MEL GIBSON - BRAVEHEART (1995)

 

Chanson de geste écossaise ...

« Braveheart » est devenu un classique des films populaires des 90’s. Pas vraiment lors de son exploitation en salles, où il n’a obtenu que des résultats honorables. C’est plus tard, lorsqu’on louait des VHS dans les vidéo-clubs, et encore plus tard, lorsque sont arrivés les Dvds, Blurays, jusqu’à aujourd’hui, avec les plateformes de streaming, que le vrai grand succès populaire s’est concrétisé et jamais démenti, appuyé par une critique qui a eu tendance à le réhabiliter, voire l’encenser.

Faut dire que le projet « Braveheart » est plutôt audacieux. Confier à un type (Mel Gibson) qui n’a qu’une seule réalisation à son actif (le mélo à peu près oublié « L’homme sans visage ») un budget de plusieurs dizaines de millions de dollars pour un film à grand spectacle, biopic médiéval d’une figure mi-historique mi-légendaire de l’Ecosse de la fin du XIIIème siècle, ça coulait pas de source. Même si derrière la caméra, et finalement aussi devant, il y a un acteur bankable, starisé par les sagas « Mad Max » et « L’arme fatale ».

Mel Gibson

« Braveheart » met en images la vie de William Wallace, paysan écossais à l’origine et à la tête d’une révolte contre l’occupant et oppresseur anglais. Le problème, c’est que Wallace, on sait peu de choses de lui. Et que Mel Gibson va l’introduire dans l’Histoire, la vraie, celle qui est documentée. Au prix de quelques incohérences et anachronismes flagrants, voire de tentatives de réécriture. Le scénariste (Randall Wallace, ce n’est pas simplement une coïncidence patronymique, on y reviendra) et Gibson le reconnaissent d’une façon plutôt badine, prétextant la beauté de l’histoire (du film), tout du long de leurs commentaires sur l’édition Bluray de 2007.

Premier point à évoquer, la réalité historique, les faits avérés et documentés. De Wallace, on suppose qu’il est d’extraction très modeste (paysan ?), qu’avec quelques comparses il a mené quelques actions de guérilla contre les troupes « d’occupation » anglaises, avant de fédérer une petite armée de bric et de broc (quelques nobles et leurs hommes, mais surtout des paysans) qui défait des Anglais pourtant plus nombreux à Stirlink (1297), avant que les Ecossais soient laminés l’année suivante à Falkirk. Wallace disparaît de la circulation quelques années (exil en France apparemment), revient mener quelques actions coup de poing en Ecosse, est capturé (trahison ?) avant d’être supplicié (émasculé, écartelé, éviscéré, découpé en morceaux et ses morceaux « exposés » dans plusieurs villes) en 1305.

La bataille de Stirlink

Robert Bruce (avec qui Wallace a des relations plutôt compliquées dans le film) sera celui qui par les armes obtiendra une certaine indépendance de l’Ecosse grâce à sa victoire à Bannockburn (1314, la dernière scène de « Braveheart »)

Le Roi d’Angleterre Edouard Ier est considéré comme un des grands souverains anglais, très politique (plutôt machiavélique donc), et qui instaurera la première mouture de ce qui deviendra le Parlement. Surnommé (par les Anglais) « The Hammer of Scottish » par son intransigeance et sa cruauté face aux tentatives d’émancipation des Ecossais. Il mourra deux ans après Wallace (et non pas le même jour comme dans le film).

Son fils (le futur Edouard II) sera connu pour sa bisexualité avérée (nombreux « mignons » et favoris), et sera beaucoup plus dur et rude que la lopette qui nous est montrée dans « Braveheart ». Il épousera Isabelle de France, (Sophie Marceau dans le film) alors âgée d’une douzaine d’années trois ans après la mort de Wallace. Donc elle et Wallace ne se sont jamais rencontrés.

Quand aux autres personnages du film (à part quelques nobles qui ont réellement existé, mais dont les faits et gestes à l’époque ne sont généralement pas connus), ils sont tous inventés (Murron sa femme, ses compagnons d’armes, …). Les premiers récits des aventures de Wallace sont généralement attribués à un troubadour plus d’un siècle après les faits. Il n’en demeure pas moins que Wallace a de nombreuses statues un peu partout en Ecosse et qu’il est considéré comme le premier « libérateur » de son peuple.

Edouard Ier - Patrick McGoohan

Bon, une fois qu’on a dit ça pour démontrer que « Braveheart » est quasi intégralement une totale fiction, il en reste quoi de ce film ? Une grande fresque épique, romantique et violente. D’une durée conséquente. A peine un peu moins de trois heures, il manque dix minutes de « director’s cut » apparemment jamais vues, dont l’essentiel est composé du supplice de Wallace (Gibson dit que c’était très réaliste, trop pour une exploitation grand public en salles).

Le côté fresque épique, il est dû au scénariste Randall Wallace. Américain bon teint, et descendants d’émigrés écossais. Qui décide d’aller faire un voyage d’agrément familial sur la terre de ses ancêtres. Et tombe sur les statues, les musées, les lieux « saints » où son homonyme aurait écrit un pan d’histoire écossaise. Troublé par la coïncidence, le très chrétien Wallace (Randall) va écrire un scénario et faire de Wallace (William) un personnage mystique et très croyant (la grande place occupée dans le film par les funérailles, le mariage « clandestin », les prières avant la bataille, avant le supplice qui a lieu sur une croix horizontale). Evidemment, quand la 20th Century Fox le mettra en relation avec Gibson qui cherche un film à réaliser, le côté grenouille de bénitier va pas laisser le Mel indifférent, lui qui est catho intégriste (parenthèse, il appartient à un courant religieux ultra réac, et a fort logiquement soutenu le ticket de demeurés Donald-J.D., fin de la parenthèse).

