The end of the beginning ...
En 1971, quand paraît « Hunky Dory », David Bowie n’est au mieux qu’un outsider parmi d’autres. Même si les tombés au champ d’honneur sont légion, il reste encore du lourd en haut de l’affiche. Et Bowie aimerait bien s’y retrouver en haut de l’affiche. Il y a une éternité (7 ans) qu’il a commencé à enregistrer. Avec des groupes d’abord, puis sous son nom (enfin sous son pseudo de scène, il est David Jones pour l’état-civil). Et seul un hit, « Space Oddity » en 1969 l’a placé fugacement sur la carte des gens qui comptent. Pire, une de ses vieilles connaissances-ami-concurrent, Marc Bolan, triomphe avec son « groupe » T.Rex.
Et Bowie, qui a toujours humé l’air du temps pour y
coller au plus près comprend que des changements s’imposent. D’ailleurs,
« Changes » qui ouvre son nouvel album est choisi comme single.
Choisi par sa maison de disques plus exactement. Lui avait proposé « Life
on Mars » …
Parenthèse martienne. « Life on Mars » est
une déclinaison de « Comme d’habitude » de Claude François. Très tôt,
Bowie avait voulu la reprendre, veto des éditeurs français (ils cherchaient une
star pour l’adaptation, pas un inconnu). Ce sont finalement Paul Anka d’abord,
et Frank Sinatra ensuite qui en feront un énorme succès international.
D’ailleurs sur le verso de « Hunky Dory », à côté du titre
« Life on Mars » on voit écrit entre parenthèses « inspired by
Frankie ». Bowie n’a gardé que la grille d’accords et écrit ses propres
paroles. Récemment, tous les JT de la planète l’ont diffusée lorsque le bidule
techno américain s’est posé sur Mars. Alors que les paroles n’ont aucun rapport.
Assez abstraites, elles semblent conseiller aux tenants de « l’Ancien
Monde » (comme diraient les macronistes) réfractaires à tout changement
des mentalités d’aller voir s’il y a de la vie sur Mars … « Life on
Mars » ne sortira en single qu’un an et demi après sa parution sur
« Hunky Dory » (mi-73, avec « The man who sold the world »
en face B), pour surfer sur la vague Ziggy Stardust et occuper les charts.
D’ailleurs le « clip » qui l’accompagne, nous montre un Bowie
peinturluré par Pierre Laroche, très loin du look cheveux très longs de la
période « Hunky Dory » … Fin de la parenthèse.
« Hunky Dory » est en progrès et en
évolution par rapports aux précédents disques de Bowie. Il y a du changement
(« Ch Ch Ch Ch Changes … »). Tony Visconti, producteur et bassiste du
précédent « The man who sold the world » n’est plus du casting (il aura
l’occasion de se rattraper, tant son nom s’est retrouvé associé à Bowie pendant
des décennies). Derrière les consoles, officie Ken Scott (débuts tout minot aux
côtés de George Martin aux studios Abbey Road, ce qui n’est pas rien pour
apprendre à pousser des boutons). A la basse (et accessoirement à la trompette)
Trevor Bolder. A la guitare, Mick Ronson, à la batterie Woody Woodmansey. Aux
touches d’ivoire, un jeune surdoué, Rick Wakeman (oui, oui, celui-là même qui
passera dans Yes avant de prendre un melon monumental et d’entamer une risible
et prétentieuse carrière solo, mais qui en ce début des 70’s fait partie des
pas trop mauvais Strawbs et participe à plein de sessions de studio, sessions
pour lesquelles il est très demandé). Bowie joue quelques parties de guitare, les
plus faciles de piano (c’est lui qui le dit dans les notes de pochette), et
souffle dans un saxo. A la lecture du casting, on s’aperçoit qu’il suffit
d’enlever Wakeman pour avoir l’équipe qui quelques mois plus tard, mettra en
boîte « Ziggy Stardust » …
De Ziggy, on en est encore loin … Quoique … « Queen Bitch », avant-dernier titre de « Hunky Dory » contient tous les plans (les riffs de guitare saturée, le tempo rock’n’roll, la voix hurlée et forcée dans les aigus) de la prochaine mutation de Bowie et pourrait figurer tel quel dans « Ziggy … ». Je pense qu’au moment de l’enregistrement de « Hunky Dory », le suivant est déjà dans la tête de Bowie, au niveau sonore et dans la recherche du nom qui claque et commence par un Z. C’est malheureusement son fils qui vient de naître, le futur réalisateur Duncan Jones, qui se verra baptiser de l’encombrant prénom de Zowie … comme pour se faire pardonner, Bowie lui écrit la comptine folk « Kooks » dans un style qui fait penser à Donovan, titre dans lequel Bolder se hasarde à quelques notes de trompette.
