ZAKK WYLDE - BOOK OF SHADOWS (1999)

 

Marche à l'ombre ?

Autant le préciser d’emblée, voici le genre de rondelles que j’aborde avec circonspection. Le Zakk est maintenant célèbre (?) pour être le leader de Black Label Society, qui me semble être une bande de chevelus bien bourrins (mais je sais pas trop, j’ai écouté que deux-trois morceaux en travers). Auparavant, Wylde s’est fait remarquer de ceux qui trempent leur slip dès qu’un solo de guitare apparaît à l’horizon en étant l’accompagnateur de Ozzy Osbourne (après Randy Rhoads, … bâillements). Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il fallait une bonne dose d’abnégation pour accompagner l’ancien chanteur de Black Sabbath, précocement sénile et rendu totalement cinoque par l’alcool et la coke dans les années 80 et suivantes. Il paraît que cette promiscuité a laissé des traces chez Wylde, le poussant vers la picole à forts volumes et (sans doute pour contrebalancer et éliminer les toxines) la gonflette musculaire. Le type est baraqué et joue de son physique schwarzeneggerien … Les spécialistes pourraient vous tartiner trois feuillets à vous dire l’importance de Wylde live, of course, mais aussi en studio, où il aidait beaucoup son demeuré de patron à écrire et arranger des chansons …

Quand les cures de désintox de l’Ozzy lui laissaient du temps libre, il avait monté un groupe dont j’ai oublié le nom (et que j’ai la flemme de rechercher) qui a duré quelque temps avant de disparaître. Son label Geffen lui a signifié qu’il avait signé un contrat qu’il se devait d’honorer et qu’il lui était redevable d’un disque. D’où de « Book of shadows » en solo. Se méfier des disques de fin de contrat, les artistes ayant souvent tendance à saboter le boulot pour aller plus vite voir ailleurs. Aux dires des spécialistes du Wylde, « Book of shadows » n’a que peu à voir avec ce qu’il avait produit auparavant. Fini les trucs hardos et place à un country-rock viril. Ce qui à titre tout à fait perso me convient mieux.


Et ça commence plutôt très bien. « Between heaven and hell » premier titre de la rondelle, débute par une intro à la guitare acoustique renforcée par un harmonica. Une référence clignote instantanément, celle de « Harvest » de Neil Young. On a connu des débuts de disque moins intéressants. Et petit à petit dans ce titre, l’électricité arrive pour culminer par un solo court et intéressant de guitare électrique. Du bon classic rock, en formation serrée (ils sont que trois en studio, Wylde, un bassiste qu’on retrouvera chez Megadeth (soupirs …), et un batteur, Joe Vitale, habitué des sessions dans le gotha du rock West Coast (CSN, Eagles, Walsh, …). En plus de leurs instruments de prédilection, ils malmènent également pianos et claviers divers. On peut souvent lire que Zakk Wylde en solo pratique du rock sudiste. Amen … sauf que je vois pas bien en quoi ce disque peut ressembler aux premières rondelles des frères Allman ou de Lynyrd Skynyrd.

Pour moi, le premier titre est l’arbre qui cache la forêt. Globalement, « Book of shadows » est supportable. Sauf que Wylde décline toujours la même chose. Une intro acoustique (guitare ou piano), et un crescendo électrique trouvant son aboutissement dans un solo de guitare dans la ligne du parti (entendez par là qu’on n’est pas dans le superfétatoire démonstratif ou l’expérimental forcené). En fait, comme la plupart des titres sont sur un tempo lent ou médium, on a grosso modo un album de classic rock ricain … du genre de ceux que tartine Springsteen depuis la fin des années 80. Sauf que quand le Boss arrive plus ou moins à faire prendre la sauce en mettant ses tripes et son feeling dans le chant, le Wylde, il a pas vocalement le coffre pour insuffler de l’épique dans ses titres. C’est un chanteur juste correct et limité, et à force de pas être capable de varier la voix, ça finit par être redondant. Tous ces titres qui se ressemblent, qui sonnent tous de la même façon, si on n’est pas fan absolu, ça lasse … et c’est pas l’ésotérisme mystique de pacotille des thèmes des chansons (le Bien, le Mal, la culpabilité, la mort, la rédemption, …) qui peut sauver l’affaire.