Côté romantique, ça n’y va pas non plus avec le dos de la cuillère. Depuis le chardon offert par la petite Murron au gamin William lors de l’enterrement du père Wallace occis par les Anglais et conservé comme une relique, jusqu’au bout de tissu qui les a liés lors de leur mariage et que Wallace serrera dans sa main pendant son supplice, en passant par les visions de sa dulcinée, n’en jetez plus … Et l’entrée en « guerre » de Wallace et son obstination à lutter quoiqu’il advienne contre les « envahisseurs » aura pour cause l’assassinat de Murron par un petit notable anglais. Sans parler du coup de foudre réciproque entre Wallace et Isabelle de France …

Sophie Marceau & Mel Gibson

Mais ce qui a le plus fait jaser, c’est l’ultraviolence limite gore, du film. Les scènes de bataille sont particulièrement réalistes, ces mêlées-boucherie où tous les coups sont permis, tuer ou être tué. Les décapitations, amputations, les corps traversés par les épées, les lances, les haches, les flèches ou les poignards, les chevaux empalés. Et hors batailles, on a droit aux égorgements, aux têtes fracassées par les masses d’armes, … A côté, le supplice final de Wallace est plutôt soft, il n’y a que de la tension liée à l’agonie du roi, aux larmes d’Isabelle, à l’émotion des compagnons d’armes et de Bruce, grâce à un montage malin.

« Braveheart » a renforcé l’aura de Mel Gibson, parce qu’il joue William Wallace, ce qui n’était pas prévu au départ. Il avoue s’être fait berner par la Fox, qui alignait sans sourciller les millions de dollars à mesure que le scénario avançait, mais qui insidieusement suggérait qu’en plus de réaliser il tienne le rôle principal. Ce qu’il a fini par accepter, sans se douter de l’ampleur de la tâche. Rétrospectivement, Gibson avoue avoir fini le tournage (sept mois, dont plus de deux pour tourner les deux batailles, où il fallait gérer quotidiennement jusqu’à trois mille personnes sur le plateau) à peu près fou, les neurones cramés par la pression, le manque de sommeil, et le clap de fin qui n’apparaissait jamais. Il se sentait capable de réaliser, ayant beaucoup appris en tournant avec George Miller ou Peter Weir, mais il s’est fait bouffer par son projet, virant obsessionnel pour le moindre détail.

Les anecdotes sont légion. Pour donner un semblant d’organisation aux batailles, l’équipe a tourné sur un camp militaire et engagé les bidasses qui y étaient. Et Gibson a pu mesurer le fossé physique entre des pros qui s’entraînent tous les jours, et lui, à presque quarante ans (soit dix-quinze ans de plus que son personnage), qui devait sprinter comme un forcené pour être devant les soldats figurants lorsque les Ecossais chargeaient l’armée anglaise. En plus, Gibson a réalisé pratiquement toutes les cascades, sa doublure prévue passait les journées à se tourner les pouces. Et pour le final (le supplice de Wallace), Gibson a complètement disjoncté, et contre l’avis de tout son staff, a exigé d’être réellement pendu (on l’a descendu quand il a perdu connaissance, il a failli y passer, et rétrospectivement n’est pas très fier de cette décision aberrante). A côté de ça, l’utilisation d’une énorme vraie hache pour la décapitation fait figure de plaisanterie (pour le coup, il a quand même pris la précaution de filmer le geste de bas en haut, et de passer les images obtenues à l’envers au montage).

This is the end ...

Le résultat donne un film à grand spectacle (référence de Gibson, « Spartacus » le péplum plus ou moins réalisé par Kubrick), les plans filmés en hélicoptère sont nombreux, notamment lors de l’ouverture, avec panoramiques gigantesques des Highlands. Bien que sachant qu’il tournait une fiction à peu près intégrale, Gibson a apporté un soin maniaque aux détails, avec un énorme travail sur la création de décors en extérieur, les costumes et les maquillages. Le vice a été poussé jusqu’à rechercher parmi les agriculteurs écossais ceux qui pouvaient fournir des races centenaires de bovidés juste pour une scène, lorsqu’on ramène les dépouilles du père et du frère de Wallace morts au combat. Hormis les deux grandes batailles, tournées dans une base militaire irlandaise, les extérieurs sont en Ecosse, sous la pluie (invisible à l’écran, quand on la voit, c’est que de l’eau est versée à seaux sur le plateau) et le froid la plupart du temps. Quasiment aucun effet numérique n’a été rajouté, un encadrement médical, vétérinaire et de dresseurs était présent en nombre, aucun cheval n’a bien évidemment été abattu ou blessé (ceux qui sont empalés sont des chevaux mécaniques, trucage à l’ancienne), et parmi les centaines de figurants des scènes de bataille, Gibson est fier de préciser que seuls trois blessés ont été recensés, deux contusionnés et une fracture de la cheville en tout et pour tout …

La musique est dans l’air celtique du temps, et le thème principal est l’œuvre de James Horner qui en utilisera une version dérivée pour le thème de « Titanic » qu’il composera deux ans plus tard …

Un mot sur Sophie Marceau, principal rôle féminin en (future) reine glamour mais déterminée, elle entamera avec « Braveheart » un lustre de tentative de carrière internationale, qui malgré un autre succès remarqué au box office (le rôle de la méchante dans « Le monde ne suffit pas » de la saga James Bond), n’ira pas plus loin que la fin des années 90.

Alors au final, il faut en penser quoi ? « Braveheart » est un film d’action survitaminé et palpitant, et une incontestable réussite visuelle. Le seul reproche, les libertés prises avec la réalité historique qui enjolivent quelque peu (pour être gentil) ce biopic de William Wallace. Les Ecossais ont adoré le film, les Anglais moins …




RED HOT CHILI PEPPERS - BY THE WAY (2002)

 

Affadis ...

De 89 à 99, en quatre disques (« Mother’s milk », « Blood sugar sex magik », « One hot minute » et « Californication »), les Red Hot Chili Peppers sont devenus des mastodontes du rock américain. Ils ont vendu des disques par millions, ont pris le temps d’assurer leur service après-vente par de gigantesques tournées des stades … Le problème avec le succès démesuré, c’est qu’il est beaucoup plus facile à perdre qu’à atteindre.

Frusciante, Flea, Smith & Kiedis : RHCP 2002

« By the way » va en fournir un bel exemple. Artistiquement parlant. Parce que commercialement, la machine RHCP va continuer à dépoter du skeud en quantité. Mais « By the way » … comment dire …

L’entreprise RHCP a souvent vogué par gros temps. Et dans des océans poudreux, ce qui aide pas forcément à souder un groupe, quand égos, histoires de cœur, événements tragiques, viennent se rajouter à la naturelle pression ambiante. La décennie à succès évoquée sera marquée entre autres faits extra-musicaux par une addiction démesurée de Kiedis et Frusciante, ce dernier allant même se « reposer » pendant la période « One hot minute », disque charnière débiné par les premiers fans, à cause du « remplaçant » Dave Navarro venu des « rivaux » Jane’s Addiction (pour moi « One hot minute » est leur meilleure rondelle, mais je suis pas fan des RHCP, donc mon avis ne vaut rien).