Angela, David & Zowie Bowie |
« Hunky Dory », comme ses prédécesseurs, part un peu dans tous les sens. Une tentative avouée (et avortée) d’imprimer les charts avec « Changes » qui fera de ce titre très mélodique et très pop un des classiques de Bowie, de la revue sur toutes les compilations. Une nette prédominance sur la première face du 33 Tours de parties de piano (« Oh ! You pretty things », « Life on Mars » évidemment, le dispensable « Eight lines poem »). Bowie nous refait aussi du gimmick à la 12 cordes acoustique qui avait contribué au succès de « Space Oddity » sur « Quicksand » (avec moins de réussite). Un titre qui ne vaut réellement que pour son texte ésotérique, où sont cités pêle-mêle Aleister Crowley, Himmler, Churchill, Greta Garbo, le Livre des Morts tibétain, … sans qu’on sache très bien où tout cela veut en venir … Témoin également de l’éparpillement du disque « Fill your heart » laboure les mêmes terres désuètes (vaudeville) que les Kinks de Ray Davies à la même époque.
Trois titres sont centrés autour de personnalités qui compteront beaucoup dans la vie et la carrière de Bowie. Andy Warhol dans la chanson éponyme, montre la fascination de Bowie pour le maître du Pop-art et sa galaxie, la Factory, dont font partie le Velvet Underground (il reprendra « White light, white heat » sur scène durant la période Ziggy Stardust) et qui dit Velvet dit Lou Reed (pile un an après la parution de « Hunky Dory », sortira « Transformer » produit par Bowie superstar, c’est dire si l’accélération du chanteur aux yeux vairons va devenir phénoménale …). « Song for Bob Dylan » a lui aussi le mérite de ne pas laisser planer l’ambiguïté sur le destinataire. Sur une instrumentation qui sonne très The Band, Bowie livre au Zim un hommage reconnaissant pour l’ensemble de son œuvre et de son interprétation (« a voice like sand and glue »), tout en laissant paraître une certaine frustration sur les parutions récentes, ce sur quoi on ne pouvait guère lui donner tort, Dylan étant pour le moins en 1971 à la recherche d’un second souffle créatif …
Ronson, Bowie & Woodmansey |
Enfin, le titre qui clôture « Hunky Dory »
est l’autobiographique « Bewley Brothers », en référence plus ou
moins transparente à sa complicité adolescente avec son demi-frère Terry Burns,
de dix ans son aîné, qui a été son formateur et initiateur musical (lui faisant
connaître entre autres, nobody’s perfect, le jazz). Schizophrène, Burns a été
interné à la fin des années 60 (il a été la source d’inspiration du titre « All
the madmen » sur « The man who sold the World » et le sera plus
tard de « Jump they said » qui évoque son suicide sur le disque « Black
tie white noise » en 1993). Devenu star, Bowie entretiendra des rapports ambigus
avec son demi-frère, réglant ses frais médicaux, le visitant parfois
fréquemment, ou au contraire passant des années sans le voir ni s’inquiéter de
sa santé …
« Hunky Dory » ne m’apparaît pas faire
partie de la demi-douzaine d’indiscutables de Bowie, mais se situe juste en
dessous, et inaugure réellement la décade prodigieuse de Mr. Jones.
Du même sur ce blog :