Je suis guitariste, capito ?

Alors fatalement, ont tendance à ressortir du lot des titres qui essaient de se démarquer du moule uniforme. Comme le strict country-rock énervé de « The things you do », ou l’ultime « I thank you child » qui fait le grand écart entre les gentilles comptines de Donovan et un riff monumental accompagné d’un gimmick de batterie qui évoque le « Kashmir » de Led Zeppelin … Bon titre également, « Throwin’it all away » sous forte influence Dylan période « Knockin’ on heaven’s door » et doté d’un bon solo bluesy sans trop d’esbrouffe ou de fioritures superflues … Quelque part vers le milieu du disque on trouve aussi enchaînés une paire de titres quasi strictement acoustique, assez mignons mais qui courent un peu vainement sur les traces du Neil Young du même genre. Quant au reste, bof …

Comme si ça ne suffisait pas avec l’album original (onze titres, plus de cinquante minutes) la plupart des éditions de « Book of shadows » fournissent un Cd bonus avec trois titres qui n’apportent rien de plus ni de mieux (peut-être un chouia plus acoustique et une déception avec « Evil ways » qui n’est malheureusement pas une reprise du classique de Santana).

Il existe aussi un « Book of shadows II» … Euh, tout compte fait, non merci …




JEAN-LUC GODARD - VIVRE SA VIE (1962)

 

Chemin de croix ...

« Vivre sa vie » est sous-titré « Film en douze tableaux ». Du strict point de vue du montage, des intertitres séparent des groupes de scènes et annoncent sommairement ce qui va suivre. Douze tableaux comme il y a quatorze stations du Chemin de Croix … Même si « Vivre sa vie » n’est pas un film religieux. Au mieux, on frôle le mysticisme quand Godard, dont il n’est pas inutile de rappeler qu’il fut d’abord critique et donc fan de cinéma, insère une scène qui s’annoncera prémonitoire, celle de l’annonce à Jeanne d’Arc de sa condamnation dans le chef-d’œuvre de Dreyer « La passion de Jeanne d’Arc » avec ce long gros plan sublime sur le visage d’Andrée Falconetti, une des scènes les plus expressives jamais mises en images.

Godard & Anna Karina 1962

Godard a toujours aimé la symbolique, suggérer plutôt que montrer, ce qui n’est pas forcément plus simple ou évident. Mais Godard, encore à l’orée de sa carrière (« Vivre sa vie » n’est que son quatrième long-métrage, et il n’a qu’un chef-d’œuvre, « A bout de souffle », à son actif) estime avoir des dettes à payer au septième art, tout en suivant une voie profondément originale. Ce qui occasionne des tensions. Avec à peu près tous ceux qui sont les plus importants lorsqu’il met en chantier ses films.

Godard envisage son art d’une façon unique à l’époque, et surtout n’aime pas les concessions. Comme beaucoup de ses films des sixties (vive la censure gaullienne), « Vivre sa vie » va se retrouver interdit aux moins de dix-huit ans. Faut dire que faire un film sur la prostitution et « offrir » au spectateur-voyeur de l’époque quelques images (certes fugaces) gratuites de seins et de fesses ne risquait pas de le réconcilier avec la triste bien-pensance de la censure de l’époque. Il ne se foutait pas de la censure, il la cherchait …

Des concessions, Godard n’en fera pas plus à la production. Lâché par son premier et historique financeur Georges de Beauregard, il trouvera comme producteur Jean Schlumberger, à qui il refusera un petit second rôle pour sa femme, avant d’entrer en conflit ouvert avec lui (des rumeurs, comme d’habitude serait-on tenté de dire sur les tournages de Godard, font état de bagarres entre les deux et au moins de situations très tendues bien réelles).