Pour « By the way », Frusciante non content d’être revenu (depuis « Californication »), entend être le leader et « l’influence » du groupe, sous prétexte qu’il a tartiné des dizaines de démos guitares + synthés, le tout avec pour objectif de faire paraître un disque « punk » (?). Le vieux complice Rick Rubin va essayer de mettre un peu de raison, d’ordre, de bon sens dans la musique, et pratiquer la câlinothérapie à forte doses dans tous ces egos démesurés qui s’affrontent. Et c’est bien le producteur qui s’en sort le mieux. « By the way » devrait être écouté en boucle dans les écoles qui forment les types à pousser des boutons dans un studio, parce que niveau production et arrangements, c’est un vrai bijou. Et c’est d’autant plus visible que le matériau de base (les chansons) est d’une rare indigence …


« By the way » est un pavé de quasiment une heure dix pour seize titres. Et quand on fait le bilan, on a en tout et pour tout entre deux et quatre titres à sauver de ce naufrage. Les deux indiscutables ouvrent et ferment le disque. « By the way » le morceau est un condensé de tout ce qui a fait le succès des Red Hot jusque là. Intro caoutchouteuse, une mélodie très voisine de « Under the bridge » (un de leurs premiers gros succès sur « Blood sugar … »), de gros riffs de guitare, un rap à toute blinde, un refrain-slogan mélodique, en fait un best of du groupe en un seul titre. Autre grand titre, le dernier, « Venice queen », chanson-hommage de Kiedis à sa thérapeute récemment décédée et qui l’avait aidé à vaincre ses addictions, notamment à l’héroïne. Un titre de six minutes qui pour une fois démontre un réel effort d’écriture et de composition. Ma magnanimité légendaire qui me perdra me fait rajouter à cette doublette « The zephyr song », très (trop ?) sucré single à succès à la mélodie addictive, bien que très voisine de celle de « Californication » (le morceau). Citation bienveillante également pour « Don’t stop » (no Fleetwood Mac cover), qui avec son intro funky, son phrasé rap et son refrain mignon, renvoie aux meilleures heures passées du groupe …


Le reste ? Des trucs fadasses, des ballades molles qui encombrent la moitié de la rondelle (« Dosed », « I could die for you », « Midnight », « Tear », « Don’t forget me », …) comme Coldplay en tartinait à longueur d’albums à l’époque, quelques sorties de route risibles comme l’espagnolade « Cabron » (dites pas ça à un hispano, ça va pas lui plaire), le ridicule ska « On Mercury », la bien nommée « Minor thing », … j’en oublie et des pas meilleures.

Qu’est-ce qu’on pourrait dire pour défendre cette rondelle ? Le boulot colossal de production déjà évoqué, le fait que Kiedis soit devenu un très bon chanteur, la basse élastique de Flea, sa symbiose rythmique avec Chad Smith, la relative discrétion de Frusciante alors que ce disque était censé être son projet ? Certes, mais tout ça suffit pas.

On sent les types rincés, en panne totale d’inspiration et d’imagination, pensant noyer le poisson sous un déluge de titres interchangeables et laisser penser qu’ils ont quelque chose à dire …

« By the way » se retrouve en équilibre très instable sur le rebord de la poubelle …


Des mêmes sur ce blog : 

Blood Sugar Sex Magik






ANTHONY MANN - L'HOMME DE LA PLAINE (1955)

 

Morne plaine ?

« L’homme de la plaine » (« The man from Laramie » en V.O.), c’est le cinquième et dernier film de la collaboration Anthony Mann / James Stewart. Qui ensemble ou séparément, n’ont plus rien à prouver. Et qui « pèsent » suffisamment pour ne pas avoir à faire la moindre compromission. C’est peut-être le cœur du problème. Mann et Stewart sont devenus de vrais potes, une amitié que leurs succès communs semblaient avoir cimentée.

Stewart & Mann

Mais pour ce film, leurs « visions » vont sinon s’affronter, du moins être parfois contradictoires. Mann veut en foutre plein les mirettes du spectateur. La Columbia lui assure Technicolor et Cinémascope. Visuellement, parce que Mann sait tenir une caméra, le résultat sera grandiose. Une bonne moitié du film est tournée en extérieurs, et les paysages du Nouveau Mexique offriront un décor magnifique. Mann, comme tous les « amuseurs » du cinéma, a envie de « sérieux ». L’intrigue fournie par le scénariste Philip Yordan (est-elle de lui, rien n’est moins sûr, on est en plein Maccarthysme et Yordan a la réputation de faire siens des scénarios écrits par des blacklistés, un genre de gagnant-gagnant - surtout pour lui) fait entrevoir à Mann qu’on peut en faire une version western du « Roi Lear », classique du drame shakespearien. Cette vision shakespearienne est basée sur les dissensions qui vont aller crescendo dans la famille Waggoman sur fond de succession du patriarche, famille qui fait la pluie et le beau temps dans une petite bourgade (Coronado, imaginaire, alors que Laramie, existe bel et bien, au Sud du Wyoming) paumée aux limites du territoire apache.

Les chariots de feu ?

Face à Mann et ses envies de « grande » tragédie en Scope, Stewart. Qui examine méticuleusement tout ce qui le concerne dans le film. Il ne veut pas faire et dire n’importe quoi. Il affirme de plus en plus ses penchants républicains, et ne veut pas que les valeurs des personnages qu’il interprète soient contraires aux siennes. Et ce d’autant plus que dans le film, son personnage, Will Lockhart, est un capitaine de l’armée (on ne le saura qu’à la fin, et de manière fugace, au hasard d’une réplique plutôt anodine). Or Stewart a servi dans l’armée pendant la Seconde Guerre Mondiale. Ses valeurs morales d’ancien militaire et de Républicain entraîneront des ratiocinations interminables avec Mann pendant le tournage et ils finiront sinon par se brouiller, du moins par distendre les liens d’amitié qui les unissaient.

« L’homme de la plaine » est un western, considéré comme majeur, de cette période (le milieu des années 50), où ce genre typiquement américain est à son apogée (les studios en sortent une dizaine par an, la moitié des films qui paraissent sont des westerns. « L’homme de la plaine » est aussi un polar. Lockhart s’est « défroqué », se faisant passer pour un patron convoyeur, afin de trouver et les causes et les responsables du massacre aux environs de Coronado d’une patrouille de soldats, dont on apprendra au cours du film que son jeune frère faisait partie.

