joie (?) des tiktokeurs …


Pièces de choix, l’inaugural « You ain’t the problem » très Stevie Wonder déjà évoqué, avec son rythme à la « Another star ». « Rolling », un des nombreux singles suit, c’est beaucoup plus syncopé et mené par une phénoménale ligne de basse. « Piano joint » est une ballade soyeuse très soul 60’s et « Hero » est pour moi la pièce majeure du disque avec sa voix légèrement voilée et éraillée, qui se promène au début sur une ambiance très folk, avant qu’un riff voisin de celui de « All along the watchtower » (version Hendrix) n’emporte le titre dans un tourbillon psyché-soul du meilleur effet.

Michael Kiwanuka est capable de faire rugir les guitares sur « Hard to say goodbye », dommage que le morceau soit trop alambiqué et surchargé, de livrer de grosses performances vocales (sur « Final days », ballade bluesy sur rythmique hip-hop, si-si, ça fonctionne même si c’est pas absolument renversant ; ou encore sur « Solid ground » qui débute dépouillé avant un crescendo symphonique).

Quelques titres sont plus dispensables (une paire de – heureusement – assez courts instrumentaux), surtout parce qu’ils semblent avoir du mal à se démarquer de modèles évidents (« Living in denial » trop Wonder ou « I’ve been dazed » un peu beaucoup Beatles « Hey Jude »).

Pour un disque et un genre dont a priori j’attendais pas grand-chose, belle et agréable surprise. Bonne réception Outre-Manche (le Mercury Prize, Prix Goncourt musical des British), beaucoup moins d’emballement ailleurs (une promotion et une défense sur scène contrariées par le Covid).


THE ROLLING STONES - STICKY FINGERS (1971)

 

Définir la décennie ...

Les Stones au début des 70’s sont quelque part, là, tout en haut. Parce que leurs amis rivaux des Beatles ont décidé que les egos ne sauraient s’accommoder de ratiocinations collectives, et ont laissé libre le titre de « plus grand groupe pop-rock-machin-truc … du monde ». Mais les Stones n’ont pas gravi l’Olympe sans quelques dégâts, leur lutin blond fondateur a fini au fond d’une piscine, et ce qui devait être leur consécration américaine (un festival organisé par eux, pour eux et autour d’eux) à Altamont a été un fiasco meurtrier. Et puis leur manager, l’escroc Allen Klein est parti avec la caisse, les droits d’auteurs et les royalties qui vont avec de leur catalogue des années soixante.

Jagger, Jimmy Miller, Richards & Watts

Et même si « Sticky fingers » fait partie de leur bloc discographique majeur qui va de « Beggars banquet » à « Exile on Main St », il marque un tournant. Economiquement, les Stones se prennent en main. Ils créent leur label, Rolling Stones Records, avec son célébrissime logo à la langue rouge. Musicalement, ils intègrent tout à fait officiellement Mick Taylor qui devient le cinquième Stones. Ce qui n’empêche pas tous les autres cinquièmes Stones (Ian Stewart, Bobby Keys, Nicky Hopkins, Jim Dickinson, Billy Preston, Jim Price, voire Jack Nitzche et Ry Cooder) d’être présents sur le disque. La même ribambelle d’ingés-son (Jimmy Johnson, Andy Johns, Chris Kimsey, Glyn Johns, ...) est toujours là, sous la supervision de Jimmy Miller à la production (et occasionnellement aux percussions).

La pochette de « Sticky fingers » est une des plus iconiques du rock. Signée Andy Warhol, gros plan pelvien avec vraie braguette sur les vinyles originaux (ce qui avait le désavantage de ruiner le dos du disque suivant dans l’étagère, qui si l’on était bien ordonné dans son rangement, était celle de « Exile … »). La braguette s’ouvrait laissant apparaître ce qu’on trouve derrière un jean, des jambes forcément et éventuellement un slip (ici, dans un coton très fin sixties – début seventies). Qui était le modèle ? On n’en sait officiellement rien mais Joe d’Allesandro (la connexion Warhol – Factory) a prétendu que c’était lui.


Le son et la direction musicale générale de « Sticky fingers » marquent aussi un tournant. Même si la patte de Jimmy Miller (ce brouhaha sonore qui donne l’impression que toutes les pistes se parasitent mutuellement et qui rend inefficace toutes les remasterisations possibles) est toujours là, le disque est au moment de sa parution le plus américain du groupe. On est dans le basique, dans une version « améliorée » de leurs premiers disques constitués de reprises. Finis les fanfreluches des arrangements de Brian Jones, les titres pop ou psyché ayant culminé avec respectivement « Aftermath » et « Satanic Majesties », remisés au placard les systématiques boogies en open tuning de Keith Richards dont est (trop) rempli leur live « Get yer ya-ya’s out », on se réoriente vers le blues, le rhythm’n’blues et la soul, souvent soulignés par des cuivres.

En ouverture de « Sticky Fingers », un des trois (cinq ? dix ?) titres essentiels des Stones, « Brown sugar ». Naturellement signé Jagger – Richards, mais en fait totalement écrit par Mick Jagger (fait très rare, sinon unique dans toute leur discographie). Un riff d’anthologie, suramplifié par le sax de Bobby Keys, et une merveille d’ambiguïté des paroles, peu consensuelles quelque soit l’angle sous lequel on les envisage (brown sugar, c’est une jeune beauté noire à la peau douce qui bosse dans une maison de passe, ou le surnom d’une certaine forme d’héroïne en argot américain).