La censure et la production sur le dos, ça peut déjà faire beaucoup pour un seul homme. Godard ne s’arrête pas là. Bien que son mariage prenne l’eau, il confie à sa femme Anna Karina le premier rôle, et prendra quasiment un malin plaisir à lui imposer multitudes de choses qu’il n’est pas sans savoir qu’elle va détester (sa coupe de cheveux, ses fringues, de nombreuses situations et répliques, …).

L'amour tarifé ...

Certes à peu près tout ce qu’a fait Godard dans les sixties mérite d’être vu, mais bien peu se hasardent à citer « Vivre sa vie » comme un de ses films majeurs. Même si on y trouve tout ce qui symbolise le meilleur cinéma de Godard. Les personnages antisystèmes d’abord. Ceux qui sont en marge de la société et se foutent donc des codes de la société. Anna Karina est Nana. Une allusion au personnage du même prénom de Zola. Même si la trajectoire de la Nana du film évoque plus celle de sa mère (la Gervaise de « L’Assommoir ») dans la saga de Zola.

Nana vivote dans son boulot de vendeuse de disques dans un magasin d’électro-ménager (même s’il ne comprend rien à la musique de son époque, Godard lui donne toujours une place importante dans ses films). Elle se fait larguer par son mec (superbe premier « tableau », scène de rupture pendant laquelle les deux protagonistes sont filmés de dos au zinc d’un bistrot, on ne voit leurs visages flous de face que dans le reflet des glaces du comptoir), se fait courser par sa logeuse parce qu’elle lui doit du fric qu’elle essaye de trouver en vain auprès de ses connaissances. Dès lors, d’abord occasionnellement ensuite régulièrement, Nana va se prostituer, sans qu’on sache et comprenne vraiment ce qui la pousse sur le trottoir.

Nana au cinéma

Dès lors, la prostitution va devenir le fil conducteur du film. Bon, Godard ne fait pas ici du cinéma social (même si « Vivre sa vie » doit bien plaire à Ken Loach), il marche plutôt sur les traces du réalisme désincarné de Bresson, un des théoriciens de la Nouvelle Vague. Il aurait même reconnu l’influence du néo-réalisme italien, et plus particulièrement de Rossellini, ce qui se tient … Le point de départ de « Vivre sa vie » étant un très sérieux rapport de Marcel Sacotte, juge de son état, intitulé « Où en est la prostitution ? » (ce qui donne l’occasion à Godard au cours d’une scène en voiture de faire tenir à ses personnages un très didactique dialogue sur le mode question-réponse sur le thème de la prostitution, sa tarification, l’organisation de la hiérarchie mac-tapineuse, etc …).

Anna Karina traverse cette histoire qui finit mal en roue libre (on la sent pas toujours très concernée). Il y aurait évidemment beaucoup à dire sur la façon très particulière et freudienne qu’a Godard de mettre en scène la femme dont il est en train de se séparer. Il la fait coiffer façon Louise Brooks sachant pertinemment qu’elle déteste les coupes à la garçonne, invente quasiment le système d’oreillette pour lui donner des ordres sur le tournage, elle manque se faire écrabouiller par une voiture, et finira par une tentative de suicide aux barbituriques. Autant dire qu’elle n’est pas aussi irradiante que dans « Pierrot le Fou », période à laquelle sa relation avec Godard était beaucoup plus claire (ils venaient de divorcer). Elle arrive cependant à sublimer une paire de scènes, lors de la projection de « La passion de Jeanne d’Arc » où ses larmes viennent répondre à celles d’Andrée Falconetti à l’écran, ou lors d’une danse endiablée au milieu de macs dans une salle de billard. Elle est par contre assez à l’Ouest lors d’une discussion philosophique dans un bistrot avec un intellectuel oublié (Brice Parrain), lors d’une longue scène (bien dix minutes) totalement hors sujet par rapport au reste du film, technique récurrente chez Godard pour faire au grand n’importe quoi, alors qu’il a ça en tête depuis le début du tournage …

Un final à bout de souffle ...