Baston en vue ...

Un western, un polar, une revisitation du Roi Lear, quelques caprices de diva de sa star, un gros budget permettant au casting quelques personnages secondaires auxquels on ne comprend rien (voir plus bas), c’était peut-être un chantier trop compliqué à gérer et à mener à terme en à peine plus d’une heure et demie.

L’aspect visuel irréprochable du film n’arrive pas à cacher les lacunes et carences d’un scénario mal foutu. Incohérences et points d’interrogation se multiplient. Qui est le vieux compagnon de Lockhart, qui reste dans le coin quand ça commence à mal tourner, qui réapparaît quasi miraculeusement porteur de précieuses infos, et disparaît totalement dans la seconde partie du film ? Quel est l’intérêt dans l’histoire de l’épicière nièce du patriarche Waggoman, de cette romance qui semble s’installer entre elle et Lockhart, flirt qui s’estompe pour disparaitre sans qu’on sache pourquoi ? A quoi sert le commis indien de l’épicerie, ses regards suspicieux sur Lockhart, sa présence lors de la tentative d’assassinat, et que devient-il ? Idem pour le poivrot qui croise souvent la route de Lockhart avant d’essayer de le tuer, et d’être retrouvé mort, sans qu’on sache vraiment qui avait commandité l’assassinat (le fils, le régisseur ?) et qui l’a dessoudé …

L’histoire est labyrinthique. On sait, je dirais presque par définition, que le gentil c’est Lockhart. Même si ses motivations restent floues. Veut-il juste savoir pourquoi son jeune frère est mort et à cause de qui ou de quoi, ou vient-il pour se venger ? On pourrait pencher pour la seconde version, sauf que « L’homme de la plaine » est le seul film avec Mann où Stewart ne tue personne. Des gentils, on en trouve une paire d’autres. La nièce épicière Waggoman, même si son personnage apporte très peu au scénario. Et la vieille rivale et ex-fiancée du patriarche dont la contribution sera de soigner les éclopés du scénario.

Crisp & Stewart

Côté méchants, on en a trois de principaux (faut zapper l’Indien et le poivrot qui veut poignarder Lockhart, dont les personnages sont deux points d’interrogation, voir plus haut). Le patriarche Alec Waggoman (belle prestation du vétéran Donald Crisp, des dizaines de seconds rôles à son actif), son fils, brutasse dégénérée au point qu’il laisse perplexe son paternel sur la façon d’organiser la succession, et le régisseur du domaine, qui voyant ce foutoir familial, espère tirer profit de la situation et les marrons du feu. Le seul intérêt de l’intrigue étant de révéler que le plus terrible des trois n’est pas celui que l’on croit au départ.

Et si Stewart ne tue finalement personne (« il n’est pas acteur des meurtres, il en est le catalyseur » dixit Bertrand Tavernier), « L’homme de la plaine » est le film le plus violent de sa collaboration avec Mann. Même si elle n’est pas toujours montrée plein cadre, la violence, à la limite du sadisme, est partout présente. La première rencontre entre Lockhart et le fils brutal Waggoman verra ce dernier foutre le feu aux chariots de Lockhart, le traîner attaché à un cheval, et dézinguer les mules du convoi … pas mal pour une première approche. Après une bagarre homérique et bestiale en ville (ça finit en corps en corps au milieu des chevaux), la troisième rencontre verra Lockhart maintenu par les hommes de Waggoman se faire tirer une balle dans la main à bout portant (hors champ, ce qui nécessite du jeu d’acteur, plutôt qu’un effet spécial sanguinolent, et comptez sur Stewart pour rendre à l’écran la douleur).

En résumé, l’immense James Stewart peut-il à lui seul sauver une histoire bancale ? Le Scope en technicolor de Mann peut-il faire oublier un scénario mal ficelé ? La réponse est oui dans les deux cas (« L’homme de la plaine » est considéré comme un grand classique de la grande époque du western).

Mais perso, je préfère nettement « Winchester 73 » et « L’appât » (je dirai rien sur « Les affameurs » que je crois bien ne jamais avoir vu, ni sur « Je suis un aventurier » pas vu non plus et qui n’a pas bonne presse), même si beaucoup auraient bouffé les varices de leur grand-mère pour être au casting d’un film de Mann avec Stewart …


Du même sur ce blog :

Winchester 73
L'Appât
L'Homme de l'Ouest




IDLES - ULTRA MONO (2020)

 

Classes populaires ...

Idles (ou IDLES), c’est le groupe de ceux qui ne sont rien pour ceux qui ne sont rien. Des ploucs qui s’adressent aux ploucs. Et y’a des fois ça fait du bien, quand c’est direct, brutal, sans des concepts prise de tête. Et pour être direct et brutal, Idles fait pas les choses à moitié, contrairement à ce que son nom pourrait laisser supposer (pour ceux qui avaient pris ouzbek en première langue, idle c’est fainéant, oisif, paresseux) …

Idles, c’est un groupe avec une personnalité dominante, le chanteur Joe Talbot, né et grandi à Newport, ville portuaire, ancien débouché du secteur minier gallois, le genre d’endroit où quand tu grandis dans une famille modeste, tu es marqué au fer rouge par le Labour Party. Une fois riche (?) et célèbre (?), Talbot gardera ses racines prolos chevillées au corps et se fendra régulièrement de déclarations incendiaires dont les plus « célèbres » concernent le torchon informatif The Sun, Fox News (C News dans la langue de Shakespeare), et Nigel Farage (brexiteur très très à droite et meilleur pote british de Trump). Bon, des types de gauche qui chantent, c’est pas ça qui manque (à condition de comprendre les textes débités à grande vitesse). Mais même si on saisit pas un traître mot d’anglais, Talbot est un chanteur impressionnant. Une « présence » phénoménale derrière le micro, toujours dans l’accélération bestiale permanente. En gros, il hurle, mais en plus il chante …

Idles

Les Idles, c’est le groupe qu’il a monté avec un pote de collège, un duo autour duquel sont venus se greffer d’autres connaissances. Et les cinq même types sont ensemble depuis leurs débuts, en 2009. Leurs débuts discographiques eux ont eu lieu en 2017 (« Brutalism »), avant celui que beaucoup considèrent comme leur meilleur, « Joy is an act of resistance » l’année suivante (je l’ai, j’ai dû l’écouter une fois en travers, aucun avis dessus). Tous leurs disques sortent sur un label indépendant, le bien nommé Partisan Records (celui aussi des dernières rondelles des Black Angels, le fabuleux rock band psychédélique d’Austin, voir ailleurs sur ce blog).

