Encore un quoi ? Ben voyons, encore un type qui fait
de la musique en regardant dans le rétroviseur. Direction années 60
psychédéliques. Pas le premier, oh certes non, sûrement pas le dernier non
plus, tant on redécouvre régulièrement monts et merveilles de cette période,
une des plus foisonnantes en matière de production, et aussi de qualité
musicale.
Et alors, qu’est-ce qu’il a de plus ce Doug Tuttle
que les autres ? Et qui c’est, d’abord ce zigoto, il sort d’où ? Euh,
j’en sais foutre rien, il est américain, chevelu ( ? ), son dernier groupe s’appelait Mmoss
( ?? ), il y jouait avec sa gonzesse qui s’est barrée, il s’en est trouvé
fort marri (ce qui a donné l’inspiration et les textes de ce disque), et est
parti vivre son aventure tout seul comme un grand. Echoué sur le label de
Chicago Trouble In Mind, où sévit le jeune prodige Jacco Gardner, le Batave planant
responsable l’an dernier d’un somptueux « Cabinet of curiosities »,
tout parfumé au … pop-rock psychédélique 60’s. Voilà voilà, la boucle est
bouclée …
Ce « Doug Tuttle », donc, il empeste le
cœur du centre du milieu du monde psychédélique américain, la Californie des
années 65-66-67. Le Tuttle, il a du écouter les Byrds de 65-67, et aussi tous
les groupes de San Francisco de l’époque. Ça sonne donc rigoureusement vintage,
avec notamment un batteur nerveux qui pulse, loin des coups de pompe sur des
doubles grosses caisses mixées en avant à la mode depuis plus de trente ans. Le
Tuttle, lui, il a tout composé, chante et joue de la guitare. Les compos, c’est
de l’exercice de style, classique, bien fait, mais ça a un peu tendance à
tourner en rond dans des climats brumeux et cotonneux, notamment dans la
seconde partie du disque, avant une bienvenue éclaircie finale. Le chanteur
Tuttle, c’est pas une des grandes voix du rock c’est sûr, mais c’est fait
simplement, proprement, en ajoutant plein d’effets et de filtres pour un rendu
gris, opaque, souvent bien secondé par des harmonies vocales de comparses
bien en place (le côté Byrds évident). Là où il est le plus impressionnant,
c’est à la guitare. A l’opposé du m’a-tu-vu bling bling oyez oyez comme je joue
vite et que je suis technique de mise chez tous ceux qui se prennent pour
Clapton, Beck, Page, Hendrix ou qui on voudra au Panthéon, Doug Tuttle est
d’une sobriété, d’un bon goût et d’une efficacité jamais démenties. C’est
pourtant un sacré client, écoutez dans l’exercice de style archi-rebattu du
long solo ce qu’il fait sur la ballade lysergique « Turn this love »,
il n’a rien à envier à ces maîtres de la six-cordes discrets du rock psyché que
furent Jorma Kaukonen ou John Cippolina. Ce « Turn this love » est le
titre de loin le plus long (6 minutes) du disque. Les dix autres sont expédiés
aux alentours des deux-trois minutes réglementaires.
Ça commence par un hybride entre les Byrds et le
Floyd de Barrett (« With us soon »), ça donne sans équivoque la ligne
de ce qui va suivre, et ma foi, c’est assez accrocheur d’entrée. On s’aperçoit que Tuttle met souvent au début ou à la fin, voire au début et à la fin de ses
titres des effets de bande accélérées ou ralenties et ça devient un gimmick
assez agaçant tant c’est finalement prévisible. Les mélodies sont pour la plupart
simples et bien trouvées (mention particulière à « Forget the day »
et sa tentative plutôt réussie de boucle cosmique à la « A day in the life »),
avec toujours cet effet madeleine proustienne qui renvoie à sa période chérie.
Ça pique un peu du nez sur les tempos médiums et embrumés, et on en vient
parfois à penser au shoegazing de My Bloody Valentine (flagrant sur « Where
you plant … » avec là aussi une jolie partie de guitare). Une (légère)
poussée d’adrénaline, un rythme plus enlevé (« Lasting away »), on se
retrouve en présence de pop bubblegum (ou yéyé), c’est amusant mais quelque peu
anecdotique. Après deux-trois titres qui font redite, le tempo se fait plus
enjoué vers la fin du disque (« I will leave », c’est exactement
comme les Byrds pop, les titres que composait Gene Clark sur « Mr
Tambourine Man »). Le final (« Better days »), comme son nom l’indique,
signe la fin de l’ambiance mélancolique et ouvre une fenêtre vers un futur qui
pourrait plus gai …
Faudra pour ça en dépoter quelques-uns de ce « Doug
Tuttle ». C’est pas gagné, même s’il surnage assez facilement du lot des
productions rétro de ces jours-ci …