Et comme si ça ne suffisait pas, Godard doit faire face au départ au milieu des prises de vue de l’indispensable chef-opérateur Raoul Coutard, engagé sur un autre tournage alors que celui de « Vivre sa vie » s’éternise.

Pour l’anecdote, alors que passe dans un bar la chanson de Jean Ferrat « Ma môme », c’est le chanteur lui-même que l’on voit accoudé au jukebox.

En fait on se demande si pour « Vivre sa vie » tout n’était pas dit dans le générique d’entrée (« ce film est dédié aux fans de série B »). Même si les thématiques de la série B américaine sont là (les marginaux, rebelles, les catins, les voyous), même si la fin renvoie étrangement à celle de « A bout de souffle », il manque ce petit quelque chose qui peut faire d’une série B un grand film …

A noter que le film remastérisé en haute définition ne semble disponible en Blu-ray qu’en import anglais (chez la boîte d’édition BFI). Avec beaucoup de bonus, dont notamment trois courts-métrages assez rares de Godard (« Charlotte et Véronique » avec scénario d’Éric Rohmer, « Une histoire d’eau » co-réalisé avec Truffaut et « Charlotte et son Jules » avec un Belmondo doublé étrangement dans la VO pourtant en français). Par contre la version commentée du film (par un critique de cinéma … australien) et une longue d’interview de Karina en 1973 par un journaliste qui parle beaucoup plus qu’elle, ne sont disponibles qu’en anglais. J’ai pas l’impression qu’on perde grand-chose d’après les bribes écoutées …


Du même sur ce blog :

A Bout De Souffle (1960)
Le Mépris (1963)
Pierrot Le Fou (1965)
Masculin Féminin (1967)



BASEMENT 5 - 1965-1980 (1980)

 

Punky reggae party ...

Basement 5 est un groupe météoritique. En comptant large, deux ans d’existence, de 1978 à 1980. Avec de plus une instabilité remarquable. Le groupe a été fondé par Don Letts, un nom qui doit bien dire quelque chose aux connaisseurs du Clash. C’est lui qui aura souvent en charge la partie visuelle de la bande à Strummer et Jones (photos, vidéo-clips, reportages), avant de co-fonder Big audio Dynamite avec Mick Jones, une fois celui-ci viré du Clash …

Letts fonde donc et est le leader de Basement 5. Rôle qu’il abandonnera assez vite, jusqu’à ce qu’il soit remplacé par un autre gars à dreadlocks, Dennis Morris. Pas vraiment une superstar, mais pas un inconnu non plus. Il fut pendant des années le photographe officiel de Bob Marley (on lui doit de nombreuses pochettes de disques du Bob) avant d’être celui des Sex Pistols. Il suivra immédiatement Lydon dans l’aventure PIL (c’est Morris qui réalisera le logo du groupe, ainsi que le célèbre packaging de la « Metal Box »).

Dennis Morris

Morris est un Anglais d’origine jamaïcaine, arrivé en Angleterre en 1965 (d’où le titre du disque, censé (re)présenter la société anglaise et son évolution de son arrivée à la date de réalisation de la rondelle). Morris ne succèdera pas seulement nominativement à Letts, il prendra également la direction totale du groupe : conception du graphisme et du logo de Basement 5 (pas sa meilleure création), définition de la direction musicale et du thème des titres, participation à l’écriture de tous les titres et chant lead. Bon, Morris n’est pas à la base Otis Redding, et les grosses quantités de weed inhalées n’aident pas à éclaircir sa tessiture vocale. Au résultat, le chant (ou plutôt les déclamations) ressemble assez à celui de Joey Starr. D’autant qu’au niveau phrasé, on est chez Morris entre reggae et rap …