Musicalement, les Idles, c’est comme déjà signalé vraiment du brutal. Si vous voulez mettre Talbot en colère, dites que les Idles c’est du post punk. C’est l’étiquette qui leur a été le plus souvent collée, et Talbot a raison de s’énerver, ça n’englobe qu’une petite partie de leur rendu sonore. Post punk je suppose à cause du traitement des guitares, le plus souvent dans la stridence et refusant les solos pentatoniques auxquels le(s) gratteux préfèrent les chorus distordus. Beaucoup d’autres choses affleurent : le punk, le hardcore, (à cause des rythmiques le plus souvent trépidantes), le métal, le rap (la scansion quasi parlée de Talbot sur la plupart des couplets). Et s’il faut faire dans le name dropping, on a avec Idles des effluves de Public Image Limited, Bad Brains, Body Count, Rage Against The Machine, Ministry, Big Black, The Fall, Dead Kennedys ... Et la rage engagée du chant renvoie à John Lydon (ex Rotten), fait remonter le souvenir de ce bon vieux Joe Strummer.

Idles, un langage fleuri ?

Idles, on sent qu’ils ont pas fréquenté les écoles de commerce. A une cadence infernale, à peu près un par mois, ils ont sorti des titres (on ne parle plus de singles, c’était quand la sortie du dernier 45T en vinyle ?) en éclaireurs de ce « Ultra Mono ». Ce qui fait que quand il est paru, les aficionados du groupe connaissaient déjà la moitié des titres, ce qui est pas exactement une bonne idée pour faire vendre du 33T ou du Cd (et qu’on me parle pas des truands qui mettent la musique en ligne, et te filent 10 centimes quand t’as un million d’écoutes). Toutes ces aberrations temporelles en matière de parution de morceaux renvoient à la première moitié des années 60, quand le trente trois tours n’était qu’une addition de titres déjà parus, auxquels venaient parfois se greffer quelques inédits. Les Idles sont tout ce qu’on veut, mais à mon sens surtout des passéistes. Sauf que leur rock à eux n’est pas bloqué sur les 60’s-70’s, il s’abreuve de tout ce qui est paru depuis 70 ans, du punk, de la new wave, du rap, de l’électro (voir les rythmiques, qui tiennent le plus souvent de la boucle répétée ad lib).

J’ai pas suivi de près leur carrière, mais ce « Ultra Mono » me paraît être comme une fin de cycle, un bilan. Et pour fêter ça, ils ont invité quelques amis. Dont certains évoluent dans des genres cousins (David Yow, la figure de proue bien allumée des violents Jesus Lizard), et d’autres pas du tout (Colin Webster saxophoniste de jazz expérimental, Jamie Cullum, jazzman touche-à-tout, et cocorico la frenchie Jehnny Beth, des disques en solo, en groupe avec John & Jehn, actrice avec notamment un second rôle dans le célébré « Anatomie d’une chute »).

Bon, et ça donne quoi tout cet aréopage ? Une douzaine de titres pour l’essentiel bien énervés, avec des réminiscences de ceux cités plus haut, le tout porté par l’incandescence du chant de Talbot. Seuls deux titres vers la fin sont plus « calmes », « The Lover », sournoisement rampant (genre « Poptones » de P.I.L.), et « A Hymn » avec son intro genre Hendrix à Woodstock, avant que se mette insidieusement en place une pression latente via un crescendo oppressant, avant un final plus apaisé, l’explosion sonique attendue n’étant pas venue. Formule maline sans être fondamentalement originale.


Dans les morceaux tout-à-fond, mention particulière à « Anxiety », ses riffs tronçonnés, et ce up tempo qui renvoie aux Bad Brains, Dead Kennedys, Big Black … , « Grounds » son rap métallique aux énormes riffs se terminant en magma sonique qui n’aurait pas dépareillé sur une rondelle de RATM, l’intro accrocheuse de « Kill them with kindness »  parce qu’avec ses arpèges de piano, elle constitue la première « respiration » du disque (c’est le cinquième titre), « Mr Motivator » un des singles initiaux les plus remarqués, avec ses toms fracassés, ses guitares stridentes et son approche vocale très Rotten-Lydon. Meilleur titre de la rondelle selon moi, « Model Village » sonne comme du Devo suramplifié, et est une sorte de réponse en mode punk au « Village Green » des Kinks (Talbot dresse un portrait au vitriol de cette Angleterre très rurale qui de conservatrice a viré extrême-droite, même topo par chez nous …).

Un gros tiers du disque, sans être rebutant, est moins intéressant, on sent la formule (couplet rap, accélération hardcore du refrain) qui revient comme un mantra, ou des choses entendues mille fois (le punk bourrin avec son accroche en faux français de « Ne touche pas moi »).

Appréciation globale, y’a encore de l’espoir, camarades …


INGMAR BERGMAN- FANNY ET ALEXANDRE (1982)

 

Clap de fin ...

« Fanny et Alexandre », promis juré, c’était le dernier film de Bergman. Comme n’importe quelle tournée des Stones ou d’Eddy Mitchell depuis trente ans est censée être la dernière … Mais le Maître suédois a lui à peu près tenu parole. Un court-métrage, le montage du making-of de « Fanny et Alexandre », un téléfilm (« Saraband ») qui finira par sortir au cinéma, suivront « Fanny et Alexandre ».

« Fanny et Alexandre » au départ, c’est aussi un téléfilm. D’à peine un peu plus de cinq heures. La version exploitée en salles fait deux heures de moins. Soit trois plombes. Ce qui est beaucoup. Et surtout pour Bergman. « Fanny et Alexandre » conte l’histoire d’une famille pendant quelques mois. Rappelons que « Les fraises sauvages » contait la vie entière d’un octogénaire en une heure et demie.

Bergman & Nykvist

« Fanny et Alexandre », c’est le péplum revisité par Bergman. C’est aussi le film, puisque annoncé comme son dernier, qui devait servir de résumé à sa carrière et exploiter des thèmes qu’il n’avait pas encore développés. Péplum parce qu’il y a des chiffres vertigineux (pour un film suédois s’entend). Plus gros budget jamais réuni pour une production locale, une soixantaine de rôles avec au moins une réplique, plus de mille figurants utilisés, sept mois de tournage (jusqu’alors, Bergman tournait ses films en 6-7 semaines).