« Sway » qui suit c’est la ballade virile, voire violente, qui vu son intro donne l’impression d’avoir été enregistrée live en studio (mais même si tel était le cas, le titre a été overdubbé par la suite). C’est l’occasion d’entendre aussi le premier solo sur le disque de Mick Taylor.

« Wild horses » est une autre ballade, dans le registre country-soul (les racines américaines du disque). Un des meilleurs morceaux du disque, avec un Jagger qui force dans les aigus, et se met en danger vocalement. A noter que c’est sur « Sticky … » et « Exile … » qu’il trouvera et définira son registre vocal, que depuis plus de cinquante ans il s’attache à reproduire, certaines fois de façon quasi caricaturale …

La pièce de bravoure du disque, c’est « Can’t you hear me knocking », pièce de bravoure et par sa longueur (plus de sept minutes, un des quatre ou cinq titres studio les plus longs des Stones), et par son final épique. Introduit par un des riffs les plus sauvages de Richards tout en saturation, mélange de plein d’influences sonores (rock, rhythm’n’blues, soul, gospel, …), et les deux derniers tiers du titre amenés par un fouillis percussif (Jimmy Miller), donnent lieu façon jam à un solo furieux de sax de Bobby Keys (soutenu par Jagger à l’harmonica), avant une démonstration virtuose de Mick Taylor qui signe là sa meilleure partie de guitare stonienne. Titre essentiel, archétype du « son » seventies des Stones, et évidemment une fois Taylor parti, peu ou pas joué en live, car sans faire injure à Keith ou Ronnie, ils ont pas le niveau pour entreprendre ce genre de solo …


La face vinyle se conclut par « You gotta move », antique blues des années 40 de (Mississippi) Fred McDowell et moultes fois repris depuis. Les Stones en livrent une version avec une approche sonore très voisine du traitement appliqué au « Love in vain » de Robert Johnson sur « Let it bleed ».

« Bitch » est un boogie « sérieux », violent, sans fioritures, aux riffs de guitare doublés par les cuivres (Bobby Keys et Jim Price). Pas le titre le plus imaginatif de leur carrière, mais le but n’était pas de faire preuve d’audace musicale, juste de montrer qui étaient les boss … et à ce jeu-là (les Stones qui font du Stones), ils n’ont forcément pas d’équivalents.

Et je maintiens cette théorie que les Stones de 71 font du Stones de la première moitié des années 60 - en mieux - à l’écoute de « I got the blues » qui semble un lointain cousin de « Heart of stone », un des premiers titres composés par Jagger et Richards, sur l’édition anglaise de « Out of our heads » en 1965.


« Sister Morphine », c’est avec « Brown sugar », l’autre titre de légende de la rondelle. Un peu la ballade des soins palliatifs, puisqu’elle évoque les appels désespérés du malade souffrant à son infirmière pour qu’elle lui injecte un peu de morphine pour soulager ses douleurs. Le titre avait été enregistré par Marianne Faithfull deux ans plus tôt en face B d’un de ses singles resté à peu près anonyme, et co-écrit avec Mick Jagger (elle les paroles, lui la musique). L’amour rendant souvent con, elle l’avait laissé paraître sous la signature Jagger-Richards. Ici il est repris par les Stones plus les accompagnateurs de la version originale, Ry Cooder à la slide magique et Jack Nitzche au piano. Ce titre est un classique absolu des Stones, mais ils le traîneront comme un boulet pour avoir spolié lors de la sortie de « Sticky fingers » Marianne Faithfull de ses droits d’auteur. Il faudra attendre de longues années pour que Lady Marianne apparaisse sur les crédits lors des innombrables rééditions du disque (à ce jour, le site de référence Discogs en recense la bagatelle de 587 versions).

« Dead flowers » est un intéressant patchwork sonore où se mêlent passé et futur des Stones. Le titre est un country rock assez classique (un genre musical plus américain tu peux pas), une orientation qui sous l’influence du nouveau pote de biture et de défonce de Keith, un certain Gram Parsons, sera au cœur des inspirations sonores qui aboutiront à la création de « Exile … ». Les traces de leur passé se trouvent dans le refrain très mélodique du titre, qui renvoie à leur période pop-chansons circa 66-67 (« Ruby Tuesday », « Out of time », « Under my thumb », …).


Le disque s’achève avec « Moonlight mile ». Et on peut pas dire que tout est bien qui finit bien parce que ce titre est à mon sens la sortie de route de la rondelle. Pas qu’il soit foncièrement mauvais, mais cette sorte de mantra avec arrangements de cordes rompt avec l’unité sonore de ce qui précède et renvoie à une période (celle de « Satanic Majesties Request ») qui n’est, doux euphémisme, pas la plus célébrée du groupe.

Avec « Sticky fingers », les Stones vont obtenir leur plus gros succès commercial depuis leurs débuts et confirmer leur position de rock band number one in the world. Effet domino, maintenant qu’ils gèrent en direct la partie financière de leur carrière, le fisc anglais va leur tomber dessus et leur réclamer des sommes faramineuses au titre de l’impôt. Ils choisiront l’exil fiscal pour échapper aux percepteurs, et se réfugieront dans le sud de la France pour enregistrer « Exile on Main Street », le successeur de « Sticky fingers » … Mais c’est une autre histoire …


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