Musicalement, on a toujours en filigrane des structures reggae. Les colleurs d’étiquette vous diront que Basement 5 c’est du post-punk. Chronologiquement, on peut pas leur donner tort, même si l’aspect post punk se borne à recopier le son de PIL, les Basement 5 n’ont pas vraiment fait avancer quelque schmilblick que ce soit … Mais le groupe a pu compter durant sa courte activité discographique (un simple, ce « 1965-1980 », et « In dub » un maxi 45-T reprenant quelques titres de « 1965-1980 » en version dub, comme son intitulé l’indique) sur un joker. Et pas n’importe quel joker, Martin Hannett himself. Qui est comme tout le monde (?) sait, le producteur des deux mythiques disques de Joy Division. Et on retrouve sur ce « 1965-1980 » toutes les caractéristiques de la production de Hannett, et cette noirceur sonore oppressante, que le tempo soit lent ou rapide. Et son travail avec Basement 5 a le mérite de mettre les choses au clair : le son de Joy Division, qui allait inspirer des générations de déprimés tendance suicidaire, il a bel et bien été inventé par Hannett, la bande à Curtis n’y est pour pas grand-chose …

Dès lors, l’écheveau est facile à dérouler : Basement 5, c’est à l’exacte intersection de PIL et Joy Division aux prises avec un reggae lent et lourd … et avec le cousin de Joey Starr au chant. En clair amateurs de fanfreluches, fioritures et guipures sonores flatteuses pour l’oreille, passez votre chemin. Pour les textes, le militantisme marxiste de Strummer semble être la référence évidente (en encore plus agressif et mordant dans le ton, Morris ayant la malchance (?) de ne pas être blanc. Les lignes de convergence avec le Clash sont nombreuses. Si vous voulez savoir d’où viennent les sirènes de police utilisées en rythmique sur « Police on my back » (sur « Sandinista » fin 80), écoutez le premier titre de « 1965-1980 », « Riot » (certainement en référence au « White riot » de Vous-Savez-Qui).


Bizarrement, Basement 5 réussit à transformer un handicap, soit une rythmique reggae qui swingue comme un duo d’enclumes (et on parle même pas du batteur, qui dans un parfait scénario spinaltapien a quitté le groupe le premier jour d’enregistrement), en une machine de guerre tribale et énervée (un peu comme le feront les Bad Brains, eux aussi cousins sonores, de l’autre côté de l’Atlantique). Le disque sonne forcément monolithique tout en restant plutôt efficace, avec quelques titres qui surnagent, même si les influences sont assez transparentes le Clash pour « Hard work » et « Last white Christmas », PIL pour « No ball games » ou « Union games »). Plus rarement, des trouvailles qui semblent propres à Basement 5 se distinguent. « Immigration », sinueux avec guitare jazzy, ou l’ultime « Omegaman », annonciateur du raggamuffin (mix de reggae, de rap et d’effets électroniques), et doté d’un remarquable (?) et interminable fading de deux minutes.


Le plus bizarre dans cette affaire étant le boulot de Hannett. Peu de monde devait l’attendre sur un truc reggae. Il poussera avec Basement 5 le bouchon encore plus loin, produisant leur disque suivant, un maxi 45-T de cinq titres reprenant des titres de « 1965-1980 » en version dub. Des dubs lourds, lents et menaçants, assez éloignés dans l’esprit et le résultat des merveilles de – au hasard – Lee Perry revisitant les titres de Marley. Ces deux disques, qui représentent la quasi-totalité des enregistrements de Basement 5, devenus rares au fil des années, ont été réédités sur le même Cd par les gens du label belge Play It Again Sam au début des années 90.

Pour l’anecdote le look assez improbable que les Basement 5 affichent sur nombre de photos, vient d’une sorte de blague. En majorité noirs et en goguette dans une rue commerciale, ils sont rentrés dans un magasin londonien de sport dédié au ski, pour acheter les démesurées lunettes de soleil alors en vogue sur les pistes de poudreuse, et en sont ressortis équipés de pied en cap avec les combinaisons de ski flashy de l’époque …

Chacun est libre d’apprécier (ou pas) le résultat visuel …

Par contre, au niveau sonore, malgré quelques réserves, ça envoie bien le bois …




KING CRIMSON - IN THE COURT OF THE CRIMSON KING (1969)

 

D'algébrique et de broc ...