On peut lire partout que « Fanny et Alexandre » est un film autobiographique. Même Bergman l’a dit. En apportant quelques nuances. Oui, Alexandre, c’est Bergman pré-ado (une douzaine d’années). Oui, certaines scènes ont été vécues par Bergman. Sauf qu’en grand-maître des émois intérieurs, c’est son état d’esprit qui est recréé par le jeune acteur à un moment donné, les événements y conduisant n’étant pas forcément autobiographiques.

Deux exemples. Au début du film, on fête le Noël 1907. Bergman est né en 1918, il y a donc un différentiel de plus de vingt ans entre les deux époques où Bergman et Alexandre avaient une douzaine d’années. Le père de Bergman était un pasteur très sévère, pour ne pas dire tortionnaire vis-à-vis de ses trois enfants. Ici, le pasteur n’est que le beau-père d’Alexandre et on a beau tourner son personnage, certes belle tête à claques, dans tous les sens, on n’arrive pas vraiment à savoir ce qu’il ressent pour son beau-fils.

Alexandre et Fanny

Beaucoup considèrent que « Fanny et Alexandre » c’est l’apothéose de Bergman. Pas moi. « Fanny et Alexandre » est décousu, Bergman part dans tous les sens, oublie parfois son histoire principale, se perd dans des histoires et des personnage secondaires, et le recours au surnaturel offre bien trop souvent des portes de sortie faciles quand le Maître s’égare dans ses digressions.

Le seul qui perd pas ses repères, c’est Sven Nykvist, son directeur photo attitré (quatorze films ensemble). C’est lui qui tient la caméra et visuellement, oui, « Fanny et Alexandre » est certainement le meilleur Bergman, il y a des plans, des scènes entières époustouflants de beauté, de fluidité. Pendant que Bergman se tient au plus près de ses acteurs, toujours à la limite du cadre, Nykvist accumule les prouesses, au milieu de décors et de costumes somptueux (logiquement, la direction artistique et les costumes auront une statuette).

L’histoire autour de laquelle s’articulent toutes les autres, c’est celle de la famille Ekdahl. Il y a la grand-mère, ancienne gloire locale (le film se situe à Uppsala) de théâtre, ses trois fils, un prof marié à une Allemande qu’il déteste, un coureur de jupons frénétique (il pioche ses conquêtes parmi les employées de maison, avec la bénédiction de sa femme), et celui qui a repris le théâtre familial (Oscar, piètre acteur), aidé par sa femme (Emelie, bonne actrice). On les voit tous réunis (ils habitent à des étages différents dans la même très grande bâtisse cossue familiale) pour fêter Noel 1907. Des signes d’essoufflement d’Oscar préfigurent la crise cardiaque qui va bientôt l’emporter, laissant Emelie passer sous la coupe d’un évêque spartiate, et ses deux enfants, Fanny (la plus jeune) et Alexandre en proie à leurs solitudes et leurs imaginations. Quand leur mère épousera l’évêque (luthérien, il a le droit de convoler), les deux enfants suivront les mariés dans ses appartements austères de l’évêché, au milieu d’une belle-famille rigide et de leurs domestiques guère plus accommodants. Alexandre entrera le premier en résistance (et en conflit) avec son beau-père. Et Fanny ? Même si elle partage le titre du film, elle n’a que deux ou trois répliques (ça se comprend, elle n’a que sept ou huit ans), se contentant de suivre son frère dans ses « aventures ».

Le film est divisé en deux parties, le téléfilm en cinq, aux intitulés explicites (Un Noel chez les Ekdahl, Le Spectre, La rupture, Les événements de l’été, Les démons). Parce que l’histoire, classique pendant à peu près une heure, bascule par la suite vers « autre chose ». Le père mort revient « guider » son fils, « discuter » avec la grand-mère, de lourds secrets semblent entourer l’évêque, les enfants lui sont soustraits (scène absurde, digne des gags de Scapin chez Molière), par Jacob, un théologien Juif ami-amant de la grand-mère, qui vit dans un musée de marionnettes pas si inanimées que ça, avec ses deux neveux (l’un magicien, l’autre doté de dangereux pouvoirs paranormaux et tenu – en principe, mais Alexandre ira le voir - sous clef). Tout ça se terminant (enfin, il reste une demi-heure de film) par des auto-combustions (?) de l’évêque et de sa sœur impotente. Le tout entrecoupé des « aventures » du reste de la famille.

L'évêque ( Jan Malmsjö) et Emelie (Ewa Frolling)

Le rôle principal (Emelie) est tenu par une actrice (blonde, évidemment) venue du théâtre (Ewa Frolling), comme d’ailleurs une grande partie de la distribution. A laquelle se rajoutent quelques « historiques » de Bergman (Jarl Kulle, Erland Josephson pour des rôles majeurs, et Harriet Andersson pour un petit second rôle). Pour moi, celle qui s’en sort le mieux est l’actrice de théâtre Gunn Wallgren (la grand-mère), et ce bien que très diminuée par un cancer qui l’emportera l’année suivante.

« Fanny et Alexandre », perso, il me laisse une impression mitigée. Côté positif, c’est visuellement magnifique, toutes les thématiques chères à Bergman sont là (les relations familiales, la mort, la religion). Coté négatif, un manque évident de scénario avec notamment un point crucial « oublié » : comment cette veuve, femme forte et déterminée tombe sous le charme de cet évêque psychorigide et sous la coupe de sa famille bien tarée (avant elle aussi de se rebeller). A voir le film, on pourrait supposer que des éléments majeurs se trouvent dans la version pour la télévision. Ben que nenni …

Erland Josephson & Gunn Walgren

« Fanny et Alexandre » a été des années introuvable en France sur un support avec langue française. C’est la Gaumont, distributrice du film lors de sa sortie, qui a fait le boulot, réunissant dans un même package (5 DVDs quand même), le film, la version télé, le making-of supervisé par Bergman et autres bonus. Les deux heures supplémentaires n’apportent rien de compréhensible à la version de trois heures, certaines très longues scènes – dispensables pour la très grande majorité – sont là pour mettre en valeur quelques amis de Bergman (nombreuses scènes au théâtre, très long face-à-face à la limite de l’absurde entre les deux beaux-frères d’Emelie et l’évêque, …).