Ce disque-là, c’est un des incontournables du rock au sens large. Nul n’a fait et ne saurait faire quelque chose qui ressemble à une liste des meilleurs disques sans que « In the court … » n’y figure. Avec « Velvet Underground & Nico », « Dark side of the moon », le « White Album », ce disque peut se prévaloir d’une des pochettes les plus connues. La musique ? Juste pour beaucoup l’alpha et l’oméga du prog rock …

Il convient donc de dire le plus grand bien de « In the court » … et à titre tout à fait perso, un peu de mal aussi, hein, on se refait pas …

King Crimson at Hyde Park

King Crimson, qui existe peut-être encore, c’est la chose de Robert Fripp, guitariste virtuose et cérébral. Le groupe a vu défiler un nombre incalculable de musiciens dont la condition préalable à l’embauche était d’avoir un niveau technique très au-dessus de la moyenne. Pourtant, si l’on remonte aux origines du groupe, Robert Fripp n’était que le troisième sommet d’un triangle construit par les deux frères Giles, sous le patronyme hautement imaginatif de Giles, Giles & Fripp. Après quelques changements de personnel, lorsque Giles, Giles & Fripp deviendra King Crimson début 1969, seul un des deux frangins, Michael, sera encore là, à la batterie. Ont rejoint le groupe Ian McDonald, multi-instrumentiste (dont notamment la flûte dont il usera et abusera, on y reviendra), et Greg Lake (bassiste et futur membre de Emerson, Lui-Même & Palmer). Plus un poète, parolier et éclairagiste du groupe, Pete Sinfield.

En cette fin des années 60, rien ne paraît impossible. Qu’on en juge. Le 9 avril 1969, King Crimson donne son premier concert officiel (à Londres, au Speakeasy). Moins de trois mois plus tard, le 5 juillet, King Crimson est en première partie des Rolling Stones à Hyde Park (le concert-hommage à Brian Jones, mort deux jours plus tôt) devant un public estimé entre 250 000 et 500 000 personnes. La prestation de la bande à Fripp reçoit de nombreuses critiques élogieuses. Pas mal pour un groupe qui n’a pas fait paraître un seul single, et encore moins d’album …

Version gatefold ...

Le premier 33T va être enregistré durant l’été, et finalisé (en toute décontraction selon les dires des membres du groupe que l’on n’est pas obligés de croire sur parole) en huit jours. Du strict point de vue de la technique sonore, c’est assez catastrophique. Des problèmes de bandes stéréo à l’origine de craquements et de grésillements sur le master, une batterie mal enregistrée et donc sous-mixée, autant de détails qui auraient pu stopper net la carrière du groupe. Rajouter à cela une pochette où ne figurent ni le nom du groupe ni le titre du disque, encore un élément commercial suicidaire des débuts de King Crimson. C’est cette pochette sans aucune indication qui paradoxalement, va provoquer l’enthousiasme populaire. L’auteur de la pochette est un jeune informaticien, Barry Godber (mort à 24 ans l’année suivante) d’après quelques indications données par Sinfield sur le contenu et la thématique du disque. La pochette est de type gatefold et présente l’homme schizoïde du 21ème siècle. Pas la peine de la décrire, tout le monde la connaît. A l’intérieur, le visage lunaire et apparemment souriant du Roi Cramoisi. Cette pochette, choc visuel et esthétique, fera immédiatement décoller les ventes de disques (on parle là quasiment d’un autre monde, où des gens achetaient des disques et pas des abonnements à des sites de streaming farcis d’ignobles mp3 compressés), avant même de savoir quelle sorte de musique on pouvait trouver à l’intérieur …

Au centre de tout, Robert Fripp

Le premier titre du disque c’est « 21st Century Schizoid Man », un de ces morceaux épiques qui se comptent sur les doigts d’une main dans l’histoire du rock (« Good vibrations », « Born to run », liste close ?), compositions à tiroirs d’une sophistication peu commune. « 21st … » commence par 30 secondes de silences parasitées, avant qu’arrive un riff de guitare monumental doublé au sax et une voix trafiquée (pas au vocoder, qui n’existait pas) déclamant un texte cryptique duquel surnage la référence à la guerre du Vietnam (« innocents raped with napalm fire »). Mais c’est la partie centrale du morceau qui le rend unique. Un empilement de solos (surtout de guitare) construits de façon mathématique (crescendos puis decrescendos symétriques) tout à l’opposé des improvisations bluesy de rigueur à l’époque. « 21st … » sortira en single réparti sur les deux faces du vinyle (jamais écouté, mais ça doit sonner très étrange …).

Le petit frère de « 21st… » c’est le titre éponyme, en conclusion du disque. Une sorte de (très) quiet – (très) loud épique et symphonique, mais avec quelques parties assez pénibles (un malheureux solo de flûte surtout vers la fin) avant un emballement électrique et rageur… Le disque ne comporte que cinq titres enchaînés (certains en plusieurs parties, découpage typique des morceaux du prog à venir).

Il y a un autre titre intéressant, « Epitaph » qui clôture la première face vinyle. Peut-être la seule vraie concession de King Crimson à l’air du temps. Trame issue de la musique classique tendance un peu pompier (dans la lignée de Procol Harum ou des Moody Blues), et qui ressemble par moments à ce que fera le Floyd dans les années 70.


Les deux titres restants sont pour moi les deux plus problématiques. « I talk to the wind » et « Moonchild » abordent les thématiques qui feront florès chez les progueux et les babas-cool de tout poil : la balade campagnarde, la communion avec la nature (on parle au vent, à la lune, on fait l’amour aux arbres, …, toutes ces sornettes bucoliques). On notera l’omniprésence de la flûte (les fans du pénible Ian Anderson de Jethro Tull seront ravis), des interminables passages où il ne se passe strictement rien (gazouillis ineptes de mellotron exceptés).

On sait cependant que tout ce qui semble n’être que jams farineuses informes était en fait très écrit. Rien n’est improvisé dans « In the court … », tout est chirurgicalement mis en place. Fripp qui est dès cet essai inaugural le leader du groupe a un discours plombant sur la musique, intellectualisant la moindre bribe sonore. Rien d’étonnant à ce qu’il devienne très pote avec Brian Eno, autre conceptualisateur forcené.

Le caractère de cochon du Robert génèrera un turn-over assez frénétique au sein de King Crimson. Qui passera le début des années 70 dans le marigot du prog-rock, d’où surnageront à peine quelques riffs monstrueux (celui de « Lark’s tongue in aspic » étant le plus mémorable), avant un nouveau disque hors norme, le très noir et très étouffant « Red » (le meilleur du groupe selon moi).

Même si « In the Court of the Crimson King » est loin d’être parfait d’un bout à l’autre, on peut difficilement se passer de l’avoir sur ses étagères …


Des mêmes sur ce blog :


PACO DE LUCIA - COSITAS BUENAS (2003)

 

Band of Gypsys ?

A lui tout seul … Y’en a qui disent que Paco De Lucia c’est le Jimi Hendrix du flamenco …

Mais je sens poindre la perfide question : de quoi il nous cause le Lester ? Mea culpa, mea culpa … c’est quand mes TOC me reprennent, j’ai lu trois lignes quelque part sur le Net d’un type qui disait que Paco Machin, c’était ‘achement bien, j’ai pas cherché à voir si le mec (ou la nana, je suis pas zemmourcompatible) était fan de Gilbert Montagné ou pire, et trois clics plus loin, j’avais acheté ce bazar d’occase pour le prix d’un demi (il faisait pas chaud ce jour-là, j’avais des excuses).