« Fanny et Alexandre » a été le plus gros succès commercial de Bergman, même si succès commercial et Bergman n’ont jamais bien rimé. Pour moi, c’est loin d’être son meilleur. Au mieux son testament artistique. Et les testaments, c’est bon pour les notaires, moins pour les (télé)spectateurs …



Du même sur ce blog :

FEDERICO FELLINI - AMARCORD (1973)

 

Auto-biopic ...

« Amarcord », ça veut dire quelque chose entre « il était une fois » et « je me souviens » dans le dialecte de la région de Rimini. Rimini étant comme par hasard la ville où est né et a grandi Fellini.

Et le Maestro déroule avec « Amarcord » le dernier volet de ce qu’on a qualifié de trilogie mémorielle. Après le faux documentaire « Les clowns » (Fellini a toujours été attiré par le cirque et les bohémiens, voir son insurpassable « La Strada »), et « Fellini Roma » sur ses années romaines (où le génial côtoie le foutraque complet), Fellini centre « Amarcord » sur son adolescence boutonneuse à Rimini.

Fellini et son harem ...

Enfin, à Rimini, façon de parler. Tout a été tourné aux studios Cinecitta à Rome. L’histoire se déroule sur une année, du printemps au printemps. Et parler d’histoire est aussi un non-sens. Comme un peintre, Fellini joue sur les impressions, les couches superposées. Il l’a dit et répété, bien peu de son film repose sur des faits réels et avérés, un souvenir fugace amène une scène. Et s’il y a une chronologie, des personnages récurrents, il n’y a pas d’histoire, au sens scénaristique du terme.

Le personnage central de « Amarcord » est Titta (un ersatz de Fellini donc), joué par le jeune débutant Bruno Zanin. Qui ne fera guère parler de lui par la suite, Fellini recherchant pour ses personnages des « gueules » plutôt que des stars. Au milieu de cette brochette d’anonymes, un second rôle qu’il a déjà fait tourner à deux reprises est attribué à Magali Noël (celle qui a chanté les joies du SM avec « Fais moi mal Johnny », paroles de Boris Vian). Elle sera la Gradisca, femme du coiffeur et pin up locale qui affole tous les mâles de la ville. Et parmi tous les personnages « felliniens » du casting, une aura son quart d’heure warholien de gloire, Maria Antonietta Beluzzi (la buraliste à la poitrine démesurée dans laquelle finira par se perdre le jeune Titta).

Repas de famille ...

Il y a dans « Amarcord » toute la démesure de Fellini qui voisine avec l’intimisme de la cellule familiale, tendrement caricaturée (le père maçon, le grand-père pétomane et lubrique, l’oncle silencieux et fourbe, un autre qu’on sortira de l’asile pour un pique-nique homérique, la mère qui essaie d’arrondir les angles, la bonne qu’à peu près tous les mâles de la maison essaient de tripoter, …).

Dans ces polaroids de la fin des années 30, Fellini nous montre avec tendresse cette sorte d’interzone (on n’est pas à la campagne, mais pas non plus dans une grande ville), en butte avec ses traditions (on commence par un feu de joie pour fêter l’arrivée du printemps, rite païen, mais les curetons veillent et font la loi dans les âmes, voir la libidineuse séquence de confessions à la chaîne), mais rattrapée par l’histoire qui s’écrit ailleurs (la montée du fascisme, ses parades grotesques, mais aussi ses arrestations arbitraires et ses interrogatoires « musclés »).

Dans cette petite ville de province, tout ce qui sort de l’ordinaire devient – lapalissade – extraordinaire. On voit tout le village s’embarquer sur de frêles rafiots pour attendre au large le passage du Rex (paquebot gigantesque mis en chantier et symbole de la puissance économique de Benito et ses sbires, Fellini a fait construire pour cette seule scène une maquette de cent mètres, on est pas loin de Cameron et « Titanic »), on voit tous les hommes du village suivre avec des yeux gourmands, forcément gourmands, le dernier arrivage de « beautés » à destination du bordel de la ville.

Magali Noel, la Gradisca

On sent toute la tendresse de Fellini pour cette Italie « d’en bas ». Le sourire est bonhomme. Que ce soit pour décrire la misère sexuelle des collégiens et leurs concours de branlette, leur fascination pour le derrière moulant et rebondi de la Gradisca ou l’hypertrophie mammaire de la buraliste. Que ce soit pour les fantasmes de la Gradisca, férue de cinéma et qui rêve de donner la réplique à Gary Cooper. Que ce soit le narrateur du film, bourgeois distingué et précieux qui n’est en fait qu’un mytho affabulateur. Que ce soit les dimensions imposantes du Grand Hotel, fierté touristique de la ville, et les évènements fantasmatiques qui y ont eu lieu (la Gradisca y aurait été la maîtresse d’une nuit d’un prince de passage, le simplet du village y aurait honoré tout le harem d’un sultan, qui donne lieu à une scène pastiche des ballets aquatiques des Ziegfield Folies). Les simplets sont montrés avec compassion (la souillonne prostituée, le tonton aliéné qui monte tout en haut d’un arbre immense et réclame une femme, …).

Par contre, comme Indiana Jones qui n’aime pas les nazis, on peut pas dire que Fellini porte les fascistes dans son cœur. Mise en scène grandiose et caricaturale lors d’une parade des leaders locaux du parti dans un village tout acquis à leur cause avec scènes d’hystérie à la Beatlemania devant les deux chefs (un nain et un paralytique !) et leurs affidés qui défilent en trottinant avant qu’une immense composition florale à l’effigie du Benito se mette à parler. Un grotesque compensé quand un type joue « L’Internationale » à la clarinette du haut du clocher du village. Le père de Titta (ancien ouvrier maçon donc « forcément » communiste aux yeux des fascistes) est arrêté, menacé, et subit un interrogatoire « musclé » à base de larges rasades d’eau de ricin. Ces séquences de Fellini sont peut-être ce qui s’est fait de mieux en matière de dénonciation par la farce des régimes dictatoriaux nationalistes de l’époque.

Zanin et Beluzzi 

Collaborateur attitré de longue date du Maestro, Nino Rotta livre dans « Amarcord » ce que beaucoup (dont Alexandre Desplat) considèrent comme sa meilleure B.O.