Le flamenco, à peu près tout ce que j’en connais, c’est au gré de zappings forcenés sur les chaînes de « Grande Musique » du câble (Mezzo, Classica, Djazz TV, ce genre …). Quand y’a pas des Castafiore qui s’appellent Carmen, Aïda ou Tosca, des danseuses en turlututu chapeau pointu, ou des moustachus bedonnants en chemise hawaïenne en différé depuis Antibes, La Villette, Marciac ou Juan-les-Pins qui donnent dans le solo concerné de sax alto, on peut parfois tomber sur du flamenco … à savoir des mecs basanés qui jouent de la guitare sèche, et des nanas tout aussi basanées, plus très jeunes généralement, habillées en rouge et noir, cambrées comme des hippocampes, tapant du talon sur un parquet ciré et poussant des cris comme si on venait de leur piquer le sac à main ou arracher la culotte, le tout dans une semi-obscurité… généralement, je zappe au bout de deux secondes trois dixièmes …

Tout ça pour dire que le Paco, ben, j’aurais pas dû … parce que je suis pas aussi con et inculte que j’en ai l’air, j’avais moultes fois vu son nom au gaillard. Généralement accolé à celui d’Al Di Meola, parfois à ceux de Santana, Beck, ou Clapton … Le premier donnant dans le jazz fusion à plein temps, le second à temps non complet, le troisième à temps perdu, et le quatrième passant son temps à jouer avec n’importe qui … autrement dit, quand il faisait pas du flamenco le Paco, il faisait rien de bon, et vous connaissez l’adage, mauvais un jour, mauvais toujours … Même si c’est pas aussi mauvais que prévu.

Après trois cent quatre-vingt-deux mots pour rien dire, venons-en au fait. Le flamenco, c’est la musique des gitans (les gitans, on dit comme ça quand ils vivent pas trop loin de la Méditerranée, ailleurs on dit des roms si j’ai bien compris) espagnols. Plus précisément ceux d’Andalousie, Algesiras étant la capitale mondiale du flamenco. Or Paco De Lucia il est pas gitan, mais il est né à Algésiras, ça a dû compenser pour se faire accepter dans ce milieu ultra traditionnaliste. Et en plus d’être un peu une pièce rapportée du machin, De Lucia l’a paraît-il totalement dépoussiéré, rénové, réinventé …


C’est déjà un guitariste d’exception, ça je confirme. Un peu comme Robert Johnson, on dirait qu’ils sont plusieurs à jouer. Et De Lucia joue aussi des machins à cordes ressemblant à des guitares, genre ouds, bouzoukis, mandolines … Le résultat c’est du flamenco, mais pas celui pour beaufs en goguette (Gipsy Kings, Kenji Girac, cette sorte de daubes) ou chaînes du câble. La technique du Paco lui permet de s’éloigner du convenu et amener ses titres autre part. Tout en restant dans la ligne du parti, les stars du genre (la star vocale Camaron de la Isla, le guitariste Tomatito, les autres participants jamais entendu causer, ce sont peut-être des stars aussi …) se bousculent pour jouer les guests sur quelques titres.

Ça donne l’impression d’être improvisé autour d’un thème (les jazzeux seront en terrain connu) mais c’est pas sûr, De Lucia il joue des trucs tellement stratosphériques techniquement, ça m’étonnerait que tout soit fait en une prise, les parties vocales arrivent généralement sous forme d’onomatopées et pas forcément quand on les attend …

Sur les huit titres de la rondelle, y’en a deux ou trois que je supporte, « Patio custido » (bonne entrée en matière), « Que venga el alba » (All Flamenco Stars Band ?), et l’ultime et plus accessible du lot « Casa Bernardo » …

Voilà, voilà, j’ai un disque de Paco De Lucia sur mes étagères …

Et tel le proverbial corbeau, je jure, mais un peu tard, qu’on ne m’y reprendra plus …