Avec « Amarcord », Fellini, quelque peu empêtré dans la surenchère symbolique démesurée depuis quelques années (au hasard « Satyricon ») signe son dernier grand chef-d’œuvre. Deux films acclamés par la suite lui doivent beaucoup. « Le tambour » de Volker Schlöndorff (un faux biopic, la frustration sexuelle, un nain comme dignitaire nazi, …) et peut-être plus encore « Underground » de Kusturica. Avec ses personnages en vase clos, la musique de Bregovic plus Rotta tu peux pas, et sa dernière scène (le mariage sur l’île qui dérive du Serbe, celui de la Gradisca dans un bord de mer triste chez Fellini).

S’il fallait n’en retenir qu’une poignée de Fellini, « Amarcord » en fait partie (allez comme je suis de bonne humeur je vous fais mon Top 5 du Federico, les quatre sont dans le désordre « La Strada », « Les nuits de Cabiria », « Huit et demi », « La dolce vita », et « Juliette des esprits ». Oh, ducon, ça fait six… Ben oui, en plus d’être de bonne humeur, je suis généreux …


Du même sur ce blog : 


DEEE-LITE - WORLD CLIQUE (1990)

 

Victime de la mode ...

Tel pourrait être son nom de code à Deee-Lite. Parce que trois petits (33) tours et puis s’en vont …

Ils furent pourtant les rois des airplays radio de l’année 90. Parce que ce qu’ils produisaient était ce que le public attendait (ou on leur a fait croire, au public, que ce qu’on leur faisait écouter était ce qu’ils avaient envie d’entendre).


A cette époque-là, la demi-décennie charnière fin 80’s – début 90’s où ce qu’on pourrait qualifier du vocable généraliste grand public de musiques dansantes électroniques passait de l’underground (les vinyles white labels à destination des DJ’s pressés à quelques dizaines d’exemplaires) au succès de masse (les bien nommés Massive Attack par exemple), ce qu’il fallait c’est se faire remarquer, sortir du troupeau d’anonymes. Et quoi de mieux que d’avoir une chanson qui passe à la radio et un clip à la télé ?

En 1988, ce fut Lisa Stansfield avec « All around the world ». Qu’on ne peut taxer d’opportuniste, c’était une vraie bonne chanteuse, qui grouillotait depuis quelques temps avec des joueurs de disquettes (Coldcut en l’occurrence). 1989 consacra Yazz, longiligne peroxydée amatrice de fringues fluo en plastoc qui fit la farce avec « The only way is up ». Yazz et Stansfield, deux Anglaises, et le continent apprécia.

Les Américains, jamais les derniers lorsqu’il s’agit de faire tinter le tiroir-caisse, obtinrent leur revanche en 1990 avec Deee-Lite et « Groove is in the heart ». Deee-Lite, c’est censé être un groupe (ils sont plus de deux). Dont la figure de proue est Lady Miss Kier (Kierin Magenta Kirby pour l’état-civil). Look Kate Pierson (la rousse à choucroute des B-52’s) revisitée par un couturier psychédélique (les fringues à motifs bucoliques). Fréquentant assidument les clubs dance newyorkais et s’acoquinant avec des DJ’s pour essayer de se faire remarquer. Au début des 80’s, ça avait donné Madonna. Lady Miss Kier est bien des tons en dessous, aujourd’hui on la qualifierait d’influenceuse, avec tout le côté péjoratif accolé au vocable.

Lady Miss Kier, toute en discrétion ...

Son « groupe », c’est elle et deux DJ’s. Exotiques. Un Russe, Dmitry et un Japonais, Towa Tei. Qui pour ne pas être en reste avec leur chanteuse, s’habillaient bariolé et fluo, avec un mauvais goût que les camions portugais devaient leur envier. Deee-Lite, c’est avant tout la réunion de trois fashionistas. Bo Diddley chantait deux points ouvrez les guillemets « don’t judge a book by its cover ». Ben y’a des fois que si. Livrés à eux-mêmes, les trois Deee-Lite accouchent de quelques machins sans le moindre intérêt, vaguement dans l’air du temps electro-dance-house-etc …, qui constituent la matière première de « World Clique », leur premier disque.

Et dans cette mélasse, on se surprend parfois à dresser l’oreille, et clignote quelque part le nom de James Brown (oui, on parle bien du même). Alors on feuillette le livret du Cd pour voir si le Godfather of Soul est crédité quelque part. Que nenni. Mais par contre, dans les intervenants de quelques titres, on voit apparaître le nom de Bootsy Collins. Et aussi ceux de Fred Wesley et Maceo Parker. Soit un tiers des mythiques JB’s, excusez du peu. Pourquoi traînent-ils là ? Apparemment Bootsy Collins fréquentait beaucoup les clubs newyorkais et comme vestimentairement (sans parler des binocles) il passe pas lui non plus vraiment inaperçu, la Kier l’a sollicité, il a dit banco et a amené ses deux vieux poteaux … Alors on se repasse la rondelle et bingo, c’est bien ça.

Deee-Lite, Bootsy Collins  et un DJ

Les trois ex-JB’s sont pas très souvent présent, unfortunately. Ils contribuent, et pas qu’un peu au hit « Groove is in the heart » (pour ceux que ça intéresse, le passage en rap dans le titre est de Q-Tip, le leader des concernés et militants A Tribe Called Quest, vous savez ceux qui avaient samplé la ligne de basse de « Walk on the wild side » pour leur hit « Can I kick it »). Collins, Wesley et Parker sont aussi présents sur « Try me on », le vrai meilleur titre du disque.

Sinon, pour être juste, faut reconnaître que les Deee-Lite ont fait tout seuls comme des grands « Power of love », un truc dance bêtement efficace quoiqu’un peu longuet. Et qu’ils se sont inspirés (pour pas les accuser de plagiat) de Kid Creole & The Coconuts pour « Smile on ». Le reste mérite pas qu’on s’y attarde …

Sur la lancée du méga-succès de « Groove is in the heart », ce « World Clique » se vendra bien. La suite confirmera les vides artistiques qu’il contient. Deux successeurs suivront, dont tout le monde a oublié le titre. Avant la débandade finale (quand Kier et Dmitry ne feront plus chambre commune disent ceux qui s’y connaissent en potins de plumard). On ne sait ce que les DJ’s sont devenus, Kier a elle continué un peu dans la musique (Djette), et évidemment, on l’a beaucoup aperçue dans les gradins des défilés de mode. Mission accomplie ?